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Date: 19981026

Dossier: 97-1348-UI

ENTRE :

THUNDER BAY SYMPHONY ORCHESTRA ASSOCIATION INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appelante est une société de bienfaisance à but non lucratif constituée sous le régime des lois de l'Ontario, dont le bureau principal se trouve à Thunder Bay. Elle a pour unique objet de gérer le Thunder Bay Symphony Orchestra (appelée ci-après le “ TBSO ”), un orchestre symphonique. Le TBSO est formé d'un noyau de 30 musiciens environ qui sont engagés pour répéter et donner une série de concerts chaque saison, d'octobre à mai. L'appelante a toujours considéré ses musiciens comme des entrepreneurs autonomes et non comme des employés. En conséquence, elle n'a jamais retenu ni versé quelque montant que ce soit au titre de l'assurance-chômage sur la rétribution versée à ces musiciens, et elle n'a jamais versé de cotisations patronales.

[2] Au cours des années 1994 et 1995, l'appelante a engagé Jean-Christophe Guelpa comme violoncelliste pour jouer dans le TBSO. En janvier 1996, M. Guelpa a quitté le TBSO pour se joindre à l'Orchestre symphonique de Québec. En mai 1996, une fois la saison des concerts terminée, M. Guelpa a demandé des prestations d'assurance-chômage, présumant que son travail au TBSO avait été un emploi assurable. Lorsque sa demande de prestations a été refusée, il a demandé à Revenu Canada de statuer sur le caractère assurable de l'emploi qu'il avait occupé du 10 octobre 1994 au 28 avril 1995. Dans une lettre datée du 9 juillet 1996, Revenu Canada a décidé que l'emploi de M. Guelpa au TBSO était assurable aux fins de l'assurance-chômage.

[3] L'appelante a alors demandé qu'il soit statué sur la question de savoir si des cotisations d'assurance-chômage étaient payables sur la rémunération versée à M. Guelpa au cours de la période du 10 octobre 1994 au 28 avril 1995. Dans une lettre datée du 16 avril 1997, Revenu Canada a décidé que M. Guelpa avait été engagé par l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services, qu'il était un employé de l'appelante et que des cotisations étaient payables. L'appelante a interjeté appel à la Cour de cette décision de Revenu Canada. La question fondamentale en l'espèce est de savoir si, du 10 octobre 1994 au 28 avril 1995, M. Guelpa a été engagé par l'appelante comme entrepreneur autonome ou comme employé.

[4] La question en litige en l'espèce est d'un intérêt primordial pour l'appelante car le TBSO a un budget très serré, et l'obligation de payer la part de l'employeur des cotisations d'assurance-chômage. (maintenant l'assurance-emploi) pour tous les musiciens formant le noyau de l'orchestre représenterait pour l'appelante un lourd fardeau financier. L'appelante a appelé à témoigner les huit personnes suivantes, qui ont présenté des points de vue différents sur le fonctionnement du TBSO et le rôle des musiciens qui en forment le noyau :

Clinton Kuschak, directeur général du TSBO et de l'auditorium communautaire

Norman Slongo, secrétaire-trésorier du bureau de Thunder Bay (section locale 591) de la Fédération américaine

des musiciens

Michael Comuzzi, président de l'appelante et président de son conseil d'administration

Brenda Gilham, adjointe de direction du TSBO

Dominique Corbeil, membre de l'orchestre, violon

Marc Palmquist, membre de l'orchestre, violoncelle

Jeffrey Gibson, membre de l'orchestre, cor français

Jean-Christophe Guelpa, ancien membre de l'orchestre, violoncelle, maintenant à Québec

[5] M. Kuschak occupe un poste à temps partiel pour lequel il ne reçoit aucune rémunération. Il est directeur général depuis plus de 10 ans et relève du conseil d'administration de l'appelante. Il a déclaré que la fonction première du conseil consistait à recueillir les fonds nécessaires au fonctionnement de l'orchestre. Pour cette raison, l'appelante fonctionne toute l'année alors que la saison du TSBO compte huit mois et s'étend en général d'octobre à mai. Les 30 musiciens qui forment le noyau de l'orchestre sont engagés pour une durée déterminée, en général une saison complète, mais, dans des circonstances exceptionnelles, ils peuvent être engagés pour une demi-saison. Chaque musicien reçoit un cachet hebdomadaire fixe, payable toutes les deux semaines. Ce cachet rémunère sa participation aux répétitions et aux concerts. S'il doit s'absenter pour cause de maladie ou autre raison personnelle (par exemple pour passer une audition avec un autre orchestre), le musicien doit trouver un remplaçant.

