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Date: 19981112

Dossier: 98-25-UI

ENTRE :

GAËTAN LAMBERT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Rimouski (Québec) le 22 octobre 1998.

[2] Il s'agit de l'appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), en date du 3 décembre 1997 déterminant que l'emploi de l'appelant chez Transports Jenkins Ltée (Jenkins), du 10 mars au 5 juillet 1997 était assurable car il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services mais qu'il ne l'était pas du 6 juillet 1997 au 3 décembre 1997 parce qu'au cours de cette deuxième période il n'était pas l'employé de Jenkins.

[3] Le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi après un amendement autorisé de consentement au sous-paragraphe s) :

« 5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes :

a) le payeur a été constitué le 8 décembre 1981; (A)

b) l'actionnaire unique du payeur est Francis Jenkins; (A)

c) le payeur exploitait une entreprise de transport au Canada et aux États-Unis; (A)

d) le payeur possédait environ 15 camions et engageait une vingtaine de camionneurs; (A)

e) avant la période en litige, le payeur embauchait un répartiteur au nom de Raynald Dionne; (A)

f) Raynald Dionne avait une rémunération hebdomadaire assurable de 550 $; (I)

g) le payeur a embauché l'appelant pour remplacer Raynald Dionne comme répartiteur; (ASAP)

h) l'appelant avait un local attiré dans les locaux du payeur; (A)

i) l'appelant utilisait les outils du payeur comme le télécopieur, l'ordinateur et le téléphone; (ASAP)

j) l'appelant était supervisé par Francis Jenkins qui occupait un bureau face à l'appelant; (ASAP)

k) selon le payeur, l'appelant faisait le même travail de répartiteur que Raynald Dionne; (ASAP)

l) l'appelant facturait au payeur ses heures travaillées au taux de 35 $ l'heure; (ASAP)

m) les factures de l'appelant sont fausses; (N)

n) l'appelant était rémunéré 17,50 $ de l'heure par le payeur; (ASAP)

o) sur les factures, l'appelant divisait le nombre de ses heures travaillées par deux; (ASAP)

p) l'appelant n'avait aucun risque financier; (N)

q) si un camion revenait vide, c'est le payeur qui absorbait les pertes; (A)

r) le 12 mai 1997, l'appelant a constitué la société 374301 Canada Inc.; (A)

s) depuis le 6 juillet 1997, la société 3374301 Canada Inc. facture les services de répartiteur au payeur. » (ASAP)

[4] Le paragraphe 8 de cette réponse se lit ainsi :

« 8. L'intimé soutient que l'appelant n'a pas exercé d'emploi assurable au sens de la Loi durant la période du 6 juillet 1997 jusqu'à la date de notification du 3 décembre 1997. »

[5] Dans le texte qui précède du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires de l'appelant à l'ouverture de l'audience :

(A) = admis

(I) = ignoré

(ASAP) = admis sauf à parfaire

(N) = nié

L'enquête

La preuve de l'appelant

Selon son témoignage :

[6] À l'automne 1996, il était en chômage et il a décidé de démarrer sa propre entreprise.

[7] Le 22 novembre 1996, il a en conséquence signé avec la Commission de l'assurance-emploi du Canada un accord de subvention (pièce A-1) au travail indépendant (ATI).

[8] Il avait demandé à son avocat de lui procurer une charte fédérale, mais celui-ci a plutôt demandé une charte provinciale aux termes d'une lettre (pièce A-2) du 24 février 1997 à l'Inspecteur général des institutions financières du Québec : il a dû ensuite refaire la demande auprès de l'autorité fédérale compétente.

[9] Lorsqu'il obtenu sa charte fédérale il a dû faire les démarches pour obtenir ses numéros de TPS et de TVQ et lorsqu'il les a eus, c'est sa compagnie qui a fait affaires avec Jenkins.

Eu égard au sous-paragraphe g)

[10] Raynald Dionne avait été camionneur depuis 30 ans lorsqu'il est devenu répartiteur pour Jenkins.

[11] Lorsqu'il l'a remplacé il a aussi fait de la répartition mais surtout de la mise en marché.

[12] Au départ, c'est sa compagnie qui devait contracter avec Jenkins mais sa charte fédérale n'arrivait pas.

