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Dossier : 2014-40(IT)G

ENTRE :

CHIEN CHUNG TANG,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 15 et 16 mai 2017, à Halifax (Nouvelle‑Écosse)

Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me David I. Besler

 

JUGEMENT

L’appel à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 est accueilli, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour réexamen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Chaque partie supportera ses propres dépens, sous réserve du droit de l’une ou l’autre des parties de présenter d’autres observations dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.


Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2017.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de septembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste.


Référence : 2017 CCI 168

Date : 20170907

Dossier : 2014-40(IT)G

ENTRE :

CHIEN CHUNG TANG,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

A.  APERÇU

[1]  Le présent appel concerne les évaluations fondées sur la valeur nette qui ont été effectuées à l’égard de M. Chien Chung Tang par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Au cours des années d’imposition en question, l’activité de M. Tang portait sur l’achat, la vente et la location de biens immobiliers.

[2]  M. Tang a agi pour son propre compte à l’audience. Bien qu’il ait été représenté par un avocat jusqu’à peu de temps avant sa première audience prévue, il a congédié son avocat et n’a pas jugé bon de retenir les services d’un nouvel avocat. Lors de l’audience initiale en mars 2016, M. Tang semblait confus quant au fardeau juridique qui lui incombait. Pour m’assurer que l’affaire soit jugée sur le bien-fondé, j’ai ajourné l’audience. Une nouvelle date d’audience a été fixée au mois de mai 2017, plus d’un an plus tard, et j’ai vivement conseillé à M. Tang, compte tenu de la rigueur de la procédure générale de la Cour, de retenir les services d’un nouvel avocat. M. Tang a néanmoins insisté pour agir pour son propre compte. Pour répondre aux souhaits de M. Tang, la Cour a prévu deux téléconférences sur la gestion de l’instance afin de s’assurer que M. Tang comprenne la procédure générale et ses obligations en ce qui concerne la réfutation des présomptions du ministre.

[3]  M. Tang est arrivé au Canada sous l’égide du programme d’immigration des gens d’affaires en 1994, mais il ne réside plus au Canada. En vertu du programme d’immigration des gens d’affaires, M. Tang ne pouvait pas être un employé, mais devait plutôt créer sa propre entreprise. Il a investi dans des biens immobiliers pour en tirer des revenus de location et a également acheté et vendu de tels biens. M. Tang a appuyé sa communauté en faisant un don important à son YMCA local et a aidé financièrement une troupe de théâtre à Amherst, en Nouvelle‑Écosse. M. Tang a souligné que sa maîtrise de l’anglais avait diminué depuis qu’il avait quitté le Canada à la fin de 2009. J’ai autorisé le fils de M. Tang, Chia‑Hao Tang, à s’asseoir à côté de son père à la table des avocats et à aider son père pendant l’audience. Cependant, je n’ai pas autorisé le fils de M. Tang à s’adresser directement à la Cour, autrement qu’en tant que témoin.

[4]  À l’audience, M. Tang et son fils, Chia‑Hao, ont témoigné à l’appui de la thèse de l’appelant. M. Chris Coghlin, vérificateur à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a témoigné au nom du ministre.

[5]  À la suite d’une analyse de la valeur nette, M. Tang a fait l’objet d’une nouvelle cotisation visant à inclure, pour les années d’imposition 2005 à 2007, des revenus supplémentaires de 122 100 $, de 291 663 $ et de 74 943 $, respectivement. Des pénalités pour faute lourde à l’égard de chacune des années d’imposition en cause ont également été établies en application du paragraphe 163(2) de la Loi.

B.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]  Les questions soulevées par le présent appel sont les suivantes : 1) Le revenu a-t-il été correctement établi? 2) L’année d’imposition 2005 a-t-elle fait l’objet d’une nouvelle cotisation à juste titre après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi? 3) Les pénalités pour faute lourde ont-elles été correctement établies?

C.  LA THÈSE DES PARTIES

1.  La thèse de l’appelant

[7]  Selon M. Tang, les calculs du ministre sont erronés puisque ce dernier n’a pas tenu compte de divers prêts qu’il a reçus de membres de sa famille, notamment la part de l’héritage de son père qu’il a reçu au moyen d’un prêt, et diverses sommes reçues d’une société appelée Neostar Technologies Co. Ltd. En outre, M. Tang soutient que le solde des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited au 31 décembre 2004 a été sous-évalué, et le montant des dépenses personnelles indiqué à l’annexe D de la réponse était nettement surestimé. M. Tang a également souligné qu’il avait vendu divers biens immeubles au fil des ans et utilisé le produit pour payer les frais de subsistance de sa famille.

