Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980930

Dossier: 98-86-UI

ENTRE :

ROBERT TROTTER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Il s'agit de savoir en l'espèce si, dans la prestation de certains services pour la province de Colombie-Britannique, l'appelant exerçait un emploi assurable au cours de la période allant du 13 mai 1994 au 18 novembre 1996. L'appelant, qui a été le seul témoin, a décrit les services qu'il fournissait.

[2] Le 13 mai 1994, l'appelant avait commencé à travailler au centre de contrôle de la circulation routière (Traffic Engineering Centre) du ministère de la voirie et du transport de la Colombie-Britannique. Sa principale tâche consistait à réparer du matériel de contrôle électronique de feux de circulation. Il effectuait en outre des tests d'acceptation portant sur le nouveau matériel et remplissait des tâches connexes. Pour ce qui est de la rétribution, il était payé comme entrepreneur, c'est-à-dire à l'acte, et non comme employé. Au début, il était payé à la pièce, selon un taux déterminé pour chaque travail. Après quelques mois, il est passé à un taux horaire de 20,50 $. Ce taux a par la suite été porté à 22 $ l'heure, soit le taux qui était le sien en mars 1997, lorsque s'est terminé le travail qu'il accomplissait au Traffic Engineering Centre (“ TEC ”).

[3] À toutes les deux semaines, il présentait au TEC une facture, qui indiquait initialement le nombre de tâches qu'il avait accomplies multiplié par le taux à la pièce; ultérieurement, la facture indiquait le nombre d'heures qu'il avait travaillées multiplié par le taux horaire. Il recevait toujours le montant brut de sa facture, sans qu'il y ait eu de retenue à la source concernant l'impôt sur le revenu, les cotisations au Régime de pensions du Canada ou les cotisations d'assurance-chômage. Quatre autres personnes étaient dans la même situation que l'appelant, c'est-à-dire qu'elles fournissaient le même genre de services. Elles travaillaient 35 heures par semaine, comme tous les employés permanents du TEC; par ailleurs, elles étaient toutes autorisées à travailler 40 heures par semaine et à accumuler les 5 heures supplémentaires en vue de les échanger contre des congés supplémentaires. L'appelant a dit que, sauf pour ce qui est de la rétribution (il recevait une paye brute, sans aucune retenue à la source), il était traité comme un employé permanent en ce sens que, s'il arrivait en retard au travail ou qu'il faisait une pause trop longue le midi, il était critiqué.

[4] En 1996, le ministère de la voirie et du transport avait décidé de transférer le TEC de Victoria à Delta, dans la vallée du bas Fraser, juste au sud de New Westminster. La plupart des employés permanents ne voulaient pas travailler à Delta et avaient demandé à être mutés dans un autre ministère de la région de Victoria. Comme entrepreneur, l'appelant n'aurait pas été muté et aurait perdu son travail. Le 17 septembre 1996, lui et deux autres hommes accomplissant un travail semblable avaient déposé des griefs en vertu de la partie 8 du code des relations de travail de la Colombie-Britannique. Les griefs ont été réglés par voie d'arbitrage entre le gouvernement de la Colombie-Britannique (en tant qu'employeur) et le syndicat des fonctionnaires provinciaux de la Colombie-Britannique (représentant l'appelant et deux autres personnes).

[5] La sentence arbitrale (soit une décision de quatre pages), qui est jointe à l'avis d'appel de l'appelant, a été déposée sous la cote A-1. Aux fins de l'arbitrage et sous toutes réserves, le gouvernement de la Colombie-Britannique (en tant qu'employeur) avait convenu que l'appelant et les deux autres personnes étaient des employés. L'employeur a toutefois contesté l'arbitrage pour le motif que les trois griefs avaient été déposés en retard, c'est-à-dire après le délai de 30 jours prévu dans la convention collective pour le dépôt d'un grief. L'arbitre n'a pas rejeté le grief comme ayant été déposé en retard, parce que la façon dont l'employeur avait traité les trois personnes représentait un manquement continu aux dispositions de la convention collective. Ainsi, l'arbitre a limité le redressement pouvant être accordé et a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

a) Les plaignants sont des employés et non des entrepreneurs du gouvernement de la Colombie-Britannique;

b) les plaignants ont le statut d'employés auxiliaires au 19 novembre 1996, soit 30 jours avant la date du dépôt de ce grief.

