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Date: 19980603

Dossier: APP-478-96-GST

ENTRE :

ADELE SCHAFER,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] La demande d'Adele Schafer vise l'obtention d'une ordonnance prolongeant le délai dans lequel peut être déposé un avis d'opposition à une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. L'avis de cotisation est daté du 2 septembre 1993 et porte le numéro 15938.

[2] Par lettre en date du 18 septembre 1996, les avocats de la requérante ont demandé au ministre du Revenu national, en vertu de l'article 303 de la Loi sur la taxe d'accise, la prorogation du délai pour produire un avis d'opposition à ladite cotisation. Un avis d'opposition en duplicata était joint à la lettre. Cette demande a été rejetée, d'où la présente demande de la requérante.

[3] La lettre porte la marque d'un tampon du ministère du Revenu national indiquant qu'elle a été reçue le 23 septembre 1996. Évidemment, au 23 septembre 1996, une période de plus de 1 an et 90 jours s'était écoulée depuis le 2 septembre 1993, et la demande n'aurait donc pas été présentée dans les délais si le délai commençait effectivement à courir le 2 septembre 1993. Ainsi, notre cour ne serait pas habilitée à accorder la prorogation de délai demandée.

[4] Le ministre du Revenu national allègue que l'avis de cotisation a été envoyé à la requérante par courrier ordinaire le 2 septembre 1993. La requérante allègue qu'elle n'avait pas reçu cet avis à ce moment-là et qu'elle n'en a appris l'existence et ne l'a reçu que le 30 juillet 1996, lors d'un interrogatoire préalable concernant des appels qu'elle avait interjetés à l'encontre d'autres cotisations.

[5] Si l'avis de cotisation, bien que daté du 2 septembre 1993, a pour la première fois été “ envoyé ” quand l'avocat de l'intimée l'a pour la première fois communiqué à la requérante, soit le 30 juillet 1996, l'avis d'opposition a été déposé en temps voulu lorsqu'il a été envoyé avec la lettre des avocats en date du 18 septembre 1996, et une ordonnance de prorogation de délai n'est pas nécessaire.

[6] L'intimée pour sa part a présenté une requête en annulation de la demande de la requérante. Tout ce qui a été avancé à l'appui de cette requête en annulation pourrait être avancé en réponse à la demande de la requérante. Je ne vois pas la nécessité d'encombrer le dossier d'une multitude de procédures.

[7] Les questions à trancher sont les suivantes :

1) La cotisation a-t-elle été envoyée à la requérante le 2 septembre 1993 ou à quelque autre date? Si l'intimée n'a pas établi cela, ce sont les principes énoncés dans les jugements Aztec Industries Inc. v. The Queen, 95 DTC 5235, et Rick Pearson Auto Transport Inc. v. The Queen, 4 GTC 3146 qui s'appliquent.

2) Si la cotisation a été envoyée, la requérante l'a-t-elle reçue?

3) Si je conclus que l'avis de cotisation a été envoyé mais que la requérante, sans que ce soit par sa faute (p. ex. du fait qu'elle n'aurait pas informé le ministre du Revenu national d'un changement d'adresse), n'a pas reçu cet avis à l'adresse à laquelle il avait été envoyé, quel en est l'effet juridique sur les droits d'opposition et d'appel de la requérante?

[8] Mme Schafer a été l'objet de deux avis de cotisation en date du 24 août 1993, qui portent les numéros 15936 et 15937. Suivant ses instructions, son avocat avait dressé des avis d'opposition en date du 16 novembre 1993. Mme Schafer avait demandé, en vertu du paragraphe 301(4) de la Loi sur la taxe d'accise, que le ministre n'examine pas de nouveau les cotisations mais qu'il les confirme immédiatement, de sorte qu'elle puisse en appeler à la Cour canadienne de l'impôt.

