Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20001130

Dossier: 1999-5125-IT-I

ENTRE :

SCOTT Q. JACKS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Campbell, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur des cotisations établies à l’égard de l’appelant pour ses années d’imposition 1994 et 1995. Dans le calcul de son revenu pour ces années, l’appelant a déduit des pertes découlant de ses activités d’auteur-compositeur-interprète. Le ministre a rejeté la déduction de ces pertes au motif que l’appelant ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à tirer un bénéfice de ses activités de musicien.

[2] La famille de l’appelant est établie dans l’industrie de la musique, et l’appelant en fait partie depuis de nombreuses années. Avant 1991, il s’est produit en compagnie de plusieurs groupes. En 1991, il a collaboré à la composition de pièces de musique en tant que membre d’un groupe appelé First Aid. À cette époque, le premier disque compact (CD) du groupe a été produit. Depuis 1990, l’appelant occupe un emploi à plein temps comme facteur de 7 h à 15 h. Les soirs et les fins de semaine sont consacrés à sa carrière de musicien. Il a indiqué dans son témoignage qu’il travaillait comme facteur afin d’avoir de l’argent pour poursuivre ses activités musicales.

[3] L’appelant a déposé 23 pièces afin d’appuyer son argument selon lequel ces activités musicales étaient de nature commerciale. Ces pièces comprenaient un site Web créé en 1997, des disques compacts, des vidéoclips chinois pour lesquels il a composé les thèmes mélodiques, des vidéos sur l’environnement, des critiques de spectacle et de journaux (dont une de la Belgique) et une critique littéraire de ses chansons.

[4] L’appelant se consacre à l’écriture de chansons et à la production de disques compacts et il offre des prestations en direct et accompagne d’autres artistes lors d’enregistrements. Il a indiqué dans son témoignage que depuis 1991, il consacrait en moyenne 21 heures par semaine à faire sa propre publicité, à écrire des chansons, à enregistrer, à donner des prestations, etc. Il a tenté de promouvoir sa musique à l’échelle internationale grâce à son site Web, à la distribution de sa musique par différentes compagnies, comme Indie Pool, et à la vidéo chinoise, qui lui a permis de se faire connaître de plus de un milliard de personnes. L’une des chansons de l’appelant a été utilisée comme thème mélodique d’une équipe de hockey agricole de Rochester, et, dans un avenir rapproché, il présentera sa musique lors d’une émission de télévision visant à promouvoir le Parti vert.

[5] L’appelant a choisi une approche plus pratique relativement à sa musique en produisant lui-même ses disques compacts, en faisant sa promotion par Internet, etc., plutôt qu’en ayant recours au contrat d’enregistrement ou à la maison de disque habituel, auquel cas, selon lui, on peut facilement [TRADUCTION] “ se perdre dans la tourmente ”.

[6] La question en litige consiste à savoir si l’appelant pouvait raisonnablement s’attendre à tirer un profit de ses activités musicales en 1994 et en 1995. L’avocat de l’intimée a soutenu que les faits en l’espèce comportent un élément personnel important. Selon la propre admission de l’appelant, ce dernier aimait beaucoup la musique et il aimait également donner des prestations. Il en a donc certainement retiré une satisfaction personnelle. Comme il l’a fait remarquer en contre-interrogatoire, les compositeurs et les musiciens oeuvrent dans ce domaine parce qu’ils aiment beaucoup la musique, [TRADUCTION] “ que ce soit Madonna ou un type qui joue pour des 25 cents à l’entrée d’un magasin d’alcools ”. Comme l’avocat de l’intimée l’a indiqué, il s’agit d’un facteur dont je dois tenir compte. Je ne considère toutefois pas, selon la situation en l’espèce, que la satisfaction personnelle que l’appelant retirait de sa musique constitue plus qu’un élément positif nécessaire à l’engagement continu de l’appelant envers la musique.

[7] La concurrence dans l’industrie de la musique est féroce. La musique de l’appelant n’entre pas dans un créneau des courants musicaux dominants comme la musique country, où un profit éclair peut être réalisé rapidement. Bien que l’avocat de l’intimée ait affirmé que la musique de l’appelant ne faisait pas partie du courant dominant, je suis d’accord avec l’appelant pour dire qu’un “ courant dominant ” dépend du point de vue qu’on adopte et de l’artiste dont on parle. J’ai écouté la musique de plusieurs disques compacts déposés en preuve. La musique du groupe de l’appelant est principalement instrumentale et comporte plusieurs passages vocaux. Je ne crois pas que ce qui constitue la norme “ commerciale ” dans l’industrie de la musique d’aujourd’hui sera nécessairement la norme de demain. Les tendances des genres musicaux que le public écoute aujourd’hui peuvent changer la semaine prochaine. La musique qui ne fait pas partie du “ courant dominant ” aujourd’hui peut être considérée en faire partie demain. L’appelant croyait en sa musique et il croyait qu’il pouvait réussir. Il aurait facilement pu consacrer son talent à une musique qui lui aurait permis de réaliser plus facilement un profit, mais, pour tout musicien qui croit véritablement en sa musique et en son succès éventuel, faire cela aurait équivalu à trahir sa musique.

