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Date: 19981207

Dossier: 97-2049-GST-I

ENTRE :

THE CORPORATION OF THE CITY OF BRANTFORD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] The Corporation of the City of Brantford (la “ Ville ”) interjette appel à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), cotisation dans laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé un remboursement de taxe sur les produits et services (“ TPS ”) demandé par l'appelante en vertu de l'article 259 de la Loi à l'égard d'indemnités versées par la Ville aux membres de son conseil, de la commission des services publics et de la commission de services policiers pour la période allant du 1er janvier 1994 au 29 février 1996.

[2] L'admissibilité au remboursement est déterminée par l'article 174 de la Loi[1] : pour avoir droit au remboursement, la Ville doit verser l'indemnité à son employé pour des fournitures dont la totalité, ou presque, sont des fournitures taxables, sauf des fournitures détaxées, de biens ou de services acquis au Canada. Le ministre dit que la Ville n'a présenté aucun élément de preuve quant à savoir comment l'indemnité versée aux agents municipaux devait être utilisée et il dit que l'indemnité n'était pas nécessairement versée pour des fournitures dont la totalité, ou presque, sont des fournitures taxables. En outre, le ministre mettait en doute le caractère raisonnable de l'indemnité.

[3] Pour ce qui est de la preuve présentée au procès, ont témoigné M. Gregory Beal, soit le directeur de la comptabilité de la Ville, et M. Michael Hancock, soit un conseiller de la Ville durant la période pertinente ainsi qu'à l'époque du procès, et les parties ont convenu des faits suivants :

[TRADUCTION]

1. L'appelante est une municipalité constituée en personne morale que régit la Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M. 45, dans sa forme modifiée (la “ Loi sur les municipalités ”).

2. L'appelante est un inscrit aux fins de la TPS en vertu de la partie IX de la Loi.

3. L'appelante est un “ organisme de services publics ” au sens du paragraphe 123(1) de la Loi et un “ organisme déterminé de services publics ” au sens du paragraphe 259(1) de la Loi.

4. Outre qu'elle exerce des activités commerciales, l'appelante effectue des fournitures exonérées. L'appelante est généralement en droit de demander des remboursements à l'égard de la TPS qu'elle paie ou qu'elle est réputée payer pour des produits et services acquis ou réputés acquis pour utilisation dans le cadre de fournitures exonérées.

5. Le montant en litige dans cet appel est de 10 429,14 $, plus la pénalité et les intérêts y afférents, soit le montant total des remboursements de TPS demandés par l'appelante — dans ses déclarations pour les périodes de déclaration se terminant le 30 avril 1995, le 31 août 1995 et le 31 décembre 1995 — à l'égard d'indemnités non soumises à une justification qu'elle avait versées à des agents municipaux (l'“ indemnité municipale ”). L'appelante a demandé les remboursements en vertu des articles 174 et 259 de la Loi.

6. L'appelante a, le 5 juin 1995, produit sa déclaration pour la période de déclaration se terminant le 30 avril 1995. Dans cette déclaration, elle demandait, pour la première fois, un remboursement de TPS, soit un remboursement total de 9 021,35 $, à l'égard des indemnités municipales versées au cours de la période allant du 1er avril 1991 au 30 avril 1995 inclusivement. L'appelante n'avait pas demandé de remboursement à l'égard des indemnités municipales dans l'une quelconque de ses déclarations de TPS antérieures.

7. Dans sa déclaration pour la période de déclaration se terminant le 31 août 1995, déclaration qui a été produite le 28 septembre 1995, l'appelante demandait un remboursement de 702,52 $ à l'égard des indemnités municipales versées du 1er mai au 26 août 1995.

8. Dans sa déclaration pour la période de déclaration se terminant le 31 décembre 1995, déclaration qui a été produite le 30 janvier 1996, l'appelante demandait un remboursement de 705,26 $ à l'égard des indemnités municipales versées du 1er septembre au 31 décembre 1995.