[9] Mme Schafer a reçu deux autres cotisations, l'une en date du 21 juin 1994 portant le numéro 16406, l'autre en date du 22 août 1994 portant le numéro 15993, et a déposé des avis d'opposition y relatifs. Dans ces oppositions, elle demandait aussi que les cotisations soient immédiatement confirmées. À la suite d'une lettre de ses avocats, Mme Schafer a reçu trois avis de décision du ministre du Revenu national et un avis de cotisation et, en conséquence, en a appelé à notre cour. Lors de l'interrogatoire préalable du 30 juillet 1996, l'avocat de l'intimée lui a montré l'avis de cotisation faisant l'objet de la présente demande. Cet avis est daté du 2 septembre 1993 et porte le numéro 15938. Il est adressé à Mme Schafer, au 118, Lakeshore Terrace, Saskatoon (Saskatchewan) S7J 3X6. Il s'agissait d'une cotisation de 33 031,62 $ établie à l'égard d'Adele Schafer en vertu du paragraphe 325(1) de la Loi sur la taxe d'accise et concernant des transferts en espèces de Reginald Schafer à Adele Schafer effectués au cours de la période allant du 1er janvier 1991 au 6 mai 1993.

[10] Mme Schafer nie avoir reçu l'avis de cotisation. À cette époque, M. et Mme Schafer vivaient au 118, Lakeshore Terrace avec leur fils, qui avait environ 26 ans en 1993. Aucun enfant de moins de 18 ans ne vivait à cette adresse. Mme Schafer a témoigné que le courrier était toujours livré à la porte de devant et qu'on le plaçait sur une table, où chacun prenait son propre courrier.

[11] Un extrait du guide postal pour Saskatoon a été déposé en preuve. Il contient le code postal des numéros 102 à 114 de Lakeshore Terrace, soit S7J 3X6, mais rien pour le 118, Lakeshore Terrace. Sont également mentionnées les rues Lakeshore Bay, Lakeshore Crescent, Lakeshore Court et Lakeshore Place. La requérante a témoigné que, “ bien des fois ”, le courrier qui lui était destiné ne lui parvenait pas et que, parfois, elle recevait du courrier destiné au 118, Lakeshore Crescent.

[12] Mme Schafer a été soumise à un contre-interrogatoire très approfondi, vigoureux et habile par l'avocat de l'intimée mais n'a pas été ébranlée dans son affirmation selon laquelle elle n'avait pas reçu l'avis de cotisation.

[13] La crédibilité de Mme Schafer était indéniablement mise en doute, tant à l'égard d'une télécopie qu'elle avait reçue en juin 1996 et qui, parmi les documents de la Couronne, faisait état de l'avis de cotisation en cause, qu'à l'égard du fait qu'elle savait que son mari avait été emprisonné pour fraude postale.

[14] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Schafer n'a pas reçu l'avis de cotisation numéro 15938 en date du 2 septembre 1993. Je suis conscient de l'existence de certaines inconséquences dans son témoignage. Je n'ignore pas non plus que le juge Mogan a, dans une autre instance, tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de Mme Schafer. Toutefois, cette conclusion ne peut être introduite dans les conclusions que je tirerai en l'espèce. Des conclusions en matière de crédibilité se fondent sur plusieurs facteurs, dont l'un des plus importants est l'observation, par le juge, de l'attitude du témoin à la barre. D'autres facteurs doivent aussi être pris en considération, par exemple, les circonstances. Lorsqu'une conclusion négative quant à la crédibilité comporte une conclusion que le témoin ment délibérément, il faut une preuve très convaincante.

[15] En l'espèce, le témoignage de Mme Schafer est étayé par le fait que ni elle ni son époux n'avaient de raison de faire fi d'un avis de cotisation si Mme Schafer l'avait effectivement reçu. En outre, à l'époque où l'avis de cotisation a prétendument été envoyé, Mme Schafer contestait vigoureusement toutes les autres cotisations, au point où elle renonçait même à ce qu'elles soient examinées de nouveau, de manière à ce que l'affaire puisse être portée devant notre cour.

[16] Je considère donc comme avéré que Mme Schafer n'a pas reçu l'avis de cotisation numéro 15938.

[17] Cette conclusion ne met toutefois pas un terme à l'affaire. Trois questions demeurent :

a) En vertu des dispositions de la sous-section g de la section VIII de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, le ministre est-il réputé de façon concluante avoir envoyé la cotisation le 2 septembre 1993, et la requérante est-elle réputée de façon concluante avoir reçu la cotisation le 2 septembre 1993?

b) Dans la négative, le ministre a-t-il établi que, effectivement, la cotisation avait été envoyée le 2 septembre 1993?

c) Dans l'hypothèse d'une conclusion que la cotisation a été envoyée le 2 septembre 1993, le délai dans lequel la requérante peut faire opposition ou obtenir une prorogation de délai en vertu de la sous-section d court-il à partir de cette date, bien qu'elle n'ait pas en fait reçu la cotisation?

