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Date : 19980605

Dossier : 96-1356-GST-I

ENTRE :

SUN LIFE TRUST CO.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Cet appel, entendu en vertu de la procédure informelle, porte sur une cotisation établie aux termes de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) dont l’avis signifié le 1er janvier 1994 porte le numéro 05B2717 et couvre la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1991. En fixant la cotisation de l’appelante, le ministre du Revenu national (le Ministre) a refusé un crédit de taxe sur les intrants (CTI) de 106 750 $ qui, en vertu du paragraphe 183(7) de la Loi, était réclamé pour cette période relativement à la saisie ou à la reprise de possession d’un bien immobilier commercial, soit le 2040 Lawrence Avenue, à Scarborough, Ontario, (l’immeuble). Le Ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

(a) l’appelante était inscrite aux fins de la partie IX de la Loi;

(b) l’appelante et Keseph Investments Inc. étaient les créanciers hypothécaires de la propriété immobilière;

(c) l’appelant détenait une participation indivise de 83,14 p. 100 et Keseph Investments Inc. une participation indivise de 14,86 p. 100 dans ladite hypothèque;

(d) l’appelante et Keseph Investments Inc. s’occupèrent activement de la gestion de la propriété, à compter de l’attournement signifié en novembre 1990;

(e) l’appelante a saisi ou repris possession du bien immobilier avant le 1er janvier 1991 ou après le 27 mars 1991, en particulier le 31 mai 1991, jour de la convention de vente passée avec Tack Man Hsu.

[2] L’intimée fait valoir que pour que l’appelante ait droit à un CTI aux termes du paragraphe 183(7) modifié par L.C. 1993, ch. 27, paragraphe 47(3) (visant les saisies et les reprises de possession postérieures au 27 mars 1991), il faut qu’il s’agisse de la saisie ou de la reprise de possession d’un bien mobilier et non d’un bien immobilier.

[3] L’intimée croit que si le bien immobilier n’a pas été saisi ou repris pendant le créneau du 1er janvier 1991 (en vertu du paragraphe 183(1) de la Loi) au 27 mars 1991, alors, le paragraphe 183(7) modifié ne s’applique pas. Il s’ensuit que l’appelante n’a pas droit à un CTI pour le bien immobilier.

[4] L’appelante dit que le bien immobilier a été saisi entre le 1er janvier 1991 et le 27 mars 1991, et que, par conséquent, il a droit à un CTI pour ce bien.

[5] L’article 183 énumère les règles de la TPS relatives à un bien immobilier saisi ou repris par un créancier après le 27 mars 1991. Les paragraphes pertinents de l’article 183 modifié par L.C. 1993, ch. 27, paragraphes 47(1), 47(2) et 47(3), se lisent comme suit :

183.(1) Dans le cas où, après 1990, le bien d'une personne est saisi ou fait l'objet d'une reprise de possession par un créancier en exécution d'un droit ou d'un pouvoir qu'il peut exercer, à l'exception d'un droit ou d'un pouvoir qu'il possède dans le cadre d'un bail, d'une licence ou d'un accord semblable aux termes duquel la personne a acquis le bien ou du fait qu'il est partie à un tel bail ou accord ou à une telle licence, et en acquittement total ou partiel d'une dette ou d'une obligation de la personne envers lui, les présomptions suivantes s'appliquent :

(a) pour l'application de la présente partie, la personne est réputée avoir effectué et le créancier, avoir reçu, au moment donné, une fourniture du bien par vente;

(b) pour l'application de la présente partie, sauf les articles 193 et 257, cette fourniture est réputée avoir été effectuée à titre gratuit;

(c) dans le cas où la fourniture visée à l'alinéa a) est la fourniture taxable d'un immeuble, la taxe payable relativement à la fourniture est réputée, pour l'application des articles 193 et 257, égale à la taxe calculée sur la juste valeur marchande du bien au moment donné;

(d) dans le cas où la fourniture visée à l'alinéa a) est une fourniture d'immeuble incluse à l'article 9 de la partie I de l'annexe V, à l'article 1 de la partie V.1 de cette annexe ou à l'article 25 de la partie VI de cette annexe, pour l'application des articles 193 et 257, la fourniture est réputée être une fourniture taxable et la taxe payable relativement à la fourniture, être égale à la taxe calculée sur la juste valeur marchande du bien au moment donné.

