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Date: 19971126

Dossier: 96-2865-IT-I; 96-2866-IT-I

ENTRE :

RANDALL LOTT, TRISH LOTT,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Les appelants, mari et femme, interjettent appel des cotisations d'impôt sur le revenu établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Les questions en litige sont identiques et les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune. Il s'agit de déterminer si le paragraphe 18(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”) limite en l'espèce le montant de certaines pertes, subies dans l'exploitation d'une garderie, que les appelants peuvent déduire dans le calcul de leurs revenus des années en cause.

[2] Peu après la naissance de leur deuxième enfant, les appelants ont décidé d'exploiter dans leur maison une garderie pour enfants d'âge préscolaire. À cette fin, Mme Lott a suivi un cours sur l'exploitation de garderies au Collège Kwantlen. Au cours de la même période, les appelants ont vendu la maison où ils vivaient et qui ne pouvait servir de garderie parce qu'elle était trop petite, et ils ont acheté une plus grande maison, mieux adaptée à cette fin, dans laquelle ils ont emménagé avec leurs deux enfants. La maison en question comptait deux étages. À l'étage du bas se trouvaient une salle familiale, une salle de toilettes, une salle de lavage où l'on avait aménagé un bureau, et le garage. À celle du haut, on retrouvait une salle de séjour et une salle à manger combinées, une cuisine, une salle de bain et trois chambres à coucher, dont l'une était dotée d'une salle de bain en suite. Après avoir pris possession de la maison, M. Lott a construit une terrasse recouverte, d'une superficie d'environ 10 pieds sur 25 pieds, et un mur de soutènement au bout du terrain en arrière, et il a réparé la clôture sur deux côtés.

[3] Le prix d'achat de la maison était de 181 000 $ dont 161 950 $ ont été obtenus au moyen d'une hypothèque dont le taux d'intérêt annuel était de 10,135 p. 100. Le coût de la terrasse recouverte, du mur de soutènement et des réparations de la clôture n'a pas été établi au procès. Cependant, la preuve a établi les montants payés au cours de chacune des années visées par l'appel au titre de l'intérêt hypothécaire et des taxes municipales. La garderie a été exploitée par les appelants pendant les quatre derniers mois de l'année 1992, tout au long de l'année 1993 et pendant les sept premiers mois de l'année 1994. Des états des pertes subies dans chacune des trois années en question ont été préparés par un comptable et ont été produits en preuve. Dans les états des pertes, le comptable a déduit un montant du revenu au titre de l'utilisation de la résidence qui, chaque année, correspondait à 40 p. 100 d'un montant que l'on dit être le coût lié à la résidence pour l'année en question. Le comptable n'a pas témoigné, et ni la proportion de 40 p. 100 attribuée à l'entreprise de garderie, ni les chiffres de référence auxquels ce pourcentage a été appliqué dans les trois années, n'ont été établis de façon satisfaisante par le témoignage des appelants. Les pertes de l'entreprise qui figurent dans les états dressés par le comptable, la portion de ces pertes qui découle des frais liés à la résidence, et la portion liée aux activités[1], sont les suivantes :

ANNÉE PERTE RÉSIDENCE ACTIVITÉS

1992 7 299 $ 3 462 $ 3 837 $

1993 6 910 $ 7 387 $ profit de 477 $

1994 4 670 $ 4 292 $ 378 $

La Couronne ne conteste pas que l'entreprise était exploitée dans le cadre d’une société de personnes dans laquelle chacun des appelants détenait une part égale.

