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Date: 19981102

Dossiers: 96-3332-IT-I; 96-3333-IT-I; 96-3334-IT-I

ENTRE :

DOUGLAS CHISHOLM, HARVEY CHISHOLM, PAUL CHISHOLM,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Les appels Douglas Chisholm c. La Reine (no du greffe 96-3332), Harvey Chisholm c. La Reine (no du greffe 96-3333) et Paul Chisholm c. La Reine (no du greffe 96-3334) ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les appelants, soit des cousins, détiennent et exploitent une entreprise familiale près de Belleville (Ontario). Par souci de commodité, je les appellerai individuellement Douglas, Harvey et Paul, car le mot « appelant » pourrait s'appliquer à n'importe lequel d'entre eux. L'entreprise maintenant exploitée sous le nom de « Chisholm Roslin Ltd. » a été lancée en 1857, et les appelants sont la sixième génération à l'exploiter au sein de la famille. L'entreprise consiste principalement à vendre des produits forestiers comme approvisionnements de constructeurs. La compagnie coupe ou achète des billes de bois, scie les billes pour en faire du bois de construction, puis fait sécher le bois et le vend. Chaque appelant détient une participation d'un tiers dans l'entreprise.

[2] Chaque appelant est marié et a des enfants. À la fin de 1987, les appelants avaient décidé d'agir conformément à certains conseils qu'ils avaient reçus en matière de planification successorale. Les plans successoraux exécutés par les trois appelants étaient essentiellement identiques. Si je décris le plan successoral exécuté par Douglas, ce plan peut être considéré comme identique aux plans exécutés par les cousins de Douglas, soit Harvey et Paul. Le 30 décembre 1987, Douglas a, par voie d'acte de donation, donné 408 actions ordinaires du capital-actions de la 548351 Ontario Inc. (ci-après appelée la « compagnie 351 » ) à H. Van Winssen comme fiduciaire pour James Douglas Chisholm (fils de Douglas). Les parties conviennent que les 408 actions de la compagnie 351 avaient une juste valeur marchande de 67 075 $. Le 1er février 1988, Douglas a racheté au fiduciaire pour James les 408 actions de la compagnie 351 pour 67 075 $ et, au lieu de payer comptant, il a livré son billet de 67 075 $ exigible 10 ans plus tard, soit le 30 janvier 1998, et portant intérêt annuel au taux préférentiel fixé de temps à autre par la Banque de Montréal.

[3] Le 30 décembre 1987, Douglas a en outre donné 408 actions de la compagnie 351 au même fiduciaire pour sa fille Sarah Louise Chisholm et a également donné 408 actions de la compagnie 351 au même fiduciaire pour son fils Peter Ron Chisholm. Le 1er février 1988, Douglas a racheté les 408 actions de la compagnie 351 au fiduciaire pour Sarah pour 67 075 $ et a racheté les 408 actions de la compagnie 351 au fiduciaire pour Peter pour 67 075 $. Au lieu de payer comptant, Douglas a livré au fiduciaire deux billets, de 67 075 $ chacun, assortis des mêmes modalités que le billet livré au fiduciaire pour James. Au 2 février 1988, le fiduciaire, ayant conclu trois contrats de fiducie distincts avec Douglas, détenait trois billets distincts de Douglas d'un montant de 67 075 $ chacun, et les trois billets étaient assortis de modalités identiques.

[4] Dans le calcul de son revenu pour chacune des années 1991, 1992 et 1993, Douglas a déduit la somme totale de 20 122,56 $ comme intérêts payés à l'égard des trois billets livrés au fiduciaire au moment du rachat des 1 224 actions ordinaires (3 x 408) de la compagnie 351. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction de cette somme, et Douglas a interjeté appel devant notre cour. Les deux autres cousins, Harvey et Paul, ont également interjeté appel, parce que des sommes identiques au titre d'intérêts payés dans des circonstances identiques avaient été refusées comme déductions par le ministre du Revenu national. Concernant Harvey, les années en cause dans l'appel sont 1991, 1992 et 1993. Pour ce qui est de Paul, les années en cause dans l'appel sont 1990, 1991 et 1992. Dans ces trois appels, la question est la même, à savoir si la somme totale des intérêts est déductible dans le calcul du revenu. Les appelants ont demandé que la procédure informelle régisse leurs appels.