[18] Les paragraphes 335(10) et (11) disposent ceci :

(10) La date de mise à la poste d'un avis ou d'une mise en demeure que le ministre a l'obligation ou l'autorisation d'envoyer ou de poster à une personne est réputée être la date qui apparaît sur l'avis ou la mise en demeure.

(11) Lorsqu'un avis de cotisation a été envoyé par le ministre de la manière prévue à la présente partie, la cotisation est réputée établie à la date de mise à la poste de l'avis.

[19] Le paragraphe 334(1) se lit comme suit :

334.(1) Pour l'application de la présente partie, tout envoi en première classe ou l'équivalent est réputé reçu par le destinataire à la date de sa mise à la poste.

[20] Ces dispositions créent des présomptions réfutables. Le mot “ réputé(e) ” n'indique pas que le législateur entendait que la simple production d'un avis de cotisation portant une date prouve de façon concluante qu'une cotisation a été établie et envoyée et que le contribuable l'a reçue.

[21] Lorsque, comme en l'espèce, un avis de cotisation n'a pas été reçu par le contribuable, il incombe au ministre d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que cet avis a au moins été envoyé.

[22] Le paragraphe 335(1) traite de la preuve de signification par courrier recommandé ou certifié, mais il est muet sur le cas d'un avis ou autre document envoyé par courrier ordinaire. L'intimée acceptait donc le fardeau de prouver que la cotisation avait été envoyée par courrier ordinaire.

[23] Dans une grande organisation comme un ministère, un cabinet d'avocats ou d'experts-comptables ou une société, où le courrier envoyé chaque jour est volumineux, il est pratiquement impossible de trouver un témoin pouvant jurer qu'il a déposé au bureau de poste une enveloppe adressée à telle ou telle personne. Le mieux qu'on puisse faire est de décrire en détail les étapes suivies, par exemple le fait d'adresser les enveloppes, d'y insérer des documents, d'apporter les enveloppes à la salle du courrier et de livrer le courrier au bureau de poste.

[24] L'intimée a appelé quatre témoins. M. Ronald Gilewicz, du ministère du Revenu national, a décrit la marche suivie pour l'établissement et la délivrance d'avis à des tiers en vertu de l'article 325 de la Loi sur la taxe d'accise. Des formulaires en blanc d'avis de cotisation destinés aux tiers étaient gardés sous clé. Un formulaire était rempli à la main par l'agent de perception, qui le remettait à un commis de perception, qui en faisait la transcription à la machine puis remettait cet avis à l'agent de perception pour révision. Ce dernier soumettait cet avis à l'approbation de M. Gilewicz, qui était alors gestionnaire de district chargé de la perception. Lorsque M. Gilewicz approuvait l'avis, il le remettait au commis de perception, qui en faisait deux copies. Une copie était conservée dans le dossier de perception, et l'autre était versée au dossier de perception relatif au tiers. Le commis de perception insérait ensuite l'avis dans une enveloppe à fenêtre avec une lettre d'accompagnement, et cette enveloppe était apportée à la salle du courrier, située au même étage. L'enveloppe était placée dans un des sacs de poste que Postes Canada ramassait tous les jours.

[25] La cotisation était également consignée sur une feuille de contrôle, que M. Gilewicz paraphait (pièce R-2). Cette feuille indiquait le nom du contribuable, celui du commis de perception (Stacey Glauser) et celui de l'agent de perception (Dennis Sarvajc).

[26] Stacey Glauser et Dennis Sarvajc ont témoigné et ont confirmé les procédures décrites par M. Gilewicz.

[27] Mme Rachael Fang a également témoigné. Elle travaillait à la salle du courrier. Le courrier provenant des diverses sections du ministère était placé sur une table de la salle du courrier, dans une boîte à divisions. Le courrier était trié, pesé et affranchi à la machine, puis placé dans le sac de Postes Canada.

[28] Personne n'a pu témoigner qu'une enveloppe précise adressée à Mme Schafer avait effectivement été envoyée le 2 septembre 1993.

[29] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l'avis de cotisation a vraisemblablement été placé dans le sac de Postes Canada le 2 septembre 1993. Je dis cela sans disposer d'aucune preuve précise à cet égard. Toutefois, si la marche normale a été suivie, l'hypothèse selon laquelle l'avis a été envoyé semble plus probable que l'hypothèse contraire.

[30] La preuve tendant à établir que Mme Schafer n'a pas reçu la cotisation est un peu plus forte.