Eu égard au sous-paragraphe i)

[13] Il avait lui aussi chez lui un télécopieur, un ordinateur et un téléphone qu'il avait payés de ses propres deniers.

[14] Lorsqu'il s'en servait à la maison pour le compte de Jenkins, il ne la facturait pas : en retour celle-ci ne le facturait pas non plus lorsqu'il utilisait ses équipements à son bureau pour ses autres clients.

Eu égard au sous-paragraphe j)

[15] Il fournissait des conseils en logistique à Francis Jenkins : il lui trouvait et lui proposait des voyages de retour et celui-ci les acceptait ou non.

Eu égard au sous-paragraphe k)

[16] Il n'opérait pas du tout dans la même optique que Raynald Dionne qui n'aimait pas chercher des voyages et qui ne faisait, en somme, que boucher des trous.

[17] Raynald Dionne s'est racheté ensuite un camion et il est retourné sur la route lorsqu'il a commencé à oeuvrer chez Jenkins.

Eu égard aux sous-paragraphes l), m), n) et o)

[18] Il s'était entendu avec Francis Jenkins sur un taux forfaitaire de 700 $ pour une semaine complète de travail et il n'y avait pas de tarif horaire applicable : il n'a d'ailleurs jamais été question de tarif horaire entre lui et Francis Jenkins.

[19] Il pouvait travailler 40, 50 et même 60 heures par semaine pour Jenkins et ses autres clients.

[20] Les factures (pièce I-1) émanent bien de lui : si elles sont faites à son nom, c'est qu'il attendait sa charte pour opérer sous un nom corporatif.

[21] Celle du 26 mai 1997 est adressée à Somival Inc., une autre cliente : elle est basée sur un tarif horaire de 35 $ plus les frais d'interurbain : c'est l'entente qu'il avait avec celle-ci.

[22] Pour le compte de Jenkins, il ne notait pas ses heures travaillées : lorsqu'il faisait une semaine complète, il aurait pu tout aussi bien lui réclamer le montant forfaitaire de 700 $ sans autre explication : s'il la facturait, c'était pour tenir compte des périodes où il n'était pas au bureau oeuvrant ailleurs pour d'autres clients : s'il la facturait au taux horaire de 35 $ c'était pour faire comme dans le cas de Somival Inc.

[23] Lorsqu'il a lancé son entreprise, le contrat avec Jenkins n'était pas prévu.

[24] C'est seulement à compter du 6 juillet 1997 que sa compagnie eut une entente avec Jenkins à un taux horaire de 17,50 $ sur une base de contrat.

[25] Ses factures à Jenkins indiquent seulement « conseils en logistique » alors que sur celles à Somival Inc. tous les détails des services rendus sont bien indiqués.

[26] Dans la pièce I-1, il y a le Certificat de constitution de 3374301 Canada Inc. et il fait voir qu'il date du 12 mai 1997 et a été émis en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

[27] La facture # 1 de cette corporation à Jenkins est pour la période du 6 au 12 juillet 1997.

[28] La facture # 2 est faite à Nicholson Cates Ltd. et elle date du 22 juillet 1997 : elle est de 10 549,34 $.

[29] Depuis l'émission de sa charte, les factures de sa compagnie tiennent compte s'il y a lieu de la TPS et de la TVQ.

[30] Si dans un document intitulé « Description du projet » (pièce I-2) dont il s'est servi pour demander une aide de 6 000 $ dans le cadre du programme « Jeunes promoteurs » , il a écrit (page 7) : « Le service conseil et la logistique se feront selon une tarification horaire variant de 25 $/hre à 40 $/hre selon les mandats et les bonifications applicables. » , c'est parce qu'à ce moment là, il avait surtout en vue la clientèle de Somival Inc.

Eu égard au sous-paragraphe p)

[31] Il l'a nié parce que s'il est vrai que lorsqu'un camion revient vide, c'est Jenkins qui absorbe les pertes, il risque quand même de perdre son contrat si les camions reviennent toujours vides.

