Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19971211

Dossier: 96-3554-IT-I

ENTRE :

ANDRÉ SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Tremblay, J.C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu le 16 octobre 1997 à Chicoutimi (Québec).

Point en litige

[2] Selon l'avis d'appel et la réponse à l'avis d'appel, il s'agit de savoir si l'appelant est bien fondé au cours des années 1990, 1991 et 1992 de ne pas inclure dans le calcul de son revenu les sommes de 712 $, 7 610 $ et 6 026 $ respectivement et si l'intimée est bien fondée d'imposer les pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”). Selon l'intimée, il s'agirait de rémunération pour du travail fait au noir effectué selon les informations reçues des administrateurs de l'employeur, soit la compagnie à numéro 2841-3185 Québec Inc. opérant sous la raison sociale Carl-Bec Enr. (“Carl-Bec”)

[3] L'appelant soutient pour sa part avoir déclaré adéquatement ses revenus. Les actionnaires de Carl-Bec Enr., Denis Lavoie et Rénald Dubé se seraient volatilisés. L'appelant, suite à une plainte auprès de l'Office de la construction du Québec (“O.C.Q.”) et une enquête de cette dernière, lui aurait remis 1 100 $ d'un fonds d'indemnisation. La crédibilité des administrateurs du payeur est fortement mise en doute. On lui devrait d'autres sommes.

Fardeau de preuve

[4] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national[[1].

[5] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à h) du paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit:

4. Pour établir ces nouvelles cotisations, le Ministre a pris notamment pour acquis les faits suivants :

a. au cours des années sous appel, l'appelant était à l'emploi de la compagnie 2841-3185 Québec Inc. opérant sous la raison sociale de Carlbec Enr. (“l'employeur”); [admis]

b. au cours de l'année 1993, le ministre a procédé à une enquête exhaustive des affaires de l'employeur; [admis]

c. cette enquête a permis de déceler que :

i. des cartes de temps et/ou feuilles de temps démontrant les heures travaillées, ne figuraient pas aux livres de l'employeur; [ignoré]

ii. des chèques ont été émis pour rémunérer les employés payés “au noir”; [nié]

iii. les heures payées “au noir” n'étaient pas inscrites aux livres de l'employeur; [ignoré]

d. les administrateurs de l'employeur ont affirmé au ministre qu'il s'agissait effectivement de salaire rémunéré “au noir”; [ignoré]

e. des feuillets de renseignements T4 provenant de l'employeur ont été compilés par le ministre; [ignoré]

f. à la suite de la vérification, le ministre a ajouté aux revenus d'emploi de l'appelant les montants de 712 $ pour l'année d'imposition 1990, de 7 610 $ pour l'année d'imposition 1991 et de 6 026 $ pour l'année d'imposition 1992;[admis]

g. l'appelant, sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, a fait, participé, consenti ou acquiescé à un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992 avec la conséquence que l'impôt qui aurait été payable par l'appelant, s'il avait été établi d'après les renseignements fournis dans ses déclarations, aurait été inférieur de moins de 200 $ pour l'année d'imposition 1990, de 1 460,75 $ pour l'année d'imposition 1991 et de 1 027,37 $ pour l'année d'imposition 1992 à l'impôt effectivement payable; [nié]

h. en conséquence, la pénalité imposée à l'appelant selon le paragraphe 163(2) de la Loi se monte à un montant non inférieur à 100 $ pour l'année d'imposition 1990 et à 741,88 $ pour l'année d'imposition 1991 et à 513,68 $ pour l'année d'imposition 1992. [nié]

Faits mis en preuve

[6] Suite à l'admission des faits ci-dessus, la preuve a été complétée par les témoignages de l'appelant et de messieurs Sylvain Brisson et Richard Pelchat, enquêteurs de l'intimée et par la production des pièces A-1 à A-3 et I-1 et I-2.

[7] L'appelant est charpentier menuisier de métier. Durant les années 1990, 1991 et 1992, il a travaillé pour le payeur Carlbec Enr. de mai-juin jusqu'à l'automne tard, soit à la fin des travaux de la construction.

[8] Il travaillait comme responsable de chantier, c'est-à-dire contremaître et à ce titre, il était supposé recevoir 1,50 $ de l'heure de plus que les hommes de métiers, à la suite d’une entente avec le payeur. Toutefois il n'a jamais été payé à cet effet. De plus, il fournissait des outils que n'avait pas le payeur : marteau, pilon, échelles, etc., il devait être rémunéré aussi à cet effet et il n'a jamais rien reçu.