[6] L'appelant se fonde sur la décision de l'arbitre et sur la concession de la province, faite “ sous toutes réserves ”, pour faire valoir qu'il exerçait un emploi assurable tout au long de la période durant laquelle il a travaillé au TEC (soit du 17 mai 1994 au 13 mars 1997). L'intimé concède que l'appelant exerçait un emploi assurable du 19 novembre 1996 au 13 mars 1997, lorsqu'il avait le statut d'“ employé auxiliaire ” conformément à la sentence arbitrale. L'intimé invoque la Loi sur l'assurance-chômage et la législation connexe pour soutenir que l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable du 17 mai 1994 au 18 novembre 1996. En vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, un emploi assurable est défini comme étant un emploi “ non compris dans les emplois exclus ”. Le paragraphe 3(2) dit :

3(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

e) tout emploi exercé au Canada et relevant de Sa Majesté du chef d'une province;

[7] La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada est autorisée par l'article 4 à prendre certains règlements :

4(1) La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre des règlements en vue d'inclure dans les emplois assurables :

[...]

d) tout emploi exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province, si le gouvernement de cette province convient de renoncer à l'exclusion et de faire assurer tous ses employés exerçant un tel emploi;

La partie II du Règlement sur l'assurance-chômage renferme les dispositions suivantes :

8(1) L'emploi exercé au Canada par les personnes au service de Sa Majesté du chef d'une province, qui, sauf l'exclusion prévue à l'alinéa 3(2)e) de la Loi, serait un emploi assurable, est inclus dans les emplois assurables, lorsque le gouvernement de la province conclut avec la Commission un accord par lequel elle convient de renoncer à l'exclusion et de faire assurer toutes les personnes qu'elle emploie.

8(2) Il demeure entendu, pour l'application du paragraphe (1), que les emplois exercés au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province comprennent exclusivement les emplois exercés au Canada par des personnes nommées et rétribuées en application de la loi régissant la fonction publique de la province ou qui sont au service d'une société, d'un office ou d'un autre organisme qui est, à toutes fins utiles, mandataire de Sa Majesté du chef de la province.

L'avocat de l'intimé a concédé dans sa plaidoirie que la province de Colombie-Britannique avait, conformément au paragraphe 8(1) du Règlement, convenu de faire assurer tous ses employés en vertu de la loi fédérale sur l'assurance-chômage. Ainsi, on a reconnu que l'appelant exerçait un “ emploi assurable ” à partir du 19 novembre 1996, date à laquelle il a été considéré comme étant un “ employé auxiliaire ” de la province. En fait, le règlement de la Colombie-Britannique 1/72, O.C. 4721/711, est le règlement sur l'assurance-chômage pris en application de la Public Service Act (loi régissant la fonction publique) :

[TRADUCTION]

1. Comme le prévoit l'alinéa 4(1)d) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage du Canada, le gouvernement de la Colombie-Britannique convient de l'application de cette loi à tous les employés du gouvernement de la province.

[8] Pour l'essentiel, le règlement de la Colombie-Britannique indique que la province a convenu de renoncer à la disposition relative aux “ emplois exclus ” qui figure à l'alinéa 3(2)e) de la Loi sur l'assurance-chômage concernant les “ employés du gouvernement de la province ”. D'après la sentence arbitrale, l'appelant n'était pas un employé auxiliaire du gouvernement de la province avant le 19 novembre 1996, bien que, en common law,il était probablement un employé, comme l'avait admis la province sous toutes réserves aux fins de l'arbitrage. À mon avis, même si je devais conclure que l'appelant était, en common law, un employé de la province à partir du 17 mai 1994, cette conclusion ne trancherait pas la question en faveur de l'appelant en raison de la restriction expressément prévue à l'alinéa 3(2)e) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[9] La partie de la législation qui me préoccupe le plus est le paragraphe 8(2) du règlement fédéral, précité, qui dit notamment :

8(2) Il demeure entendu, pour l'application du paragraphe (1), que les emplois exercés au Canada au service de Sa Majesté du chef d'une province comprennent exclusivement les emplois exercés au Canada par des personnes nommées et rétribuées en application de la loi régissant la fonction publique de la province [...]