[8] L’appelant n’avait pas de plan d’affaires sauf, comme il l’a dit, “ dans sa tête ”. En 1994, il avait déclaré des pertes depuis trois ans. Avant 1991, il avait fait partie de l’industrie de la musique depuis de nombreuses années, environ neuf ou dix ans selon ce dont je me souviens de la preuve, sans déclarer de pertes. Le principal objectif de l’appelant, en 1994 et en 1995, était la production et la vente de disques compacts. Je crois qu’une présence de trois ou quatre ans dans l’industrie de la musique constitue certainement une période de démarrage raisonnable. Par la suite, les faits en l’espèce démontrent que l’appelant a effectué différentes démarches pour faire sa propre publicité, à l’échelle tant nationale qu’internationale, grâce à la production d’un vidéoclip, à l’utilisation d’un site Web et des services de distributeurs de CD et à sa visibilité sur le marché chinois. Les faits confirment la tentative de l’appelant de modifier ses activités musicales à partir de 1995. Bien qu’il poursuive ses efforts, il a connu de petits succès, et son revenu a augmenté. Les faits soutiennent une conclusion selon laquelle il y avait une attente raisonnable de profit. La majorité des artistes qui réussissent, qu’ils soient musiciens ou non, ont connu de nombreuses années d’efforts avant d’obtenir du succès en termes de “ profit ”. La période allant de 1991 à 1995 est simplement trop courte pour permettre à une carrière musicale de devenir un projet générateur de revenus. Je conclus que l’appelant a entrepris des démarches afin d’étendre son marché et sa couverture médiatique. On ne peut pas considérer isolément les années 1994 et 1995 pendant lesquelles il a exercé ses activités. Dans ce type d’entreprise, il est nécessaire d’examiner les années qui ont précédé et celles qui ont suivi afin de déterminer la manière dont l’entreprise a évolué et évolue. L’avocat de l’intimée a soutenu que les tentatives de l’appelant, en ce qui concerne sa publicité sur Internet, les vidéos, etc., pendant les années ultérieures à 1995, n’avaient aucun rapport avec les années en litige. Je ne suis pas d’accord. Au cours des dernières années, il y a eu une augmentation importante du revenu attribuable aux activités autres que la production et la vente de disques compacts (ce qui constituait le principal objectif, mais non le seul, en 1994 et en 1995). Toutefois, ces “ autres activités ” correspondaient à des efforts musicaux destinés à promouvoir la musique de l’appelant au sein de l’industrie. L’une de ces principales activités avait trait au contrat de sous-traitance pour la vidéo chinoise. L’avocat de l’intimée a suggéré que ces autres activités étaient distinctes de l’activité relative à la production de disques compacts. Je conclus, selon les faits, qu’elles faisaient toutes partie de la musique de l’appelant et de ses efforts pour obtenir de l’exposition médiatique par diverses méthodes. Lorsque l’appelant s’est rendu compte que le fait de mettre l’accent sur une activité ne fonctionnait pas, il a élargi son objectif en 1995 et a inclus d’autres activités destinées à sa publicité personnelle et à la reconnaissance publique de sa musique. Je ne reproche pas à l’appelant d’avoir diversifié ses activités. Elles n’étaient toutes que des véhicules différents pour la promotion de sa musique. Les faits soutiennent une conclusion selon laquelle l’appelant avait une attente raisonnable de profit en 1994 et en 1995.

[9] Bien qu’elle n’ait pas été abordée dans les actes de procédure, la méthode d’inscription du revenu et des dépenses de l’appelant a été examinée en contre-interrogatoire. La méthode, si on peut l’appeler ainsi, était maladroite et très certainement non professionnelle. J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel son comptable s’occupait de sa comptabilité et veillait à remplir ses déclarations de revenus et qu’il n’était en toute honnêteté pas au courant des méthodes comptables non appropriées qui étaient utilisées et qui allaient de la double déclaration des chiffres relatifs au salaire (à titre de dépense pendant une année et plus tard à titre de partie du calcul de l’inventaire) à la déclaration d’une augmentation de l’inventaire plusieurs années après le fait. Heureusement pour l’appelant, son comptable, qui a également tenté sans succès de le représenter à l’audience, s’est assis pendant celle-ci et lui a permis de procéder lui-même à la présentation de sa preuve. J’ai admis l’appel de l’appelant en dépit du comportement non approprié et résolument non professionnel de son comptable en cour et de la négligence de ce dernier à l’égard des dossiers de l’appelant. Il peut être opportun, pour le représentant du ministre, d’examiner ces éléments du dossier de concert avec l’appelant, tout en visant un règlement satisfaisant.

[10] L’appel de l’appelant est admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que l’appelant pouvait raisonnablement s’attendre à tirer un profit de son entreprise en tant qu’auteur-compositeur-interprète.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de novembre 2000.

“ Diane Campbell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mars 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

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