2.  La thèse de l’intimée

[8]  Selon l’intimée, les réponses données par M. Tang aux questions écrites de l’interrogatoire préalable révèlent que la seule question que je dois trancher concerne l’année d’imposition 2005 et, plus précisément, les prêts consentis par des membres de sa famille totalisant 385 288 $ et le montant du solde d’ouverture des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited au 31 décembre 2004. Comme M. Tang l’a indiqué dans ses réponses à l’interrogatoire préalable, il devait indiquer s’il avait d’autres préoccupations concernant le calcul de la valeur nette effectué par le ministre, mais M. Tang n’en avait pas. Pour cette raison, selon l’intimée, je ne devrais pas me prononcer sur d’autres questions dans le présent appel. Je reviendrai plus loin sur ce point.

D.  ANALYSE

1.  La méthode de la valeur nette et le fardeau de la preuve

[9]  La méthode de la valeur nette « repose sur le postulat selon lequel, si l’on soustrait la valeur nette d’un contribuable en début d’année à sa valeur nette en fin d’année, si l’on ajoute les dépenses du contribuable durant l’année et si l’on soustrait les encaissements non imposables et les plus-values d’actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l’année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. C’est au mieux une méthode insatisfaisante, qui est arbitraire et inexacte, mais quelquefois c’est le seul moyen d’arriver à un chiffre qui se rapproche du revenu d’un contribuable. » (Bigayan c. La Reine, 1999 CanLII 96 (CCI), [2000] 1 CTC 2229, 2000 DTC 1619, au paragraphe 2 [la décision Bigayan])

[10]  Afin de contester avec succès ces cotisations, M. Tang doit présenter un témoignage détaillé et convaincant ainsi que des éléments de preuve à l’appui, dans la mesure du possible, pour expliquer les augmentations apparentes de sa valeur nette. M. Tang peut obtenir gain de cause en appel si les éléments de preuve qu’il a présentés constituent, à première vue, une réfutation suffisante des présomptions formulées par le ministre. Par exemple, il peut réussir en établissant, selon la prépondérance des probabilités, des faits nouveaux dont le ministre n’a pas tenu compte et qui montrent qu’il n’a pas gagné le revenu non déclaré ou bien en démontrant que les présomptions de fait du ministre sont erronées. Une fois qu’une preuve suffisante à première vue est établie, le fardeau de la preuve revient au ministre, qui doit alors établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits requis pour étayer les nouvelles cotisations.

[11]  Ce processus a été décrit aux paragraphes 92 et 93 de l’arrêt Hickman Motors Ltd c. Canada, [1997] 2 RCS 336, 97 DTC 5363, où la Cour suprême a souligné ce qui suit :

92  […] En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions, et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable. Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus […]

93  L’appelant s’acquitte de cette charge initiale de « démolir» l’exactitude des présomptions du ministre lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie […] Il est établi en droit qu’une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre […]

[Citations omises; souligné dans l’original.]

[12]  Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale au paragraphe 20 de l’arrêt Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241, 2009 DTC 5029, l’application de la méthode de la valeur nette ne change pas cette norme de preuve :

20  […] Dans la mesure où le ministre présume que le revenu constaté par l’application de la méthode de l’avoir net est un revenu imposable, il revient au contribuable de démolir cette présomption. Si celui-ci présente une preuve crédible que le montant en question n’a pas le caractère de revenu, le ministre doit alors aller au-delà de ses présomptions de fait et déposer la preuve de l’existence de ce revenu.