[6] La ville de Thunder Bay a un bassin de musiciens talentueux qui, à l'occasion, peuvent jouer pour le TSBO. S'il est impossible de trouver sur place un remplaçant pour un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre qui doit s'absenter, on peut en faire venir un d'une autre ville. Comme tout orchestre, le TSBO compte davantage sur le jeu collectif des instrumentistes que sur l'identité d'un musicien en particulier, mais chaque musicien doit être de haut niveau.

[7] La pièce A-3 est une copie de l'entente cadre conclue le 18 septembre 1995 par l'appelante et la Thunder Bay Musicians' Association, section locale 591 de la Fédération américaine des musiciens, mais en vigueur du 1er septembre 1994 au 31 août 1997. L'entente cadre couvre la période en cause en l'espèce. M. Slongo a expliqué que la Fédération américaine des musiciens (“ FAM ”) était une association de musiciens professionnels visant à promouvoir la musique en direct et à protéger ses membres. Il a déclaré que la FAM n'était pas un syndicat au Canada et que l'expression “ section locale ” n'était qu'une désignation territoriale. Il croit que, malgré les apparences, la pièce A-3 n'est pas une convention collective. D'après M. Slongo, la pièce A-3 n'est pas une entente type, mais a été rédigée à partir de rien.

[8] L'annexe A de l'entente cadre (pièce A-3) est le genre de contrat de représentation que l'appelante conclut avec chacun des musiciens faisant partie du noyau de l'orchestre. Le contrat de représentation est un document d'une page qui contient des renseignements essentiels sur chacun des musiciens : son nom, son adresse et son N.A.S., l'instrument, la position du siège, les dates d'embauche (en général d'octobre à mai), le cachet hebdomadaire, le montant pour ancienneté (le cas échéant) et la provision totale. La pièce A-2 contient des copies d'environ 30 contrats de représentation signés pour la saison 1997-1998, de 25 contrats de représentation signés pour la saison 1996-1997 et de cinq contrats de représentation signés pour la saison 1995-1996. Chacune des copies que contient la pièce A-2 respecte la forme de l'annexe A de l'entente cadre. Le contrat de représentation conclu avec chaque musicien formant le noyau de l'orchestre est habituellement renouvelé annuellement. La pièce A-1 renferme le premier contrat de représentation qui a été conclu entre l'appelante et M. Guelpa pour la période du 11 janvier au 30 avril 1994, et le dernier contrat de représentation conclu avec M. Guelpa pour la période du 10 octobre 1995 au 28 avril 1996. En fait, M. Guelpa a quitté le TBSO en janvier 1996 pour aller travailler à Québec.

[9] Deux des témoins, M. Slongo et M. Palmquist, ont signé l'entente cadre (pièce A-3) pour le compte des musiciens. Avant d'analyser les dispositions de l'entente cadre, je résumerai les autres témoignages. La rétribution versée par l'appelante à chacun des musiciens faisant partie du noyau de l'orchestre était relativement peu élevée. Ainsi, la pièce A-2 indique qu'un musicien engagé pour la saison complète d'octobre 1996 à mai 1997 gagnait entre 14 500 $ et 18 800 $. Pour arrondir leur revenu, la plupart de ces musiciens faisant partie du noyau avaient une autre activité professionnelle : ils donnaient des cours particuliers, enseignaient dans un établissement d'enseignement comme une école secondaire, un collège communautaire ou une université, jouaient dans un orchestre local moins important ou faisaient des enregistrements. M. Palmquist a déclaré qu'il enseignait à l'Université Lakehead, qu'il jouait dans un trio local et qu'il donnait des cours particuliers à quelques élèves. Il estime que ces activités non liées au TBSO représentent de 30 à 40 p. 100 de son temps et de son revenu.