9. Les demandes de remboursement de l'appelante relatives aux indemnités municipales ont été refusées par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”), par la voie d'un avis de cotisation en date du 30 mai 1996 qui porte le numéro 08GP0102780 (la “ cotisation ”).

10. L'appelante a fait opposition à la cotisation.

11. La cotisation a été ratifiée par le ministre.

12. Durant la période considérée en l'espèce, le règlement municipal de l'appelante 223-88 était en vigueur et prévoyait le versement d'honoraires annuels à chaque membre du conseil de la Ville, de la commission des services publics et de la commission de services policiers, précisant que le tiers de ces honoraires était réputé versé à titre de remboursement des dépenses afférentes à l'exercice des fonctions respectives de chaque membre.

13. Les indemnités municipales représentent le tiers des honoraires mentionnés au paragraphe 12 ci-dessus.

14. Les indemnités municipales étaient des sommes limitées et prédéterminées en ce qu'elles représentaient le tiers des honoraires mentionnés au paragraphe 12 ci-dessus.

15. Les indemnités municipales étaient à l'entière disposition du bénéficiaire, qui n'avait pas à fournir de documentation ou de reçus quant à la façon dont il dépensait cet argent.

16. Les bénéficiaires des indemnités municipales sont des salariés au sens de la Loi.

17. Les indemnités municipales sont des allocations versées aux agents municipaux pour les “ dépenses occasionnées par l'exercice de [leurs] fonctions comme [agents municipaux] ” au sens du paragraphe 81(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e supplément), dans sa forme modifiée, et elles ont donc à bon droit été exclues dans le calcul du revenu du bénéficiaire aux fins de cette [loi].

18. L'appelante tenait de la documentation indiquant les bénéficiaires des indemnités municipales, indiquant le montant des indemnités municipales versé à chaque bénéficiaire, indiquant la TPS totale qui était selon l'appelante réputée payée en vertu de l'article 174 de la Loi à l'égard des indemnités municipales et indiquant la période de déclaration au cours de laquelle les indemnités municipales ont été versées.

[4] M. Gregory Beal est, entre autres, responsable de la paye, de la comptabilité ainsi que de la production des déclarations de TPS de la Ville. Il connaît la question des honoraires que la Ville verse à ses agents. D'après M. Beal, la Ville inscrit un paiement d'honoraires sur la feuille de paye de chaque conseiller, comme suit : un tiers à titre d'indemnité et deux tiers à titre de traitement. Le feuillet T4 de Revenu Canada, soit l'État de la rémunération payée, qui est distribué aux employés à la fin de l'année d'imposition indique dans la case 14 le revenu imposable du contribuable. Une note au bas du feuillet T4 délivré par la Ville à M. Hancock pour 1994 dit que l'allocation pour frais de 3 666,69 $ de l'agent municipal n'est pas incluse dans la case 14. Le revenu d'emploi imposable de M. Hancock (selon la case 14) est de 7 331,31 $. L'allocation non imposable représente le tiers du montant total des honoraires. Tout chèque de paye envoyé aux agents élus inclut à la fois la partie imposable et la partie non imposable des honoraires, moins les retenues à la source.

[5] M. Beal a déclaré dans son témoignage que, lorsqu'un agent élu engage des dépenses pour des activités particulières qui se déroulent hors de la Ville, cette personne est remboursée par la municipalité “ en sus ” des honoraires. Le montant du remboursement s'appuie sur des reçus.

[6] M. Beal estimait que 14 postes de la Ville donnent droit à l'allocation non imposable. Des reçus ne sont pas exigés pour le versement de l'indemnité. M. Beal a dit — et M. Hancock l'a confirmé — que les bénéficiaires de l'indemnité n'ont pas à rendre compte au conseil de la manière dont l'argent est utilisé et qu'ils ne reçoivent pas d'instructions quant à l'utilisation de l'argent.

[7] Michael Hancock est un conseiller de la Ville. En outre, il travaille à son compte. Comme conseiller, M. Hancock est président de plusieurs comités et membre d'autres comités. Il a été réélu conseiller lors de plusieurs élections depuis 1988. Il fait également partie de la commission de services policiers.