[5] Les opérations sont bien documentées. Tous les documents appropriés semblent avoir été rédigés et signés en temps opportun, selon ce que les circonstances exigeaient. En ce qui a trait à la pièce A-1, à l'onglet 3 est le contrat de fiducie en date du 30 décembre 1987 entre Douglas et M. Van Winssen concernant le fils de Douglas prénommé James. À l'onglet 4 est l'acte de donation de 408 actions au fiduciaire pour James. À l'onglet 5 est le billet de 67 075 $ en date du 1er février 1988 livré au fiduciaire pour James au moment du rachat des 408 actions. Aux onglets 6, 7 et 8 sont les documents correspondants pour la fille de Douglas, Sarah. Aux onglets 9, 10 et 11 sont les documents correspondants pour le fils de Douglas prénommé Peter. À l'onglet 27 est le registre des actionnaires de la compagnie 351, qui indique que les trois appelants ont dans chaque cas débuté avec 7 502 actions ordinaires, que chacun a transféré 1 224 actions le 30 décembre 1987 à un fiduciaire pour ses enfants respectifs et que chacun s'est vu rétrocéder les 1 224 actions le 1er février 1988.

[6] Aux onglets 28 à 44 sont des pages extraites du registre des actionnaires. Aux onglets 45 à 61 sont les divers certificats d'actions. Aux onglets 62 à 64, 66, 68 et 70 sont des actes, signés, portant transfert des actions pertinentes. Aux onglets 65, 67, 69 et 71 sont des résolutions d'administrateurs approuvant les transferts pertinents. Enfin, aux onglets 72 à 75 sont des procès-verbaux de réunions d'administrateurs de la compagnie 351 tenues au cours de quatre années successives, procès-verbaux qui indiquent que des dividendes ont été déclarés, soit :

Date de réunion

Dividende total

Catégorie d'actions

Dividende payable

30 novembre 1988

48 000 $

Actions ordinaires

30 novembre 1988

30 novembre 1989

24 000 $

Actions ordinaires

30 novembre 1989

30 novembre 1990

12 000 $

Actions ordinaires

30 novembre 1990

30 novembre 1991

12 000 $

Actions ordinaires

30 novembre 1991

[7] Il n'y a aucun différend entre les parties concernant l'un quelconque des documents. L'intimée reconnaît que, le 30 décembre 1987, chaque appelant a transféré à titre de don 1 224 actions ordinaires de la compagnie 351 à ses enfants respectifs et que, le 1er février 1988, chaque appelant a racheté les mêmes 1 224 actions ordinaires à la juste valeur marchande de 201 225 $ (soit un montant de 67 075 $ multiplié par trois, c'est-à-dire pour les trois enfants de Douglas). Le seul différend tient à la question de savoir si chaque appelant peut déduire lors du calcul de son revenu les intérêts qu'il a payés à l'égard des billets qu'il avait livrés au fiduciaire pour ses enfants au moment du rachat des actions.

[8] Tous les appelants ont témoigné, et leurs dépositions étaient compatibles à l'égard de tous les faits pertinents. Je résumerai donc uniquement la preuve présentée par Douglas. Les trois appelants sont la sixième génération de la famille Chisholm à détenir et à exploiter l'entreprise. Ils espèrent que la génération suivante voudra poursuivre la même entreprise familiale. Le plan successoral avait principalement pour but de mettre des fonds entre les mains des enfants pour qu'ils achètent l'entreprise à un moment donné. Il semble que le but sera atteint, car le fiduciaire détenait encore les divers billets au moment de l'audition de ces appels.

[9] D'un certain nombre de façons, l'exécution effective du plan successoral différait des modalités prévues dans certains documents. Chaque contrat de fiducie (onglets 3, 6 et 9 de la pièce A-1) disait que les actions devaient être détenues par le fiduciaire « jusqu'à ce que le bénéficiaire ait 18 ans » , mais, en fait, les actions ont été rachetées dans un délai de 32 jours. Chaque acte de donation (onglets 4, 7 et 10 de la pièce A-1) dit que le cédant « désire donner les actions » , mais il s'agissait de donations sous réserve, car chaque acte (signé par le cédant et par le cessionnaire) dit que les actions « ne peuvent être transférées, cédées, grevées, hypothéquées ou autrement transférées ou aliénées par le cessionnaire sans l'approbation écrite préalable du cédant » . Douglas a dit que, lorsque le plan successoral leur avait été décrit par leurs conseillers professionnels, il avait toujours été clair que les 1 224 actions que lui-même donnait à ses trois enfants allaient lui revenir. Chacun des appelants détenait 7 502 actions ordinaires avant le 30 décembre 1987 et, en vertu du plan successoral, chacun donnait et rachetait ensuite seulement 1 224 actions, soit environ 16 p. 100 de sa participation d'un tiers.