[10] L'appelante fournit les pupitres à musique pour les répétitions et les concerts et possède une bibliothèque bien garnie; pour certaines oeuvres, cependant, elle doit louer les partitions. Chaque membre de l'orchestre doit avoir son propre instrument, le garder en bon état et le tenir à niveau, sauf pour ce qui est du piano. Chaque musicien a également besoin d'un studio à domicile doté d'un pupitre à musique, d'un métronome, d'une bibliothèque, d'un matériel audio, de bandes magnétiques et de disques. Enfin, chaque membre doit avoir une tenue vestimentaire appropriée pour les concerts publics, selon la nature de la musique jouée. Dans le cas des hommes, il peut s'agir de la tenue de soirée ou du smoking et, pour les concerts donnés dans les écoles et pour les activités promotionnelles, d'un chandail aux couleurs du TSBO et de souliers de sport. De même, les musiciennes doivent porter un haut noir à manches longues et une jupe noire longue ou mi-mollet.

[11] M. Gibson, membre du TBSO (cor français), a déclaré que chaque musicien se perfectionne en-dehors de l'orchestre. L'appelante et les musiciens formant le noyau de l'orchestre dépendent l'un de l'autre en ce sens que l'appelante s'en remet aux musiciens pour offrir à la population de Thunder Bay une musique de haute qualité, et chaque musicien compte sur l'appelante pour obtenir un revenu de base, même si celui-ci ne lui suffit pas toujours pour vivre. L'un des moyens d'offrir une musique de haute qualité est le “ comité de titularisation ”, formé de certains membres du TSBO. L'objet principal du comité est d'évaluer chaque musicien non titulaire. À deux reprises au cours de la saison, chaque musicien à l'essai reçoit un rapport écrit sur son rendement. Le comité joue un rôle important dans la titularisation d'un musicien à l'essai (laquelle survient quand on lui offre un contrat pour une troisième saison consécutive complète).

[12] Il ne fait aucun doute que l'appelante cherche à maintenir les choses telles qu'elles sont, à savoir que chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre est considéré comme un entrepreneur autonome, et que ni les musiciens ni l'appelante ne doivent verser de cotisations d'assurance-chômage. J'ai déduit du témoignage de certains des musiciens de l'appelante qui ont témoigné qu'ils sont eux aussi satisfaits de la situation existante, mais ils ont été contre-interrogés de façon si insatisfaisante qu'il ne s'agit que d'une inférence. C'est le genre d'appel que j'aimerais accueillir parce que les musiciens formant le noyau de l'orchestre sont indépendants sur le plan artistique. Ils peuvent faire valoir leurs talents de différentes façons. Chacun d'eux pourrait être entrepreneur autonome. En outre, j'aimerais encourager les villes de moindre importance comme Thunder Bay à maintenir la richesse musicale que représente un orchestre symphonique sans avoir à supporter les fardeaux financiers d'une société industrielle. Compte tenu du fait que le régime d'assurance-chômage a été institué au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et dans l'ombre de la grande dépression, je ne peux imaginer que le législateur du temps ait cherché à assurer l'emploi des musiciens faisant partie d'un orchestre symphonique communautaire. Je présume que la nouvelle loi était alors destinée à servir une société industrielle.

[13] Le droit législatif est cependant une industrie de croissance. De nouvelles lois sont adoptées pendant que d'anciennes sont modifiées et étoffées. Peu d'entre elles sont abrogées. Le régime d'assurance-chômage, que l'on a récemment rebaptisé d'un nom trompeur, a certainement pris de l'importance. Compte tenu des modalités de l'entente cadre et des circonstances dans lesquelles les musiciens formant le noyau de l'orchestre travaillent pour le TSBO, j'en suis venu avec réticence à la conclusion que, pour les motifs énoncés ci-après, M. Guelpa exerçait un emploi assurable au cours de la période en cause. En d'autres termes, je conclus qu'il existait une relation employeur-employé entre l'appelante et M. Guelpa.

