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Date: 19991116

Dossier: 97-2965-IT-G

ENTRE :

CONTINENTAL STEEL LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

Exposé conjoint des faits

[TRADUCTION]

Les parties conviennent par les présentes que, aux seules fins de l'espèce et de tout appel pouvant en être interjeté ou de toute autre procédure engagée dans cette affaire, les faits énoncés aux présentes sont véridiques. Aucun élément de preuve incompatible avec le présent exposé conjoint des faits ne pourra être présenté à l'audition des appels en instance ou de tout appel pouvant en être interjeté, mais des éléments de preuve supplémentaires non incompatibles avec le présent exposé conjoint des faits pourront être présentés par les deux parties.

1. L'appelante est une société qui a été constituée en vertu des lois de la province de Colombie-Britannique le 17 juillet 1975.

2. Le principal établissement de l'appelante est au 251, rue Schoolhouse, Coquitlam (Colombie-Britannique).

3. Durant toute la période pertinente, la fin de l'exercice de l'appelante était le 30 juin.

4. Dans sa déclaration d'impôt sur le revenu pour son année d'imposition 1988, l'appelante a indiqué un revenu net de 481 133 $.

5. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation initiale à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1988 de cette dernière par la voie d'un avis en date du 28 mars 1989.

6. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1988 de cette dernière par la voie d'un avis en date du 2 février 1996 (la “ nouvelle cotisation ”).

7. Dans la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1988 de cette dernière, le ministre a ajouté un revenu non déclaré, soit :

Revenu net déclaré 481 133 $

Corrections apportées au revenu provenant

d'une entreprise exploitée activement

Ajouter : revenu déclaré en moins 201 500 $

Revenu net imposable corrigé 682 633 $

Le ministre a en outre imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada (la “ Loi ”) et du paragraphe 23(2) de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Income Tax Act, soit des pénalités de 29 056,30 $ et de 14 611,50 $ respectivement, c'est-à-dire au total des pénalités de 43 667,80 $.

8. L'appelante a fait opposition à la nouvelle cotisation par la voie d'un avis en date du 2 mars 1996, alléguant que la nouvelle cotisation était frappée de prescription.

9. Le ministre a ratifié la nouvelle cotisation par la voie d'un avis en date du 4 juillet 1997.

DATÉ à Vancouver (Colombie-Britannique) ce 20e jour d'octobre 1999.

Points en litige

[1] Les deux principales questions en litige dans cette affaire sont de savoir : 1) si la nouvelle cotisation pour l'année 1988 était frappée de prescription en vertu du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”); 2) si le ministre était fondé à imposer des pénalités supplémentaires en vertu du paragraphe 152(2) de la Loi.

Preuve présentée au procès

[2] David A. Lloyd a témoigné qu'il était ingénieur et homme d'affaires. Par son entremise, un recueil de documents a été admis sur consentement et inscrit sous la cote R-1. Ce témoin a dit qu'il était le président de la société appelante, qu'il en était le seul actionnaire et que c'était lui qui, essentiellement, en dirigeait les opérations. Il avait une expérience considérable du monde des affaires et était titulaire d'une maîtrise (University of London) dans le domaine de la gestion en matière scientifique. Son expérience des affaires s'étend sur environ 36 ans. Il était l'ancien directeur général de la Great West Steel, qui avait plus de 100 employés. Il avait également des intérêts dans d'autres sociétés. Il comprenait les concepts concernant les profits et les pertes, les revenus bruts et les revenus nets et les comptes intersociétés.

[3] L'entreprise de la Continental Steel Ltd. (la société) consistait essentiellement à fournir des charpentes d'acier pour de nouveaux immeubles. La société avait été constituée par ce témoin, qui en était le président et le seul administrateur et actionnaire depuis sa constitution. Il gérait en outre les activités quotidiennes de la société. C'était un gestionnaire qui mettait la main à la pâte. Il était responsable de l'embauchage et du licenciement du personnel de bureau, mais les ouvriers étaient embauchés et licenciés par d'autres. Au cours des années pertinentes, il avait embauché des comptables et des aides-comptables. Durant l'année en question, la société avait entre 30 et 40 employés, et l'aide-comptable était une dénommée Kathleen Nelson.

[4] M. Lloyd a dit que les balances de vérification lui étaient normalement remises à la fin du mois, mais pas toujours. Il y a eu quelques mois où il ne les a pas reçues. Il savait comment allait l'entreprise.

[5] En 1988, Warren MacKenzie était le comptable de la société. M. Lloyd avait examiné un projet d'état financier avec M. MacKenzie pendant que ce dernier établissait ce document. M. Lloyd ne se souvenait pas d'avoir donné pour instructions au comptable d'apporter quelque changement que ce soit, bien qu'ils puissent avoir discuté du raisonnement relatif à des éléments particuliers.

[6] M. Lloyd a témoigné qu'il s'entretenait quotidiennement avec l'aide-comptable. On l'a alors renvoyé à des propos qu'il avait tenus au cours de l'interrogatoire préalable du 30 août 1999, et il a admis qu'il avait dit qu'il n'avait pas le temps de s'asseoir avec l'aide-comptable pour discuter d'affaires.

[7] On l'a renvoyé aux sections 1, 2 et 3 de la pièce R-2, soit les déclarations d'impôt sur le revenu de la société. Il a reconnu la déclaration pour 1988 et a dit qu'elle aurait dû inclure le montant en cause dans la présente espèce. Il avait signé cette déclaration. Il avait passé du temps avec le comptable à l'époque où ce dernier établissait cette déclaration. On l'a de nouveau renvoyé à la déposition qu'il avait faite au cours de l'interrogatoire préalable, et il a reconnu qu'il avait dit qu'il avait probablement simplement signé cette déclaration, sans l'examiner. Il croyait que le comptable avait inclus dans cette déclaration tous changements dont ils avaient discuté. Dans cette déclaration de revenu, il avait signé l'attestation selon laquelle les renseignements donnés étaient exacts.

[8] Il a fait référence au témoignage qu'il avait présenté lors de l'interrogatoire préalable du 31 août, au cours duquel il avait dit que Kathleen Nelson préparait l'information et la remettait au comptable et qu'elle travaillait pour lui. Il a reconnu que le revenu net indiqué à la ligne 111 de la déclaration d'impôt de la société pour 1988 était inexact. Le revenu net indiqué aurait dû inclure le montant en litige. Il a ajouté qu'il y avait en outre d'autres charges d'exploitation qui auraient dû être déduites et qui ne faisaient pas partie des chiffres indiqués dans cette déclaration de revenu.