[9] Pendant les années en cause, il soutient n'avoir reçu du payeur que les sommes de 7 635 $ en 1990, de 12 596 $ en 1991 et de 10 158 $ en 1992. L'appelant est catégorique à l’effet qu’il n'a jamais reçu d'argent pour du travail au noir - ce n'est pas à son avantage, d'ailleurs. À son âge, plus de 60 ans, il a tout intérêt à travailler selon les normes pour bénéficier par la suite du régime de rentes et de tous les avantages sociaux.

[10] En mars 1993, il a travaillé à Alma pour le payeur. On lui promettait qu'avec ce que le payeur recevrait, on pourrait lui verser les sommes dues relativement au 1,50 $ de plus de l'heure et à la location d'outils. Recevant des prestations d'assurance-chômage, il a déclaré ce salaire à Emploi et Immigration Canada. Ainsi, il n'a reçu aucune prestation d'assurance-chômage pour la semaine en question. De plus, le payeur lui avait remis un chèque qui s'est avéré être un chèque sans provision (N.S.F.).

[11] L'appelant a fait un rapport à l'Office de la construction du Québec. Sous la pièce A-3, un document de l'O.C.Q. résume ainsi la plainte de l'appelant : “Il réclame les montants de vacances et avantages sociaux qui s'y rapportent également la paie du 13 au 20 mars 1993 qui n'a pas été payée du tout.”

[12] Dans son Avis d'appel, l’appelant résume le fait expliqué d'ailleurs à la Cour :

Pour les sommes dues de mes vacances de la construction de juillet 1993, cet employeur m'a versé seulement 79 $. J'ai fait des démarches auprès de l'O.C.Q. J'ai reçu un paiement de 1 100 $ du fonds d'indemnisation de l'O.C.Q. Je n'ai pas encore reçu le montant payable en décembre 1993 pour mes vacances d'hiver. Le fonds d'indemnisation de l'O.C.Q. mène une enquête afin que le dossier “Les Entreprises Carl-Bec Enr.” soit à jour et ainsi régulariser son compte.

[13] Sous la pièce A-1, a été produit le rapport de paie concernant le travail effectué en mars 1993. Il a reçu un chèque de 404,01 $ net. Le brut était de 808,44 $.

[14] Sous la pièce A-2, il appert du rapport de l'O.C.Q.daté du 25 août 1997 que l'appelant a reçu du fonds d'indemnisation la somme de 1 452,64 $.

[15] L'extrait suivant de son Avis d'appel résume bien aussi une partie de son témoignage :

À maintes reprises, j'ai essayé, en vain, de communiquer avec l'employeur, afin d'avoir une explication pour justifier l'écart de revenus. Je n'ai jamais réussi à lui parler ou à le voir. Cette entreprise en construction générale n'existe plus, il y avait deux actionnaires, soit Denis Lavoie et Rénald Dubé. Je me suis présenté au bureau de l'entreprise il n'y a plus rien. Au cours de l'été, j'ai entrevu Rénald Dubé sur un chantier de travail, mais dès qu'il m'a aperçu, il s'est volatilisé. Par la suite, j'ai persisté à vouloir le rencontrer à intervalles réguliers, et mes démarches restent toujours nulles. Il serait devenu entrepreneur électricien.

Contre-interrogatoire

[16] Le témoin déclare avoir travaillé pour le payeur, entre autres, A. Délisle pour l'agrandissement d'un établissement pour personnes âgées; aussi à Chicoutimi et ailleurs.

[17] Le payeur avait une quinzaine d'employés en tout : menuisiers, plastreurs, électriciens. Le payeur remplissait la carte de temps des employés et la sienne. La paie était remise tous les jeudis. Le payeur aurait changé deux fois de comptables.

[18] Relativement à la location de ses outils, il devait être payé au prix du centre de location des outils.

[19] Suite à l'enquête de l'intimée, et à l'émission des nouvelles cotisations, l'appelant a dû prendre entente de payer 30 $ par mois.

[20] En terminant, l'appelant réitère avec force n'avoir jamais travaillé au noir, ni avoir reçu d'autre somme du payeur que celles de 7 635 $ en 1990, de 12 596 $ en 1991 et de 10 158 $ en 1992.

[21] Le témoin de l'intimée, M. Sylvain Brisson, enquêteur aux enquêtes spéciales à Revenu Canada, témoigne que suite à certains indices perçus dans les dossiers du payeur et à une enquête plus approfondie, il s'est avéré que les deux actionnaires faisaient des sorties de fonds substantielles à l’ordre de caisse dans le compte de banque du payeur à la Banque Royale d'Alma. Au retour chez le payeur, le chèque était modifié en remplaçant le mot “caisse” par le nom de fournisseurs, forgeant ainsi de fausses factures. Le but était vraisemblablement d'obtenir de l'argent liquide en vue de payer des salaires pour du travail au noir. Les deux actionnaires auraient collaboré avec les enquêteurs de l’intimée et fourni les photocopies des microfilms de chèques faits à l'ordre de caisse. Les enquêteurs ont obtenu les noms des personnes qui auraient travaillé au noir, avec leur numéro d'assurance sociale et la somme reçue par chacune d’elles. Les enquêteurs ont vu les chèques, en ont noté les numéros et les montants, mais n'en ont photocopié ni le recto ni le verso.