183.(7) Pour l’application de la présente partie, le créancier qui effectue, à un moment donné, la fourniture taxable par vente, sauf une fourniture réputée par la présente partie avoir été effectuée, du bien meuble d’une personne – bien saisi par lui ou dont il a repris possession dans les circonstances visées au paragraphe (1) – qui n’est pas réputé par les paragraphes (5), (6) ou (8) avoir déjà reçu une fourniture du bien et qui n’aurait eu aucune taxe à payer s’il l’avait acheté auprès de la personne au Canada au moment de la saisie ou de la reprise de possession est réputé :

(a) avoir reçu, immédiatement avant le moment donné, une fourniture du bien pour une contrepartie égale à celle de la fourniture taxable;

[...]

Le présent paragraphe ne s’applique pas si :

(c) d’une part la fourniture taxable est exécutée à l’étranger ou constitue une fourniture détaxée;

(d) d’autre part, le bien est saisi ou fait l’objet d’une reprise de possession par le créancier avant 1994 ou est, au moment de la saisie ou de la reprise de possession, un bien meuble corporel désigné dont la juste valeur marchande dépasse le montant visé par règlement relativement au bien.

[6] Voici l’ancien texte du paragraphe 183(7) :

183(7) Vente d’un bien - Pour l’application de la présente partie, le créancier qui effectue, à un moment donné, la fourniture taxable par vente, sauf une fourniture réputée par une disposition de la présente partie autre que l’article 177 avoir été effectuée, du bien d’une personne – qu’il a saisi ou dont il a repris possession d’une personne dans les circonstances visées au paragraphe (1) – qui n’est pas réputé par les paragraphes (4), (5), (6) ou (8) avoir déjà effectué ou reçu une fourniture du bien et qui convainc le ministre que la personne n’a pas reçu, ni n’a le droit de recevoir, un crédit de taxe sur les intrants ou un montant remboursable relativement au bien est réputé :

(a) avoir reçu, immédiatement avant le moment donné, une fourniture du bien pour une contrepartie égale à celle de la fourniture taxable;

(b) avoir payé, immédiatement avant le moment donné et relativement à la fourniture réputée par l’alinéa a) avoir été reçue, une taxe égale au résultat du calcul suivant :

A - B

où :

A représente la taxe calculée sur cette contrepartie,

B le total des montants représentant chacun un crédit de taxe sur les intrants ou un montant remboursable en vertu de la présente partie que le créancier pouvait demander relativement au bien ou à des améliorations afférentes. [Caractères gras ajoutés.]

[7] La règle de base est que la saisie ou la reprise de possession d’un bien d’une personne est réputée être une fourniture gratuite pourvu que la saisie ou la reprise soit exécutée en vertu d’un droit ou d’un pouvoir pouvant être exercé en vue de l’acquittement d’une dette ou d’une autre obligation de la personne. Il n’y a pas de taxe sur la reprise de possession ou la saisie et le créancier devient propriétaire du bien.

[8] Depuis le 27 mars 1991, une personne dont un bien immobilier est saisi ou repris sera admissible à un CTI ou à un remboursement. Au moment de la saisie, il n’y a donc, pour le débiteur, aucune taxe comprise dans le prix de la propriété. Si la saisie a lieu après 1990 et avant le 28 mars 1991, le créancier peut bénéficier du CTI fictif s’il peut prouver au Ministre que le débiteur n’avait pas reçu et n’avait pas droit à un CTI ou à un remboursement relatif à la propriété.

[9] L’ancien paragraphe 183(7) vise n’importe quel bien, y compris un bien immobilier, qui a été saisi entre le 1er janvier 1991 et le 27 mars 1991 inclusivement et dont le créancier effectue plus tard la fourniture taxable par vente (voir l’énoncé de politique P-156, Improvements and Subsection 183(7), Goods and Services Tax Reporter, numéro de novembre 1997). L’appelante invoque cet ancien paragraphe pour réclamer un CTI relatif à l’immeuble dont il est question dans le présent appel.

[10] Puisque pour appliquer les dispositions de l’article 183 il faut savoir s’il y a eu ou non saisie ou reprise, il est important de décider ce qui constitue une saisie ou une reprise lorsqu’elle se produit. L’enjeu du présent appel porte précisément sur ce point.