[9] Il n'avait pas demandé au comptable si le montant en litige avait été inclus dans le revenu. Il avait simplement présumé que tel était le cas. Aucune vérification n'avait été effectuée au cours des années pertinentes, et c'était lui qui en avait décidé ainsi. Il en avait été de même jusqu'à la fin de l'exercice 1993. Cette année-là, les données avaient été fournies par Leslie Hill.

[10] On a parlé à M. Lloyd de la Mountwest Steel Ltd. C'est lui qui avait constitué cette compagnie, dont il était le président et le seul administrateur et dont il détenait 50 p. 100 des actions. Cette compagnie avait été constituée dans le but d'obtenir un allégement de taxe de vente provinciale, mais n'a pas été utilisée à cette fin.

[11] Pour l'essentiel, la Mountwest recevait de l'acier de la Continental et le vendait directement à des clients. En fin d'exercice, on déterminait quelle quantité d'acier avait été prise, les livres étaient ajustés, et une facture était établie en conséquence. Le montant en cause dans la présente espèce représente la quantité d'acier que la Mountwest a reçu de la Continental pour l'année 1987. Il s'agissait de la fin de l'exercice 1987 pour la Mountwest et du début de l'exercice 1988 pour la Continental. La Mountwest n'avait que des aides-comptables et ne faisait pas appel à un comptable en fin d'exercice, soit une décision prise par M. Lloyd.

[12] M. Lloyd n'inscrivait aucun montant dans les livres de l'appelante. Cette tâche était accomplie par d'autres employés. Vers la fin des années 1980, soit à partir de mai 1988 à peu près, la Continental Steel avait eu de gros problèmes de tenue de livres. Plusieurs aides-comptables se sont succédé jusqu'à ce que, en janvier 1990, Leslie Hill soit embauchée.

[13] On a renvoyé M. Lloyd à la section 7 du recueil de documents de l'intimée qui contenait un sommaire qu'il avait établi au sujet des changements d'aides-comptables et de certains problèmes de tenue de livres que la société avait eus. Il a dit que Debbie Cooke avait oublié d'inscrire le montant de 201 500 $ dans les livres de la Continental Steel. On l'a renvoyé à une note qu'il avait rédigée le 31 juillet 1988, et il a déclaré que cela indiquait qu'il avait dit à Kathleen Nelson d'enregistrer le montant en question dans les livres de la société. Il a admis que la note ne chargeait pas expressément quelqu'un d'inscrire ces éléments et d'enregistrer ces sommes, mais il a dit qu'il avait dû donner ces instructions à Kathleen Nelson verbalement. Il ne se rappelait pas s'il lui avait remis ce document particulier.

[14] En septembre 1999, Debbie Cooke lui a apporté un document et lui a dit que Kathleen Nelson n'avait pas inscrit le montant en litige; il doit donc lui avoir dit de le faire et lui avoir remis l'information. Kathleen Nelson n'a pas inscrit cette information dans les livres de cette société.

[15] M. Lloyd présumait que les livres étaient tenus correctement. Il ne vérifiait pas si le travail était accompli correctement. Aucun rapprochement des comptes de ces deux compagnies n'était effectué. M. Lloyd avait chargé Debbie Cooke par écrit d'enregistrer les mêmes opérations pour l'année suivante, comme il l'avait fait verbalement dans le cas de Kathleen Nelson pour l'année en cause. Il avait chargé Debbie Cooke de passer des écritures semblables pour l'année suivante, et elle avait découvert que Kathleen Nelson n'avait pas passé les écritures dans les livres des deux compagnies pour l'année en cause. Il avait alors dit à Debbie d'effectuer ces inscriptions comptables dans les livres de la Continental Steel comme si elles avaient été effectuées en 1989. Il a admis qu'il n'y avait aucune inscription dans les livres de la Continental Steel quant au montant en 1989 et que rien n'indiquait que cette correction avait été apportée. Il n'avait pas donné pour instructions d'inscrire ce montant. Debbie ne l'avait pas inscrit dans les livres de la Continental Steel, mais elle l'avait bel et bien inscrit dans les livres de la Mountwest Steel. Il a admis que la Mountwest Steel avait eu droit à l'avantage correspondant à cette charge d'exploitation.

[16] En août 1993, il avait appris que le montant n'avait pas été inscrit dans les livres de la Continental Steel. Il avait eu une discussion avec le comptable de la société quant à savoir si Debbie s'était occupée de cela en 1989, et le comptable lui avait dit que non.

[17] Quand M. Lloyd avait été informé que le montant avait été enregistré pour la fin de l'exercice 1993 dans les livres de la Continental Steel, le comptable lui avait dit que l'année 1993 était frappée de prescription et qu'il allait annuler l'inscription comptable. L'état de rapprochement établi en 1992 par Leslie Hill constatait l'erreur qui avait été commise. En 1988, M. Lloyd n'avait jamais demandé au comptable de la société d'établir systématiquement des états de rapprochement.

[18] Il a fait référence aux notes afférentes aux états financiers de l'appelante pour la fin de l'exercice 1993, qui ont été qualifiées d'ajustements sur exercices antérieurs, et il a dit pour l'essentiel qu'il avait cru que le comptable avait formulé la bonne recommandation quant à savoir comment corriger l'erreur, bien que la note elle-même ne renvoie pas au montant en cause. Il n'y a eu aucune déclaration financière modifiée ou note concernant la déclaration d'impôt pour 1988.

[19] On a renvoyé M. Lloyd à la section 9 de la pièce R-1, soit une lettre de mission d'examen de W. F. MacKenzie à l'intention de la société. Certaines modifications y avaient été apportées par M. Lloyd, qui a expliqué cela comme suit dans son témoignage : “ J'étais près de mes sous. Je ne voulais pas qu'il embauche un aide-comptable pour le travail pour lequel j'avais déjà embauché un aide-comptable ”.

[20] Il a dit qu'il discutait des documents avec son comptable avant que ce dernier y mette la dernière main. C'était chiche mais prudent de sa part d'imposer les modalités de mission qu'il imposait au comptable.