[4] En 1992, Mme Lott exploitait la garderie pendant la plus grande partie de la journée : le premier enfant arrivait à 5 h 45 et le dernier partait vers 18 h. En 1993 et en 1994, elle a exercé un emploi le soir ailleurs et partait en général pour le travail vers 16 h 45 ou 17 h; M. Lott, qui travaillait à temps plein ailleurs, prenait alors la relève auprès des enfants après sa journée de travail, jusqu'à ce qu'on vienne les chercher. Mme Lott s'en occupait presque toute la journée, leur faisait prendre leurs repas, organisait des activités à leur intention et répondait de façon générale à leurs besoins. En plus de surveiller les enfants pendant une brève période après son travail, M. Lott s'occupait de l'entretien général de la maison et de l'entreprise.

[5] Mme Lott a témoigné que toute la résidence et son terrain étaient utilisés d'une façon ou d'une autre aux fins de la garderie. En 1992, de trois à cinq enfants ont fréquenté la garderie, deux ou trois l'ont fait en 1993 et, en 1994, elle s'est occupée d'un seul enfant en plus des deux siens. Chaque pièce de la maison, y compris chacune des trois chambres à coucher, a-t-elle dit, était utilisée pour jouer, pour regarder la télévision ou des vidéocassettes, pour lire, pour manger ou pour dormir. En outre, la cour avant, la cour arrière, la terrasse recouverte, l'allée d'accès au garage et le garage ont tous été utilisés à un moment ou à un autre comme terrain de jeux pour les enfants. Cette prétention n'a pas été sérieusement contestée en contre-interrogatoire, mais il est évident qu'en 1994 par exemple, lorsqu'un seul enfant fréquentait la garderie outre les enfants des Lott, si toutes les pièces de la maison avaient été utilisées par cet enfant, en ce qui concerne la plupart des pièces, cela n'a pu être que pendant une très brève période dans une journée. Même au plus fort des activités en 1992, lorsque cinq enfants fréquentaient la garderie, il est difficile de voir comment ceux-ci auraient pu utiliser toute la maison et le terrain pendant 40 p. 100 du temps. Je reconnais cependant que, chaque année, toutes les parties de la maison ont été utilisées par l'entreprise de garderie pendant une certaine période, si brève qu'elle puisse avoir été.

[6] Dans les nouvelles cotisations établies à l'égard des appelants pour les années en question, le ministre du Revenu national a refusé les pertes déduites qui se rapportaient à l'utilisation de la résidence, invoquant le paragraphe 18(12) de la Loi à l'appui de sa décision. Le paragraphe en question se lit comme suit :

18(12) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un particulier tiré d'une entreprise pour une année d'imposition :

a) un montant n'est déductible pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d'établissement :

(i) soit est son principal lieu d'affaires,

(ii) soit lui sert exclusivement aux fins de tirer un revenu d'une entreprise et pour rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise;

b) si une partie de l'établissement domestique autonome où le particulier réside est son principal lieu d'affaires ou lui sert exclusivement aux fins de tirer un revenu d'une entreprise et pour rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise, le montant déductible pour cette partie d'établissement ne peut dépasser le revenu du particulier tiré de cette entreprise pour l'année — calculé sans tenir compte de ce montant —;

c) tout montant qui, par le seul effet de l'alinéa b), n'est pas déductible pour une partie d'établissement domestique autonome dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année d'imposition précédente est déductible dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année, sous réserve des alinéas a) et b).

L'avocate du ministre a soulevé trois arguments concernant ces nouvelles cotisations. Premièrement, dans la présente affaire, ce n'est pas “[une] partie” de la maison et des terrains qui était utilisée pour l'entreprise, mais la totalité, de sorte que le paragraphe ne s'applique pas. Deuxièmement, au cours de la période pertinente, la maison des Lott ne répondait pas à la définition d'un “établissement domestique autonome”, de sorte que le paragraphe ne peut s'appliquer à son égard. Troisièmement, si la maison correspondait bien à la définition d'“établissement domestique autonome”, c'est uniquement la maison, et non le terrain adjacent et sous-jacent, qui était visée par la définition, de sorte que les appelants ont le droit de tenir compte de l'intérêt hypothécaire et des taxes municipales se rapportant au terrain dans le calcul de leurs pertes pour l'année.