[11] Selon l’énoncé de politique P-102, Seizures and Repossessions (Goods and Services Tax Reporter, numéro de mars 1998), pour l’application de l’article 183, la saisie et la reprise de possession ont lieu dans les circonstances suivantes :

[TRADUCTION]

La saisie ou la reprise de possession a eu lieu au moment où, au cours de la mise en oeuvre de celle-ci, le créancier, autorisé légalement à priver le débiteur de la garde du bien, et habilité à l’égard de ce bien pour en transférer les droits à un tiers, a pris assez de mesures pour qu’il y ait prise de contrôle sur ce bien, que ce soit un bien mobilier ou immobilier, privant du même coup le débiteur de la garde de ce bien.

[12] Les définitions suivantes sont tirées du Black’s Law Dictionary :

[TRADUCTION]

Reprise de possession. Reprendre - comme lorsqu’un vendeur reprend possession d’un article ou reprend celui-ci si l’acheteur n’effectue pas un versement. Récupérer un article vendu à crédit ou par versements lorsque l’acheteur ne paie pas. Les conditions de la reprise de possession sont entièrement prévues par la loi et il y a des modalités d’application à respecter en ce qui a trait à l’avis, à la manière, etc.

L’expression est ordinairement entendue comme l’acte par lequel quelqu’un reprend possession d’un bien lorsqu’un acheteur cesse d’effectuer ses paiements. Greer v. Zurich Ins. Co., Mo., 441 S.W.2d 15, 27. L’acte ou le processus par lequel des biens sont récupérés par un vendeur ou par une société de financement lorsque l’acheteur ne paie pas.

Saisir. Mettre en possession du bien grevé, attribuer par dévolution en fief simple, être saisi du bien grevé, être possesseur reconnu par la loi, ou détenteur en fief simple. Hanley v. Stewart, 155 Pa.Super. 535, 39 A.2d 323, 326. “ Saisir ” signifie prendre possession de quelque chose par la force, empoigner, s’emparer de quelque chose ou mettre en possession du bien grevé. State v. Dees, Fla.App., 280 So.2d 51, 52.

Saisie. L’acte par lequel quelqu’un prend possession d’un bien, p. ex., par suite d’une violation d’une loi ou en vertu de son application. Le terme comprend la notion de s’emparer de quelque chose ou de priver une autre personne ou plusieurs de la possession, de fait ou de droit, de quelque chose.

[13] Les définitions suivantes se trouvent dans le Oxford English Dictionary, deuxième édition :

[TRADUCTION]

reprendre possession. 1. Rentrer en possession d’un lieu, etc., ou en reprendre possession, réoccuper. Aussi spéc., rentrer en possession du bien grevé de ou saisir (biens achetés à crédit) lorsqu’un acheteur manque à son engagement de payer.

reprise de possession. 1. Recouvrement; possession restituée. Aussi spéc., la reprise de biens achetés à crédit lorsqu’un acheteur manque à son engagement de payer; poursuite judiciaire pour parvenir à cette fin.

saisir. I. Mettre en possession du bien grevé.

1. Jur. a. Mettre (une personne) en possession de droit d’une tenure féodale; conférer la propriété ou céder la propriété; constituer une tenure ou une fonction ou un titre honorifique.

b. ... être le possesseur de droit de.

II. Prendre possession.

5. b. Prendre possession de (biens) en application d’une ordonnance de la cour.

Faits

[14] La convention hypothécaire/de charge entre Shun Wo Enterprises Ltd. (le constituant de la charge) et Keseph Investments Inc. and Counsel Trust, entreprise avec laquelle l’appelante s’est unie le 1er janvier 1991 (titulaire de la charge), conclue le 19 avril 1989, garantissait une somme de 1 850 000 $. Les articles pertinents de cette convention (pièce A-1, onglet 1) sont les suivants :

[TRADUCTION]

DISPOSITIONS ADDITIONNELLES

2. EN CAS de défaut de paiement du capital ou des intérêts en vertu de la présente charge..., le titulaire de la charge peut prendre possession du terrain visé par la charge libre de toutes cession, hypothèque, charge ou sûreté antérieures quelles qu’elles soient sans aucun empêchement, procès, interruption ou dénégation du débiteur de la charge ou de toute autre personne.