[14] À mon avis, l'entente cadre a pour principal objet de circonscrire la relation entre l'appelante et les musiciens formant le noyau de l'orchestre et de protéger les musiciens en tant qu'employés. L'entente cadre compte plus de 40 pages et, pour donner une idée de sa teneur, je vais reproduire un bon nombre de ses dispositions :

[TRADUCTION]

1. La présente entente cadre vise à promouvoir et à maintenir des relations harmonieuses entre le conseil d'administration de la Thunder Bay Symphony Orchestra Association et les musiciens du Thunder Bay Symphony Orchestra. La meilleure façon d'atteindre les objectifs de l'Association consiste, dans le cadre d'un engagement de coopération, à offrir à la région des ressources musicales d'origine locale et à fournir des emplois aux musiciens professionnels et autres qui résident dans la région.

2. Quelques définitions :

Association. The Thunder Bay Symphony Orchestra Association Incorporated.

Contrat de représentation. Contrat conclu par un musicien et l'Association conformément à l'annexe A et aux modalités de la présente entente cadre.

Délégué syndical. Musicien chargé par la section locale de veiller pour elle à l'application de la présente entente cadre.

Musicien à l'essai. Musicien faisant partie du noyau de l'orchestre qui est lié par contrat à l'Association pour une première ou une deuxième saison consécutive.

Musicien faisant partie du noyau de l'orchestre. Musicien professionnel qui conclut avec l'Association un contrat aux termes duquel il touche un cachet hebdomadaire comme musicien titulaire ou à l'essai.

Musicien titulaire. Musicien faisant partie du noyau de l'orchestre qui est lié par contrat à l'Association depuis deux saisons complètes consécutives et qui a accepté un troisième contrat.

Saison. Semaines pendant lesquelles un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre est lié par contrat à l'Association.

Section locale. The Thunder Bay Musicians' Association, section locale 591, Fédération américaine des musiciens des États-Unis et du Canada.

3.1 L'Association reconnaît la section locale comme agent de négociation exclusif de tous les musiciens liés par contrat à l'Association, à l'exception du directeur musical, aux fins des négociations relatives à la rémunération minimale, aux heures et à d'autres conditions de représentation; le premier violon a cependant le droit de négocier son propre cachet.

3.2 La section locale reconnaît à l'Association le droit de gérer ses affaires et de diriger les services de ses musiciens liés par contrat pour toutes les questions se rapportant au fonctionnement de l'Association, à condition que celle-ci n'agisse pas contrairement aux modalités de la présente entente cadre.

4.4 L'Association retient sur chaque chèque de paie des musiciens, au titre des cotisations payables au syndicat international et à la section locale, 2 p. 100 du cachet hebdomadaire de chaque musicien, qu'elle remet tous les mois à la section locale.

6.1 Chaque disposition de la présente entente cadre fait partie intégrante de tout contrat de représentation, à condition que a) le contrat de représentation ne prévoie pas un taux de rémunération inférieur à celui qui est prévu dans la présente entente cadre et b) que les conditions de travail non salariales qui sont différentes de celles prévues dans la présente entente cadre ne soient pas moins favorables au musicien.

7.1 Le directeur musical ou chef d'orchestre nommé par l'Association est chargé de toutes les répétitions et représentations, conformément aux modalités de la présente entente cadre, et il a le pouvoir de décider de toutes les questions musicales. La disposition des sièges dans les sections des cordes est déterminée par le directeur musical en consultation avec les musiciens principaux des sections respectives. Cette disposition ne peut être modifiée après le début d'une prestation. Le premier violon adjoint s'assoit à droite à l'avant.

7.4 Il existe un Comité des musiciens du Thunder Bay Symphony Orchestra composé de cinq musiciens de l'orchestre. Le comité représente les intérêts collectifs des musiciens auprès de la direction de l'Association. Le comité a ses propres dirigeants.

7.10 La section locale nomme un délégué syndical parmi les musiciens de l'orchestre pour agir comme son mandataire relativement à l'application de la présente entente cadre.

9.1 L'Association offre à chaque musicien l'un des contrats suivants.

9.1.1 Contrat de titulaire

Contrat dont le renouvellement automatique est offert, sous réserve des modalités de renouvellement prévues à la clause 11.3, à un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre à partir de sa troisième année complète consécutive au service de l'Association.

9.1.2 Contrat d'essai

Contrat d'un an susceptible de mener à un contrat de titulaire, qui est offert à un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre au cours de sa première année au service de l'Association et, sous réserve des modalités de renouvellement prévues à la clause 11.3, au cours de sa deuxième année consécutive au service de l'Association.