Eu égard au sous-paragraphe s)

[32] Il est vrai que si quelqu'un le regarde travailler il peut penser qu'il fait seulement de la répartition mais, dans les faits, il s'occupe de bien d'autres choses. Il a signé le 7 juillet 1997 une déclaration statutaire (pièce I-3) : il y est écrit :

« Je travaille présentement comme répartiteur pour Transport Jenkins mais je ne suis pas à salaire, je ne suis pas sur le payroll, je travaille à mon compte. Je travaille pour Transport Jenkins depuis le 10 mars, selon les factures que je fais pour Transport Jenkins, j'indique de 17 à 20 heures de travail, mais en réalité je travaille le double des heures qui sont indiquées. Je fais mes factures de cette façon là pour maintenir mon taux horaire de 35 $ de l'heure. J'ai eu mon incorporation cette semaine avec mes numéros de TPS et TVQ, ma compagnie est le 3374301 Canada Inc., je suis l'unique actionnaire. J'ai ouvert mon compte commercial le 29 juin à la Caisse d'Amqui. Transport Jenkins fait surtout du transport aux États-Unis, il y a 15 camions, en tant que répartiteur je m'occupe de trouver des chargements pour les camions. Je ne suis pas payé à salaire parce que ça paraît mal qu'un employé puisse transiger avec d'autres clients pour du transport ou autre. En travaillant à mon compte, je peux faire des transactions avec d'autres clients et si j'ai besoin d'un transport, je paye Francis Jenkins pour faire transporter. Je n'ai pas d'autre client à part Transport Jenkins et Somival pour l'instant. »

[33] Il a offert alors à l'enquêteur de lui produire ses cahiers de notes pour démontrer que ce n'est pas seulement depuis le début de juillet 1997 qu'il fait le même travail mais celui-ci a refusé.

[34] Il les produit donc à l'audience en liasse sous la cote A-3.

[35] Ils montrent avec beaucoup de détails toutes les démarches qu'il a faites pour trouver des voyages de retour à Jenkins ainsi que toutes celles qu'il a faites pour ses autres clients pendant et après la période en litige et dans le cas de ces derniers, ses heures consacrées à leurs affaires.

[36] Pour Jenkins il recherchait toujours de nouveaux clients pour tous les genres de Transport.

[37] En plus de la mise en marché, il faisait aussi du courtage.

[38] Somival Inc. est une filiale de la compagnie où il avait travaillé pendant sept ans et demie au préalable.

[39] C'est d'ailleurs le patron de Somival Inc. qui lui a suggéré de « partir » sa propre entreprise.

[40] Lorsqu'il fait du courtage, son profit peut être de 5 à 10 % : il achète alors des voyages pour les revendre ensuite : il essaie évidemment de les vendre avant de les acheter : il n'a pas besoin de permis pour se livrer à de telles activités de courtage.

[41] S'il avait eu sa charte à temps « on ne serait pas ici » à la date de l'audience.

[42] Dans une lettre (pièce A-4) du 17 septembre 1997, le Directeur des Services fiscaux - Québec à Revenu Canada l'avait informé que son emploi chez Jenkins du 10 mars au 17 septembre 1997 était assurable étant donné que toutes les exigences de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi avaient été respectées.

[43] Subséquemment, le Ministre a décidé qu'il était assurable seulement jusqu'au 6 juillet 1997 : il a pourtant toujours fait la même chose.

La preuve de l'intimé

Selon Francis Jenkins :

[44] Raynald Dionne était un ancien camionneur qu'il avait engagé à salaire à titre de répartiteur : il est parti de lui-même.

[45] Au même moment, l'appelant lui a offert les services de la compagnie qu'il était à incorporer.

[46] Raynald Dionne faisait au service de Jenkins de 600 $ à 700 $ par semaine.

[47] Si le relevé d'emploi (pièce I-4) indique pour lui un salaire de 550 $ par semaine, c'est qu'il était payé pour ses dépenses en plus.

[48] Raynald Dionne a pu travailler aussi un peu pour Jenkins après son dernier jour de travail indiqué au relevé d'emploi (pièce I-4) comme étant le 20 décembre 1996, à savoir en janvier et en février 1997.

[49] Avec l'appelant il avait une entente sur un montant forfaitaire de 700 $ par semaine pour une semaine entière de travail.

[50] L'appelant travaillait au bureau de Jenkins, mais il gérait quand même sa propre entreprise, là ou chez lui.