[13]  Outre le fait de fournir des éléments de preuve pour réfuter les présomptions du ministre, il existe une deuxième façon de réfuter une évaluation fondée sur la valeur nette, à savoir de montrer qu’elle est intrinsèquement erronée. Comme le juge Bowman (tel était alors son titre) l’a expliqué dans la décision Bigayan (précitée, aux paragraphes 3 et 4) :

3  Le meilleur moyen de contester une cotisation fondée sur la valeur nette est de produire la preuve de ce qu’est véritablement le revenu du contribuable. Un moyen moins satisfaisant, mais néanmoins acceptable, est décrit par le juge Cameron dans l’affaire Chernenkoff v. Minister of National Revenue, 49 DTC 680, à la page 683 :

[traduction]

En l’absence de documents, l’autre moyen offert à l’appelant consistait à prouver que, même après une application en règle de la formule de la valeur nette, les cotisations étaient erronées

4  Ce moyen de contester une cotisation fondée sur la valeur nette est reconnu, mais, même après que l’on a procédé aux rajustements, on reste avec le sentiment trouble que la vérité n’a pas été pleinement découverte. Il est peu probable que l’on rende parfait en le modifiant un instrument qui, par nature, est imparfait. L’appelant a choisi d’utiliser le deuxième moyen.

[14]  Par conséquent, la crédibilité de M. Tang et ses éléments de preuve joueront un rôle déterminant (Landry c. La Reine, 2009 CCI 399, au paragraphe 47, 2009 DTC 1359 [la décision Landry]; Roy c. La Reine, 2006 CCI 226, 2008 DTC 3224). Toutefois, la Cour peut également tenir compte du caractère raisonnable de l’évaluation fondée sur la valeur nette dans son ensemble pour décider d’accueillir l’appel ou non.

[15]  Bien que ce qui précède démontre que M. Tang aura généralement le fardeau de réfuter les présomptions du ministre, il incombera au ministre de prouver ses présomptions, selon la prépondérance des probabilités, en ce qui concerne les pénalités pour faute lourde et toute année d’imposition prescrite. Je traiterai de ces questions après avoir analysé les arguments de M. Tang et le fondement de l’évaluation fondée sur la valeur nette.

2.  Question préliminaire : Oppositions aux documents

[16]  À titre de question préliminaire, l’intimée s’est opposée à ce que les documents traduits de M. Tang soient admis en preuve. En particulier, l’intimée soutient que, parce que l’avocat n’a pas eu l’occasion d’interroger le traducteur des documents, ceux-ci ne devraient pas être admis.

[17]  Avant l’audience, M. Tang, par l’intermédiaire de son avocat, a envoyé de nombreux documents financiers étrangers traduits, avec des copies des originaux, à l’avocat du ministre au ministère de la Justice (pièce A-1). Ces documents ont été transmis dans le cadre de discussions entre les parties en vue d’un règlement.

[18]  Au procès, M. Tang a présenté en preuve les documents financiers étrangers initialement transmis au ministère de la Justice (pièce A-1). M. Tang a également présenté d’autres documents financiers et fiscaux étrangers à l’appui de sa thèse (pièces A-2 à A-9).

[19]  Tous les documents financiers étrangers de M. Tang ont été traduits par le service de traduction T‑United et authentifiés par Yuan‑Sun Chao du bureau du notaire de la cour de district de Taipei, à Taïwan. L’affidavit du service de traduction de T‑United, joint à chaque document, est ainsi libellé : [TRADUCTION] « J’atteste que la présente traduction est, à ma connaissance, une version anglaise fidèle et exacte de l’original ci-joint. » L’affidavit est signé, daté, estampillé et scellé par le traducteur. L’estampille du notaire indique que [TRADUCTION] « la (les) signature(s)/le(s) sceau(x) du traducteur dans ce document est (sont) authentique(s). Cette version traduite est certifiée conforme au sens de l’original ci-joint. » L’estampille du notaire est signée, scellée et datée.

[20]  Dans l’ensemble, les documents traduits de M. Tang sont conformes à l’article 89 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (l’« article 89 des Règles ») et aux articles 52 à 54 de la Loi sur la preuve au Canada et devraient donc être admis. Tous les documents traduits que j’ai admis en preuve à l’audience figuraient sur la liste des documents de M. Tang (LISTE DE DOCUMENTS de l’appelant (communication partielle) aux points 19‑20, 27‑53). L’opposition du ministre est hors de propos dans la mesure où elle ne repose pas sur une préoccupation évidente quant à la qualité des traductions. Une telle préoccupation évidente peut être démontrée au moyen d’une preuve d’expert ou d’une autre traduction.