NOMINATION DU SÉQUESTRE

i) À tout moment après que la garantie constituée aux présentes devient exécutoire, ou que les montants aux présentes deviennent exigibles, le titulaire de la charge peut de temps à autre nommer par écrit un séquestre pour les terrains, avec ou sans cautionnement, et peut de temps à autre révoquer le séquestre et en nommer un autre à sa place, et un tel séquestre nommé aux termes des présentes aura les attributions suivantes :

(a) Prendre possession des terrains visés par la charge, les recouvrer et y entrer, et à cette fin entrer sur tous terrains, dans tous bâtiments et locaux où qu’ils soient et quels qu’ils soient et à cette fin poser n’importe quel geste et intenter n’importe quelle action au nom du débiteur de la charge ou procéder de toute autre manière qu’il jugera nécessaire;

(b) Exploiter ou accepter qu’on exploite l’entreprise du débiteur de la charge, et employer ou congédier des mandataires, ouvriers, comptables et autres selon les modalités et avec des salaires, un traitement ou une rémunération qu’il jugera acceptables, et réparer et maintenir en état les terrains visés par la charge et entreprendre toute autre mesure et chose nécessaire pour l’exploitation de l’entreprise du débiteur de la charge et la protection desdits terrains visés par la charge;

(c) Vendre ou donner à bail ou accepter qu’on vende ou donne à bail une partie ou la totalité des terrains visés par la charge ou toute partie de ceux-ci et mettre à exécution une telle vente ou un tel bail en faisant cession au nom du débiteur de la charge ou autrement;...

[15] À la même date, le constituant de la charge a donné au titulaire de la charge en garantie additionnelle du paiement de la dette une cession générale de ses droits sur tous les loyers et les baux des lieux grevés. Les articles 7 et 10 de cette cession (pièce A-1, onglet 2) prévoient ce qui suit :

[TRADUCTION]

7. Jusqu’à la mise à exécution en vertu de la charge et jusqu’à ce que le cessionnaire (le titulaire de la charge) signifie un avis au cédant (le débiteur de la charge) par signification à personne (l’avis), le cédant sera habilité à recevoir les loyers et ne sera pas tenu d’en rendre compte au cessionnaire; toutefois, après ledit avis, le cessionnaire sera habilité à recevoir tous les loyers exigibles après la date de signification de l’avis.

Après la signification de l’avis, le cessionnaire sera habilité à prendre possession des locaux visés par la charge et à encaisser les loyers et revenus de ceux-ci, opérer une saisie de ceux-ci au nom du cessionnaire et nommer ses mandataires pour gérer les locaux visés par la charge et verser à ces mandataires des montants raisonnables pour leurs services et facturer ces montants au compte du cédant; et tous les mandataires ainsi nommés par le cessionnaire auront qualité et pouvoir :

de donner à bail les locaux visés par la charge en tout ou en partie au loyer et selon les modalités que le cessionnaire à sa discrétion pourrait juger raisonnables et d’annuler ou de céder des baux existants, de modifier ou changer les modalités des baux existants, de renouveler les baux existants, ou de faire aux preneurs à bail toutes les concessions que le cessionnaire pourrait à sa discrétion juger raisonnables;

de gérer d’une manière générale les locaux visés par la charge au même degré que le cédant pourrait le faire; et

i) d’encaisser les loyers et revenus et d’avoir les reçus et quittances nécessaires et suffisants et, à leur discrétion, d’opérer une saisie de ces loyers et revenus au nom du cédant;

ii) de payer toutes les primes d’assurance, les taxes, les réparations nécessaires, les rénovations et l’entretien, les frais de possession, les commissions de loyer ou de bail, le salaire de tout concierge ou gardien, les frais de chauffage et une partie ou la totalité des paiements dus au cessionnaire en vertu de la charge;

iii) d’accumuler les loyers et revenus entre les mains d’un tel mandataire en un montant raisonnable de manière à établir une réserve pour les paiements d’intérêt et de capital sur la charge arrivant à échéance, et pour le paiement des taxes, de l’assurance, du chauffage, des réparations, des rénovations et de l’entretien, des frais d’encaissement des loyers et revenus et autres frais ou frais de possession liés aux locaux visés par la charge;

(c) lorsque des pouvoirs discrétionnaires sont en vertu des présentes assignés au cessionnaire ou à ses mandataires, ces pouvoirs peuvent être exercés par tout dirigeant, gérant de placement ou gérant du cessionnaire ou ses mandataires nommés, suivant le cas.

10. Au moment du remboursement de la charge, les loyers et les baux seront considérés avoir été rétrocédés au cédant et le cédant aura le droit, à ses frais, à une libération ou à une rétrocession de la cession sous une forme prescrite aux fins d’enregistrement, et à la libération de tous états de financement s’y rapportant déposés conformément à la Loi sur les sûretés mobilières (Ontario).