[21] Lors du contre-interrogatoire, il a dit qu'il est responsable de tout ce qui se passe à la Continental Steel. La Mountwest Steel et la Continental Steel sont des compagnies non liées aux fins de l'impôt sur le revenu. M. Lloyd a parlé de certains des problèmes personnels qu'avait Kathleen Nelson et il a dit que cette dernière était préoccupée et inquiète. Cela influait sur le travail qu'elle accomplissait. Elle s'absentait. Elle avait dû quitter son emploi à un moment donné, car elle n'arrivait plus à travailler à temps plein. Elle était ensuite revenue comme travailleuse à temps partiel. Il a dit : “ Je crois que j'avais demandé par écrit que les inscriptions comptables soient corrigées dans les livres des deux compagnies. Je présumais que cela avait été fait. ” Après avoir vu de nouveau le document qu'il avait rédigé, il n'avait aucune raison de croire que les écritures n'avaient pas été passées, jusqu'à ce que, à l'été 1989, Debbie porte cela à son attention. On lui a demandé ce qu'il aurait pu faire pour prévenir l'erreur, et il a dit qu'il aurait pu assurer un suivi à cet égard et que, toutefois, cela ne faisait pas partie de son travail courant. Il ne pouvait assurer un suivi à l'égard de toutes les instructions qu'il donnait. Il croyait que toutes les opérations avaient été correctement comptabilisées durant les années pertinentes et que toutes ses instructions avaient été exécutées.

[22] On l'a renvoyé à l'état des résultats de la société pour l'exercice se terminant le 30 juin 1988, notamment au compte de produits, et il a dit que l'inclusion du montant en litige aurait augmenté le chiffre relatif aux produits. Le montant aurait dû apparaître dans les comptes de prêts intersociétés, mais, quant à savoir où cela devrait figurer dans les états, M. Lloyd n'en était pas exactement certain. Cependant, il croyait qu'il y avait quelque chose d'autre qui clochait au sujet de l'inscription comptable relative aux prêts intersociétés, car il aurait dû y avoir une grande différence entre 1987 et 1988, ce qui n'était pas le cas.

[23] On lui avait dit, lorsque l'erreur avait été découverte par le comptable, qu'un ajustement sur exercices antérieurs n'était nécessaire que pour l'année considérée. En 1989, Debbie lui avait dit que Kathleen n'avait pas passé les écritures appropriées pour les deux compagnies. Avant cela, il n'avait aucune idée de l'existence d'une erreur quelconque. Il avait alors dit à Debbie d'apporter toutes les corrections nécessaires. À ce moment, il savait qu'il incluait le revenu pour 1988 dans l'exercice 1989. Deux écritures auraient dû être passées dans les livres de chaque compagnie. On ne serait pas arrivé au même résultat aux fins de l'impôt. M. Lloyd estimait que, en transmettant à Debbie Cooke le document qui figure à la section 4, il donnait pour instructions de passer les écritures nécessaires pour corriger l'erreur.

[24] Il a peut-être envoyé le chèque à Revenu Canada avant que chaque déclaration d'impôt ne soit effectivement remplie. Le revenu était bien supérieur à celui de 1987, et M. Lloyd doit avoir cru que le montant en litige avait été inclus. Il n'aurait pu découvrir l'erreur en examinant les états financiers. Si le revenu avait été inférieur à celui de 1987, il aurait constaté un problème, mais tel n'était pas le cas. Il n'avait vu aucun problème quant au montant de l'impôt à payer, car il était beaucoup plus élevé que pour 1987.

[25] Il a fait valoir que, avant que le comptable n'aille le voir, il n'était au courant d'aucun problème de rapprochement de comptes. L'appelante ne demandait jamais une vérification. M. Lloyd évite les vérifications, car elles sont trop coûteuses et n'apportent pas nécessairement un avantage quelconque. Il n'a jamais passé d'écritures de journal pour l'une ou l'autre compagnie. En ce qui le concernait, quand il avait découvert l'erreur, il avait donné pour instructions que les écritures nécessaires soient passées. Dans son esprit, le montant indiqué dans la déclaration d'impôt était exact.

[26] D'après lui, Leslie Hill était très soigneuse. Debbie Cooke n'avait été là qu'une brève période. Le travail qu'elle accomplissait était problématique. Elle était irresponsable et avait un certain nombre de problèmes personnels. Elle est partie. Leslie Hill était consciencieuse, tandis que Debbie ne l'était pas. Lorsqu'il avait signé la déclaration de revenu, il n'avait pas dû l'examiner. Si le montant de l'impôt à payer avait été étonnant par rapport à l'année précédente, le comptable aurait probablement examiné la situation avec lui. Vers la fin de janvier 1988, M. Lloyd avait remis l'information financière pour cette année-là à Kathleen Nelson et lui avait demandé de passer les écritures dans les livres des deux compagnies. Dans son esprit, cela avait été fait.

[27] En 1992, lorsque l'erreur lui avait été signalée par Debbie Cooke, il avait dit à cette dernière de passer toutes les écritures nécessaires. En 1993, on avait dit à M. Lloyd que seuls les états financiers pour cette année-là devaient être modifiés. Il ne vérifie toujours pas les écritures courantes. Il n'a pas changé ses façons personnelles de procéder depuis qu'il y a eu ce problème. On lui a dit que seuls des rapprochements de comptes, comme on en effectue maintenant, auraient permis de relever l'erreur.

[28] Au cours du réinterrogatoire, il a répété que, lorsqu'elle avait été produite, la déclaration d'impôt de la Mountwest Steel pour 1987 était exacte à tous les égards en ce qui le concernait. Il a de nouveau confirmé que, en 1988, c'était lui qui avait décidé de ne pas faire faire un rapprochement de comptes ou une vérification. Chaque année, il inscrit la quantité d'acier que la Mountwest Steel a obtenue de l'appelante.

[29] Leslie Ann Hill était une employée de l'appelante; elle tenait la comptabilité interne de l'appelante et de deux autres compagnies, pour M. Lloyd. Elle avait commencé à travailler en janvier 1990 et avait été embauchée par David Lloyd. Elle avait suivi des cours du soir en tenue de comptes de niveau 11 et en comptabilité de niveau 12 et avait également suivi des cours au British Columbia Institute of Technology. Elle n'a aucun titre officiel. Lorsqu'elle avait été embauchée, elle avait à son actif des cours de niveau secondaire. Elle n'avait jamais avant cela travaillé avec des comptables en entreprise. Elle ne s'y connaissait pas en rapprochement de comptes. Elle s'occupait des balances de vérification et des écritures de fin d'exercice pour les deux compagnies. Elle remet la balance de vérification à M. Lloyd à la fin de chaque mois. Elle trouvait que M. Lloyd s'y connaissait beaucoup en affaires et qu'il était très renseigné au sujet des activités des compagnies. Ils ne se réunissaient pas très souvent. Elle lui remettait le travail accompli, mais ils n'avaient aucun calendrier de réunions.