[8] M. Hancock a dit que ses fonctions de conseiller concernent la réglementation municipale, les électeurs et le développement communautaire. Un conseiller engage généralement des dépenses. Il lui faut un bureau. Il n'y a que deux bureaux à l'hôtel de ville pour les dix conseillers. M. Hancock est appelé à interviewer des personnes et a besoin d'un bureau à cette fin. Ainsi, il a, chez lui, converti une chambre à coucher en bureau. En outre, dit-il, il lui faut un répondeur téléphonique, des classeurs, un pupitre, un fauteuil, un ordinateur, un téléavertisseur et un téléphone cellulaire. Il a payé ce matériel avec l'argent provenant de l'allocation non imposable. Il engage des frais d'interurbains, car il travaille régulièrement hors de la ville. Il engage des frais d'automobile, y compris pour l'essence et le stationnement, plus “ de menus frais ici et là ”. M. Hancock est souvent appelé à faire des dons, et à assister à des cérémonies ainsi qu'à des activités de collecte de fonds ayant lieu dans la municipalité, et une partie de l'indemnité sert à payer les frais qu'il doit engager pour prendre part à ces activités. Comme commissaire de services policiers, il engage des frais semblables. M. Hancock a déclaré dans son témoignage que le commissaire de services policiers ou un membre de la commission de services policiers n'a pas droit à des indemnités en sus de celles qu'il peut recevoir comme conseiller.

Arguments

[9] L'intimée soutient qu'il y a plusieurs raisons pour lesquelles l'appel devrait être rejeté. Tout d'abord, la Ville a omis de tenir des registres contenant les renseignements permettant de déterminer le montant du remboursement auquel elle pouvait être admissible, ce qui est contraire au paragraphe 286(1) de la Loi. Les personnes qui demandent un remboursement doivent répondre aux mêmes critères stricts que les inscrits qui veulent obtenir un crédit de taxe sur les intrants en vertu des articles 169 et 170 de la Loi[2].

[10] L'intimée fait valoir que l'article 174 est une disposition déterminative ayant pour effet de permettre à un employeur de demander un crédit de taxe sur les intrants en vertu de l'article 169 de la Loi ou un remboursement en vertu de l'article 259 à l'égard d'une indemnité versée pour certaines dépenses, tout comme si l'employeur avait engagé directement les dépenses[3]. L'article 174 assure une parité de traitement entre un employeur qui paie de la TPS à l'égard de fournitures taxables acquises directement et un employeur qui verse une indemnité à un employé qui utilise l'indemnité pour acquérir des fournitures taxables relativement aux activités de son employeur et pour payer de la TPS lorsqu'il acquiert les fournitures taxables. Dans l'un ou l'autre cas, l'employeur a effectivement payé de la TPS à l'égard de l'acquisition des fournitures[4].

[11] L'avocate de l'intimée concède qu'un employé n'est pas tenu de présenter des factures ou reçus à un employeur pour étayer le fait qu'il a effectivement dépensé le montant de l'indemnité. La partie non imposable des honoraires constitue une véritable allocation. Dans l'affaire The Queen v. Pascoe, 75 DTC 5427, à la page 5428, le juge Pratte, parlant pour la Cour d'appel fédérale, a statué ceci :

[...] une allocation est une somme d'argent limitée et déterminée à l'avance, versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à certains types de dépenses; sa quotité est établie à l'avance et celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à rendre à personne.

[12] L'article 174 de la Loi, dit l'avocate de l'intimée, exige de l'employeur qu'il établisse la nature et le but ou l'objet de l'indemnité, c'est-à-dire qu'il établisse que l'indemnité était versée pour que l'employé acquière des fournitures taxables relativement à des activités exercées par l'employeur.

[13] La déclaration générale du règlement municipal 223-88 de la Ville selon laquelle le tiers du traitement de l'employé “ est réputé versé à titre de remboursement des dépenses afférentes à l'exercice ” des fonctions de l'agent municipal ne suffit pas pour démontrer qu'il y a conformité avec le sous-alinéa 174a)(i) [ou l'alinéa 174b)] de la Loi, insiste l'avocate, et cela ne correspond pas à la tenue de registres au sens du paragraphe 286(1) de la Loi. L'objet déclaré de l'indemnité est trop vague, prétend l'intimée.

