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Date : 19971217

Dossier : 96-4257-IT-I

ENTRE :

SARAH BLACKSTIEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Dans la cotisation établie à l'égard de l'appelante en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 1991, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a inclus dans le revenu de l'appelante une somme de 3 932 $. D'après la réponse modifiée à l'avis d'appel, cette somme a été incluse, en vertu du paragraphe 105(2) de la Loi, pour le motif qu'il s'agissait de « frais personnels de l'appelante » payés par la succession de son défunt mari ou d'un « avantage imposable » ou simplement d'un « avantage » accordé par la succession de son défunt mari1.

[2] En juin 1987, Max Blackstien et l'appelante avaient conclu un contrat de mariage (le « contrat » ). M. Blackstien détenait un condominium à Toronto, soit l'unité 7 du niveau 10 du plan 167 de l'association condominiale (l' « unité condominiale » ). L'appelante détenait une habitation en Floride. Ils avaient prévu, au paragraphe 14 de leur contrat, que ces habitations continueraient de leur appartenir en propre après leur mariage et que, au décès du premier d'entre eux, l'autre jouirait d'un domaine viager à l'égard de l'habitation du défunt. Max Blackstien est décédé en janvier 1990, laissant un testament, dont son fils et sa bru sont les exécuteurs. Il n'y a aucune mention de l'unité condominiale dans le testament, mais, depuis le décès de son époux, l'appelante jouit du domaine viager en question, conformément aux modalités du contrat. Au cours de l'année 1991, la succession a payé à l'association condominiale le montant de 3 932 $ qui est en cause. Le fait qu'il s'agissait là du droit annuel perçu par l'association condominiale à l'égard de l'unité n'est pas contesté. Ce qui est contesté, c'est que le montant doit être imposé entre les mains de l'appelante en vertu du paragraphe 105(2) de la Loi.

[3] Le paragraphe 105(2) se lit comme suit :

105(2) La partie d'une somme versée par une fiducie sur ses propres revenus, pour impenses, pour entretien de biens ou pour impôts concernant ces biens qui, en vertu de l'acte de fiducie, doivent être entretenus pour l'usage d'un tenant viager ou d'un bénéficiaire, selon ce qui est raisonnable dans les circonstances, est incluse dans le calcul du revenu de ces derniers, tiré de la fiducie, pour l'année d'imposition relativement à laquelle elle a été versée.

[4] Il appert que, pour que la somme soit imposable en vertu de ce paragraphe, il doit être satisfait aux exigences suivantes :

1. la somme doit être versée par une fiducie;

2. la somme doit être versée sur les revenus de la fiducie;

3. la somme doit être versée pour impenses, pour entretien de biens ou pour impôts concernant ces biens;

4. les biens doivent, en vertu de l'acte de fiducie, être entretenus pour l'usage d'un tenant viager ou d'un bénéficiaire.

S'il est satisfait à toutes les exigences précitées, ce qui est imposable entre les mains du tenant viager ou du bénéficiaire, c'est la partie de la somme versée selon ce qui est raisonnable dans les circonstances.

[5] Voici les hypothèses qui, d'après la réponse modifiée du sous-procureur général à l'avis d'appel, ont été faites par le ministre dans la cotisation établie à l'égard de l'appelante :

[TRADUCTION]

7. Dans cette nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelante, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

a) durant toute la période pertinente, la succession détenait le titre légal sur le condominium no 1007 (le « condominium » ) du 100, avenue Canyon, Toronto (Ontario);

b) l'appelante était l'épouse de feu Max Blackstien, qui est décédé le 12 janvier 1990;

c) durant l'année 1991, l'appelante occupait le condominium;

d) durant l'année d'imposition 1991, la succession a payé des frais personnels de l'appelante, soit une somme de 3 932 $ représentant les frais d'entretien du condominium;

e) pour l'année d'imposition 1991, la succession a délivré à l'appelante un feuillet supplémentaire T3 indiquant que l'appelante avait reçu un avantage imposable d'un montant de 3 932 $, soit un avantage tiré de l'utilisation du condominium;

f) durant l'année d'imposition 1991, la succession a accordé à l'appelante, qui occupait le condominium, un avantage d'une valeur d'au moins 3 932 $.