[30] Elle a reconnu que les comptes n'étaient plus en équilibre après un certain temps. Un des aides-comptables ne tenait pas les registres à jour. Elle ne se rappelait pas quand elle avait découvert l'erreur, mais c'était probablement six mois avant qu'elle apporte les modifications. Elle avait découvert l'erreur en effectuant un rapprochement des comptes intersociétés. C'était son idée. Sa façon habituelle de procéder avait consisté à réexaminer ces comptes s'ils ne concordaient pas. Le rapprochement de comptes fait maintenant partie de son travail courant.

[31] Elle avait remarqué que passablement d'erreurs avaient été commises par d'anciens aides-comptables. Elle faisait valoir que l'erreur pouvait facilement passer inaperçue puisque ce type de rapprochement n'était pas effectué auparavant. Il lui avait fallu à peu près une journée entière pour terminer le rapprochement de comptes. En juillet 1989, l'écriture a été passée dans les livres de la Mountwest Steel. Elle aurait dû être passée en 1987, mais ne l'a été qu'en 1989.

[32] Mme Hill soutenait que, si le comptable avait examiné les comptes intersociétés, il aurait vu que quelque chose n'allait pas. En juillet 1992, elle avait passé l'écriture de journal dans les livres de la Continental Steel. Elle ne pensait pas que c'était toute une histoire. Elle n'avait avisé personne.

[33] Au cours du contre-interrogatoire, elle a dit que l'erreur, quand elle l'avait découverte, ne lui avait pas “ sauté aux yeux ”. Elle avait découvert toutes les erreurs mentionnées à la section 5 de la pièce R-1. Seules les écritures de journal de fin d'exercice contenaient des erreurs. Les journaux des achats d'acier des deux compagnies étaient exacts. Si elle avait commis de telles erreurs, elle les aurait découvertes au cours d'un rapprochement de comptes. M. Lloyd ne lui avait jamais dit de rapprocher les comptes ni de ne pas le faire. Elle s'était rendu compte que les livres n'étaient pas exacts simplement en travaillant à cela. M. Lloyd ignorait qu'elle effectuait ce rapprochement de comptes. L'erreur était imputable au manque d'attention de quelqu'un, mais il arrive que des erreurs soient commises. Il se peut que l'erreur soit attribuable au fait qu'il y a eu différents aides-comptables au cours de la période.

[34] Au cours du réinterrogatoire, elle a dit que les écritures figurant à la section 5 de la pièce R-1 étaient toutes des écritures qui devaient être passées dans les livres de la Continental Steel. Elle a reconnu que, dans le témoignage qu'elle avait présenté lors de l'interrogatoire préalable en 1989, elle avait dit que M. Lloyd n'était pas “ porté à tenir des réunions ” et trouvait que c'était une perte de temps. Si un rapprochement de comptes avait été effectué en 1988, l'erreur aurait été découverte.

[35] Warren MacKenzie est comptable général licencié depuis 1982. Il est le comptable externe de l'appelante. Il a fait référence à une lettre de mission qu'il avait envoyée à M. Lloyd le 24 juin 1988 pour la fin de l'exercice 1988, soit un document qui figure à la section 3 de la pièce A-1. Puis il avait reçu une note de M. Lloyd mettant en question les modalités de la mission. Il avait accepté d'apporter des modifications à la mission. Il croyait que M. Lloyd comprenait mal l'expression “ teneur de livres ”. Il n'entendait pas faire de la simple tenue de livres, soit normalement une tâche accomplie par un aide-comptable ou un membre du personnel. Il avait rempli la déclaration d'impôt sur le revenu de la Continental Steel Ltd. pour 1988. Il n'était pas au courant du montant en litige. Il avait en outre établi les états financiers de la Continental Steel Ltd. En rédigeant la note 11 afférente à l'état financier, il croyait s'être conformé aux principes comptables généralement reconnus ainsi qu'aux notes d'orientation de l'ICCA. Au bout du compte, le revenu de la Continental Steel pour 1993 avait augmenté. Le montant indiqué n'était pas exact, mais il y avait aussi des charges d'exploitation d'exercices antérieurs qui n'étaient pas exactes.

[36] En 1989, il savait qu'il y avait des problèmes de tenue de livres dans la compagnie appelante. Il avait produit la déclaration d'impôt sur le revenu avec les notes appropriées. Il avait demandé à l'aide-comptable de continuer à chercher s'il y avait des erreurs. Il s'agissait de Debbie Cooke. En 1990, il était évident qu'on n'avait accompli aucun travail supplémentaire pour découvrir les erreurs dans les comptes clients et les comptes fournisseurs. C'est Leslie Hill qui était alors l'aide-comptable et elle ignorait quel travail avait été accompli précédemment. M. MacKenzie savait qu'on n'allait pas trouver le problème en peu de temps, de sorte qu'il avait produit une déclaration d'impôt modifiée. Il n'y avait eu aucun problème pour 1990 et 1991. Il connaissait bien les comptes intersociétés et était au courant du rapprochement de comptes intersociétés effectué par Leslie Hill, ce qui l'avait amené à rédiger la note 11.

[37] Quand il n'effectue pas une vérification, il revoit simplement des opérations au hasard. S'il avait effectué une vérification pour l'année en cause, il n'aurait pas nécessairement découvert l'erreur. Pour 1989, il avait plutôt procédé à une mission d'examen parce que les banques demandaient que l'on prenne plus de renseignements sur les opérations du client, bien qu'elles n'aient pas exigé une vérification. Une vérification est un moyen de donner des assurances accrues. La somme d'argent en cause dans la présente espèce avait une importance marginale : elle représentait environ 3 p. 100 des ventes. M. MacKenzie considérait Leslie Hill et M. Lloyd comme étant des personnes soigneuses.

[38] Sa façon de faire consistait à “ passer en revue la déclaration d'impôt avec une personne en insistant sur certains points ”. Généralement, il rencontrait le client et discutait avec lui des états financiers provisoires et des déclarations d'impôt. Puis il finalisait les déclarations et les états ou y apportait les modifications qui étaient nécessaires par suite de la rencontre. Si la déclaration finale était à peu près la même, le client présumait que M. MacKenzie avait apporté les modifications nécessaires. En ce qui concernait M. MacKenzie, il n'y avait rien dans l'état financier pour l'année en cause qui “ aurait clairement indiqué à M. Lloyd que le montant de 201 500 $ n'avait pas été inclus ”.