[22] Sous la pièce I-1, ont été produits relativement aux années 1990 et 1991 les éléments suivants des sommes reçues au noir par l'appelant tant pour des heures travaillées que pour des remboursements de dépenses ou de location d'outils et de formes.

[23] En 1990, trois chèques ont été émis pour 43,5 heures de travail au noir totalisant 696 $ et cinq chèques en paiement d'essence et de transport d'employés, se chiffrant à 519 $. Ce dernier montant n'a pas été inclus au revenu de l'appelant.

[24] En 1991, vingt deux (22) chèques ont été émis pour 388 heures au noir au montant de 7 610 $. De plus, quatre chèques ont été émis totalisant 2 309,92 $ pour le remplacement de deux chèques sans provision et pour la location de formes et d'outils. Ce dernier montant n'a pas été inclus au revenu de l'appelant.

[25] Pour l'année 1992, sous la pièce I-2, le procureur de l’intimée a produit une liste de 13 chèques présumément faits à l'ordre de l'appelant, montrant les primes d'assurance-chômage, le tout au montant de 6 026 $.

[26] M. Richard Pelchat, vérificateur de Revenu Canada au bureau de Chicoutimi, a confirmé le témoignage de M. Brisson tant au sujet du stratagème des sommes sorties de la banque à l'ordre de caisse qu'au sujet du fait que c'est volontairement que les deux actionnaires ont donné les informations.

Réinterrogatoire

[27] En réinterrogatoire, l'appelant a nié avoir jamais reçu les montants qui apparaissent sur les pièces I-1 et I-2, tant pour le travail au noir que pour les autres paiements relatifs à l'essence et au transport au montant de 519 $ que pour les locations de formes et d'outils.

[28] Selon lui, il n'a jamais fourni de formes. Ces dernières étaient fournies par la firme Morel & Frères.

Loi - Analyse

[29] L'intimée, pour émettre ses cotisations, s'est appuyée sur les dispositions 3, 5(1) et 163(2) de la Loi.

[30] Le principe bien établi que le contribuable a le fardeau de la preuve a des limites.

[31] Dans la présente affaire, l'intimée a eu en mains tous les chèques, tant ceux qui prouvent le travail au noir que ceux démontrant les remboursements de dépenses. Or, les représentants de l’intimée n'ont pas conservé ces chèques ni n'en ont fait des photocopies recto verso. L'intimée aussi est soumise à la règle de la meilleure preuve. Quelle belle preuve que ces chèques faits à l'ordre de l'appelant et endossés par lui. Du moins, l'appelant et la Cour auraient pu vérifier. Comment les témoins de l'intimée pouvaient-ils, en regardant l'endos des chèques, décider qu'il s'agissait bien de la signature de l'appelant. De plus, suite au stratagème utilisé par les actionnaires du payeur pour sortir de l'argent du compte de banque de la Compagnie, falsifiant par la suite les noms de fournisseurs pour essayer de justifier la dépense, comment ne pas penser qu'ils auraient pu, en imitant la signature de l'appelant, signature prise à l'endos des vrais chèques de paie, signer eux-mêmes les chèques de l'appelant, tout est possible.

[32] Les deux actionnaires, en collaborant avec l'intimée et en disant qu'il s'agissait de l'argent pour payer du travail au noir, n'ont pas nécessairement fait acte de vertu, c'était une belle porte de sortie. N'eût été cette porte de sortie, en effet tout l'argent soutiré du compte de banque aurait été taxé entre leurs mains.

[33] Enfin, pourquoi messieurs Denis Lavoie et Rénald Dubé n'ont-ils pas été appelés à la barre des témoins par l'intimée. Cette dernière pouvait le faire, tandis que pour l'appelant, les oiseaux se volatilisaient.

[34] L'intimée a manqué une trop belle chance de faire la meilleure preuve pour que la Cour en fasse retomber les conséquences sur les épaules de l'appelant.

[35] De plus, il va sans dire que la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi devient sans fondement.

Conclusion

[36] L'appel est accordé avec frais.

Signé à Québec (Québec), le 11 décembre 1997.

“ Guy Tremblay ”

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.