[10] Chaque billet (onglets 5, 8 et 11 de la pièce A-1) disait que des intérêts étaient « payables annuellement » au fiduciaire ou à l'ordre de ce dernier jusqu'à ce qu'un enfant atteigne l'âge de 18 ans. En fait, le 15 mars 1988 (43 jours après la livraison des billets), le fiduciaire a signé une directive à l'intention de Douglas qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

À : Douglas Chisholm

DIRECTIVE

OBJET : Billets de Douglas Chisholm, en date du

1er février 1988 chacun, à :

Harold Van Winssen, fiduciaire pour James Douglas Chisholm;

Harold Van Winssen, fiduciaire pour Sarah Louise Chisholm;

Harold Van Winssen, fiduciaire pour Peter Ron Chisholm

(les « billets » ).              

En vertu de la présente directive, je vous autorise à réinvestir les paiements d'intérêts dus au soussigné à l'égard des billets comme vous le jugerez bon au nom de chacun des enfants, et veuillez considérer cette autorisation comme valable et irrévocable.

DATÉ ce 15e jour de mars 1988.

« Harold Van Winssen »

Fiduciaire pour James Douglas Chisholm,

Sarah Louise Chisholm et

Peter Ron Chisholm.

Des directives identiques ont été signées par le fiduciaire à l'intention de Harvey et de Paul à la même date. Les trois directives se trouvent aux onglets 9, 10 et 11 de la pièce A-2. Les directives du fiduciaire ont été suivies en ce sens qu'aucun intérêt n'a été payé au fiduciaire par Douglas, Harvey ou Paul. Aucun élément de preuve n'indique que le fiduciaire a exigé ou simplement demandé un compte rendu à l'un quelconque des appelants pour déterminer si les montants des intérêts annuels avaient été réinvestis « au nom de chacun des enfants » .

[11] En contre-interrogatoire, Douglas a décrit comment il avait payé les montants des intérêts annuels. Concernant 1991, il a dit qu'il avait dépensé comme suit au profit des enfants environ 23 000 $ sur l'argent des enfants versés en « intérêts » :

[TRADUCTION]

James — âgé de 20 ans en 1991

MasterCard de Douglas 2 994 $

MasterCard de l'épouse de Douglas 904 $

3 898 $

[Ces sommes concernaient des vêtements,

des réparations de voiture ou des frais

de fonctionnement de voiture.]

Chèque à James pour ses besoins 3 286 $

Vacances familiales

(part de James : 1/5 des frais) 400 $

3 686 $

Total pour James 7 584 $

Peter — âgé de 12 ans en 1991

Stage de tennis 1 500 $

Club de santé 300 $

Équipe représentative de hockey

et stage de hockey 1 500 $

Vacances 1 020 $

(part de frais de Peter)

MasterCard des parents 3 084 $

(achats pour Peter)

Autres 2 313 $

Total pour Peter 9 716 $

Sarah — âgée de 17 ans en 1991

Immersion française en Suisse

École de commerce en Allemagne

Total dépensé pour Sarah 5 958 $

En résumé, Douglas a dit que les montants des intérêts annuels ont généralement été affectés à des expériences enrichissantes que son épouse et lui essayaient d'assurer à leurs enfants. Concernant les trois années en cause dans les appels, Douglas a dit que les sommes suivantes avaient été dépensées au profit de ses trois enfants et qu'il avait imputé ces sommes au titre des intérêts payables par lui à l'égard des trois billets (onglets 5, 8 et 11 de la pièce A-1).