[16] Un avis de vente aux termes de l’hypothèque a été transmis au débiteur hypothécaire (le constituant de la charge) par les créanciers hypothécaires (les titulaires de la charge) le 28 novembre 1990 lorsqu’il y a eu défaut de paiement. Selon ce document (pièce A-1, onglet 3) et d’après le témoignage de M. Joseph W. McGrath, spécialiste de l’appelante en hypothèque commerciale depuis mai 1991, le débiteur hypothécaire avait manqué à son engagement de payer le 1er novembre 1990. L’avis de vente disait en plus ceci :

[TRADUCTION]

Et à moins que lesdits montants ne soient payés au plus tard le 8 janvier 1991, nous vendrons l’immeuble couvert par ladite hypothèque en vertu des dispositions qu’elle prévoit.

[17] Des avis d’attournement ont été envoyés par les créanciers hypothécaires (les titulaires de la charge) aux différents locataires le 27 novembre 1990 en application de la cession générale des loyers et des baux consentie par le débiteur hypothécaire (le constituant de la charge). Selon un rapport envoyé le 19 août 1991 à Keseph Investments Inc. ainsi qu’à l’appelante par Garfinkle Biderman, leurs avocats (pièce A-1, onglet 9), on a sérieusement tenté de faire payer aux locataires le plus de loyers en souffrance possible, et ce, avant la date-limite pour la vente de la propriété (juillet 1991). Cela comprenait une réclamation de paiement d’une part proportionnelle des impôts fonciers, des dépenses d’exploitation, et des frais d’entretien. On a tenté de percevoir le loyer non payé des mois de décembre 1990 et de janvier à juillet 1991, inclusivement. En fait, les impôts fonciers de 1990 et 1991 ont été payés par Garfinkle Biderman au nom de l’appelante, le 19 juillet 1991. Le rapport susmentionné souligne de plus le fait que les inspections des lieux ont révélé que l’espace de stationnement et une bonne partie de la structure de l’immeuble étaient en mauvais état. Voici ce qu’en dit le rapport :

[TRADUCTION]

... Toutefois, indépendamment des obligations contractuelles des locataires, à cause de ce qui semblait être la négligence du débiteur hypothécaire face à ses responsabilités en matière d’entretien permanent, certains locataires ont tout simplement refusé de payer le loyer; certains ont unilatéralement soustrait de temps en temps les dépenses qui, selon eux, s’imposaient pour des réparations urgentes, etc.

[18] Dans une déclaration solennelle signée en décembre 1993 (pièce A-1, onglet 11), Me Gary Blustein, avocat de la société Garfinkle Biderman, qui a rédigé le rapport susmentionné, indique qu’il a commencé à s’occuper de ce cas lorsqu’il a reçu des créanciers hypothécaires les instructions lui demandant de commencer les formalités relatives au pouvoir de vendre le bien immobilier à la suite du non-paiement de la créance hypothécaire, d’exécuter les différentes étapes du processus d’attournement et, à compter de la date de l’attournement, de continuer d’accomplir les formalités découlant du pouvoir de vendre et de gérer la propriété. Me Blustein mentionne également dans sa déclaration qu’il était particulièrement évident que le débiteur hypothécaire avait abandonné la propriété et que, pendant le processus d’attournement, il avait entamé des sérieuses négociations avec les locataires et leurs avocats au sujet des litiges liés au manque d’entretien ou au mauvais entretien et à propos de la récupération des sommes accumulées pour l’exploitation et pour l’impôt foncier. Me Blustein, encore à titre de représentant des créanciers hypothécaires, a négocié les termes d’un nouveau bail en mars 1991. Me Blustein conclut en disant qu’“ il était clair dans ces circonstances particulières de cette affaire que, puisque le débiteur hypothécaire ne s’occupait plus de la gestion active des lieux hypothéqués, cette responsabilité a été soigneusement prise en charge par les créanciers hypothécaires à compter de l’avis d’attournement, signifié en novembre 1990, et après, jusqu’à la vente officielle de la propriété ” (alinéa 10 de la déclaration solennelle).

[19] Dans son témoignage, M. McGrath a d’abord dit qu’il était très rare de transmettre à un avocat des instructions lui demandant d’envoyer des avis d’attournement et d’exercice du pouvoir de vente et de s’occuper en plus des locataires. Toutefois, il a reconnu que, selon les lettres déposées en preuve, Me Blustein participait certes activement aux échanges avec les locataires, percevant les loyers auprès d’eux et envoyant cet argent aux créanciers hypothécaires. Il a admis que les créanciers hypothécaires jouaient en fait un rôle plutôt actif dans la gestion de la propriété. Toutefois, il n’a pas confirmé que ce rôle actif a commencé au moment où les avis d’attournement ont été signifiés aux locataires, comme l’a laissé entendre Me Blustein dans sa déclaration solennelle. Il a plutôt indiqué qu’il n’avait jamais vu de lettre d’instructions qui aurait été envoyée à Me Blustein. Cependant, M. McGrath ne travaillait pas pour l’appelante à ce moment-là.