[51] Jenkins payait alors ses interurbains et ses fax lorsqu'il était au bureau, mais lorsqu'il était chez lui l'appelant ne facturait pas Jenkins pour ces frais non plus.

[52] L'appelant ne soumettait pas de factures à Jenkins quand il n'était pas au bureau et les jours de Fêtes il n'était pas d'ailleurs rémunéré.

[53] Lorsque l'appelant facturait Jenkins, celle-ci le payait sans questionner et il n'avait pas le temps de savoir s'il s'était absenté ou non car il avait pleine confiance en lui.

[54] Jenkins trouvait que pour une semaine de travail l'appelant méritait bien 700 $ ce qui constituait une rémunération raisonnable d'ailleurs.

[55] L'appelant avait le risque de voir Jenkins mettre fin à son contrat s'il ne produisait pas suffisamment : il avait une obligation de résultat.

[56] Avec les services de l'appelant Jenkins a grandi et elle a maintenant plus de camions sur la route.

[57] Il y a une énorme différence entre un répartiteur ordinaire comme Raynald Dionne et l'appelant qui, via sa compagnie, assure en plus la mise en marché et la logistique de l'entreprise.

Les plaidoiries

Selon l'appelant :

[58] Il a démarré une entreprise pour ne plus avoir affaires avec le « chômage » .

[59] Il n'a pas payé « de timbres » de chômage chez Jenkins et maintenant on lui réclame le remboursement des prestations qu'il a reçues.

[60] C'est déplorable qu'il n'ait pas reçu sa charte fédérale à temps, mais ce n'est vraiment pas de sa faute.

[61] S'il avait su, il aurait gardé sa charte provinciale même si pour aller dans l'international, il était préférable pour lui d'avoir une charte fédérale.

[62] Il est aussi équipé chez lui et il se servait de sa propre machinerie lorsqu'il était là : Rome ne s'est pas construite en un seul jour et, lui, il en est à ses débuts sous chapeau corporatif.

Selon la procureure de l'intimé :

[63] Le Ministre a déjà divisé la période en litige au départ en deux même si une incorporation n'entraîne pas nécessairement un travail autonome.

[64] Les arrêts Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al. [1947] l D.L.R. 161 et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 3 C.F. 553 établissent bien les critères à examiner pour déterminer la nature des rapports entre un employeur et un employé.

[65] Dans Wiebe, supra , l'honorable juge MacGuigan écrit pour la Cour d'appel fédérale (pages 556 et 557) : (voici la partie essentielle des motifs de la décision de la Cour canadienne de l'impôt ...)

« La jurisprudence a établi une série de critères pour déterminer si un contrat constitue un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise. Bien qu'il en existe d'autres, les quatre critères suivants sont les plus couramment utilisés :

a) le degré, ou l’absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur,

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l’intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.

Examinons maintenant la preuve à la lumière de chacun de ces critères.

l. Le critère du contrôle

Les installateurs étaient avant tout des travailleurs autonomes. Ils étaient libres d'accepter ou de refuser une demande de services. Ils n'avaient ni à travailler dans l'établissement de l'appelante, ni à s'y rendre, sauf pour y prendre une porte ou des pièces. L'appelante exerçait un certain contrôle sur les installateurs. Tout d'abord, elle leur assignait les travaux à accomplir. Ceux-ci étaient garantis pendant un an. Au cours de cette période, l'appelante exigeait que l'installateur reprenne les réparations ou travaux d'installation mal effectués. Pour ce qui est du critère du contrôle, la preuve n'est pas concluante.

2. La propriété des instruments de travail

Chaque installateur possédait son propre camion et ses propres outils. L'appelante fournissait seulement les supports spéciaux servant au transport des portes et, au besoin, une perceuse à ciment d'un type particulier. Suivant ce critère, les installateurs semblent être des entrepreneurs indépendants.

3. Les chances de bénéfice et les risques de perte

Les installateurs avaient peu de chances de réaliser des bénéfices. Ils étaient payés à la pièce. S'ils travaillaient rapidement et efficacement, ils pouvaient exécuter d'autre travaux pendant la journée, selon la demande. D'autre part, s'ils étaient négligents et n'effectuaient pas leur travail de la façon voulue, ils étaient obligés de le reprendre ou de le recommencer en assumant eux-mêmes les coûts de l'essence, des pièces et des travaux. Selon ce critère, les travailleurs semblent être des entrepreneurs indépendants.