[39] Au cours du réinterrogatoire, il a dit que, pour 1988, il s'était limité au premier niveau d'examen, soit un examen effectué à partir de renseignements obtenus des aides-comptables. M. Lloyd avait décidé que tel était le niveau d'examen qu'il voulait. Quand il y a des comptes intersociétés, on n'effectue pas habituellementt un rapprochement de ces comptes. M. MacKenzie n'avait pas recommandé qu'on effectue un rapprochement de ces comptes, et on ne lui avait pas demandé de le faire. En septembre 1993, il était devenu au courant du problème. Il s'était entretenu avec Leslie Hill à ce sujet et avait fait l'ajustement sur exercices antérieurs.

[40] Il a admis que la note 11 ne fait pas état du montant particulier de 201 500 $. Il n'était pas mentionné expressément que ce montant devait être ajouté dans la déclaration d'impôt. Aucune déclaration modifiée n'a été produite pour 1988. La mission de M. MacKenzie n'était pas de découvrir une fraude ou une erreur. Dans la présente espèce, le contribuable a bénéficié de l'erreur en ce que l'année d'imposition était frappée de prescription. Par contre, souvent, le contribuable subit les conséquences d'une telle erreur, lorsque le ministre n'admet pas que la déclaration de revenu soit produite à nouveau.

[41] En 1988, M. MacKenzie cherchait à accroître le niveau de mission, mais M. Lloyd ne lui a pas renvoyé la lettre de mission signée. M. MacKenzie a eu recours à un avis au lecteur.

Argumentation pour le compte de l'intimée

[42] Dans sa plaidoirie, l'avocate a confirmé qu'elle considérait qu'il y avait principalement deux points en litige dans la présente espèce. Le premier concerne le droit du ministre d'établir une cotisation après l'expiration de la période normale de cotisation. Les deux parties convenaient que, selon les dispositions du paragraphe 152(4) de la Loi, il y avait eu présentation erronée des faits dans les circonstances de l'espèce et qu'il s'agissait seulement de savoir si cela était attribuable à une négligence, une inattention, une omission volontaire ou une fraude de la part de l'appelante.

[43] Pour ce qui est du second point en litige, qui a trait aux pénalités, le libellé pertinent du paragraphe 163(2) est le suivant pour l'année en cause :

(2) Faux énoncés ou omissions

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé “ déclaration ” au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants [...]

L'avocate a fait référence au jugement John G. Nesbitt v. The Queen, 96 DTC 6045, à l'appui de sa thèse selon laquelle une présentation erronée des faits selon la disposition législative pertinente équivaut essentiellement à une déclaration de revenu inexacte. Cela n'a pas été contesté par l'avocat de l'appelante.

[44] Ce jugement a été porté en appel et, dans l'arrêt John G. Nesbitt v. The Queen, 96 DTC 6588, à la page 6589, la Cour d'appel fédérale disait :

[...] Il me semble que l'un des objets du paragraphe 152(4) est de favoriser l'établissement soigné et exact des déclarations de revenus. C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. [...]

[45] Dans le jugement Venne v. The Queen, 84 DTC 6247, à la page 6251, la cour a considéré qu'une présentation erronée des faits par négligence était un cas de défaut de diligence raisonnable de la part du contribuable dans la production de la déclaration de revenu. Elle a conclu que le terme “ négligence ” impose un critère moins strict de faute que ce que requiert le droit en matière de responsabilité délictuelle.

[46] L'avocate a fait référence à l'affaire Can-Am Realty Limited et al. v. The Queen, 94 DTC 6293, à la page 6300, et a soutenu que les faits de cette affaire étaient semblables à ceux de la présente espèce. Dans cette affaire, le contribuable lui-même n'était pas compétent en comptabilité et présumait que son personnel affecté à la tenue de livres s'occupait correctement de toutes les questions comptables. Il n'avait aucune raison de croire que quelque chose n'allait pas. Cela, était-il argué, suffisait pour soustraire le contribuable à l'application de la disposition législative pertinente. Toutefois, la cour n'était pas d'accord et avait conclu que, lorsque le contribuable était un homme d'affaires bien informé contrôlant les activités quotidiennes de la compagnie et que les aides-comptables de la compagnie ne remplissaient pas leurs fonctions avec l'attention et le soin voulus, le contribuable n'était pas déchargé de la responsabilité des erreurs contenues dans les déclarations d'impôt produites.

[47] Dans la présente espèce, l'avocate soutenait que M. Lloyd gérait la société, qu'il savait que le personnel affecté à la tenue de livres avait des problèmes, qu'il a présumé que ce personnel s'acquittait de ses fonctions, qu'il n'a assuré aucun suivi pour veiller à ce que le travail soit accompli d'une manière satisfaisante, qu'il n'a pas donné pour instructions au comptable de faire de la tenue de comptes, qu'il avait mis en place un système dans lequel l'aide-comptable était chargé de passer les écritures et que, toutefois, il n'avait aucun système pour veiller à ce que cela soit fait. Une foule d'erreurs n'ont pas été découvertes parce qu'il n'y a eu aucun rapprochement de comptes.

[48] L'avocate soutenait que le seul facteur de l'indifférence peut être suffisant pour qu'entrent en jeu les dispositions législatives pertinentes en matière de présentation erronée des faits. À l'appui de cette proposition, elle a renvoyé au jugement Halim Saikali v. The Queen, 98 DTC 2249, à la page 2254. Ce jugement a été confirmé en appel.

[49] L'avocate a traité de la question de savoir si l'erreur du ou des aides-comptables en l'espèce équivalait à une erreur de la société et elle a fait référence à l'affaire The Queen v. Columbia Enterprises Ltd., 83 DTC 5247, à la page 5249, dans laquelle le contribuable avait laissé toutes les questions concernant la déclaration d'impôt et le contenu de celle-ci à l'entière discrétion de son comptable et n'avait nullement cherché à contrôler les actions du comptable. La cour avait conclu que les actions du comptable étaient les actions du contribuable et elle avait distingué cette cause de l'affaire Udli v. The Minister of National Revenue, 70 DTC 6019.

[50] Dans la présente espèce, l'avocate arguait que les actions des aides-comptables étaient les actions de M. Lloyd et de l'appelante. Ces actions équivalaient à une présentation erronée des faits selon la disposition législative pertinente, et la société est responsable de ces actions. On n'avait pas donné d'instructions claires aux aides-comptables pour 1988. Au mieux, il ne s'agissait que d'instructions verbales. L'aide-comptable avait de gros problèmes personnels, et M. Lloyd n'a assuré aucun suivi pour veiller à ce que ses instructions soient exécutées ou pour veiller à ce que le travail soit accompli par l'aide-comptable. Il avait opté pour le plus bas niveau de mission en 1988 et avait embauché des personnes sans expérience.