[20] En outre, dans une lettre envoyée à Keseph Investments Inc. le 9 janvier 1991, Me Blustein a indiqué qu’il avait discuté avec l’avocat du débiteur hypothécaire le 4 janvier 1991 et qu’il avait alors appris qu’il était permis d’espérer que le débiteur hypothécaire rétablisse l’hypothèque bientôt, mais que ce n’était pas certain. Dans la même lettre, il a aussi indiqué qu’il aimerait recevoir copies des baux que détenait Keseph Investments Inc., et ce, afin de pouvoir “ continuer à surveiller la situation en attendant de recevoir de nouvelles instructions de [Keseph] ou [l’appelante] ”.

[21] L’immeuble a été mis en vente le 21 février 1991, après l’expiration de la période de rachat prévue dans l’avis de vente.

[22] Selon les preuves, Me Blustein avait probablement commencé à envoyer des lettres aux locataires afin de percevoir la TPS sur les loyers, vers le 21 janvier 1991. Il faisait alors également rapport aux créanciers hypothécaires. Dans une lettre envoyée à la Counsel Trust Company (maintenant l’appelante), le 21 janvier 1991 (pièce A-1, onglet 6), Me Blustein a indiqué qu’il avait joint des chèques reçus d’un locataire, le 17 janvier 1991, pour les mois de janvier et de février 1991, et ce, après avoir téléphoné un certain nombre de fois à ce locataire. Il a indiqué ce qui suit dans cette lettre :

[TRADUCTION]

Dans ce cas, depuis l’arrivée de nos instructions demandant d’envoyer des avis d’attournement, l’avocat (l’appelant] est véritablement devenu un créancier hypothécaire en possession du bien grevé. Il est devenu difficile pour nous d’administrer les affaires de location de ce centre commercial parce que nous n’avons pas en notre possession copie des baux signés, ce qui nous permettrait de savoir si les sommes versées suffisent ou non. En outre, après le 1er janvier 1991, le loyer dû est clairement assujetti à la TPS. La TPS n’a été ajoutée sur aucun chèque de loyer reçu après le 1er janvier 1991.

Positions de l’appelante et de l’intimée

[23] L’avocat de l’appelante prétend que la saisie s’est produite pendant le créneau du 1er janvier 1991 au 28 mars 1991. En particulier, il fait valoir que la saisie a eu lieu le 8 janvier 1991, jour de l’expiration de l’avis d’exercice du pouvoir de vente signifié au débiteur hypothécaire le 28 novembre 1990, puisque l’expiration des avis liés au pouvoir de vente conférait à l’appelante l’autorité lui permettant de s’occuper de la propriété.

[24] L’avocat de l’intimée prétend que le bien immobilier en question a été saisi par l’appelante le 31 mai 1991, jour où la convention de vente est intervenue avec Tack Man Hsu. Subsidiairement, il fait valoir que la prise de possession réelle du bien immobilier a d’abord eu lieu en novembre 1990, au moment où les avis d’attournement des loyers ont été signifiés par l’appelante aux locataires de l’immeuble. Dans les deux cas, la saisie ne se serait pas produite durant le créneau, et l’appelante n’aurait donc pas droit à un TCI en vertu du paragraphe 183(7) de la Loi.

[25] Dans sa réfutation, l’avocat de l’appelante a répondu que si je n’accepte pas son point de vue, à savoir que la saisie a eu lieu à la date d’expiration de l’avis d’exercice du pouvoir de vente, je devrais accepter l’argument subsidiaire de l’avocat de l’intimée, c’est-à-dire, que la saisie a eu lieu lorsque les avis d’attournement ont été signifiés.

Analyse

[26] Lorsqu’un débiteur hypothécaire manque à son engagement de payer le capital ou l’intérêt ou les deux, ou qu’il y a violation d’un autre engagement, le créancier hypothécaire a le droit prima facie de posséder la propriété; c’est alors une mesure intérimaire de recouvrement du montant, que ce soit par forclusion, ou par vente en justice, ou par l’exercice d’un pouvoir de vente privé ou prévu par la loi. Le créancier hypothécaire peut aussi, par acte de nomination, désigner un séquestre et un gestionnaire si l’hypothèque le prévoit. Il s’agit alors de ce qui s’appelle un créancier hypothécaire en possession du bien grevé et c’est, en soi, une façon de recouvrer la créance. (Consulter Frank Bennett, Bennett on Power of Sale, 4e éd., [Carswell, Scarborough, Ontario, 1997], pp. 1, 2, 141).