James

Sarah

Peter

Total

1991

7 584 $

5 958 $

9 716 $

23 258 $

1992

11 135 $

9 665 $

5 567 $

26 367 $

1993

19 302 $

13 558 $

6 340 $

39 200 $

[12] L'alinéa 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu est la disposition qui permet de déduire des intérêts. En ce qui a trait aux appels considérés en l'espèce, les passages pertinents se lisent comme suit :

20(1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) [...]

(ii) une somme payable pour un bien acquis en vue d'en tirer un revenu ou de tirer un revenu d'une entreprise [...]

(iii) [...]

En termes simples, la position des parties est la suivante. Les appelants soutiennent que les billets représentent des sommes payables pour un bien (les actions de la compagnie 351 rachetées le 1er février 1988) acquis en vue de gagner un revenu (les dividendes) et que tout intérêt payé à l'égard de tels billets est donc déductible en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(ii). L'intimée soutient pour sa part que ces actions de la compagnie 351 rachetées le 1er février 1988 n'ont pas été acquises en vue de gagner un revenu au sens du sous-alinéa 20(1)c)(ii), car elles ont été acquises uniquement en vue de réaliser le plan successoral en mettant des capitaux (le principal des divers billets) entre les mains des enfants.

[13] Les arguments des deux parties exigent un examen plus détaillé du plan successoral et de l'actionnariat de la compagnie 351. Comme je l'ai déjà dit, chaque appelant détenait 7 502 actions ordinaires dans la compagnie 351 au début de décembre 1987. Lorsque Douglas a donné 1 224 actions à ses trois enfants, il a disposé de 16,3 p. 100 de ses propres actions mais de seulement 5,4 p. 100 de l'ensemble des actions en circulation. En faisant ce don, Douglas a utilisé la disposition de roulement prévue au paragraphe 73(5) de la Loi applicable pour 1987, qui permettait à un parent de transférer à un enfant une action d'une corporation exploitant une petite entreprise (comme la compagnie 351) et de reporter tout gain réalisé sur une telle disposition en transférant à l'enfant le prix de base rajusté pour le parent ( « PBR » ). Aux onglets 3, 4 et 5 de la pièce A-2 sont les formulaires de Revenu Canada concernant les dons en franchise d'impôt faits à James, à Sarah et à Peter, soit des formulaires indiquant que la juste valeur marchande des 408 actions était de 67 075 $ et que le produit de disposition était réputé être de 408 $.

[14] Je conclus des onglets 1 à 8 inclusivement de la pièce A-2 que le PBR de chaque action en circulation pour les trois appelants au début de décembre 1987 était de un dollar l'action. Les dons étaient des transferts en franchise d'impôt grâce auxquels les enfants des trois appelants ont acquis non seulement les actions, mais aussi, en vertu du paragraphe 73(5) de la Loi, le PBR pour leurs parents. Le 1er février 1988, le fiduciaire pour chaque enfant a revendu au parent donateur, à la juste valeur marchande, toutes les actions qui avaient été données. Chaque vente donnait lieu à un gain en capital important, car la juste valeur marchande était beaucoup plus élevée que le PBR. Chaque enfant, c'est-à-dire chaque vendeur, a utilisé l'exemption pour gains en capital prévue à l'article 110.6 de la Loi pour abriter de l'impôt son gain. Les déclarations de revenu des huit enfants pour 1988 qui figurent à la pièce A-3 montrent que les gains ont été déclarés et que l'exemption a été demandée. Grâce à l'exemption pour gains en capital, chaque enfant pouvait réaliser une vente en franchise d'impôt et conserver 100 p. 100 du produit de disposition. Cela représentait une partie importante du plan successoral, car l'objet principal de celui-ci était de mettre le maximum de capitaux entre les mains de la génération suivante.

[15] Mis à part le critère de l' « objet » du sous-alinéa 20(1)c)(ii), les appelants ont un problème plus fondamental, c'est-à-dire qu'ils doivent prouver que, au cours des années en cause dans les appels, ils ont payé des intérêts à l'égard des billets qu'ils avaient livrés au fiduciaire le 1er février 1988. Dans un monde parfait, Douglas aurait payé les intérêts au fiduciaire à la date anniversaire de chaque billet (1er février 1991, 1992 et 1993) conformément aux modalités du billet, et le fiduciaire aurait reçu ces intérêts au profit des trois enfants de Douglas. Le monde n'est toutefois pas parfait. Les appelants ont un problème à cause des trois directives identiques signées par le fiduciaire le 15 mars 1988 (onglets 9, 10 et 11 de la pièce A-2). Ce sont là des documents importants et, au paragraphe 10 des présents motifs, j'ai reproduit intégralement la directive donnée à Douglas par le fiduciaire concernant les trois enfants de Douglas.