[21]  Selon l’article 89 des Règles, le juge de la Cour de l’impôt a un pouvoir discrétionnaire quant aux documents à admettre en preuve. Cette disposition commence par les mots « sauf directive contraire de la Cour », puis énonce les critères généraux d’admission en preuve, à savoir, une mention dans un acte de procédure ou une liste, la production au cours d’un interrogatoire préalable ou la production par un témoin qui n’est pas sous le contrôle de l’une des parties. Elle est ainsi libellée :

89 Utilisation des documents à l’audience— (1) Sauf directive contraire de la Cour, ou sauf si les autres parties ont renoncé au droit d’obtenir communication de documents ou ont consenti par écrit à ce que des documents soient utilisés en preuve, aucun document ne doit être utilisé en preuve par une partie à moins, selon le cas :

a) qu’il ne soit mentionné dans les actes de procédure, ou dans une liste ou une déclaration sous serment déposée et signifiée par une partie à l’instance;

b) qu’il n’ait été produit par l’une des parties, ou par quelques personnes interrogées pour le compte de l’une des parties, au cours d’un interrogatoire préalable;

c) qu’il n’ait été produit par un témoin qui n’est pas, de l’avis de la Cour, sous le contrôle de la partie.

(2) Sauf directive contraire de la Cour, le paragraphe (1) ne s’applique pas au document utilisé uniquement comme fondement ou comme partie d’une question dans un contre-interrogatoire ou en réinterrogatoire.

89. Use at Hearing — (1) Unless the Court otherwise directs, except with the consent in writing of the other party or where discovery of documents has been waived by the other party, no document shall be used in evidence by a party unless

(a) reference to it appears in the pleadings, or in a list or an affidavit filed and served by a party to the proceeding,

(b) it has been produced by one of the parties, or some person being examined on behalf of one of the parties, at the examination for discovery, or

(c) it has been produced by a witness who is not, in the opinion of the Court, under the control of the party.

(2) Unless the Court otherwise directs, subsection (1) does not apply to a document that is used solely as a foundation for or as part of a question in cross-examination or re-examination.

[22]  Selon la disposition liminaire de l’article 89 des Règles, « [s]auf directive contraire de la Cour », le juge de la Cour de l’impôt a le pouvoir discrétionnaire d’admettre ou non des éléments de preuve. Le principe de la règle vise à assurer la souplesse nécessaire pour admettre des éléments de preuve en fonction de leur pertinence à l’audience. Le critère de la pertinence a été confirmé récemment par la Cour suprême au paragraphe 56 de l’arrêt Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, [2010] 2 RCS 592 [l’arrêt Globe and Mail] :

56  […] dans une instance civile, il faut présumer que l’ensemble des éléments de preuve pertinents sont recevables et que toutes les personnes appelées à témoigner à leur sujet peuvent être contraintes à rendre témoignage […]

[23]  L’arrêt Globe and Mail, précité, suit les principes énoncés au paragraphe 30 de l’arrêt Mitchell c. MRN, 2001 CSC 33, [2001] 1 RCS 911; il était souligné que les règles de preuve devraient favoriser la justice, non pas y faire obstacle. La Cour suprême a énoncé trois facteurs permettant d’évaluer l’admissibilité de la preuve, à savoir 1) elle doit être utile et pertinente, 2) elle doit être raisonnablement fiable, et 3) elle peut néanmoins être exclue si elle entrave la recherche de la vérité.

[24]  Cela dit, les documents traduits fournis par M. Tang n’obligent pas la Cour à exercer un pouvoir discrétionnaire puisque ces documents satisfont déjà aux exigences énoncées à l’article 89 des Règles.

[25]  Premièrement, je n’ai admis que des documents figurant sur la liste de documents de M. Tang. Au procès, plusieurs documents, traduits ou non, ont été exclus, précisément parce qu’ils ne figuraient pas sur la liste de documents de M. Tang. De plus, M. Tang a produit certains des documents traduits dans le cadre de l’interrogatoire préalable, comme en témoignent la pièce A-1 ainsi que les pièces A-4 à A-7. Compte tenu de ces deux facteurs, les documents traduits satisfont au seuil d’admissibilité énoncé à l’article 89 des Règles.

[26]  On pourrait soutenir que le fait que les documents de M. Tang soient traduits pourrait vicier la norme générale d’admissibilité énoncée à l’article 89 des Règles. Ce vice s’appliquerait sans doute si la partie opposée était prise au dépourvu par la production de documents traduits et, par conséquent, en subissait un préjudice.