[51] En l'espèce, il y a eu une double erreur en ce que les écritures n'ont pas été passées dans les livres appropriés des deux compagnies. M. Lloyd savait avant que l'année en cause puisse être considérée comme frappée de prescription que les écritures n'avaient pas été passées; la deuxième fois, il n'a pas non plus vérifié si les écritures étaient passées dans les livres de l'appelante. Il y a eu une longue série d'erreurs, aucun suivi n'a été assuré, et l'on savait que plusieurs des aides-comptables n'accomplissaient pas leur travail de façon satisfaisante.

[52] Pour ce qui est du premier point en litige, le ministre était en droit d'établir une cotisation après la période normale de cotisation. La cotisation du ministre à cet égard devrait être confirmée.

[53] En ce qui a trait à la question des pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2), l'avocate a renvoyé à l'affaire Lucien Venne v. The Queen, 84 DTC 6247, à la page 6255, dans laquelle la cour a fait référence à l'interprétation donnée par le juge Cattanach dans l'affaire Udell v. M.N.R., 70 DTC 6019 (C. de l'É.), dans laquelle un agriculteur se fiait à un expert-comptable licencié pour l'établissement de ses déclarations d'impôt sur le revenu. Plusieurs erreurs avaient été commises pour différentes années d'imposition lorsque les chiffres des documents comptables du contribuable avaient été transposés dans les documents de travail du comptable. Pour certaines années, le comptable avait signé les déclarations de revenu au nom du contribuable avant que ce dernier les ait même vues et, pour d'autres années, le contribuable avait examiné les déclarations avant de les signer. Le savant juge a conclu que la faute lourde commise par le comptable dans la production des déclarations d'impôt comportant l'information pertinente ne pouvait être imputée au contribuable. Dans cette affaire, la cour interprétait de façon restrictive la disposition législative en matière de pénalité en cause dans l'affaire Venne, précitée. Elle a également tenu compte du fait que c'était au ministre qu'incombait la charge de justifier l'imposition de la pénalité. Dans l'affaire Venne, précitée, la cour n'était pas convaincue que le ministre s'était acquitté de la charge qui lui incombait et a conclu que le ministre n'était pas en droit d'imposer les pénalités.

[54] L'avocate arguait que le montant en cause dans la présente espèce n'était pas peu important comme dans l'affaire Patricio v. The Queen, 84 DTC 6413. Lorsque des écarts entre des chiffres sont importants, il est plus difficile de croire qu'un contribuable puisse par inadvertance ne pas avoir vu un écart, même s'il se fiait entièrement à son comptable. Des écarts importants peuvent donc amener à conclure qu'il y a une faute lourde, bien qu'il ne soit pas nécessaire que des écarts soient importants pour qu'il y ait une faute lourde.

[55] En l'espèce, l'avocate soutient que l'intimée s'est acquittée de la charge qui lui incombait de prouver que les actions de l'appelante équivalaient à une faute lourde et que les pénalités ont à bon droit été imposées. Elle soutenait que l'appel devrait être rejeté sur les deux points et que la cotisation du ministre devrait être confirmée.

Argumentation par le compte de l'appelante

[56] L'avocat de l'appelante soutenait que, pour que la nouvelle cotisation soit admise après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, la négligence, l'inattention, l'omission volontaire ou la fraude, de la part du contribuable, doivent équivaloir à une faute. Il a fait référence aux jugements Jet Metal Products v. M.N.R., (1979) 79 DTC 624 (C.R.I.), M.N.R. v. Bisson, (1972) 72 DTC 6374 (C.F., 1re inst.), et Tardif v. M.N.R., (1979) 79 DTC 758 (C.R.I.).

[57] L'avocat faisait remarquer que le jugement Jet Metal Products, précité, avait été cité avec approbation par la section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Venne, précitée; le juge Strayer avait conclu que le contribuable aurait dû se rendre compte qu'il avait plus d'impôt à payer pour l'année en cause parce que l'encaisse pour certaines années avait augmenté d'un montant supérieur à son revenu total déclaré pour la même fin d'exercice. Si le contribuable avait lu ses déclarations d'impôt, il lui serait apparu évident qu'il lui fallait interroger son aide-comptable. Le juge avait donc permis au ministre de revenir sur les années frappées de prescription, mais il n'avait pas conclu qu'il s'agissait d'un cas de faute lourde permettant au ministre d'imposer des pénalités.

[58] L'avocat a cité avec approbation le raisonnement tenu par le juge Rouleau dans l'affaire Can-Am Realty Limited et. al.,précitée, dans laquelle la cour semblait assimiler de l'inattention à de la négligence et n'avait pas conclu qu'il y avait eu une telle négligence. L'avocat a fait référence à l'affaire Snowball v. The Queen, (1996) 97 DTC 512 (C.C.I.), dans laquelle le juge Bowman avait considéré que le contribuable avait fait preuve de négligence en présumant que le revenu avait été inclus dans sa déclaration d'impôt, sans prendre de mesures appropriées pour veiller à ce que tel soit en fait le cas.

[59] L'avocat soutenait que, conformément au raisonnement tenu dans le jugement Bisson, précité :

[...] Lorsque le Ministre veut se prévaloir de cette disposition pour procéder à une nouvelle cotisation après l'expiration de 4 ans, il doit donc établir non seulement que le contribuable a commis une erreur en déclarant son revenu, mais aussi que cette erreur est attribuable à une faute de sa part.

[60] L'avocat soutenait que ce critère consiste à déterminer s'il s'agissait d'une erreur qu'un contribuable normalement sage et prudent aurait pu commettre. Dans la présente espèce, cela revient à déterminer s'il aurait été raisonnable dans les circonstances que M. Lloyd vérifie le travail des aides-comptables à un point tel qu'il aurait découvert l'erreur.

[61] L'avocat arguait que M. Lloyd était un homme d'affaires qui travaillait fort à son entreprise, qui travaillait de nombreuses heures par semaine, qui prenait peu de vacances et qui dirigeait 30 à 40 personnes à l'époque où l'erreur en question a été commise. Il s'occupait des affaires d'environ 11 compagnies. Il s'en remettait à d'autres personnes pour certaines tâches, soit des personnes à qui il faisait confiance et qu'il considérait comme étant soigneuses. Des experts-comptables de l'extérieur travaillaient également pour lui. Des personnes ayant une formation ou de l'expérience en tenue de comptes travaillaient pour lui, comme aides-comptables internes ou comme adjoints de ces derniers. ce qui assurait une continuité.