[27] Un créancier hypothécaire prend possession lorsqu’il prive le débiteur hypothécaire de son autorité sur le bien et qu’il l’écarte de la gestion de la propriété hypothéquée (Falconbridge, Law of Mortgages, 4e éd., 1977, p. 643).

[28] Dans le cas présent, la convention hypothécaire/de charge stipule en particulier que s’il y a défaut de paiement du capital ou de l’intérêt, le titulaire de la charge (le créancier hypothécaire) peut entrer en possession ou prendre possession du bien grevé ou peut nommer par écrit un séquestre qui prendra possession de celui-ci. Il s’ensuit que le droit de possession du créancier hypothécaire découle immédiatement du défaut de paiement même si ce créancier n’est pas obligé d’exercer un tel droit. Alors, le créancier hypothécaire peut être en possession du bien grevé lorsqu’il reçoit directement les loyers et les profits, que ce soit en vertu de l’attournement des loyers ou d’une cession expresse. La question est alors de savoir si le débiteur hypothécaire est encore maître de la propriété.

[29] S’il s’agit d’une prise de contrôle par le créancier hypothécaire et qu’il administre la propriété, il est alors possible d’en dire qu’il a pris possession de cette propriété. Ce que la direction et la gestion signifient varie en fonction des circonstances relatives à la propriété hypothéquée. Tout comme il a été décidé dans le cas de Joseph v. Newman (1927), 31 O.W.N. 400, p. 427, la perception des loyers à elle seule ne signifie pas en soi que le créancier hypothécaire possède la propriété, mais la nomination d’un séquestre privera nécessairement le débiteur hypothécaire de son autorité. Toutefois, si le créancier hypothécaire s’occupe de location, ce qui a été fait dans le cas présent, alors, lorsque le débiteur hypothécaire manque à son engagement de payer, le créancier hypothécaire peut percevoir les loyers sans invoquer la gestion par le séquestre. (Consulter Bennett on Power of Sale, supra, p.142).

[30] Les principes liés à cette question et résumés dans l’ouvrage de Marriott et Dunn, Practice in Mortgage Actions in Ontario (Carswell 1982), pp. 122-23, sont les suivants :

[TRADUCTION]

En général, un créancier hypothécaire prend possession en occupant effectivement la propriété hypothéquée ou en percevant les loyers de celle-ci: Lord Trimleston v. Hamill (1810), 1 Ball & B. 377; Fisher et Lightwood, Law of Mortgages, 7e éd., p. 720. Toutefois, là où le créancier hypothécaire recevait les loyers à la suite d’instructions données au locataire par le débiteur hypothécaire, on a considéré que le créancier hypothécaire n’était pas un créancier hypothécaire en possession du bien grevé; il faut démontrer que les loyers ont été perçus par lui à titre de créancier hypothécaire : Thomson v. Stikeman (1913), 29 O.L.R. 146 à 159, confirmé 30 O.L.R. 123 (C.A.); Joseph v. Newman (1927), 31 O.W.N. 400, confirmé à 429 (C.A.). En dernière analyse, il s’agit de savoir si le créancier hypothécaire est devenu maître des lieux à la place du débiteur hypothécaire et a remplacé ce dernier dans la gestion des lieux hypothéqués, ce qui doit être décidé en fonction des circonstances particulières de chaque cas : Lord Advocate v. Lord Lovat (1880), 5 App. Cas. 273 à 288; Falconbridge, Law of Mortgages, 4e éd., p. 626. Autrement dit, un créancier hypothécaire ne devient un créancier hypothécaire en possession du bien grevé que s’il affirme ses droits en tant que créancier hypothécaire : Gaskell v. Gosling, [1896] 1 Q.B. 669 à 691 (C.A.).