[27]  Toutefois, cette préoccupation semble inexistante en l’espèce. La liste de documents indiquait clairement que certains documents de M. Tang étaient traduits. Le ministre avait été informé de la question de la traduction avant l’audience.

[28]  Si le ministre avait un problème avec la traduction, cette question aurait dû être soulevée lors d’une téléconférence sur la gestion de l’instance, comme celles qui ont eu lieu les 21 mars et 28 avril 2017. De plus, même si le ministre avait eu la possibilité de contre-interroger le traducteur de M. Tang, on ne sait pas, en l’absence d’une preuve ou d’un témoignage d’expert supplémentaires, ce qu’un tel interrogatoire aurait pu prouver, puisque le procureur de la Couronne n’avait aucune connaissance du mandarin.

[29]  En d’autres termes, la possibilité d’interroger le traducteur de M. Tang, sans preuve d’expert ni autre traduction, n’aurait eu aucune incidence sur l’admissibilité des documents traduits. Par conséquent, l’opposition ne semble pas répondre à une véritable préoccupation sous-jacente, mais semble plutôt être soulevée dans l’unique but de formuler une opposition.

[30]  Je souligne en outre que les articles 52 à 54 de la Loi sur la preuve au Canada prévoient une présomption d’authenticité quant au caractère officiel du sceau ou de la déclaration portant sur la preuve documentaire dans certains cas. L’alinéa 52e) de la Loi sur la preuve au Canada désigne « les fonctionnaires judiciaires d’un État étranger autorisés, à des fins internes, à recevoir les serments, les affidavits, les affirmations solennelles, les déclarations ou autres documents semblables » comme une catégorie particulière de personnes et, suivant l’article 53, les documents autorisés par cette catégorie « sont aussi valides et efficaces et possèdent la même vigueur et le même effet, à toutes fins, que s’ils avaient été déférés, recueillis ou reçus au Canada par une personne autorisée ». Le paragraphe 54(2) de la Loi sur la preuve au Canada prévoit une présomption d’authenticité quant au caractère officiel du sceau ou de la déclaration en indiquant ce qui suit : « L’affidavit, l’affirmation solennelle ou toute autre déclaration semblable reçu à l’étranger et censément signé par le fonctionnaire visé à l’alinéa 52e) est admis en preuve sans qu’il soit nécessaire de prouver la signature ou la qualité du fonctionnaire. »

[31]  La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait observer que la définition de « fonctionnaire judiciaire » ne se limite pas aux juges, mais s’étend à toute personne qui a la capacité juridique d’administrer un serment ou une fonction similaire en application du droit interne (R. c. Jahanrakhshan, 2013 BCCA 128, au paragraphe 19, [2013] BCJ No 521 (QL)). Le sceau notarial apposé sur les documents de M. Tang provient d’un [TRADUCTION] « bureau du notaire de la cour de district de Taipei, à Taïwan », et j’estime que cela satisfait à la définition de « fonctionnaire judiciaire ».

[32]  Ainsi, comme j’ai conclu que l’article 89 des Règles ne fait pas obstacle à l’admission en preuve des documents de M. Tang, le paragraphe 54(2) de la Loi sur la preuve au Canada me permet d’admettre le caractère officiel du notaire signataire. Je souligne que l’estampille du notaire atteste l’authenticité de la signature et du sceau du traducteur et certifie que la version traduite du document de M. Tang est [TRADUCTION] « certifiée conforme au sens de l’original ci-joint ».

[33]  Dans l’ensemble, et dans la mesure où la Couronne n’a présenté aucune autre traduction ni aucun témoignage d’expert, il ne fait aucun doute que les documents de M. Tang devraient être admis en preuve.

3.  Évaluation fondée sur la valeur nette

[34]  L’évaluation fondée sur la valeur nette, qui attribuait un revenu à M. Tang et à son ex‑épouse (dont le revenu n’est pas en cause dans le présent appel), indiquait un revenu calculé selon la méthode de la valeur nette de 244 200 $, de 583 326 $ et de 149 886 $ pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, respectivement. Cela représente un total combiné des revenus non déclarés de 977 412 $ pour M. Tang et son ex‑épouse. La part de M. Tang de ce total combiné des revenus non déclarés est de 50 % ou 488 706 $.