[62] Il a été reconnu que l'erreur avait été commise par un membre du personnel de M. Lloyd, et M. Lloyd en a accepté la responsabilité. Cependant, M. Lloyd n'aurait rien pu faire pour éviter l'erreur. Il a donné pour instructions à l'aide-comptable de passer l'écriture nécessaire et, quand on l'a avisé que cela n'avait pas été fait, il a de nouveau chargé l'aide-comptable de passer l'écriture nécessaire. Enfin, lorsque l'erreur a été découverte par Mme Hill, il a une fois de plus donné pour instructions que l'écriture nécessaire soit passée et il a consulté M. MacKenzie, soit le comptable, quant à la façon de déclarer cela. Il a bien examiné les états financiers de chaque exercice avec M. MacKenzie à l'étape de l'ébauche, et cette erreur ne pouvait être évidente pour l'un ou l'autre, quel que soit le degré de soin avec lequel ils auraient examiné les états financiers.

[63] Considérée isolément, l'erreur était grosse, mais, considérée globalement, elle était peu importante par rapport au revenu brut de la société. Si l'écriture nécessaire avait été correctement passée dans les livres de l'appelante en 1988, c'est la ligne Produits d'exploitation de l'état des résultats qui aurait été directement touchée, et le chiffre aurait été supérieur de moins de 3 p. 100. Cela distingue la présente espèce des causes invoquées par l'avocate de l'intimée à l'appui de son argument voulant que des écarts importants entre des chiffres amènent à conclure à un cas de faute lourde.

[64] Dans la présente espèce, l'administrateur de l'appelante avait donné pour instructions que l'écriture appropriée soit passée, il n'en avait pas réentendu parler et il avait présumé que cela avait été fait correctement. Il croyait sincèrement que cela avait été incorporé aux états. En fait, il a fallu que Mme Hill et M. MacKenzie le persuadent que l'écriture n'avait pas été passée. M. Lloyd n'a pas enjoint aux comptables de faire fi de cela ou de dissimuler cela de quelque manière.

[65] Il ressortait clairement de la preuve que M. Lloyd avait une très bonne idée de l'impôt à payer après sa discussion annuelle avec son comptable externe. Même s'il n'examinait pas à fond la déclaration d'impôt finale, il savait quel était le montant de l'impôt que l'appelante aurait à payer et, pour l'année en cause, il n'avait pas trouvé que ce montant était bien différent de ce que M. MacKenzie avait déterminé avant l'établissement des états définitifs. Il n'y avait aucune raison qu'il aille plus loin et examine davantage les états financiers après sa discussion avec le comptable externe.

[66] L'avocat a argué que, en vertu de la disposition législative pertinente, le ministre ne peut à la légère revenir sur une année d'imposition une fois expirée la période de cotisation (trois ans après, en l'espèce). Sinon, le ministre pourrait établir de nouvelles cotisations à volonté, si mineure que l'erreur soit et qu'elle ait ou non été commise par inadvertance. Assurément, telle n'était pas l'intention du législateur. Un équilibre est requis en vertu de la disposition législative pertinente.

[67] Un contribuable peut être soigneux sans être parfait. L'avocate de l'intimée exhorte la Cour à appliquer la norme de perfection, alors que ce qui est requis, c'est une norme moins élevée, soit la norme de soin ou d'attention.

[68] En l'espèce, l'appelante a manifestement été soigneuse, et la preuve amène à cette conclusion. M. Lloyd a agi comme un contribuable normalement sage et prudent, mais, sans que ce soit sa faute et malgré ses plus grands efforts, l'erreur a été commise.

[69] L'avocat soutenait que l'erreur était une présentation erronée des faits involontaire, comme cela est envisagé dans Halsbury's Laws of England (3e édition), vol. 26, pp. 844-8, et que cette erreur n'était nullement attribuable à une faute.

[70] Au sujet du premier point en litige, l'avocat argue que le ministre ne doit pas être autorisé à établir une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation. De plus, au sujet des pénalités, l'avocat soutient que le ministre ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait à cet égard, que le ministre n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités que l'appelante avait fait une présentation erronée des faits “ sciemment ” ou “ dans des circonstances équivalant à faute lourde ” comme le requièrent les jugements cités et que, sur ce point, la pénalité devrait être annulée.

Analyse et décision

[71] En l'espèce, la Cour est convaincue qu'une erreur importante a été commise dans les déclarations d'impôt produites pour l'année en question. Il s'agit d'une erreur non pas du comptable, mais du personnel de tenue de livres que M. Lloyd avait embauché et en qui il avait confiance. Dans le cas particulier qui nous occupe, l'erreur n'a pas été commise une fois seulement; elle s'est répétée, bien que M. Lloyd ait, comme il l'a dit dans son témoignage, donné pour instructions au personnel de passer les écritures nécessaires.

[72] On peut se demander si M. Lloyd se rappelait effectivement avoir donné pour instructions que les écritures soient passées, et M. Lloyd a témoigné qu'il était convaincu d'avoir donné ces instructions vu le document qu'il avait rédigé et qu'il a réexaminé après coup. La Cour conclut comme avéré en l'espèce que M. Lloyd a bel et bien donné pour instructions que le montant soit inscrit dans les livres des deux compagnies et que ces instructions n'ont pas été exécutées.

[73] Toutefois, cela ne met pas un terme à la question, car il est évident que M. Lloyd n'a rien fait ensuite pour veiller à ce que ses instructions soient exécutées. Il ressort indéniablement de la preuve que, durant la période en question, il y avait un nombre considérable de problèmes quant aux aspects de l'entreprise de l'appelante touchant la tenue des comptes. Il y avait des problèmes personnels chez certains des aides-comptables, M. Lloyd n'était pas complètement satisfait du travail, et certains des employés étaient jugés irresponsables. Dans cette situation, une personne raisonnable aurait été alertée quant à la nécessité de mettre en place une forme quelconque de vérification du travail que les aides-comptables accomplissaient.

[74] Le comptable a témoigné qu'il n'avait pas recommandé à M. Lloyd de faire faire des rapprochements de comptes systématiquement et qu'il savait qu'il y avait des comptes intersociétés dans l'année en question; on aurait pensé que, en l'absence de raisons précises de ne pas le faire, il aurait été raisonnable et prudent dans les circonstances de l'espèce de recommander que de tels rapprochements soient effectués.

[75] Il est évident que, si l'on avait effectué des rapprochements des comptes intersociétés, cette erreur aurait été découverte. C'est à la faveur d'un rapprochement de comptes que la nouvelle aide-comptable s'est rendu compte de l'erreur, et elle a témoigné qu'elle s'en était rendu compte sans raison particulière, si ce n'est que les comptes semblaient inexacts. On aurait pensé que l'erreur aurait également été découverte par un des autres aides-comptables, eussent-ils été aussi compétents et soigneux que le disait M. Lloyd, ainsi que par le comptable lui-même, lorsqu'il établissait les états de fin d'exercice et remplissait la déclaration d'impôt, et par M. Lloyd, dans sa gestion quotidienne des affaires commerciales de la société.