[6] Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles la cotisation établie par le ministre dans cette affaire ne saurait tenir. La première est qu'il n'y a pas de fiducie en vertu de laquelle le fiduciaire est tenu d'entretenir l'unité condominiale pour le bénéfice de l'appelante. Mme Espejo a fait valoir pour la Couronne que le contrat de mariage avait donné naissance à une fiducie. Toutefois, il n'y a aucun terme de ce document dont on pourrait dire qu'il crée une fiducie. Mme Espejo n'a pu non plus citer quelque texte faisant autorité selon lequel le simple fait que le contrat de mariage prévoit la dévolution d'une tenance viagère en faveur de l'appelante au décès de son époux donne naissance à une fiducie, en common law ou autrement. Une fiducie est créée en vertu du testament de feu M. Blackstien, mais aucun terme de ce testament ni aucun élément de la preuve qui m'a été présentée n'indiquent que les fiduciaires sont obligés d'entretenir l'unité condominiale pour l'usage du tenant viager. Des obligations peuvent naître en common law, comme on l'a fait valoir, mais elles ne sont pas pertinentes par rapport à la question dont je suis saisi. Pour satisfaire au libellé du paragraphe de la Loi,la somme doit être versée pour s'acquitter d'une obligation existant « en vertu de l'acte de fiducie » . Un examen du testament de feu M. Blackstien ne laisse aucun doute quant au fait qu'il ne peut être satisfait à cette exigence. En fait, il semblerait que la succession ait simplement versé la somme pour s'acquitter de l'obligation qui lui était imposée, en tant que titulaire d'un droit de tenure franche, par l'article 32 de la Loi sur les condominiums2.

[7] En l'espèce, il n'est pas satisfait non plus à la deuxième exigence énoncée précédemment. On ne m'a présenté aucun élément de preuve quant à savoir si la somme avait été versée sur les revenus de la fiducie. Dans la cotisation établie à l'égard de l'appelante, le ministre n'a pas non plus fait d'hypothèses à cet égard; assurément, aucune hypothèse semblable de la part du ministre n'a été invoquée par le sous-procureur général. En l'absence d'une hypothèse non réfutée ou d'une preuve quelconque, je ne peux conclure que la somme a été versée sur les revenus de la fiducie. Dans ses hypothèses, le ministre se fondait sur le fait que les exécuteurs de la succession avaient délivré à l'appelante un feuillet supplémentaire T3 indiquant que l'appelante avait reçu un avantage imposable d'un montant de 3 932 $ au cours de l'année d'imposition 1991. Je ne suis toutefois pas disposé à conclure du fait qu'un tel feuillet a été envoyé à l'appelante que tous les faits requis pour que la somme versée entre dans le cadre du paragraphe 105(2) ont été établis.

[8] Il n'a pas été établi — et je ne pense pas non plus qu'il pouvait être établi — qu'il serait raisonnable d'inclure la somme totale de 3 932 $ dans le revenu de l'appelante s'il était satisfait à toutes les autres exigences. Les parties conviennent que la somme de 3 932 $ était la somme qui devait être versée à l'association condominiale pour l'année 1991 à l'égard de l'unité condominiale. Toutefois, la Loi sur les condominiums exige qu'une partie de cette somme, c'est-à-dire au moins 10 p. 100, soit versée à un fonds de réserve constitué pour les réparations majeures apportées aux parties communes et aux biens de l'association ainsi qu'à leur remplacement3. Il est clair que ni le fiduciaire, en délivrant le feuillet supplémentaire T3, ni le ministre, en établissant la cotisation, ne se sont penchés sur la question de savoir quelle partie du paiement annuel il serait raisonnable d'inclure dans les circonstances. Aucune preuve n'a été présentée quant à savoir quelle proportion du paiement était destinée au fonds de réserve et quelle proportion était destinée aux dépenses courantes de l'association. Ayant conclu qu'il n'a pas été satisfait aux autres exigences du paragraphe 105(2), je n'ai pas à chercher à cataloguer toutes les circonstances pertinentes qui auraient par ailleurs dû être prises en considération.

[9] Pour l'ensemble des motifs énoncés précédemment, l'appel est admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de décembre 1997.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de mai 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1            Réponse modifiée à l'avis d'appel, par. 7.

2            L.R.O. 1990, ch. C-26.

3            Ibid., art. 36.

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