4. Le critère de l'intégration

L'appelante exploitait une entreprise d'installation et de réparation de portes basculantes à commande électrique. Tout le travail effectué par les installateurs faisait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante. Sans eux, l'appelante n'aurait pu faire commerce.

Dans Stevenson, Jordan et al. vs. MacDonald and Evans, (1951) T.L.R. 101, lord Denning a énoncé un critère qui, depuis, a été cité en de maintes occasions. Le voici (page 111) :

(TRADUCTION) « Une particularité semble se répéter dans tous les cas : en vertu d'un contrat de louage de services, une personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire. »

Le critère de lord Denning a été appliqué et suivi par nos tribunaux à de nombreuses reprises. En l'espèce, il nous permet de conclure à l'existence d'un contrat de louage de services, et non pas d'un contrat d'entreprise.

L'appel est donc rejeté, et la décision de l'intimé est confirmée.

La requérante a soutenu devant le tribunal que la Cour canadienne de l'impôt avait commis une erreur de droit en employant le soi-disant critère d' « intégration » qui, à son avis, ne s'appliquait avec raison qu'à des travailleurs ayant acquis de grandes aptitudes professionnelles et qui, de ce fait, n'avait aucun lien avec les faits en litige. »

(page 560)

« Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction. »

[66] Dans Jean R. Fabi et Cie Ltée et M.R.N. (95-167-UI)), l'honorable juge suppléant L.G. Robichaud de note Cour a écrit (page 2) :

« La question qui se pose donc dans la présente instance est de savoir si les personnes appelées « directeurs de courtage ou de distribution » , comprenant les intervenants Major, Favreau et Paré, sont des travailleurs autonomes ou des employés liés par contrat de louage de services selon l'alinéa 3(1)a) de la Loi.

M. Fabi, président de la compagnie appelante, de même que M. Jean-Claude Major ont affirmé devant le Tribunal que les directeurs de courtage, y inclus M. Favreau, étaient des travailleurs autonomes et qu'ils se sont toujours considérés comme tels, ... »

(page 3)

« Les tâches des travailleurs étaient définies comme des « directeurs de courtage » et ces derniers, devaient recruter et intéresser des courtiers ou agents d'assurance à vendre les produits distribués par l'appelante. »

(page 3 à 5)

« Selon les témoignages de MM. Fabi et Major, les travailleurs se considéraient comme autonomes et entrepreneurs, n'ayant aucune obligation d'être présents au bureau, et pouvant travailler à leur propre domicile; quant à M. Michel Paré, qui soutient la position du Ministre, il affirme qu'il devait rendre compte à M. Fabi, dans un rapport hebdomadaire de ses activités, de son volume de production. Il y avait à cet effet, une réunion hebdomadaire, fixée tous les lundis matins. On fournissait un rapport comme en fait foi l'exemplaire produit dans l'instance (...). Quant à la clause (...) désignant les relations de travail, M. Paré affirme qu'elle y a été inscrite uniquement pour protéger les intérêts de l'employeur. Toutefois, cette clause n'a jamais empêché M. Paré de se considérer comme un employé de la Maison Fabi. En outre, M. Paré affirme que son objectif était « d'intéresser le courtier à vendre des produits distribués par la compagnie appelante... » Quant à M. Jean-Claude Major, il prétend au contraire qu'il se considérait comme un entrepreneur indépendant puisqu'il travaillait de son propre bureau à son domicile, et il déclare même qu'il faisait des ventes personnelles, et qu'il a produit une quinzaine de formule T4.

...

Le droit

La jurisprudence établit que les critères suivants doivent être pris en considération pour déterminer s'il y a ou non un contrat de louage de services :

a) Lien de contrôle et de subordination entre les parties;

b) Degré d'intégration;

c) Propriété des outils;

d) Risques de perte, chances de profit;

e) Mode de paiement;

f) Propriété de l'entreprise.

...

