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Date: 19980818

Dossier: 97-1300-UI

ENTRE :

DENISE LABRECQUE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Percé (Québec) le 6 août 1998.

[2] Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 2 mai 1997. En vertu de la décision portée en appel, l'emploi de l'appelante auprès du propriétaire du bateau Ludger Després lors de la période du 28 avril au 20 juillet 1996 fut exclu des emplois assurables à cause de son lien de dépendance avec ce dernier.

[3] L'appelante et Ludger Després en sa qualité de payeur ont témoigné au soutien de l'appel. Au début de l'audition, le contenu de plusieurs allégués au soutien de la détermination a été admis, il s'agit notamment des paragraphes suivants :

« a) le payeur pêchait le homard depuis 1990;

b) il n'avait qu'un seul client, Crustacés de Malbaie Inc.;

c) au cours de l'année 1996, le payeur a pêché 14 000 livres de homard;

d) au cours de l'année 1996, le revenu brut et le revenu net de pêche du payeur étaient respectivement de 55 620 $ et 241 $;

e) le payeur est l'époux de l'appelante;

f) il comptait sur les services de l'appelante et d'un aide-pêcheur, en plus de participer lui-même à la pêche;

g) les prétendues tâches de l'appelante consistaient notamment à aller en mer 7 jours par semaine, mettre les élastiques autour des pinces des homards, transporter la pêche chez le client, rapporter de la bouette, aller chercher de l'essence et laver les vitres du bateau;

i) durant la période en litige, le payeur était accompagné en mer par son aide-pêcheur;

k) la rémunération de l'aide-pêcheur était de 650 $;

l) dès le début de la saison, ce dernier recevait cette somme régulièrement;

m) durant la période en litige, l'appelante recevait des avances sur sa rémunération de 300 $ par semaine;

n) à la fin de la période en litige, la rémunération de l'appelante a été ajustée à 700 $ par semaine;

o) à la fin de la période en litige, l'appelante a reçu un chèque, représentant un ajustement de sa rémunération, de 4 349,03 $;

p) ce chèque a été déposé au compte d'épargne du payeur;

q) l'appelante travaillait prétendument 70 heures par semaine;

r) l'appelante et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; »

[4] Seuls les paragraphes 13 h), j) et s) furent niés. Ils sont libellés comme suit :

« h) dans les faits, ce type de pêche se fait habituellement à 2;

j) durant les années antérieures, le payeur n'était accompagné en mer que par une seule personne;

s) n'eût été du lien unissant l'appelante au payeur, celle-ci n'aurait pas été engagée pour effectuer un tel travail. »

[5] La preuve constituée par le témoignage de l'appelante et celui du payeur a démontré qu'à partir de 1996, le procédé et la méthode de pêche avaient été considérablement modifiés. De la façon connue comme étant la pêche au « lousse » il a alors débuté avec le procédé décrit comme « à la ligne » ou « à la sling » . Les témoins ont expliqué qu'au lieu d'avoir des cages à homard individuelles devant être remontées à l'unité et chacune devant être munie d'une bouée, le procédé « à la ligne » regroupait au moyen d'une corde sept à huit cages fixées à la même ligne et une seule bouée à chaque extrémité localisait la présence de la rangée de cages à homard.

[6] L'opération de remontée nécessitait, selon le capitaine, au moins deux employés sur le pont aux fins que ces derniers puissent procéder au retrait des homards dans les cages et vérifier si la « bouette » , des appâts, devait être placée ou replacée.

[7] Il a aussi expliqué que cette méthode était, de loin, la plus répandue puisque, selon Després, un seul pêcheur de la région de Percé sur 17 ou 18 pêchait au moyen du procédé défini comme le « lousse » au moyen de cages isolées et individuelles.

[8] Ludger Després a aussi expliqué que le nouveau procédé était plus productif à cause d'une plus grande stabilité des cages au fond de la mer. Le procédé « à la ligne » faisait en sorte que l'ensemble de la ligne regroupant plusieurs cages à homard était plus lourde et de ce fait, moins sujet au déplacements causés par les vents et les courants. Il a aussi expliqué et, surtout parfaitement justifié, l'écart du salaire entre l'appelante qui recevait 700 $ par rapport au 650 $ versé à l'aide-pêcheur. L'explication étant que l'aide-pêcheur terminait son travail dès la rentrée au quai, alors que l'appelante était mise à contribution pour la livraison des captures de homard à l'usine et pour la prise de possession du hareng (la « bouette » ), l'appât pour la pêche du homard du lendemain et pour l'achat d'essence ainsi que pour le lavage et nettoyage du bateau qui se faisaient au moment où l'on ramenait la bouette et l'essence en vue de la pêche du lendemain.

[9] Il a aussi expliqué que sa conjointe avait accepté d'être rémunérée au moyen d'une avance complétée par un réajustement à la fin, laquelle était fonction de la quantité et du prix du marché pour le homard livré au cours de la saison de pêche. Aux dires du propriétaire du bateau, il s'agissait là d'une formule de rémunération populaire et très répandue auprès des aides-pêcheurs.