[16] Dans cette directive, Douglas reçoit en fait pour instructions non pas de payer les intérêts au fiduciaire à l'égard de l'un quelconque des trois billets, mais plutôt de « réinvestir les paiements d'intérêts [...] comme vous le jugerez bon au nom de chacun des enfants » . L'utilisation du mot « réinvestir » me laisse perplexe. Ce n'est pas comme si un paiement d'intérêt avait déjà été fait et investi, car la directive a été signée le 15 mars 1988, soit seulement 43 jours après la livraison des billets. Pourquoi n'a-t-on pas simplement donné pour instructions à Douglas d' « investir » les paiements d'intérêts? En outre, qu'entendait le fiduciaire par « réinvestir » ? Utilisait-il ce terme dans un sens commercial, par exemple pour désigner l'achat de titres de placement ordinaires (obligations émises par un gouvernement, certificats de placement garantis ou actions d'une société ouverte cotée) ou l'utilisait-il dans un sens familial, par exemple pour désigner un paiement quelconque pouvant favoriser l'éducation, la formation ou le développement des aptitudes d'un enfant?

[17] Il est indubitable que Douglas considérait le mot « réinvestir » principalement dans un sens familial, car la preuve indique que les montants des intérêts allégués ont été payés pour des activités éducatives et récréatives, des vacances, des déplacements et des vêtements, ainsi que pour les besoins relatifs à la voiture de James. Un montant résiduel a été utilisé pour l'achat de certificats de placement garantis. Ces paiements semblent s'inscrire dans le cadre ordinaire de la vie d'une famille de la classe moyenne. Peuvent-ils être considérés comme un réinvestissement de paiements d'intérêts au sens de la directive du fiduciaire? C'est ce que pensait manifestement Douglas, car il a désigné un nombre suffisant de ces paiements pour qu'ils constituent une somme totale dépassant son obligation de verser des intérêts annuels à l'égard des trois billets; il a appliqué les paiements désignés au titre de son obligation de verser des intérêts annuels et a conclu qu'il s'était acquitté de son obligation de verser des intérêts en payant les sommes ainsi désignées.

[18] J'aurais pensé que M. Van Winssen, comme fiduciaire, avait l'obligation de veiller à ce que le débiteur (soit Douglas) effectue le paiement d'intérêts à la date d'exigibilité chaque année, même si le fiduciaire était d'accord pour qu'un tel paiement soit ensuite investi par le débiteur au profit de chaque enfant. Un fiduciaire a une obligation de représentant envers un bénéficiaire, soit l'obligation de veiller à ce qu'un bénéficiaire reçoive ce qui lui est dû. Aucun élément de preuve n'indique que le fiduciaire a cherché à s'acquitter de son obligation de représentant concernant les paiements d'intérêts annuels à l'égard des billets. En fait, je conclus que Douglas, comme débiteur, était laissé à lui-même quant à savoir si les paiements d'intérêts annuels seraient effectués et, s'ils l'étaient, quant à savoir comment ils seraient « réinvestis » , pour utiliser le mot figurant dans la directive du fiduciaire.

[19] En l'absence d'éléments de preuve indiquant que Douglas avait fait rapport au fiduciaire de telle sorte que ce dernier pouvait être convaincu que les paiements d'intérêts annuels avaient effectivement été faits et « réinvestis » (quel que soit le sens de ce terme) au profit des enfants, je ne suis pas disposé à conclure que Douglas a payé des intérêts à l'égard de l'un quelconque des billets au cours des trois années en cause dans l'appel. Il y avait une fiducie distincte pour chacun des trois enfants de Douglas, bien que le même particulier (Harold Van Winssen) ait été le fiduciaire dans chaque cas. Par exemple, comme fiduciaire pour James, M. Van Winssen détenait un billet de Douglas d'un montant de 67 075 $ portant intérêt annuellement (soit des intérêts exigibles le 1er février de chaque année) au taux préférentiel établi de temps à autre par la Banque de Montréal. Un billet n'est pas une garantie comme une hypothèque, mais il fait foi d'une dette.