Dans l'instance actuelle, la prépondérance de la preuve est à l'effet que nous retrouvons plusieurs des critères énumérés plus haut à savoir que les travailleurs bénéficiaient des ressources et de l'équipement fournis par l'appelante. »

(et page 6)

Le Tribunal est aussi d'opinion, selon l'ensemble de la preuve, qu'un certain contrôle constituant à un certain degré, un lien de subordination existait entre l'appelante et ses travailleurs. Par ailleurs, le Tribunal est d'opinion que les travailleurs n'avaient pas, dans la compagnie appelante, un intérêt tel que l'on puisse dire qu'ils participaient aux risques de perte et aux chances de bénéfice. La compagnie ne leur appartenait pas. Par ailleurs, le Tribunal est également d'opinion que le travail exercé par les travailleurs s'intégrait dans les fonctions essentielles de l'employeur.

Dans l'instance précitée de RE/MAX Real Estate Calgary South Ltd., les courtiers en immobilier, ont été considérés comme des employés de la compagnie de Courtage RE/MAX, bien qu'ils n'avaient aucune heure de travail de fixée et qu'ils étaient, d'une certaine manière leur propre patron. Ils ne recevaient aucun salaire, ils devaient plutôt payer une redevance à la compagnie de courtage pour l'usage de son nom et des facilités mises à leur service. Le juge Dubinsky a retenu semble-t-il, comme critère prédominant, celui de l'intégration du travail des agents, comme faisant partie de celui de l'entreprise RE/MAX. »

[67] Le salaire de l'ancien répartiteur était de seulement 550 $ par semaine alors que celui de l'appelant était de 700 $.

[68] Les outils de travail de l'appelant appartenaient à Jenkins.

[69] Si les heures de travail de l'appelant ne sont pas comptabilisées, c'est parce que Francis Jenkins a bien confiance à l'appelant : il lui permet d'oeuvrer ailleurs à titre de travailleur autonome mais, chez Jenkins, il y avait bien un véritable contrat de louage de services.

Le délibéré

[70] L'appelant a ignoré le sous-paragraphe f) précité, mais la preuve est faite qu'il est bien vrai.

[71] Il a admis sauf à parfaire le sous-paragraphe g) et il l'a bien parfait : la preuve non contredite est à l'effet que l'appelant ne faisait pas que de la répartition chez Jenkins, loin de là.

[72] Il a admis de la même manière le sous-paragraphe i) et il l'a aussi parfait : la preuve non contredite est à l'effet qu'il avait aussi chez lui en propriété un télécopieur, un ordinateur et un téléphone et qu'il s'en servait à ses frais lorsqu'il était là, entre autres, pour les affaires de Jenkins.

[73] Il a admis ainsi le sous-paragraphe j) et il l'a parfait : la preuve non contredite était à l'effet qu'il n'y avait pas de supervision comme telle : il proposait des voyages de retour à Francis Jenkins qui les acceptait ou non.

[74] Il est certain que l'appelant ne faisait pas le même travail que Raynald Dionne et Francis Jenkins, qui a témoigné à la demande de l'intimé, le dit bien.

[75] Dans sa déclaration statutaire l'appelant explique que s'il facturait Jenkins à 35 $ l'heure c'était pour maintenir un tel taux et cela n'est pas contredit non plus.

[76] Il nie que ses factures étaient fausses et de l'ensemble de la preuve non contredite d'ailleurs il ressort que son entente avec Francis Jenkins était à l'effet qu'il recevait 700 $ par semaine complète de travail avec ajustement à la baisse s'il ne travaillait pas tous les jours ouvrables au bureau de Jenkins : il n'était pas payé les jours fériés : en somme les heures de travail importaient peu et Francis Jenkins n'avait pas le temps de savoir s'il s'était absenté ou non.

[77] L'appelant avait un risque financier car lorsqu'il travaillait chez lui, il absorbait à l'avantage de Jenkins les coûts du fax et des interurbains : s'il ne produisait pas assez, il avait également le risque de perdre son contrat.

[78] Aux termes de la convention ATI (pièce A-1) l'appelant a bien travaillé à plein temps à l'élaboration et à la mise en oeuvre de son plan d'activités.

[79] L'erreur de son avocat dans le choix de la charte désirée n'est pas contredite et il convient de souligner que c'est le 24 février 1997, avant la période en litige, que la charte provinciale a été demandée : n'eut été de cette erreur regrettable la compagnie aurait toujours facturé Jenkins et il n'y aurait pas eu de procès. D'ailleurs c'est ce qui s'est passé dès que celle-ci eut ses numéros de TPS et TVQ.