Les termes “ Il demeure entendu ” sont importants, car ils précisent ce qui est dit au paragraphe 8(1) du règlement fédéral. En outre, le Règlement ne s'applique qu'aux “ personnes nommées et rétribuées en application de la loi régissant la fonction publique de la province ”. L'avocat de l'intimé a porté à mon attention les dispositions suivantes du Public Service Act de la Colombie-Britannique :

[TRADUCTION]

1 Dans la présente Loi :

“ employé ” désigne une personne nommée en vertu de la présente Loi autre qu'une personne nommée en vertu de l'article 15.

8(1) Sous réserve de l'article 10, les nominations à la fonction publique et au sein de celle-ci doivent :

a) se fonder sur le principe du mérite,

b) être le résultat d'un processus conçu pour évaluer les connaissances et aptitudes de candidats admissibles.

10 Sous réserve du règlement :

a) le paragraphe 8(1) ne s'applique pas à une nomination qui représente une mutation latérale ou une démotion;

b) l'alinéa 8(1)b) ne s'applique pas à ce qui suit :

(i) une nomination temporaire pour une période d'au plus 7 mois;

(ii) une nomination d'un employé auxiliaire;

(iii) une nomination directe faite par le commissaire dans des circonstances inusitées ou exceptionnelles.

[10] L'arbitre avait décidé que l'appelant était un “ employé auxiliaire ” à partir du 19 novembre 1996. L'arbitre ne pouvait rendre une décision concernant la période antérieure au 19 novembre 1996, en raison du délai de 30 jours prévu dans la convention collective pour le dépôt d'un grief. Pour ma part, je ne suis pas limité par ce délai de 30 jours. Je n'ai aucune difficulté à conclure que l'appelant était un employé de la province (exerçant un emploi en vertu d'un contrat de louage de services) durant toute la période pertinente où il travaillait au TEC. Ainsi, l'appelant serait considéré comme ayant exercé un “ emploi exclu ” en vertu de l'alinéa 3(2)e) si ce n'était de la disposition dérogatoire prévue à l'alinéa 4(1)d). Il est indéniable que la province de Colombie-Britannique a convenu de faire assurer tous ses employés aux fins de l'assurance-chômage. Voir le règlement de la Colombie-Britannique 1/72, O.C. 4721/711, précité. Donc, un emploi exercé par des employés de la province de Colombie-Britannique sort de la catégorie des “ emplois exclus ” pour entrer dans celle des “ emplois assurables ”.

[11] En ce qui a trait à l'alinéa 8(1)b) du Public Service Act de la Colombie-Britannique, l'appelant a reconnu que, lorsqu'il a pour la première fois été embauché, soit en mai 1994, il n'a pas été soumis à un processus conçu pour évaluer ses connaissances ou aptitudes. Eu égard au sous-alinéa 10b)(ii) du Public Service Act de la Colombie-Britannique, l'appelant a été considéré (par l'arbitre) comme étant un employé auxiliaire, de sorte que l'alinéa 8(1)b) ne s'appliquait pas à lui. Je conclurais donc que l'appelant a été nommé à la fonction publique de la Colombie-Britannique en vertu du Public Service Act (soit précisément en vertu de l'alinéa 8(1)a)), car sa nomination se fondait sur le mérite (c.-à-d. sa capacité de réparer du matériel de contrôle électronique) et son emploi a continué pendant 34 mois. Si l'appelant était une personne nommée et rétribuée comme employé auxiliaire “ en application de la loi régissant la fonction publique de la province ”, il entre dans le cadre des termes “ Il demeure entendu ” qui figurent au paragraphe 8(2) du Règlement sur l'assurance-chômage.

[12] Je conclus que le travail accompli par l'appelant au TEC représentait un emploi exercé en vertu d'un contrat de louage de services. L'appelant n'était pas un entrepreneur indépendant. Je conclus que l'emploi qu'il exerçait au TEC n'était pas un emploi exclu, car la province de Colombie-Britannique avait convenu de faire assurer tous ses employés au sens de l'alinéa 4(1)d) de la Loi sur l'assurance-chômage et des paragraphes 8(1) et 8(2) du Règlement sur l'assurance-chômage. L'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de septembre 1998.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour d'avril 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.