[20] D'après les actes de procédure, Douglas prétendait avoir payé un montant total d'intérêt de 20 122,56 $ à l'égard des trois billets au cours de chacune des années 1991, 1992 et 1993. Les trois billets étaient des billets dont le principal s'élevait à 67 075 $ (onglets 5, 8 et 11 de la pièce A-1). Je conclus donc que les intérêts annuels sur chaque billet étaient de 6 707,52 $, soit le tiers de 20 122,56 $. Dans le tableau qui figure à la fin du paragraphe 11 des présents motifs, il n'y a aucun rapprochement entre les sommes indiquées comme ayant été dépensées chaque année au profit de chacun des trois enfants de Douglas et le montant de 6 707,52 $, soit les intérêts annuels payables à l'égard de chaque billet. Cette absence de rapprochement indique que Douglas serait incapable de convaincre le fiduciaire que lui-même (Douglas) avait payé au profit de chaque enfant le montant des intérêts annuels requis en vertu des modalités dont chaque billet était assorti.

[21] Dans chaque avis d'appel, le fait suivant est allégué :

[TRADUCTION]

12. L'appelant a, conformément à la directive signée par le fiduciaire, réinvesti des intérêts dus à chaque enfant pour chaque année ou a payé des intérêts à chaque enfant sous la forme de produits et services d'une valeur équivalente aux intérêts dus à l'égard du billet.

Dans chaque réponse à l'avis d'appel, l'allégation de fait précitée est niée. En outre, l'intimée alléguait dans sa réponse à l'avis d'appel que, lorsque le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de l'appelant, il s'est fondé sur certaines hypothèses de fait, y compris les suivantes :

[TRADUCTION]

14n) l'appelant a déduit un montant de 20 122,56 $ (le « Montant » ) comme frais d'intérêts pour chacune des années d'imposition 1991, 1992 et 1993;

14o) le Montant déduit par l'appelant, soit la somme indiquée à l'alinéa n) ci-dessus, ne représentait pas des intérêts payables pour un bien acquis en vue d'en tirer un revenu;

Chaque appelant a été avisé selon les actes de procédure qu'il était tenu de prouver qu'il avait effectivement payé chaque année le montant des intérêts requis en vertu des billets. S'il prétendait qu'un tel montant avait été payé sous la forme de produits et services ayant une valeur égale aux intérêts, chaque appelant était tenu de prouver que de tels produits et services avaient une telle valeur et qu'ils étaient réellement extraordinaires et ne s'inscrivaient pas simplement dans le cadre du mode de vie quotidien d'une famille de la classe moyenne. Aucun des appelants n'a satisfait à l'une ou l'autre des normes de preuve. Je considère comme avéré que Douglas n'a pas payé d'intérêts à l'égard des billets au cours des années en cause dans l'appel. Sur la foi des témoignages de Harvey et de Paul, je parviens à la même conclusion concernant Harvey et Paul.

[22] Même si je devais conclure, sans preuve adéquate, que chaque appelant avait payé les intérêts allégués de 20 122,56 $ au cours de chaque année en cause dans les appels, les appelants peuvent-ils satisfaire au critère de l' « objet » prévu au sous-alinéa 20(1)c)(ii)? Au paragraphe 6 des présents motifs, il y a un tableau qui indique le dividende total payé à l'égard des actions ordinaires chaque année au cours de la période allant de 1988 à 1991. Durant toute la période pertinente, le nombre des actions ordinaires émises et en circulation était de 22 506 $. Entre le 30 décembre 1987 et le 1er février 1988, chaque appelant a donné à ses enfants 1 224 actions ordinaires et les a rachetées. Le tableau suivant indique la partie du dividende total qui a été attribuée aux 1 224 actions ordinaires et qui a été payée à l'égard des 1 224 actions ordinaires que chaque appelant a données à ses enfants respectifs et qu'il leur a ensuite rachetées :