[76] M. Lloyd a fait remarquer qu'il était le genre à mettre la main à la pâte, qu'il avait une expérience considérable des affaires, qu'il avait énormément d'expérience dans la conduite d'un certain nombre de compagnies différentes et dans la gestion d'un certain nombre de personnes différentes; il devait savoir que l'on ne peut pas toujours compter sur le fait qu'une personne fera exactement ce qu'elle est censée faire. En l'espèce, vu les problèmes qui existaient dans ce bureau, M. Lloyd aurait dû se rendre compte que des erreurs étaient commises dans la tenue des comptes, que le personnel affecté à la tenue de comptes ne faisait pas ce pour quoi il était payé; il aurait été normal et prudent de sa part de vérifier le travail accompli par son personnel en 1988, ce qu'il n'a pas fait.

[77] La Cour est convaincue que, en exerçant un degré de soin ou de prudence raisonnable durant l'année en question, M. Lloyd se serait aperçu que quelque chose n'allait pas, que ses instructions n'étaient pas exécutées et qu'il convenait de vérifier le travail du personnel affecté à la tenue des comptes.

[78] De façon générale, un examen des jugements invoqués indique que, pour que le ministre puisse se fonder sur la disposition législative pertinente pour établir une cotisation après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, les actions du contribuable doivent nécessairement équivaloir à de la négligence (negligence, en anglais). Certains des jugements semblent indiquer que le terme anglais negligence est synonyme du terme anglais careless ou carelessness (inattention). De prime abord, on penserait que les termes anglais neglect (négligence) et carelessness (inattention) comportent un degré de gravité moins élevé que le terme anglais negligence, mais aucune des deux parties n'a invoqué cela énergiquement; les deux parties ont simplement fait valoir que la disposition législative pertinente exige que les actions du contribuable équivalent à tout le moins à une faute.

[79] La Cour rejette l'argument de l'avocat de l'appelante voulant que les actions du contribuable en l'espèce équivaillent simplement à une présentation erronée des faits involontaire ou que l'erreur ait été une erreur qu'un contribuable normalement sage et prudent aurait pu commettre. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour est convaincue qu'un contribuable normalement sage et prudent aurait découvert l'erreur, sans parler d'un contribuable ayant les connaissances, les compétences et l'expérience de M. Lloyd, qui aurait dû découvrir l'erreur.

[80] Dans le cas particulier qui nous occupe, l'administrateur de l'appelante a dit qu'il avait été plutôt près de ses sous quand était venu le moment de déterminer les modalités de la mission du comptable et que cela pouvait jusqu'à un certain point avoir incité le comptable à ne pas recommander que les comptes intersociétés soient rapprochés systématiquement ou du moins en fin d'exercice, c'est-à-dire avant que les états de fin d'exercice ne soient définitifs et que les déclarations d'impôt sur le revenu ne soient produites. Il se peut très bien que le comptable et M. Lloyd aient été tous les deux convaincus que les tâches liées à la tenue des comptes avaient été éffectuées par le personnel en place, mais ils ont eu tort, et le personnel a commis une erreur qu'un contribuable normalement sage et prudent aurait découverte à temps.

[81] Comme l'a fait remarquer à juste titre l'avocate de l'intimée, durant l'année en question, M. Lloyd avait opté pour le plus bas niveau d'examen. Il avait embauché des personnes qui n'avaient pas nécessairement d'expérience en tenue de livres et il comptait sur celles-ci pour qu'elles fassent ce qu'elles étaient chargées de faire. Il y a eu dans la tenue de comptes de la société une série d'erreurs qui auraient dû être détectées plus tôt. M. Lloyd n'a assuré aucun suivi pour veiller à ce que ses instructions soient exécutées et il savait bien qu'il y avait chez les préposés à la tenue de comptes un nombre considérable de problèmes personnels pouvant empêcher ces personnes d'accomplir leur travail correctement. Il aurait dû être conscient que des mesures de suivi et de vérification accrues quant au travail étaient nécessaires.

[82] La Cour est convaincue que le ministre est en droit d'invoquer les dispositions du paragraphe 152(4) et qu'il était en droit d'établir pour l'année d'imposition 1988 la nouvelle cotisation qu'il a établie. La cotisation du ministre à cet égard est confirmée.

[83] La Cour passe maintenant à la question de savoir si le ministre était fondé à imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2).

[84] L'avocate de l'intimée reconnaissait que la charge de la preuve incombant à l'intimée à cet égard était plus lourde que dans le cas du premier point en litige.

[85] Comme l'indique le jugement Venne, précité, à la page 6256 :

La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[86] En outre, dans l'affaire Can-Am Realty Limited et al., précitée, aux pages 6303 et 6304, la cour a conclu :

[...] Il faut rapporter la preuve d'un comportement si patent, si exceptionnel, qu'il est constitutif d'une faute lourde. M. Podavin a failli à son obligation de fournir à M. Chant des renseignements complets et exacts, mais je ne suis pas convaincu, du moins en ce qui concerne l'opération en question, que son comportement ait été constitutif d'une faute lourde qui seule est de nature à justifier l'imposition d'une pénalité.

[87] Dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. v. The Queen, 95 DTC 201, aux pages 205 et 206, le juge Bowman disait :

Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses[...]. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité[...].

[88] Se fondant sur un examen raisonnable des jugements invoqués et compte tenu du fait que la charge de la preuve incombait au ministre, la Cour est convaincue que le ministre n'a pas établi que la conduite de l'appelante équivalait à une faute lourde donnant au ministre le droit d'imposer des pénalités pour l'année en question.

[89] J'arrive à cette conclusion en dépit du fait que l'écart entre les chiffres était important. Toutefois, en l'espèce, de telles erreurs n'amènent pas la Cour à conclure que le contribuable n'aurait pu par inadvertance ne pas se rendre compte de l'écart entre les chiffres, et la Cour ne conclut pas que l'importance du montant correspondant à l'erreur ou à l'écart l'oblige à conclure à une faute lourde.

[90] Au bout du compte, l'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu de la conclusion selon laquelle le ministre n'était pas en droit d'imposer les pénalités et compte tenu du fait que celles-ci sont supprimées.

[91] L'appelante aura droit à 50 p. 100 de ses frais, soit des frais devant être taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 1999.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur

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