[14] De l'avis de l'intimée, pour que l'employeur démontre qu'il y a conformité avec le sous-alinéa 174a)(i) [et l'alinéa 174b)], il serait approprié que les livres et registres de l'employeur indiquent le type de dépenses que l'employeur avait à l'esprit en fixant l'indemnité (soit le type de fournitures que l'employeur entendait que l'employé acquière avec l'indemnité), le statut fiscal de ces fournitures (fournitures taxables, détaxées ou exonérées) et la façon dont le montant de l'indemnité a été déterminé ou calculé par l'employeur.

[15] L'avocate de l'intimée disait qu'il serait approprié que les livres et registres de l'employeur reflètent le fait que cette information a été communiquée à l'employé avant que l'indemnité lui soit effectivement versée ou du moins à l'époque du versement effectif de l'indemnité à l'employé.

[16] Par exemple, soutient l'avocate, un employeur pourrait avoir une description de poste écrite détaillant les fonctions d'un employé et pourrait avoir une politique écrite concernant le calcul et le paiement d'une indemnité versée à l'employé pour permettre à ce dernier de remplir les fonctions particulières de l'emploi (p. ex. une indemnité journalière de repas, une allocation de déplacement fondée sur le nombre de kilomètres parcourus, une allocation de frais de taxi basée sur une estimation du nombre et de la durée des déplacements, etc.). Cela garantirait que l'indemnité versée à l'agent municipal était versée pour des fournitures dont la totalité, ou presque, sont des fournitures taxables, sauf des fournitures détaxées, de biens acquis au Canada par l'agent municipal relativement aux activités de la Ville; sous-alinéa 174a)(i).

[17] La thèse de l'intimée est qu'une indemnité peut viser une fin particulière et qu'un employeur peut déterminer le montant de l'indemnité par rapport à des dépenses ou frais moyens ou prévus. Cela, dit l'avocate, est reconnu par les tribunaux dans des jugements comme Pascoe, précité, Byers v. M.N.R., 85 DTC 129 (C.C.I.), à la page 131, A.G. Canada v. MacDonald, 94 DTC 6262 (C.A.F.), à la page 6264, et North Waterloo Publishing Ltd. v. The Queen, 1998 CanRepNat 167 (C.A.F.), à la page 2, paragraphe 1.

[18] L'avocate dit, à l'appui de cette proposition, que le paragraphe 243(3) de la Loi sur les municipalités de l'Ontario permet expressément au conseil d'une municipalité d'adopter un règlement prévoyant le paiement de montants précis “ calculés selon un tarif donné ” au lieu du montant des dépenses réellement engagées “ pour les postes de dépense prévus au règlement municipal si le conseil estime que les montants ou tarifs prévus correspondent raisonnablement aux dépenses réelles susceptibles d'être engagées ”.

[19] L'intimée soutient en outre que les montants des indemnités ne seraient pas déductibles si l'appelante était un contribuable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu et que l'activité était une entreprise, car le montant de l'indemnité n'est pas raisonnable dans les circonstances, de sorte que la déduction du montant de l'indemnité serait interdite : article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[20] L'intimée soutient que les indemnités en cause n'étaient pas des allocations raisonnables, car : a) il n'y avait pas de frais prédéterminés pour lesquels les indemnités étaient versées; b) le montant des indemnités n'a pas été déterminé ou calculé par rapport à des dépenses ou frais estimatifs ou prévus; c) l'indemnité a arbitrairement été fixée au tiers de ce qui serait par ailleurs le traitement de tous les agents municipaux, au lieu d'être déterminée sur une base individuelle pour chaque agent selon les circonstances propres à chacun. Donc, à supposer que l'appelante soit un contribuable aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, elle ne serait pas admissible à une déduction à l'égard des indemnités dans le calcul de son revenu aux fins de cette loi. Ainsi, l'appelante n'a pas satisfait non plus aux exigences de l'alinéa 174b) de la Loi.