[7] À l'appui du premier argument, l'avocate s'est reportée au discours du budget du ministre des Finances du 18 juin 1987, où ce dernier a annoncé la modification de la Loi pour y ajouter le paragraphe 18(12), au Livre blanc sur la réforme fiscale rendu public le même jour et aux notes techniques du ministère des Finances qui l'accompagnaient. Ces documents, soutient-elle, indiquent que le législateur souhaitait non pas que cette nouvelle disposition restrictive s'applique aux entreprises de garderie qui utilisent toutes les parties de la maison, mais qu'elle s'applique simplement aux bureaux à domicile qui occupent une partie de la maison. Il ressort très clairement du libellé du paragraphe (12) que celui-ci vise à restreindre la mesure dans laquelle les particuliers qui utilisent leurs maisons à des fins commerciales peuvent déduire une partie des frais d'entretien de la maison de leur revenu d'entreprise. La disposition en question établit la règle selon laquelle les frais d'entretien de la maison où l'entreprise est exploitée ne peuvent être déduits que s'il est satisfait aux sous-alinéas (i) ou (ii), et alors seulement dans la mesure où cela n'a pas pour effet de créer une perte d'entreprise ou de contribuer à créer une perte d'entreprise. Selon le libellé, la disposition s'applique à “une entreprise”, et rien dans les termes du paragraphe ne peut raisonnablement être interprété comme limitant l'effet de la disposition à un genre donné d'entreprise ou comme soustrayant de l'application de celle-ci un genre donné d'entreprise. Bref, il n'existe aucune ambiguïté quant à la portée du paragraphe 18(12) et, partant, il n'y a pas lieu de recourir à des documents sans grande pertinence pour en faciliter l'interprétation.[2]

[8] Je n'accepte pas non plus l'argument selon lequel la disposition en cause ne s'applique pas à la garderie en l'espèce parce que celle-ci était exploitée dans toute la maison des Lott et non seulement dans une partie de celle-ci. L'expression “la partie” englobe clairement l'ensemble. Si une activité est menée partout dans un endroit donné, on ne peut dire d'elle qu'elle n'est pas menée “dans [une] partie”. Cela ressort de la décision rendue dans l'affaire Aerlinte Eireann Teoranta v. Canada[3], où la Cour d'appel fédérale a statué que le renvoi à une partie d'un texte législatif comporte un renvoi à tout le texte.

[9] J'en viens maintenant aux deux arguments que l'avocat des appelants a fait valoir en se fondant sur la définition de l'expression “self-contained domestic establishment” (établissement domestique autonome) énoncée dans la version anglaise du paragraphe 248(1) de la Loi :

[...] a dwelling house, apartment or other similar place of residence in which place a person as a general rule sleeps and eats;

On soutient premièrement que cette définition ne s'applique pas à la maison des appelants parce que M. Lott prenait la plupart de ses repas à l'extérieur de la maison, que les deux dernières années, Mme Lott dînait à l'endroit où elle travaillait le soir et que, lorsqu'elle prenait le petit déjeuner et le déjeuner à la maison, ce n'était alors pas une résidence mais une garderie puisque les enfants y étaient. Alors, soutient-on, on ne peut dire qu'en règle générale, les appelants dormaient et mangeaient dans leur maison. Cet argument n'est pas fondé. La preuve a révélé que les appelants dormaient toujours dans la maison et qu'ils y prenaient leur repas, sauf lorsqu'ils les prenaient au restaurant, au travail ou ailleurs, à titre d'invités. Le bon sens n'a pas encore été écarté comme outil d'interprétation[4]. Dans la présente affaire, le bon sens nous dit que la maison des Lott, même si ces derniers l'ont choisi parce qu'elle convenait à l'établissement d'une garderie, est leur résidence, et un établissement domestique autonome.

