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Date: 19980202

Dossier: 95-4210-IT-I

ENTRE :

JEAN-PIERRE CARON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge G. Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Selon l’avis d’appel et la réponse à l’avis d’appel, il s’agit de savoir si l’appelant, durant l’année d’imposition 1989, était résident canadien conformément au paragraphe 2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2] Depuis 1988, l’appelant travaille en France pour la Société G.M.T. S.A. Ses revenus seraient déjà imposés par le Gouvernement français. Toutefois, son épouse et ses enfants demeurent au Canada. Divers éléments favorisent la thèse de l’intimée et aussi celle de l’appelant. En fait, l’appelant détient la double nationalité canadienne et française et la double résidence.

[3] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. le ministre du Revenu national[1].

[4] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimée pour appuyer sa décision sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a. à h. du paragraphe 14 de la Réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

8. Pour établir la cotisation du 29 septembre 1994, pour l’année d’imposition 1989, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a. au cours de l’année sous appel l’appelant était marié à Geneviève Caron (sa « conjointe » );

b. sur sa déclaration de revenu de l’année d’imposition 1989, la conjointe de l’appelant a déclaré comme résidence, la province de Québec, Canada;

c. les déclarations de revenu de la conjointe, pour les années d’imposition 1991 et 1992 et les déclarations de prestations fiscales pour enfants pour les années d’imposition 1993 et 1994 indiquaient toujours qu’elle était mariée et résidente de la province de Québec;

d. lors de la production de sa déclaration de revenu, pour l’année d’imposition 1989, la conjointe de l’appelant a réclamé le crédit d’impôt pour trois enfants âgés de moins de 18 ans ainsi que le crédit pour taxe fédérale sur les ventes et a déclaré comme seuls revenus, les allocations familiales de 1 812 $ et des intérêts de 645 $;

e. le formulaire demande de crédit d’impôt pour enfants et crédit pour taxe fédérale sur les ventes, annexé à la déclaration de revenu de sa conjointe, pour l’année d’imposition 1989, indiquait que son conjoint, l’appelant, avait un revenu net de 13 010 $;

f. le contrat d’achat de la propriété, daté du 17 août 1990, sise au 8310 rue Racine à Brossard comporte les différents renseignements suivants :

i. les acquéreurs sont l’appelant et sa conjointe demeurant au 801 Place Soulanges à Brossard;

ii. l’appelant déclare qu’il est un résident canadien au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et au sens de la Loi sur les impôts et il n’a pas l’intention de modifier telle résidence;

iii. l’appelant et sa conjointe déclare être mariés en première noce en 1969 et que leur état civil n’a pas changé;

g. l’appelant n’a pas démontré qu’il avait produit une déclaration de revenu en France, pour l’année d’imposition 1989;

h. en tout temps pertinent l’appelant n’a jamais cessé d’être résident canadien;

[5] À l’ouverture de l’audition, il a été admis que l’appelant était résident canadien et résident français. Toutefois, le procureur de l’appelant a demandé une remise sine die pour l’application de la Loi suite aux arguments ci-après.

[6] Dans un cas de cette nature, l’article XXV de la Convention en matière d’impôt sur le revenu (1976) entre le Canada et la France stipule ce qui suit :

Procédure amiable

1. Lorsqu’un résident d’un État contractant estime que les mesures prises par un État contractant ou par chacun des deux États entraînent ou entraîneront pour lui une imposition non conforme à la présente Convention, il peut, indépendamment des recours prévus par la législation nationale de ces États, soumettre son cas à l’autorité compétente de l’État contractant dont il est un résident. Le cas doit être soumis dans les deux ans qui suivront la première notification de la mesure qui entraîne une imposition non conforme à la Convention.

[7] La circulaire d’information 71-17R3 du 22 février 1991 a pour objet « Procédure d’accord amiable » .Les paragraphes 2 et 3 se lisent comme suit :

2. L’article qui porte sur la procédure d’accord amiable dans les conventions conclues par le Canada permet au contribuable canadien de demander l’aide de l’autorité compétente lorsque des mesures prises par l’un ou l’autre des gouvernements entraînent une double imposition ou une situation où l’imposition n’est pas conforme à la convention.

3. Voici quelques cas types de double imposition visés par la procédure d’accord amiable :

Un contribuable est assujetti à l’impôt du Canada et d’un pays étranger sur le même revenu parce qu’il est résident à la fois du Canada et du pays étranger.

Un contribuable se voit refuser par un pays étranger tout crédit pour les impôts qu’il a payés au Canada sur un revenu donné, parce que le pays étranger revendique le droit exclusif d’imposer ce revenu.

Une corporation qui paie de l’impôt au Canada est assujettie à un impôt supplémentaire en raison d’une augmentation du prix de marchandises ou de services rendus à une corporation liée établie dans un pays étranger, et l’autorité fiscale du pays étranger refuse à la corporation liée tout rajustement correspondant à cette augmentation.

Un contribuable canadien qui est assujetti à l’impôt du Canada sur le revenu de toutes provenances, y compris le revenu qu’il tire de l’exploitation d’une entreprise dans un pays étranger, est également imposé par le pays étranger sur le revenu tiré de la même exploitation. Le Canada soutient cependant que, en vertu des dispositions de la convention conclue avec le pays étranger, celui-ci devrait exempter d’impôt le revenu en question.

[8] Le paragraphe 9 de la circulaire d’information 71-17R3 se lit comme suit :

9. La demande d’examen par l’autorité compétente qu’un contribuable présente en raison d’une proposition officielle ne retardera ni ne suspendra la procédure habituelle d’établissement d’une nouvelle cotisation en vigueur au Canada et que suit Revenu Canada, Impôt. Les deux procédures se dérouleront simultanément et de façon indépendante.

