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Date: 19980107

Dossier: 97-1132-GST-I

ENTRE :

LOEWEN, MATTHEW ET ESTHER, ET FOSTER, MARLENE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Le ministre du Revenu national a établi à l'égard des appelants une cotisation leur imposant 8 839 $ de taxe sur les produits et services (TPS) et 7 575 $ d'intérêts et de pénalité; les appelants soutiennent qu'ils ne devraient pas être assujettis au paiement de ces sommes.

[2] En 1990, les appelants Matthew et Esther Loewen se sont mariés; Matthew Loewen avait alors 21 ans et était frais émoulu de l'université. L'appelante Marlene Foster est l'épouse de Sherman Foster, soit un constructeur d'habitations. Les faits suivants, tirés principalement de la réponse à l'avis d'appel, ne sont pas en litige :

[TRADUCTION]

Le ministre du Revenu national a établi à l'égard de la partie appelante une cotisation de taxe de ... $ (soit 11 500 $ de TPS au titre de la fourniture taxable d'un immeuble et 1 357,47 $ de crédits de taxe sur les intrants relatifs à des dépenses de construction), plus 3 940,83 $ d'intérêts et 3 635,37 $ de pénalité, pour la période allant du 1er janvier au 31 mars 1991.

[3] Par l'intermédiaire de Matthew Loewen, les appelants ont fait valoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

Au cours de l'année 1990, M. Matthew Loewen a construit sa résidence personnelle, soit le 5960, 186e rue, Surrey (Colombie-Britannique). Il a obtenu du financement et d'autres formes d'aide des Foster pour terminer sa maison. Les Foster ont fait en sorte que leur financement soit garanti en faisant inscrire leur nom sur le titre du lot en cause. M. Loewen a emménagé dans sa résidence personnelle en janvier 1991. [...] La maison était la résidence personnelle de M. Loewen. Aucune TPS n'a été demandée dans la construction de la résidence personnelle de M. Loewen. Tous les appelants nient l'allégation de Revenu Canada selon laquelle ils formaient une société commerciale de personnes. C'est la seule fois où les Foster et les Loewen ont fait affaire ensemble.

[4] Les faits peuvent être brièvement résumés comme suit. En 1990, Matthew Loewen travaillait dans l'entreprise de son père, soit une entreprise de fabrication et d'installation d'accessoires de cuisine. C'est ainsi qu'il avait rencontré M. et Mme Foster. Ces derniers avaient accepté de l'aider dans la construction d'une habitation devant être le principal lieu de résidence de Matthew et Esther Loewen. Oeuvrant dans le domaine de la construction, les Foster devaient recevoir des honoraires de constructeur. Matthew Loewen avait avancé 10 000 $ comptant, soit une somme reçue de ses parents. Mme Foster avait avancé environ 25 000 $ à l'égard des frais de construction, et le reste de l'argent nécessaire avait été obtenu grâce à un prêt hypothécaire à la construction de 123 677 $ à 13,5 p. 100 d'intérêt, soit des paiements mensuels de 1 408 $, capital et intérêts.

[5] Dans les deux semaines suivant le début de la construction, la maison avait été mise en vente. Toute la documentation pertinente était au nom des trois appelants. À un moment donné, l'appelant Matthew Loewen avait décidé de ne plus faire de cette maison sa résidence permanente parce que : a) il s'était rendu compte qu'il était « dans les dettes jusqu'au cou » , pour reprendre ses propres termes; b) lui et son épouse désiraient vivre plus près de la communauté de l'Église unie d'Abbotsford, à laquelle ils s'intéressaient activement.

[6] L'appelant Matthew Loewen avait emménagé dans la maison avant que, en février-mars 1991, les travaux soient complètement terminés.

[7] La maison avait été vendue par contrat d'achat-vente signé le 25 février 1991. L'opération s'était conclue le 1er avril 1991.

[8] Dans l'affaire qui m'est soumise, la principale question est de savoir si une fourniture taxable a été effectuée relativement à la résidence en question.

[9] La thèse du ministre est que les trois appelants constituaient ensemble une société de personnes. En tant que constructeur de la résidence, la société de personnes est tenue de verser la TPS qui est due en raison de la fourniture à soi-même — soit une fourniture taxable — résultant de l'occupation par Matthew Loewen de la résidence avant sa vente en février 1991. Subsidiairement, le ministre soutient que la société de personnes est assujettie à la TPS qui est due en raison de la fourniture taxable résultant de la vente de la résidence à un tiers par contrat en date du 25 février 1991.

[10] Les appelants nient avoir formé une société de personnes et nient l’allégation de fourniture à soi-même.

[11] La réponse à la question de savoir s'il existait une société de personnes entre les appelants est fonction du droit régissant les sociétés de personnes en Colombie-Britannique, province dans laquelle les opérations en question ont eu lieu. Dans l'affaire Dale et al. v. The Queen, 97 DTC 5252, à la page 5255 (C.A.F.), le juge Robertson (le juge Décary souscrivant à ses motifs) faisait remarquer ceci :

Pour déterminer si une opération juridique sera reconnue aux fins de l'impôt, il faut examiner le droit du ressort où l'opération est effectuée. Souvent, cette décision sera prise sans l'aide de précédents traitant exactement de la même question et, par conséquent, l'effet d'une opération peut dépendre uniquement de l'application appropriée de principes généraux de common law et d'equity. Dans certains cas, la Cour de l'impôt devra interpréter les lois d'une province.