[10] L'autre argument fondé sur la définition en question est que le paragraphe 18(12), même s'il s'applique à la maison dans la présente affaire, ne s'applique pas au terrain qui est adjacent et sous-jacent à celle-ci. On soutient que les termes “la partie d'un établissement domestique autonome” comprennent n'importe quelle partie de la maison, en excluant toute partie du terrain, de sorte que la disposition, dont l'effet est ainsi restreint, ne s'applique pas aux frais qui se rapportent au terrain. On dit que cela découle des termes “[...] habitation, [...] appartement ou [...] autre logement de ce genre [...]”, qui, selon l'avocat, s'appliquent au bâtiment seulement. À l'appui de sa prétention, l'avocat invoque la définition d'“habitation” figurant à l'article 231 de la Loi, libellée comme suit :

“maison d'habitation” Tout ou partie de quelque bâtiment ou construction tenu ou occupé comme résidence permanente ou temporaire, y compris :

a) un bâtiment qui se trouve dans la même enceinte qu'une maison d'habitation et qui y est relié par une baie de porte ou par un passage couvert et clos;

b) une unité conçue pour être mobile et pour être utilisée comme résidence permanente ou temporaire et qui est ainsi utilisée.

[11] Cette définition ne nous est pas utile. Elle ne s'applique que dans le contexte de l'article 231, qui concerne le sujet général de l'inspection, de la fouille et de la perquisition aux fins de l'application de la Loi, où des considérations fort différentes sont en cause. Je crois cependant utile d'examiner la définition de l'expression “établissement domestique autonome” utilisée dans le texte français du paragraphe 18(12) et définie au paragraphe 248(1) de la Loi :

[ ] habitation, [ ] appartement ou [ ] autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

Le terme “habitation” en français a une portée plus large que le terme “dwelling-house” en anglais, et il peut inclure tant le bâtiment que le terrain[5].

[12] S'il subsiste une ambiguïté, elle est dissipée grâce à un examen de l'objet du paragraphe 18(12)[6]. Le discours du budget, le Livre blanc et les notes techniques publiés par le ministère des Finances, que l'avocat des appelants a soumis à la Cour, montrent que le paragraphe 18(12) a pour objet d'empêcher les contribuables d'utiliser une partie des dépenses liées à leurs résidences pour créer des pertes d'entreprise qui auront pour effet d'annuler une partie de leur revenu provenant d'autres sources. S'il était retenu, l'argument des appelants entraînerait le résultat remarquable suivant, à savoir qu'ils auraient droit, comme toux ceux qui, dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise à domicile, utilisent le terrain qui entoure leurs résidence, de tenir compte de pertes d'entreprise dans la mesure où celles-ci découlent de l'intérêt et des taxes se rapportant au terrain résidentiel et non au bâtiment résidentiel. De fait, même ceux qui utilisent une partie du bâtiment seul pourraient prétendre avoir le droit de déduire l'intérêt hypothécaire et les taxes se rapportant au terrain situé sous cette partie du bâtiment, sans tomber sous le coup des restrictions du paragraphe 18(12). Un tel résultat défie toute explication logique et ne respecterait certainement pas l'intention manifeste du législateur. Il est par conséquent à éviter[7].

[13] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de novembre 1997.

“E. A Bowie”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]               J'utilise le terme “activités” pour désigner toutes les dépenses qui ont donné lieu aux pertes autres que celles qui sont liées à l'utilisation de la résidence.

[2]               Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, p. 114.

[3]               (1990) 68 D.L.R. (4th) 220.

[4]               R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618, p. 631.

[5]               Le Grand Robert de la Langue Française, 2e éd., vol. 5 p. 70.

[6]               Notre Dame de Bonsecours c. Communauté urbaine de Québec et al., [1994] 3 R.C.S. 3, p. 20

[7]               Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] R.C.S. 614, le juge Sopinka, p. 633.

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de mai 1998.

Benoît Charron, réviseur

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