[21] En vertu du paragraphe 81(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, quand un conseiller élu d'une corporation municipale, d'une commission municipale de services d'utilité publique ou d'un autre organisme similaire ou un membre d'une commission scolaire (“ organisme public ”) a reçu de cet organisme public une allocation pour les “ dépenses occasionnées par l'exercice de ses fonctions comme conseiller ou membre ”, cette allocation n'est pas incluse dans le calcul de son revenu si le montant de l'allocation ne dépasse pas la moitié du traitement ou autre rémunération qu'il a reçu de l'organisme public[5], c'est-à-dire le tiers du total du montant de l'allocation et du traitement ou autre rémunération.

[22] Il faut garder à l'esprit qu'un membre élu d'un conseil municipal ou d'une commission municipale ou un membre élu d'une commission scolaire publique ou séparée n'est pas un salarié typique[6]. Il travaille pour un organisme public, et il ne s'agit pas d'une relation employeur-employé traditionnelle. Il est élu pour un mandat d’une durée déterminée pour représenter le public. Durant son mandat, personne ne supervise son travail ou ne lui dit comment l'accomplir[7]. Chacun a sa propre façon de représenter les électeurs et de remplir les fonctions pour lesquelles il a été élu. L'employeur n'a pas affaire à des salariés qu'il peut embaucher, superviser et congédier comme cela se ferait normalement. Un agent élu n'est pas une personne à qui l'employeur donne une description de poste et accorde une indemnité prévue par règlement de façon à lui permettre de remplir les fonctions du poste. Comme diraient les jeunes d'aujourd'hui, Revenu Canada devrait revenir sur terre. Un agent élu d'une municipalité ou commission municipale ou un membre d'une commission scolaire est une “ personne qui est investie d'une partie des fonctions des pouvoirs publics, soit des fonctions devant être exercées au profit du public ”[8]. Dans ces circonstances, il faut raisonnablement présumer que les agents municipaux respecteront l'objet de l'indemnité qui est énoncé dans la loi provinciale autorisant l'indemnité et qui est énoncé, pour ce qui est de la présente espèce, dans le règlement de la Ville accordant l'indemnité. Ces personnes doivent avoir une latitude dans l'utilisation de l'indemnité pour s'acquitter des fonctions de leur charge du mieux qu'elles peuvent. Ce qui ne veut pas dire que le conseil municipal ou autre organisme public ne peut, par voie de règlement ou de résolution, imposer d'autres limites raisonnables quant à la manière dont l'indemnité peut être dépensée, pourvu que la personne élue dépense l'indemnité dans l'exercice de ses fonctions comme agent ou membre. Dans la présente espèce, la restriction imposée par la Loi sur les municipalités, à savoir que l'indemnité est versée pour des dépenses afférentes à l'exercice des fonctions d'agent, est suffisante aux fins de l'article 174 de la Loi. Il n'y a aucune raison de croire que, normalement, l'indemnité ne sera pas dépensée pour des fournitures taxables au Canada.

[23] La Loi de l'impôt sur le revenu traite au paragraphe 81(3) d'une personne qui a reçu une allocation “ pour les dépenses occasionnées par l'exercice de ses fonctions comme conseiller ou membre ”. L'avocate de l'intimée m'a renvoyé au paragraphe 243(3) de la Loi sur les municipalités à l'appui de la proposition selon laquelle un conseil municipal peut adopter un règlement prévoyant le paiement de montants précis calculés selon un tarif donné au lieu du montant des dépenses réellement engagées. L'avocate de l'intimée était confortée dans sa thèse par le paragraphe 243(3) : le règlement municipal 223-88 de la Ville aurait pu et aurait dû suivre la disposition législative. Cependant, l'article 255[9] de la Loi sur les municipalités dispose que, lorsqu'un membre élu du conseil d'une municipalité ou d'un conseil local reçoit, en vertu d'un règlement municipal ou d'une résolution du conseil ou du conseil local, un traitement ou une autre rémunération, le tiers de ce montant est “ réputé versé à titre de remboursement des dépenses afférentes à l'exercice de ses fonctions ”, soit un libellé qui fait penser à celui du paragraphe 81(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'article 243 de la Loi sur les municipalités s'applique à tous les salariés d'une municipalité régie par cette loi, qu'il s'agisse de personnes élues ou de personnes embauchées dans le cadre d'une relation employeur-employé traditionnelle. L'article 255 de la Loi sur les municipalités ne s'applique qu'aux salariés qui sont des personnes élues.