[12] Les articles 2 et 4 du Partnership Act de la Colombie-Britannique disposent ceci1 :

[TRADUCTION]

2. L'expression « partnership » (société de personnes) désigne la relation qui existe entre des personnes exploitant une entreprise en commun en vue de réaliser un profit[2].

4. Lorsqu'il s'agit de déterminer si une société de personnes existe ou non, il faut tenir compte des règles suivantes :

(a) en soi, la tenance conjointe, la tenance commune, la propriété conjointe, la propriété commune ou la propriété partiaire ne créent pas une société de personnes à l'égard d'un bien que l'on détient ainsi ou dont on est ainsi propriétaire, que les tenants ou propriétaires partagent ou non quelques bénéfices réalisés grâce à l'utilisation du bien;

(b) en soi, le partage de recettes brutes ne crée pas une société de personnes, que les personnes partageant les recettes aient ou non un droit ou intérêt conjoint ou commun sur le bien duquel ou de l'utilisation duquel les recettes sont tirées;

(c) en l'absence de preuve du contraire, le fait de recevoir une part des bénéfices d'une entreprise prouve qu'une personne est associée dans l'entreprise, mais, en soi, le fait de recevoir une part des bénéfices d'une entreprise, un paiement subordonné à la réalisation de tels bénéfices ou un paiement variant selon les bénéfices réalisés ne fait pas d’une personne un associé dans l'entreprise, et notamment [...]

[13] Les trois appelants étaient copropriétaires du bien3. Les trois appelants étaient également débiteurs hypothécaires à l'égard du bien, et l'époux de Marlene Foster était garant. Les appelants n'étaient pas de simples gens connaissant mal l'industrie de la construction : Matthew Loewen travaillait dans l'entreprise de son père, soit une entreprise de fabrication d’accessoires de cuisine, et les Foster oeuvraient dans le domaine de la construction d'habitations. Peu après le début de la construction, le bien avait été mis en vente.

[14] Après la conclusion, au printemps 1991, de la vente du bien à un tiers, les avocats des appelants avaient écrit la lettre suivante aux appelants :

[TRADUCTION]

BRAWN & RANDALL

Avocats

3 avril 1991

Monsieur et madame Loewen

Madame Foster

Surrey (Colombie-Britannique)

Objet : 5960, 186e rue, Surrey

Vente à BOYNTON

Monsieur et madame Loewen, madame Foster,

Nous avons le plaisir de vous informer que nous avons reçu le produit de votre vente, soit la vente du bien susmentionné; nous vous faisons donc parvenir ci-joint :

1. copie de notre lettre faisant état du remboursement de votre emprunt hypothécaire à la Surrey Credit Union;

2. notre compte, acquitté, pour services fournis;

3. notre chèque, tiré sur le compte en fiducie, d'un montant de 51 948,88 $, soit le solde du produit de la vente qui vous est dû.

Salutations distinguées.

BRAWN & RANDALL

Aucune copie du chèque tiré sur le compte en fiducie dont il est question dans la lettre n'a été déposée en preuve, mais la lettre est clairement adressée aux trois appelants, et les termes « produit de la vente qui vous est dû » figurant dans la lettre ne peuvent qu'être interprétés comme renvoyant aux trois appelants. Il peut être déduit du contenu de la lettre que les appelants partageaient les bénéfices résultant de la construction et de la vente du bien résidentiel.

[15] Je suis d'avis que, dans l'acquisition du bien, la perspective de réaliser un profit sur la vente du bien était une motivation déterminante4. Cette intention peut avoir été secondaire, mais on peut selon moi conclure à juste titre qu'elle était présente. Donc, je crois que les appelants s'étaient engagés dans un projet comportant un risque de caractère commercial. En l'absence de preuve du contraire, je suis convaincu que les appelants exploitaient une entreprise5 en vue de partager les bénéfices et qu'il existait donc une société de personnes entre les trois appelants.

[16] L'article 221 et le paragraphe 228(2) de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » )6 imposent à certaines personnes la responsabilité de percevoir et de verser la TPS :

221.(1) La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l'acquéreur en vertu de la section II.

228. [...]

(2) La personne doit verser au receveur général, au plus tard le jour où la déclaration doit être produite, le montant positif de sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée.

[17] Le paragraphe 123(1) définit le mot « personne » comme incluant une société de personnes :

« personne » Particulier, société de personnes, personne morale, fiducie ou succession, ainsi que l'organisme qui est un syndicat, un club, une association, une commission ou autre organisation; ces notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis.

[18] La société de personnes des appelants était donc tenue de percevoir la TPS sur toute fourniture taxable effectuée par elle et de verser la taxe nette due, le cas échéant.