[80] La différence entre le travail de Raynald Dionne et celui de l'appelant est bien décrite et Francis Jenkins l'admet complètement.

[81] L'appelant aurait pu réclamer 700 $ à Jenkins pour une semaine de travail sans aucune explication et il n'avait pas d'ailleurs à compter ses heures.

[82] Si dans sa déclaration statutaire il n'est pas question de ses services de logistique et de mise en marché, c'est sans doute parce que l'enquêteur ne l'a pas noté : il y est cependant écrit qu'en tant que répartiteur il s'occupait de trouver de chargements pour les camions de Jenkins.

[83] Il y est aussi écrit que l'appelant n'était pas à salaire, qu'il n'était pas sur le « payroll » et qu'il travaillait à son compte.

[84] Au moment de cette déclaration il n'avait que deux clients, mais il en a trouvé d'autres et c'est tout à son honneur.

[85] L'enquêteur n'a pas voulu qu'il lui produise ses cahiers de notes, ce qui porte la Cour à croire que l'enquête a été bâclée.

[86] L'appelant faisait aussi du courtage à son compte, ce qui établit également qu'il était bien un travailleur autonome.

[87] Le Ministre aurait dû renverser complètement la décision du Directeur des Services fiscaux et, à tort, il ne l'a pas fait.

[88] Le témoignage de Francis Jenkins, entendu à la demande de l'intimé, n'aide aucunement sa cause.

[89] Les arrêts Locomotive et Wiebe, supra, sont bien connus et les quatre critères y établis le sont aussi.

[90] En l'instance Francis Jenkins ne contrôlait vraiment pas l'appelant et seul le résultat comptait pour lui.

[91] L'appelant utilisait au bureau de Jenkins les outils de travail de celle-ci, mais lorsqu'il était chez lui il se servait des siens pour Jenkins et ses autres clients.

[92] Dans les deux cas l'appelant et Jenkins ne se facturaient pas pour cela, absorbant chacun leurs frais : c'était évidemment à des fins de commodité que l'appelant utilisait au bureau les outils de travail de celle-ci, mais il avait aussi les siens dont il se servait au bénéfice de Jenkins lorsqu'il était chez lui : ce critère ne joue donc pas contre l'appelant au point de lui faire perdre sa cause.

[93] L'appelant avait des chances de bénéfice et des risques de perte suivant l'endroit où il travaillait pour Jenkins : ses cahiers de notes font voir le très grand nombre d'appels interurbains qu'il faisait et les nombreux fax qu'il envoyait et recevait pour le compte de Jenkins : il avait une obligation de résultat et s'il ne produisait pas assez, il risquait de perdre son contrat.

[94] L'appelant pouvait travailler aussi bien chez lui qu'au bureau de Jenkins, ce qui porte la Cour à croire qu'il n'y avait pas intégration comme dans le cas du répartiteur Raynald Dionne.

[95] Dans Fabi, supra, la preuve était contradictoire alors qu'en l'instance elle ne l'est pas du tout.

[96] L'honorable juge Robichaud a conclu que la prépondérance de la preuve était à l'effet que les travailleurs bénéficiaient des ressources et de l'équipement fournis par l'appelante alors qu'en l'instance l'appelant fournissait aussi les siens.

[97] L'honorable juge Robichaud a considéré également le critère du mode de paiement et, en l'instance, l'appelant ne recevait pas de paie mais bien le paiement de ses factures.

[98] Il a conclu à un certain contrôle alors qu'en l'instance, l'appelant et Francis Jenkins disent tous deux qu'il n'y en avait pas et que seul le résultat comptait; les heures de travail de l'appelant n'étant aucunement comptabilisées.

[99] Les deux témoins entendus sont de braves gens travaillant fort et la Cour les croit parfaitement.

[100] L'appel doit donc être accueilli et la décision entreprise annulée dans son premier dispositif, étant donné qu'il n'y avait pas de contrat de louage de services entre l'appelant et Transports Jenkins Ltée du 10 mars au 5 juillet 1997.

Signé à Laval (Québec), ce 12e jour de novembre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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