[31] Dans le cas de National Trust Co. v. Carleton Condominium Corp. No 489, [1993] O.J. No 2062, la Cour de justice de l’Ontario, Division générale, devait décider si le requérant était un créancier hypothécaire en possession du bien grevé, au sens de la Loi sur les condominiums, et elle a procédé par conséquent à une analyse de la Loi quant à ce qui constitue un créancier hypothécaire en possession du bien grevé. La Cour a conclu comme suit :

[TRADUCTION]

Le requérant se fondait sur le cas particulier de Beckstead v. Ball et al., [1961] O.R. 127 (H.C.), où la Cour a examiné les principes pertinents et insisté sur le fait que doit s’exercer une forme d’autorité qui va au-delà de la perception de l’argent avant qu’un créancier hypothécaire soit considéré comme créancier hypothécaire en possession du bien grevé. Le créancier hypothécaire doit percevoir les loyers de telle façon que l’on puisse dire qu’il a court-circuité le débiteur hypothécaire dans la gestion de la propriété. Dans Beckstead, le loyer était payé au créancier hypothécaire en vertu d’une entente à cet effet entre le propriétaire et le locataire. À tous les autres égards, les relations entre le locateur et le locataire demeuraient les mêmes. Dans ces circonstances, la Cour a décidé que le créancier hypothécaire n’était pas un créancier en possession du bien grevé puisque les loyers étaient perçus par le créancier hypothécaire à titre d’agent du propriétaire. On est arrivé à une conclusion semblable dans First City Developments Ltd. v. Central Mortgage and Housing Corporation (1981) 21 R.P.R. 251 (N.S.C.A.).

...

Dans ce cas, contrairement aux cas ci-dessus, il est bien clair que la National a pris sur elle de percevoir les loyers non en tant qu’agente du propriétaire, mais à titre de créancière hypothécaire de la propriété. Après l’envoi de l’avis ci-dessus par la National, elle a amorcé des négociations avec la Carleton Condominium Corporation No 489 à propos de la perception des loyers et a pris le contrôle, portant ainsi atteinte au droit du propriétaire d’administrer sa propriété. La National a commencé par percevoir les loyers, non à titre de mandataire du propriétaire, mais en tant que créancière hypothécaire affirmant ses droits contre un débiteur hypothécaire ayant manqué à son engagement de payer. À mon avis, cela suffit pour faire de la Compagnie Trust National une créancière hypothécaire en possession du bien grevé au sens de la Loi sur les condominiums et, pour cette raison, c’est de la Compagnie que relève la responsabilité de payer les dépenses communes avant de se servir de l’argent pour payer la dette du propriétaire.

[32] Dans le cas présent, la preuve qui m’a été présentée me porte à conclure que l’appelante a pris sur elle, dès le moment que les avis d’attournement ont été signifiés, de percevoir les loyers non à titre de mandataire du débiteur hypothécaire mais en tant que créancier hypothécaire de la propriété immobilière. Compte tenu de toute la documentation déposée, je conclus sans hésiter que l’appelante a court-circuité le débiteur hypothécaire dans l’administration de la propriété, et ce, dès le 27 novembre 1990. Je conclus que le témoignage de M. McGrath, qui n’assumait aucune responsabilité au moment où le débiteur hypothécaire a manqué à son engagement de payer, ne suffit pas à réfuter la déclaration solennelle déposée par Me Blustein. Je suis satisfaite de la nomination de la société Garfinkle Biderman par les créanciers hypothécaires par laquelle cette société a pris en main la propriété grevée, sans le débiteur hypothécaire; ainsi, elle a pris en fait le contrôle sur la propriété immobilière en question. Dans ces circonstances particulières, l’appelante est par conséquent devenue une créancière hypothécaire en possession du bien grevé, le 27 novembre 1990.

[33] En m’appuyant sur les définitions de saisie et de reprise de possession dont il a été précédemment question, je conclus que le bien immobilier a été saisi ou qu’il y a eu reprise de possession au moment où l’appelante est devenu créancière hypothécaire en possession du bien grevé, soit le 27 novembre 1990 et non le 8 janvier 1991, date de l’expiration de l’avis d’exercice du pouvoir de vente, comme l’affirme l’appelante.

[34] L’appel est donc rejeté parce que la propriété immobilière a été saisie ou qu’il y a eu reprise de possession en vertu d’un droit ou d’un pouvoir exercé par l’appelante le 27 novembre 1990 (jour où les avis d’attournement ont été signifiés aux locataires), c’est-à-dire avant le créneau au cours duquel la saisie ou la reprise de possession de la propriété immobilière relevait du paragraphe 183(7) de la Loi. L’appelante n’a par conséquent pas droit à un CTI pour cette propriété immobilière.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 1998.

"Lucie Lamarre"

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de septembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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