[19] Le paragraphe 123(1) de la Loi définit comme suit le terme « fourniture » : « Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation » . En vertu de l'article 133 de la Loi, qui modifie la définition de « fourniture » , la conclusion d'une convention visant la livraison d'un bien ou la prestation d'un service est réputée constituer une fourniture :

133. Pour l'application de la présente partie, la fourniture objet d'une convention est réputée effectuée à la date de conclusion de la convention. La livraison du bien ou la prestation du service aux termes de la convention est réputée faire partie de la fourniture et ne pas constituer une fourniture distincte.

En l'espèce, le bien en question a été vendu par la société de personnes par voie de convention écrite, soit le contrat d'achat-vente, en date du 25 février 1991. En vertu de l'article 133, donc, cette opération est réputée constituer une fourniture du bien au 25 février 1991.

[20] Aux fins de la période en question, l'expression « fourniture taxable » est définie comme suit au paragraphe 123(1) : « Fourniture, sauf une fourniture exonérée, effectuée dans le cadre d'une activité commerciale. » 7. Comme la fourniture a été effectuée dans le cadre d'une activité commerciale au sens du paragraphe 123(1) de la Loi, la question de savoir si la fourniture du bien par la société de personnes est une fourniture taxable dépend de la question de savoir si la fourniture est une fourniture exonérée.

[21] Les fournitures exonérées sont définies au paragraphe 123(1) comme étant les fournitures qui figurent à l'annexe V de la Loi. La partie I de l'annexe V concerne les fournitures d'immeubles. Les dispositions pertinentes distinguent entre les fournitures effectuées par des constructeurs et les fournitures effectuées par des personnes qui ne sont pas des constructeurs. En l'espèce, vu les intérêts des associés sur le bien et vu leurs arrangements ultérieurs visant la construction de la résidence, la société de personnes entre clairement dans le cadre de la signification du mot « constructeur » , qui est défini comme suit au paragraphe 123(1) de la Loi :

« constructeur » Est constructeur d'un immeuble d'habitation ou d'une adjonction à un immeuble d'habitation à logements multiples la personne qui, selon le cas :

a) réalise, elle-même ou par un intermédiaire, à un moment où elle a un droit sur l'immeuble sur lequel l'immeuble d'habitation est situé :

[...]

(iii) dans les autres cas, la construction ou des rénovations majeures de l'immeuble d'habitation;

[...]

N'est pas un constructeur :

f) le particulier visé aux alinéas a), b) ou d) qui, en dehors du cadre d'une entreprise, d'un projet à risques ou d'une affaire de caractère commercial :

(i) soit construit ou fait construire l'immeuble d'habitation ou l'adjonction, ou y fait ou y fait faire des rénovations majeures,

(ii) soit acquiert l'immeuble ou un droit afférent;

[...]

L'exemption du statut de « constructeur » qui est accordée aux particuliers en vertu de l'alinéa 123(1)f) ne s'applique pas à la société de personnes, car un « particulier » est une personne physique, ce que n'est pas la société de personnes.

[22] Pour ce qui est des dispositions de la partie I de l'annexe V, il est clair que, la société de personnes étant un constructeur et non un particulier, la fourniture effectuée par la société de personnes n'est pas admissible comme fourniture exonérée. Donc, la fourniture de l'immeuble résidentiel par la société de personnes était une fourniture taxable au sens de la définition figurant dans la Loi.

[23] Concernant les pénalités et les intérêts imposés aux appelants, on ne m'a présenté aucune preuve quant à savoir si les appelants avaient fait preuve d'une diligence raisonnable, et je ne peux donc accorder une mesure de redressement à cet égard.

[24] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de janvier 1998.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de février 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1            RSBC 1996, ch. 348.

2            L'article 6 du Partnership Act dit que le mot « business » (entreprise) inclut les commerces, métiers et professions.

3            Dans le transfert en propriété franche du lot vacant, Matthew et Esther Loewen sont désignés tenants conjoints d'un intérêt indivis de 50 p. 100, et Marlene Foster est désignée titulaire de l'intérêt de 50 p. 100 restant sur le bien. Chacun des appelants est également désigné débiteur hypothécaire à l'égard du bien.

4            Une seule et unique acquisition-disposition de bien peut être un projet comportant un risque de caractère commercial : jugement M.N.R. v. Freud, [1968] CTC 438, 68 DTC 5279, à la page 5281 (C.S.C.), cité par le juge Christie, de la C.C.I., dans l'affaire Genge v. Canada, [1996] GSTC 38 (C.C.I.).

5            Aux fins des sociétés en nom collectif dont il est question dans la partie I du Partnership Act de la Colombie-Britannique, le terme « business » (entreprise) est défini à l'article 6 de cette loi comme incluant « [...] tous les commerces, métiers et professions; » .

6            LRC 1985, ch. E-15, dans sa forme modifiée.

7            La définition de « fourniture taxable » a été modifiée par 1993, ch. 27, paragraphe 10(1), applicable après le mois de septembre 1992, de manière à supprimer l'exemption relative aux fournitures exonérées. Après le mois de septembre 1992, la définition se lit comme suit : « Fourniture effectuée dans le cadre d'une activité commerciale » .

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