[10] Quant au salaire versé à l'appelante, il a expliqué qu'il se situait dans les normes tout en tenant compte de la qualité de la prestation de travail de cette dernière qu'il a décrite comme étant une employée très productive.

[11] Il n'y a strictement rien dans la preuve qui puisse permettre ou justifier de ne pas retenir l'ensemble ou une partie des deux témoignages. Les deux témoins ont bien témoigné et constituent, quant à moi, deux personnes crédibles. L'appelante n'a jamais tenté d'éviter les questions et a répondu de manière franche et spontanée.

[12] Même s'il peut sembler inacceptable ou invraisemblable qu'une personne dépose sa paie dans le compte de son conjoint, il s'agit là d'une pratique encore très répandue n'ayant aucunement d'incidence déterminante quant à moi; ce qui est déterminant est le fait de recevoir ou non une juste rémunération pour le travail exécuté. L'utilisation ou la façon de disposer de sa paie peut s'avérer pertinente ou constituer un élément pour parfaire une preuve mais certainement pas un fait déterminant en soi puisque toute personne demeure entièrement libre de disposer de ses gains provenant de son travail.

[13] La preuve a aussi établi que le travail de l'appelante avait déjà fait l'objet d'un jugement de cette Cour, rendu par l'honorable juge suppléant Cuddihy le 23 août 1996, dossier 96-184(UI).

[14] À l'époque du précédent jugement, Ludger Després faisait la pêche au homard selon le procédé décrit « au lousse » , soit au moyen de cages individuelles. La preuve a clairement établi que le changement de procédé avait eu lieu lors de la saison 1996.

[15] Fort de ce jugement qui confirmait sa détermination, l'intimé a manifestement traité le dossier de façon très superficielle n'accordant aucune crédibilité aux intéressés quant à la description de faits nouveaux. Présumant que la pêche au homard s'effectuait par le travail de deux personnes, l'intimé a rapidement conclu que les faits étaient soit inexacts, soit maquillés et qu'il y avait exagération quant au besoin de main-d'oeuvre.

[16] Je crois qu'il s'agit là d'un manquement grave sur un aspect fondamental du dossier; bien plus, il s'agissait là d'une question tout à fait déterminante puisque le nombre d'aides-pêcheurs avait un effet crucial pour l'évaluation de la qualité de la prestation de travail exécuté. Partant de la prémisse que la pêche au homard est l'affaire de deux personnes, tout le reste devient alors biaisé d'autant plus que l'intimé avait déjà un préjugé défavorable à l'endroit de l'appelante à cause de la première décision de ce Tribunal qu'il a d'aileurs invoqué fortement. Bien plus, l'intimé a manifestement évalué la prestation de travail de l'appelante en fonction de faits non conformes à la réalité. L'analyse devenait alors viciée et altérée et menait nécessairement vers une conclusion tout à fait inappropriée et déraisonnable.

[17] Ainsi non seulement la question du nombre d'aides-pêcheurs m'apparaît déterminante, il appert, dans un deuxième temps, que tous les autres éléments du dossier ont été mal interprétés ou façonnés par un préjugé manifestement défavorable à l'endroit de l'appelante. L'appelante avait droit de faire l'objet d'un exercice de la discrétion caractérisée par la neutralité et l'objectivité portant exclusivement sur tous les faits de la seule période en litige qui faisait l'objet de l'évaluation.

[18] La discrétion a été exercée de façon tendancieuse et partiale d'où ce Tribunal s'attribue le droit d'apprécier la preuve sous l'angle d'un procès de novo.

[19] À cet égard l'intimé a choisi de ne faire entendre aucun témoin laissant ainsi comme matière la seule preuve découlant des témoignages de l'appelante et de son conjoint qui, je le rappelle, sont tout à fait dignes de foi. L'intimé a admis le contenu de plusieurs paragraphes de l'avis d'appel dont certains m'apparaissent très pertinents pour décider si un véritable contrat de louage de services existait entre l'appelante et le payeur. Je fais notamment référence aux paragraphes suivants :

3- Ludger Després, ci-après appelé le payeur, est l'époux de l'appelante;

4- Le payeur est pêcheur professionnel de homard et vend ses captures à Crustacés de Malbaie Inc.;

5- L'appelante travaille pour le payeur depuis de nombreuses années;

7- Pour la période en litige, l'appelante a reçu un salaire de 700,00 $ par semaine;

11- L'acheteur de homard, Crustacés de Malbaie, avance une partie du salaire de l'appelante en cours de saison, comme il est courant de le faire dans l'industrie de la pêche;

[20] Dans les circonstances, tous les éléments requis pour l'existence d'un véritable contrat de louage de services sont présents; d'autre part, l'ensemble de la preuve permet de conclure que les critères énoncés par les dispositions de l'alinéa 3(2)c) à savoir si la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli soutiennent totalement l'existence d'un véritable contrat de louage de services. Les parties auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[21] Conséquemment, il s'agissait là d'un véritable contrat de louage de services. Pour toutes ces raisons, l'appel est accueilli et la décision de l'intimé est infirmée en ce que l'emploi de l'appelante au cours de la période du 28 avril au 20 juillet 1996 constituait un contrat de louage de services au sens de la Loi sur l'assurance-chômage.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 1998.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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