13.1 L'Association établit dans son budget, pour l'affecter aux cachets des musiciens, un montant égal au produit de la provision annuelle moyenne versée aux musiciens ayant conclu un contrat pour l'année complète multiplié par le nombre de musiciens ayant signé un tel contrat sous le régime de l'entente cadre.

13.2.1 Chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre touche le cachet hebdomadaire minimum prévu dans le tableau suivant :

Taux de la Taux du section musicien principal

1994-1995 532,95 $ 666,20 $

1995-1996 543,61 $ 679,52 $

1996-1997 559,92 $ 699,91 $

Le remplaçant d'un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre touche le même taux que le musicien remplacé, sauf que pour les périodes inférieures à sept jours les paiements peuvent être réduits au prorata.

18.1 La saison couvre une période de vingt-neuf semaines, soit vingt-quatre semaines de représentations et cinq semaines non payées, libres de toute responsabilité envers l'Association. Une saison commence à la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre et se termine à la fin du mois d'avril ou au début du mois de mai.

18.3.4 Si un musicien effectue plus de deux prestations par jour, il touche, à partir de la troisième prestation, le taux prévu au tableau des cachets supplémentaires conformément à la clause 13.2.7.0.A.0.a.

18.4 Les prestations ne doivent pas dépasser 2,5 heures, sauf lorsqu'il s'agit d'une représentation chorale, d'un oratorio, d'un ballet, d'un bal avec orchestre symphonique ou d'un opéra, d'une répétition générale d'une représentation chorale, d'un oratorio et d'un ballet, et de deux répétitions générales s'il s'agit d'un opéra, pour chaque production distincte. Ces prestations faisant l'objet d'exceptions ne doivent pas dépasser 3 heures sans qu'un cachet supplémentaire soit versé.

18.5 La prestation supplémentaire commence dès que la prestation dépasse la durée prévue. Il y a une période de grâce de trois minutes. La prestation supplémentaire est payée par périodes de quinze minutes calculées à partir de la fin prévue de la prestation, lorsque le temps de la prestation véritable dépasse la période de grâce de trois minutes en raison d'un retard ou de circonstances normalement prévisibles dans le cadre d'une prestation professionnelle.

23.2 L'Association peut mettre fin au contrat d'un musicien pour un motif valable, notamment, mais sans restreindre la portée générale de ce qui précède, pour inattention à son devoir, retard, absences non motivées, défaut de maintenir des normes de rendement acceptables ou refus de se conformer aux modalités de la présente entente cadre ou à son contrat de représentation.

[15] Les derniers mots de la clause 1 sont : “ fournir des emplois aux musiciens professionnels et autres ”. La clause 3 prévoit que la section locale est l'agent de négociation exclusif de tous les musiciens. La clause 4.4 permet la déduction ou retenue à la source des cotisations payables à la FAM. Conformément à la clause 6, le contrat de représentation d'une page conclu avec chaque musicien incorpore toutes les dispositions de l'entente cadre. La clause 7.1 désigne le directeur musical comme la personne chargée des répétitions et des représentations, et la clause 7.4 prévoit que le comité des musiciens représente “ les intérêts collectifs des musiciens ”. La clause 12 prescrit le code relatif à la tenue vestimentaire : “ La tenue vestimentaire pour un concert est la suivante [...] : ” Ces clauses indiquent que chacun des musiciens a troqué son éventuel statut d'entrepreneur autonome contre les intérêts collectifs de tous les musiciens du TBSO. Cette indication est encore renforcée dans les clauses suivantes, qui portent sur la rémunération et les heures de travail.