Année

Dividende

total

Montant

par action

Montant pour

1 224 actions

1988

48 000 $

2,1328 $

2 610,55 $

1989

24 000 $

1,0664 $

1 305,27 $

1990

12 000 $

0,5332 $

652,64 $

1991

12 000 $

0,5332 $

652,64 $

[23] Chaque appelant a livré des billets d'un montant total de 201 225 $ afin de racheter les 1 224 actions ordinaires et, pour les années en cause dans les appels, chaque appelant prétend avoir payé un montant total d'intérêts annuels de 20 122,56 $ à l'égard de ces billets. Il faudrait que le dividende important payé en 1988 soit augmenté d'un multiple de huit pour égaler (et dépasser de 762 $) les intérêts annuels de 20 122,56 $. Il faudrait que le faible dividende payé en 1990 et en 1991 soit augmenté d'un multiple de 31 pour égaler les intérêts annuels. Est-ce qu'une personne raisonnable contracterait une dette de 201 225 $ et accepterait une obligation de verser des intérêts annuels de 20 122,56 $ pour gagner des dividendes qui, dans l'avenir prévisible, ne dépasseraient pas 2 610,55 $? J'ai beaucoup de mal à conclure que les 1 224 actions ordinaires ont été rachetées (acquises) en vue de gagner un revenu.

[24] D'après le témoignage des appelants, le but principal du plan successoral était de transférer des capitaux importants à la génération suivante dans l'espoir que cette dernière désirerait acheter et poursuivre cette entreprise familiale de longue date. J'ajoute foi à ce témoignage. Le plan successoral a été un succès en ce sens que les enfants de chaque appelant ont acquis des capitaux, après impôt, de 201 225 $. Le rachat des actions le 1er février 1988 était une étape nécessaire dans l'exécution du plan successoral. Les 1 224 actions rachetées par chaque appelant n'ont pas été acquises pour le minuscule montant de dividendes qu'elles pourraient rapporter; elles ont plutôt été acquises pour la réalisation du plan successoral.

[25] Les avocats des appelants invoquaient la récente décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hickman Motors Ltd. v. The Queen, 97 DTC 5363. L'affaire Hickman concernait le droit à une déduction pour amortissement à l'égard de certains actifs dont le contribuable, soit une société, avait été propriétaire pendant un bref laps de temps. L'affaire Hickman n'avait pas de rapport avec l'alinéa 20(1)c). Cette décision de la Cour suprême du Canada est une décision de quatre juges contre trois. Je ne vois dans l'arrêt Hickman aucun principe de droit qui aide les appelants dans l'interprétation de l'alinéa 20(1)c).

[26] Dans l'affaire The Queen v. Bronfman Trust, 87 DTC 5059, le juge en chef Dickson, qui a rendu le jugement pour la Cour, formulait l'observation suivante au sujet de l'interprétation de l'alinéa 20(1)c) :

[...] À mon avis, le texte de la Loi exige que les fonds empruntés aient été affectés à une utilisation admissible précise, car, à l'évidence, le but restreint qu'elle vise est d'encourager les contribuables à améliorer leurs possibilités de produire des revenus. Voilà, selon moi, qui vient empêcher qu'une déduction soit permise à l'égard de l'intérêt payé sur des fonds empruntés qui servent indirectement à conserver des biens productifs de revenu, mais qui ne sont pas utilisés directement "en vue de tirer un revenu ... d'un bien". [page 5067]

[27] Dans l'affaire 74712 Alberta Limited v. The Queen, 97 DTC 5126, la Cour d'appel fédérale a souligné le caractère restrictif de l'alinéa 20(1)c). À la page 5129, le juge Linden disait :

Les tribunaux appliquent strictement la déduction d'intérêts autorisée par le sous-alinéa 20(1)c)(i). Cela s'explique par le fait que les contribuables se servent habituellement de ces paiements pour augmenter leurs immobilisations. Si la loi n'autorisait pas cette déduction, aucune déduction ne serait normalement permise au titre de ce type de paiements. Toutefois, comme la politique fiscale canadienne vise à favoriser l'augmentation des possibilités de produire un revenu, le sous-alinéa 20(1)c)(i) autorise certaines déductions d'intérêts.