[9] Mais selon le paragraphe 13 :

13. L’autorité compétente du Canada n’acceptera pas la demande d’examen

...

f) si le gouvernement étranger refuse de négocier au sujet du cas.

[10] Appels en matière d’impôt sur le revenu relativement aux nouvelles cotisations émanant du Canada

16. Dans la plupart des cas, les autorités compétentes arrivent à s’entendre et à éviter la double imposition ou une imposition qui n’est pas conforme à la convention; pour les cas où elles n’y partiennent pas, il n’y a pas de procédure d’appel prévue dans les conventions fiscales. Par conséquent, les contribuables canadiens peuvent également juger bon de protéger leur droit d’appel devant les tribunaux canadiens en prévision du cas où les autorités compétentes ne réussiraient pas à régler le problème. Pour interjeter appel, le contribuable doit produire un avis d’opposition dans les 90 jours de la date d’expédition par la poste de l’avis de cotisation, en produisant deux exemplaires du formulaire prescrit qu’il aura préalablement rempli en y énonçant les raisons de son opposition et en y indiquant tous les faits pertinents. Pour chaque cotisation contestée, un avis d’opposition distinct doit être envoyé par courrier recommandé au sous-ministre de Revenu Canada, Impôt, 875, chemin Heron, Ottawa (Ontario), K1A 0L8. Les formulaires prescrits peuvent être obtenus dans tous les bureaux de district de Revenu Canada, Impôt.

17. Suivant la politique du Canada, si le contribuable interjette appel pendant que les négociations avec l’autorité compétente étrangère sont en cours, ces négociations seront interrompues. Si, plus tard, la question fait l’objet d’une nouvelle demande d’examen par l’autorité compétente parce que la double imposition ou une imposition qui n’est pas conforme à la convention persiste après un jugement en appel ou une décision rendue par un tribunal, l’autorité compétente du Canada fournira aux autorités fiscales étrangères les détails et les raisons du résultat du processus d’appel. Les décisions rendues par les tribunaux canadiens ou les règlements conclus sont irrévocables, si bien que l’autorité compétente du Canada n’est pas en mesure de négocier. Tout allégement en matière de double imposition ou d’une imposition qui n’est pas conforme à la convention ne sera possible que si l’autorité compétente étrangère accepte de l’accorder. Il convient de noter que la décision d’un tribunal du Canada peut n’être ni efficace ni convaincante pour l’administration étrangère, de sorte qu’une double imposition ou une imposition qui n’est pas conforme à la convention peut persister même si la décision du tribunal canadien milite en faveur du contribuable.

[11] Dans la présente affaire, l’appelant entamait en 1996 par l’entremise de ses avocats français des démarches afin que son cas soit décidé administrativement par les autorités compétentes, tel que prévu à l’article 25 de la Convention fiscale précitée.

[12] Dans une affaire de même nature, soit l’affaire Malcolm Fisher[2], le contribuable Fisher avait la double résidence canadienne et japonaise.

Le juge Bowman de cette Cour résume la position juridique et sa conclusion, à la page 846, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Je n’exclus pas qu’il ait aussi pu être résident du Japon en 1987 et en 1988. C’est également possible. Il avait assurément des liens là-bas, et les règles de droit reconnaissent la double résidence. S’il était également résident de ce pays, il pourrait invoquer les procédures des autorités compétentes qui sont prévues dans la convention fiscale Canada-Japon (1986) et qui sont décrites dans la circulaire d’information 71-17R3. Le paragraphe 2 du protocole de la convention Canada-Japon se lit comme suit :

2. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention, lorsqu’une personne physique ou une société est un résident des deux États contractants, la question est tranchée d’un commun accord en appliquant les règles suivantes:

a) dans le cas d’une personne physique,

(i) cette personne est considérée comme un résident de l’État contractant où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États contractants, elle est considérée comme un résident de l’État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

(ii) si l’État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des États contractants, elle est considérée comme un résident de l’État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

(iii) si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États contractants ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d’eux, elle est considérée comme résident de l’État contractant dont elle possède la nationalité;

b) dans le cas d’une société, elle est considérée comme un résident de l’État contractant dont elle possède la nationalité.

Ce sont les autorités compétentes des deux États contractants qui doivent trancher la question en vertu de ces dispositions. Cette question ne relève pas de notre cour.

Aux fins de l’affaire en instance, j’ai simplement le pouvoir de déterminer si, en vertu des règles de droit du Canada, l’appelant était ou non résident du Canada en 1987 et en 1988. J’ai conclu qu’il l’était, et, en conséquence, les appels sont rejetés, avec frais.

[13] Dans la présente affaire, suite aux admissions des parties, l’appelant a la double résidence. À la fin de l’audition de cette affaire, le soussigné avait décidé d’une remise sine die, sous-entendant de l’application de la Loi en attendant la décision à être prise conformément à la procédure de l’accord à l’amiable de l’article XXV de la Convention en matière d’impôt sur le revenu (1976) entre les deux états.

[14] Toutefois, en y regardant de plus près, cette Cour n’a pas juridiction pour rendre une telle décision. La seule décision que cette Cour peut rendre en vertu des règles de droit du Canada est de confirmer la cotisation vu que l’appelant est résident du Canada et de rejeter l’appel.

[15] Ce sont les autorités compétentes des deux états qui doivent trancher le différend du fait de la double résidence selon la procédure amiable.

Conclusion

[16] L’appel est rejeté.

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.

Québec, Canada, ce 2e jour de février 1998.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2] 95 DTC 840 (C.C.I. 92-1160(IT)G, 29/09/94).

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