[16] La clause 13 fixe le cachet hebdomadaire minimum qui doit être payé à chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre pour les trois saisons couvertes par l'entente cadre. Il n'y a aucune preuve qu'un musicien donné ait négocié un cachet hebdomadaire supérieur à l'échelle minimale prévue à la clause 13, mais cela a pu se produire. Bien que les musiciens formant le noyau de l'orchestre n'aient pas d'heures de travail déterminées dans une journée donnée de la semaine, leur période de travail est mesurée en fonction de ce qu'on appelle une “ prestation ”, laquelle, d'après la clause 18.4, ne dépasse pas 2,5 heures en général. Aux termes de la clause 18.3.4, si un musicien effectue plus de deux prestations dans une journée (p. ex. une répétition et un concert ou deux concerts), il touche un cachet de prestation supplémentaire, ce qui équivaut à du temps supplémentaire. La détermination de la rémunération, des heures de travail et du temps supplémentaire dans les clauses 13 et 18 sont semblables à des modalités d'emploi, et non aux dispositions qu'un entrepreneur autonome négocierait.

[17] Enfin, la clause 23.3 décrit le licenciement motivé. Sur la page de signature de l'entente cadre, les premiers mots de la dernière clause non numérotée qui précède les signatures sont les suivants : “La présente convention collective entre [...] ” Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'entente cadre non seulement ressemble à une convention collective, mais en constitue bel et bien une.

[18] Ayant jugé, sur le plan factuel, que l'entente cadre est une convention collective parce que toutes les modalités importantes d'embauche de chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre sont régies par l'entente cadre, je pourrais conclure que chacun de ces musiciens est un employé de l'appelante et non pas un entrepreneur autonome. Cependant, comme je pourrais avoir tort sur cette question de fait, je me pencherai sur la question de droit de savoir comment les critères énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door v. The Minister of National Revenue, 87 DTC 5025, s'appliquent aux modalités d'emploi de chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre. À la page 5030, la Cour d'appel fédérale dit de la décision rendue dans l'affaire Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security qu'elle est la “ meilleure synthèse ”. Les quatre critères sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte, et l'intégration.

[19] Contrôle. Bien que, en tant qu'artiste de spectacle, il mette son talent et son interprétation personnelle dans l'exécution de chaque morceau, le musicien faisant partie du noyau de l'orchestre ne s'exécute pas seul dans le cadre de son contrat avec l'appelante. Il doit travailler en collaboration étroite (on pourrait dire en harmonie) avec environ 30 autres musiciens pour produire un résultat complètement intégré et agréable. Ce résultat est atteint uniquement si tous les musiciens formant le noyau de l'orchestre suivent les indications du chef d'orchestre et se placent sous les ordres de ce dernier qui, aux termes de la clause 7.1 de l'entente cadre, est le “ directeur musical ”. Le directeur musical joue de toute évidence un rôle important au sein du TSBO car le titre revient fréquemment dans l'entente cadre. Le critère du contrôle fait pencher la balance du côté de l'emploi parce que (i) l'objet de l'appelante est de gérer un orchestre symphonique, (ii) l'orchestre peut atteindre de bons résultats seulement si tous les membres acceptent le contrôle et les directives du chef d'orchestre, et (iii) le directeur musical en tant que chef d'orchestre est “ chargé de toutes les répétitions et représentations ” (clause 7.1).

[20] Propriété des instruments de travail. Chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre est propriétaire de son instrument, sauf pour ce qui est du piano. Nombre d'instruments sont très sensibles et chaque musicien peaufine sa façon d'accorder son instrument et d'en jouer. En outre, pour certains instruments joués avec la bouche (flûte, clarinette, trompette, etc.), le musicien est propriétaire de l'instrument pour des raisons d'hygiène. Chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre doit avoir deux types de tenues habillées et une tenue décontractée pour les différents concerts donnés par le TSBO. Le critère de la propriété fait pencher la balance du côté de l'entrepreneur autonome.

[21] Chances de bénéfice et risques de perte. Chaque musicien faisant partie du noyau de l'orchestre touche un cachet hebdomadaire conformément à son contrat de représentation (pièce A-2). Le cachet hebdomadaire minimum et l'augmentation en fonction de l'expérience (c.-à-d. la paie d'ancienneté) sont établis à la clause 13 de l'entente cadre. Le cachet est payé toutes les deux semaines au cours de la saison des représentations. En tournée, le TSBO se rend jusqu'à Timmins à l'est et jusqu'à Dryden et Fort Frances à l'ouest. Les frais de déplacement de chaque musicien lui sont remboursés et une indemnité journalière de repas lui est versée. Chaque instrument est un bien immobilisé pour le musicien qui en est le propriétaire, de sorte que le coût de l'instrument ne peut être déduit comme dépense annuelle. Conformément aux théories comptable et économique, le coût d'un instrument pourrait, dans les circonstances appropriées, être amorti sur sa durée de vie. Si les réparations sont à la charge du musicien, rien ne prouve que leur coût puisse approcher le montant de la provision totale ou de la rémunération saisonnière d'un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre, quelles que soient les circonstances. Le critère des chances de bénéfice et des risques de perte fait pencher la balance du côté de l'emploi.