[31] Donc, parmi les diverses hypothèses qui viennent à l'esprit, la plus probable, selon la preuve, est celle selon laquelle l'avis de cotisation a été envoyé le 2 septembre 1993 et que Mme Schafer ne l'a pas reçu.

[32] Il reste donc la question de droit.

[33] Le ministre a envoyé l'avis à la bonne adresse, mais cet avis n'est pas parvenu à destination. Ce cas est très différent de celui qui se présentait dans l'affaire A-G Can. v. Bowen, 91 DTC 5594, où le ministre avait envoyé une notification de ratification par courrier recommandé, mais le contribuable ne l'avait pas reçue parce qu'il avait omis de fournir au ministre sa nouvelle adresse. À la page 5596, la Cour d'appel fédérale a dit :

À notre avis, l'obligation qui incombait au ministre aux termes du paragraphe 165(3) correspondait précisément à ce qu'il a fait, c'est-à-dire aviser l'intimé de la ratification de la cotisation par courrier recommandé. Rien, dans ce paragraphe ni dans l'article 169, n'exigeait que la notification soit “signifiée” à personne ou soit reçue par le contribuable. En expédiant l'avis par courrier recommandé, le ministre était en droit de se servir de l'adresse ou des adresses que l'intimé avait lui-même déjà fournies. Le ministre n'était pas tenu de chercher à se renseigner plus avant. En outre, l'exigence de réception de l'avis serait difficile, sinon totalement impossible, à appliquer du point de vue administratif. Le Parlement ne l'a pas exigé; il a simplement prescrit que l'avis devait être envoyé par courrier recommandé.

Il appert que la raison pour laquelle l'intimé n'a pas reçu l'avis était, non pas que le ministre avait omis de faire tout ce qui lui était imposé, mais que l'intimé n'avait pas tenu son adresse postale à jour. Les dispositions qu'il avait prises pour la réception de son courrier alors qu'il était absent du Canada, de mars 1988 à décembre 1989, n'ont pas été suivies, mais on ne peut certes pas en imputer la responsabilité au ministre, qui a toujours agi de la façon requise par la Loi.

[34] Aucune faute ne peut être attribuée à Mme Schafer. Contrairement à M. Bowen, elle n'avait pas déménagé. L'avis a été envoyé à l'adresse de Mme Schafer et, sans que ce soit sa faute, elle ne l'a pas reçu. Je ne crois pas que l'arrêt Bowen puisse être appliqué à une telle situation ou que la Cour d'appel fédérale ait voulu qu'il résulte de sa décision que, lorsqu'un contribuable établit par une preuve crédible qu'un avis n'a pas été reçu, ses droits d'opposition disparaissent, tout simplement, si elle n'apprend l'existence de la cotisation qu'après l'expiration du délai imparti pour faire opposition.

[35] Le fait même que, en vertu du paragraphe 335(1), l'avis est réputé avoir été reçu à la date à laquelle il a été envoyé – présomption tout à fait irréaliste – indique que la réception de l'avis est normalement considérée comme un élément essentiel de la signification de l'avis. La présomption de réception énoncée au paragraphe 335(1) n'est pas concluante, et cette présomption a été réfutée.

[36] L'avocat s'est référé aux jugements Aztec et Rick Pearson, précités. Ces jugements reposaient sur le fait que le ministre n'avait pas établi que les avis avaient été envoyés.

[37] Les jugements Adler v. The Queen, 98 DTC 1414, et Antoniou v. M.N.R., 88 DTC 1415, sont à mon avis plus pertinents en l'espèce. Dans ces deux affaires, il a été statué que, du fait que le contribuable n'avait pas reçu l'avis de cotisation, les délais impartis pour faire opposition n'avaient pas commencé à courir. Dans les deux cas, la Cour a donc rejeté la demande comme étant inutile.

[38] Il y a lieu d'en faire autant en l'espèce. La contribuable a reçu l'avis de cotisation en juillet 1996, lors d'un interrogatoire préalable. Elle a valablement fait opposition à la cotisation dans les délais prescrits par la Loi. Donc, la demande de prorogation est inutile. Pour ce motif, la demande est rejetée, et il est fait droit à la requête en annulation mais non pour les raisons avancées par l'avocat de la Couronne.

[39] Je ne rends aucune ordonnance quant aux frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 1998.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de décembre 1998.

Erich Klein, réviseur

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