À la page 5134, le juge Robertson disait :

Il ressort à l'évidence de ces extraits que le principe de l'utilisation directe comporte deux volets. En premier lieu, il est nécessaire d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin admissible, c'est-à-dire qu'ils se rapportent à une source productive de revenu, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un bien. En second lieu, il doit exister un lien suffisamment direct entre l'utilisation de l'argent emprunté et la source de revenu. Ainsi, même dans les cas dans lesquels l'argent emprunté a été utilisé pour une fin qui a pour effet indirect d'améliorer la capacité du contribuable de gagner un revenu, les intérêts demeurent non déductibles. La fin productive de revenu est tout simplement trop indirecte.

[28] Dans l'affaire Mark Resources Inc. v. The Queen, 93 DTC 1004, le contribuable, soit une société, avait emprunté de l'argent pour faire un apport à sa société affiliée étrangère, de sorte que cette dernière puisse gagner un revenu de placements pour absorber ses pertes américaines accumulées aux fins de l'impôt américain. Le contribuable avait cherché à déduire dans le calcul de son revenu les intérêts sur l'argent emprunté. Rejetant l'appel du contribuable, le juge Bowman disait, à la page 1012 :

Quelle a été, donc, l'utilisation « directe » de l'argent emprunté en l'espèce? L'utilisation directe et immédiate a consisté à injecter des capitaux dans une filiale, avec comme conséquence nécessaire et prévue que la filiale devait tirer un revenu en intérêts de dépôts à terme, revenu sur lequel elle pourrait verser des dividendes. Cependant, à mon avis, l'on ne peut pas dire que le gain de revenus en dividendes était la fin réelle pour laquelle les fonds empruntés ont été utilisés. Théoriquement, l'on pourrait dire que, dans une série d'événements liés qui conduisent à une conclusion prédéterminée, tous visent, l'un après l'autre, à atteindre le résultat qui s'ensuit immédiatement, mais pour déterminer à quelle « fin » les fonds ont été empruntés, en application de l'alinéa 20(1)c), la Cour est confrontée à des considérations pratiques qui n'intéressent pas le théoricien pur. Cette fin, pratique et réelle, et en aucune façon lointaine, fantaisiste ou indirecte, consiste dans l'importation de pertes des États-Unis. [...]

Dans la présente espèce, bien qu'aucun argent n'ait été « emprunté » , chaque appelant a contracté une dette importante (201 225 $) en rachetant les 1 224 actions. La contrepartie concrète que je vois dans la livraison des billets était la réalisation d'un plan successoral bien conçu et non le fait de gagner un revenu. À mon avis, les 1 224 actions ordinaires rachetées par chaque appelant le 1er février 1988 n'ont pas été acquises en vue de gagner un revenu au sens du sous-alinéa 20(1)c)(ii). Les appels sont rejetés.

[29] L'intimée reconnaissait que les fiducies relatives aux divers enfants avaient en fait déclaré le revenu en intérêts que les appelants ont cherché à déduire pour les années en cause dans les appels. Dans les présents motifs du jugement, je conclus que les intérêts n'ont pas été payés par les appelants et que, s'ils l'ont été, ils ne l'ont pas été en vue de gagner un revenu au sens de l'alinéa 20(1)c).

[30] J'ai demandé à l'avocat de l'intimée, au cours de sa plaidoirie, ce que le ministre du Revenu national ferait à l'égard des intérêts déclarés par les fiducies et les enfants si je devais conclure que les intérêts n'avaient pas été payés ou n'étaient pas déductibles. L'avocat a répondu que Revenu Canada avait déjà établi une nouvelle cotisation à l'égard des enfants de Paul de manière à supprimer tout revenu en intérêts qu'ils avaient déclaré pour les années pertinentes. L'avocat a en outre dit que, « en vertu du dossier Équité » , il n'y avait aucune raison pour que les intérêts déclarés par les fiducies et/ou les enfants de Douglas et de Harvey ne puissent être l'objet d'une nouvelle cotisation de la même manière, c'est-à-dire de façon à supprimer tout revenu en intérêts déclaré par ces fiducies et/ou enfants. En rejetant les appels considérés en l'espèce pour les motifs énoncés précédemment, je présume que le ministre du Revenu national, question d'équité et en vertu de ce qu'on appelle le dossier Équité, établira de nouvelles cotisations à l'égard des fiducies ou des enfants des trois appelants de manière à supprimer de leur revenu tout intérêt que les appelants alléguaient avoir payé à l'égard des billets.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 1998.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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