[24] Le montant de cette indemnité était prédéterminé, de sorte que le bénéficiaire, soit une personne élue, puisse payer des dépenses afférentes à l'exercice de ses fonctions, et le bénéficiaire a la latitude nécessaire pour dépenser ce montant aux fins visées : voir l'affaire Pascoe, précitée. Revenu Canada en demande plus que ce que demande la loi en insistant pour qu’il y ait davantage que cela. Il n'y a rien d'imprécis dans la loi provinciale autorisant l'indemnité.

[25] La Loi sur les municipalités et le règlement municipal 223-88 de la Ville disposaient tous deux que l'indemnité était versée pour les dépenses de l'agent élu afférentes à l'exercice de ses fonctions. Dans la présente espèce, cela est à mon avis suffisant — vu la nature particulière de la relation véritable existant entre l'employeur et la personne élue — pour convaincre une personne raisonnable que l'indemnité était versée pour des fournitures dont la totalité, ou presque, sont des fournitures taxables, sauf des fournitures détaxées, de biens ou de services que l'agent municipal a acquis au Canada relativement aux activités exercées par l'employeur. Quelle que soit la mesure dans laquelle une partie quelconque de l'indemnité était versée pour l'utilisation d'un véhicule automobile, il est clair que l'utilisation du véhicule était faite au Canada et était liée aux activités de la Ville.

[26] Je ne peux conclure que le montant de l'indemnité n'était pas raisonnable. Le montant de l'indemnité par rapport à la rémunération totale payée est autorisé par la Loi sur les municipalités et est sanctionné par la Loi de l'impôt sur le revenu. Le Parlement du Canada et l'assemblée législative de l'Ontario étaient manifestement d'avis que l'indemnité était appropriée et raisonnable. L'indemnité dépend de la rémunération totale qu'un agent élu reçoit de la municipalité ou d’un autre organisme public. Lorsque à la fois le Parlement et l'assemblée législative provinciale approuvent et exonèrent d'impôt une part précise du montant de la rémunération versée à un tel salarié, les tribunaux doivent être des plus réticents à conclure qu'un tel montant peut représenter des dépenses déraisonnables pour l'employeur.

[27] L'appel est accueilli, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 1998.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Le passage de l'article 174 qui est en litige se lit comme suit :

                   Pour l'application de la présente partie, une personne est réputée avoir reçu la fourniture d'un bien ou d'un service dans le cas où, à la fois :

                a) la personne verse une indemnité à l'un de ses salariés [...] ou à l'un de ses bénévoles si elle est un organisme de bienfaisance ou une institution publique :

                (i) soit pour des fournitures dont la totalité, ou presque, sont des fournitures taxables, sauf des fournitures détaxées, de biens ou de services que le salarié, l'associé ou le bénévole a acquis au Canada relativement à des activités qu'elle exerce,
(ii) soit pour utilisation au Canada d'un véhicule à moteur relativement à des activités qu'elle exerce;

                        b) un montant au titre de l'indemnité est déductible dans le calcul du revenu de la personne pour une année d'imposition en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou le serait si elle était un contribuable aux termes de cette loi et l'activité, une entreprise;

                        c) lorsque l'indemnité constitue une allocation à laquelle les sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi), (vii) ou (vii.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliqueraient si l'indemnité était une allocation raisonnable aux fins de ces sous-alinéas, les conditions suivantes sont remplies :

                                [...]