[22] Intégration. Compte tenu des modalités d'embauche convenues par chacun des musiciens et l'appelante, je ne peux conclure qu'un musicien faisant partie du noyau de l'orchestre est dans les affaires à son compte. Bien que les talents de chaque musicien soient des plus personnels, ils sont tous unis dans le TSBO pour produire un effet collectif. Des musiciens entrepreneurs autonomes pourraient se réunir pour former un orchestre le temps d'un concert ou de quelques représentations, sans créer de relation d'emploi, mais ce n'est pas le cas en l'espèce. L'appelante a réuni environ 30 musiciens, les a liés par contrat pour une saison complète (octobre à mai), s'est engagée à leur verser une rémunération hebdomadaire déterminée et a nommé un directeur musical chargé de toutes les répétitions et représentations. Cette entreprise n'est pas celle du musicien, mais celle de l'appelante, même si cette dernière est une société à but non lucratif. Le critère de l'intégration fait pencher la balance du côté de l'emploi.

[23] Dans l'arrêt Wiebe Door, à la page 5029, le juge MacGuigan a mentionné le critère formé de quatre parties :

[...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci-dessus “l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations”, et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

Compte tenu de l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations de l'appelante, je suis d'avis que chacun des musiciens faisant partie du noyau de l'orchestre était un employé de l'appelante.

[24] Lors des plaidoiries, deux décisions de la Commission d'appel des pensions ont été citées. Dans l'affaire Vancouver Symphony Society v. Minister of National Revenue et al. (1974), la Commission a conclu que les musiciens étaient des employés de la société. Dans l'affaire The Edmonton Symphony Society v. Minister of National Revenue (1981), la Commission s'est fondée sur une déclaration particulière dans l'entente conclue avec chaque musicien, selon laquelle le musicien était un entrepreneur autonome, pour conclure qu'il n'existait aucune relation employeur-employé. À mon avis, une telle déclaration est utile uniquement lorsque tous les autres facteurs s'équilibrent. Je conclus que les facteurs ou critères dans l'appel en l'instance ne s'équilibrent pas et qu'ils penchent fortement d'un côté, celui de l'emploi.

[25] En outre, dans l'affaire Edmonton Symphony, la Commission a établi une distinction entre cette affaire et l'affaire antérieure Vancouver Symphony dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

La présente affaire se distingue de l'affaire Vancouver Symphony Society v. Minister of National Revenue, (1974) C.C.H. (C.A.P.) 6179, où une convention collective ainsi que des ententes écrites conclues entre la Vancouver Symphony Society et chacun des musiciens de l'orchestre ont établi la relation entre ces parties en des termes que la Commission a jugé clairs et non ambigus.

Dans le cas du TBSO, il existe une convention collective, et des contrats de représentation individuels ont été conclus avec tous les musiciens faisant partie du noyau de l'orchestre.

[26] Les avocats de l'appelante ont aussi invoqué la décision de la Cour dans l'affaire Pitaro c. Ministre du Revenu national (17 janvier 1987), non publiée. Dans l'affaire Pitaro, le juge suppléant Trahan a décidé que le violoniste (Pitaro) n'occupait pas un emploi assurable pour la Symphony Nova Scotia Society parce qu'il était un “ musicien payé à la prestation ”, recevant 50 $ de la prestation. Il y avait deux catégories de musiciens : a) les musiciens ayant conclu un contrat et b) les musiciens payés à la prestation. M. Pitaro avait accepté d'être payé à la prestation puisque, autrement, il n'aurait pas été engagé. Les faits dans l'affaire Pitaro se distinguent nettement de ceux de l'espèce, et cette décision n'est d'aucune utilité dans l'appel interjeté par le TBSO. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 1998.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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