                                (ii) si la personne est un organisme de bienfaisance ou une institution publique et que l'indemnité est versée à l'un de ses bénévoles, ces sous-alinéas s'appliqueraient si le bénévole était un salarié de la personne,

                                (iii) la personne considère, au moment du versement de l'indemnité, que celle-ci est une allocation raisonnable aux fins de ces sous-alinéas,

                                (iv) il est raisonnable que la personne l'ait considérée ainsi à ce moment.

                De plus : [...]

[2]               Voir, par exemple, l'affaire San Clara Holdings Ltd. v. the Queen, [1994] G.S.T.C. 84, à la page 84-3, concernant le paragraphe 169(4) de la Loi, et l'affaire Metro Exteriors Ltd. v. the Queen, [1995] G.S.T.C. 62, à la page 62-5.

[3]               Projet de loi C-62 — Notes explicatives, 15 mai 1990, p. 63, et Projet de loi C-70 — Notes explicatives, juillet 1997, p. 269.

[4]               Canada GST Service, vol. C2, pp. 174-105-106.

[5]               Le paragraphe 81(3) se lit comme suit :

Lorsque

a) un conseiller élu d'une corporation municipale,

b) un conseiller d'une commission municipale de services d'utilité publique, d'une corporation ou de tout autre organisme administratif similaire, qui est élu par le peuple, ou

c) un membre d'une commission scolaire publique ou séparée ou de tout organisme similaire administrant un district scolaire,

a reçu de la municipalité ou de l'organisme, dont il est conseiller ou membre, (appelé “employeur” au présent paragraphe) une allocation, dans une année d'imposition, pour les dépenses occasionnées par l'exercice de ses fonctions comme conseiller ou membre, cette allocation n'est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l'année; toutefois, si elle dépasse la moitié du montant qui lui a été versé dans l'année par son employeur à titre de traitement ou autre rémunération comme conseiller ou membre, seul est inclus, dans le calcul de son revenu pour l'année, l'excédent de cette allocation sur la moitié du montant ainsi versé à titre de traitement ou de rémunération.

[6]               Dans les présents motifs, je renvoie fréquemment aux agents “ élus ” de la municipalité, car je me préoccupe de l'article 255 de la Loi sur les municipalités de l'Ontario, cité plus loin, et du règlement municipal 223-88 de la Ville. L'article 255 renvoie expressément à “ un membre élu du conseil [...] ou d'un conseil local ”. Le règlement municipal 223-88 dit entre autres que le tiers des honoraires annuels versés à chaque membre du conseil, de la commission des services publics et de la commission de services policiers de la Ville représente des dépenses afférentes à l'exercice des fonctions respectives de chacun. Je présume que les membres de la commission des services publics et de la commission de services policiers de la Ville sont élus, sinon, ils n'ont pas légalement le droit de recevoir une telle indemnité.

[7]               Évidemment, à la fin de leur mandat, les agents élus peuvent se présenter à nouveau pour être réélus et, si les citoyens n'approuvent pas les mesures qu'ils ont prises durant leur mandat, ils seront défaits aux élections.

[8]               City of Louisville v. Wilson, 99 Ky. 604, 36 S.W. 944, 18 Ky. Law Rep. 427; Fox v. Lantrip, 162 Ky. 178, 172 S.W. 133; Bd. Drainage Com'rs McCracken; County v. Lang, 187 Ky .123, 218 S.W. 736; 46 C.J.s.2, p. 922, soit toutes des affaires citées dans Bd of Education of Boyle County v. McChesney, 235 Ky. 692, 32 S.W. 2d 2b (C.A.).

[9]               L'article 255 se lit comme suit :

Malgré la présente loi ou toute autre loi générale ou spéciale, lorsqu'un membre élu du conseil d'une municipalité ou d'un conseil local au sens de la Loi sur les affaires municipales reçoit, en vertu d'un règlement municipal ou d'une résolution du conseil ou du conseil local, un traitement, une indemnité ou une autre rémunération, le tiers de ce montant est réputé versé à titre de remboursement des dépenses afférentes à l'exercice de ses fonctions.

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