[35]  M. Tang fait valoir que toute augmentation apparente de la valeur nette est attribuable à une série de prêts qui ont été omis ou sous-évalués dans l’évaluation fondée sur la valeur nette. M. Tang soutient également que l’évaluation de l’ARC fondée sur la valeur nette est foncièrement viciée et mine ainsi sa crédibilité.

[36]  Au sujet des prêts, M. Tang allègue qu’il a reçu des prêts totalisant 385 288 $ de sa tante maternelle (et de sa famille), un prêt de 439 216 $ de sa famille à Taïwan (qui fait partie de l’héritage laissé par son père) et un prêt de 125 000 $ de Neostar Technologies Co. Ltd.

[37]  En outre, M. Tang soutient également que le solde des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited au 31 décembre 2004, soit 325 362 $, a été sous-évalué en raison d’une erreur comptable et qu’il devrait plutôt être comptabilisé comme un prêt de 558 610,89 $.

[38]  Lorsque j’évalue la crédibilité d’un témoin, je peux tenir compte des incohérences, de l’attitude et du comportement du témoin, des motivations de rendre un faux témoignage et de la teneur générale de la preuve. Dans la décision Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334, 2009 DTC 1203, la juge Valerie Miller a déclaré ce qui suit au paragraphe 23 :

23  En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences ou des faiblesses que comporte le témoignage des témoins, y compris les incohérences internes (si le témoignage change pendant que le témoin est à la barre ou s’il diverge du témoignage rendu à l’interrogatoire préalable), les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences externes (soit lorsque le témoignage est incompatible avec des éléments de preuve indépendants que j’ai acceptés). Il m’est ensuite loisible d’apprécier l’attitude et le comportement du témoin. Troisièmement, je peux rechercher si le témoin a des raisons de rendre un faux témoignage ou d’induire la Cour en erreur. Enfin, je peux prendre en compte la teneur générale de la preuve. C’est-à-dire que jai toute latitude pour rechercher si lexamen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

[39]  Dans l’ensemble, j’estime que le témoignage de M. Tang, quoique souvent peu clair, était crédible. Étant donné la crédibilité du témoignage de M. Tang et les éléments de preuve qu’il a fournis, je conclus qu’il a réfuté de façon suffisante, à première vue, les présomptions du ministre concernant le prêt de 385 288 $ de sa tante (et de la famille de sa tante) et le prêt de 439 216 $ de sa famille. Comme pour l’évaluation fondée sur la valeur nette, où M. Tang s’est vu affecter la moitié du revenu supplémentaire, la part de M. Tang relative à ces prêts serait encore de 50 % – 192 644 $ pour les prêts consentis par sa tante et 219 608 $ pour le prêt de sa famille, ce qui donne un total de 412 252 $. Ces montants réduiraient le revenu supplémentaire de M. Tang d’environ 84 % selon l’évaluation fondée sur la valeur nette. En ce qui concerne ces prêts, la Couronne n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve ou d’arguments pour démentir la réfutation, à première vue suffisante, présentée par M. Tang. Toutefois, j’estime que M. Tang n’a pas présenté une preuve suffisante à première vue concernant les divers prêts de Neostar Technologies Co. Ltd., le solde d’ouverture du compte des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited et l’annexe D de la réponse.

[40]  Les évaluations fondées sur la valeur nette sont fréquemment annulées lorsque, à partir de la preuve orale ou documentaire, le contribuable parvient à s’acquitter du fardeau qui lui incombe (Morneau c. Canada, 2003 CAF 472, 2006 DTC 6635; et la décision Landry, précitée, au paragraphe 50). En appliquant les critères susmentionnés aux éléments de preuve portés à ma connaissance, j’ai conclu que M. Tang a produit les éléments de preuve requis pour contester l’évaluation fondée sur la valeur nette en cause dans le présent appel. En réfutant les présomptions du ministre concernant les prêts liés à environ 84 % du revenu qui aurait été non déclaré, M. Tang s’est acquitté du fardeau qui lui incombait à cet égard.

(1) Prêts consentis par la tante de M. Tang (et sa famille)

[41]  En ce qui a trait aux prêts totalisant 385 288 $ consentis par la tante de M. Tang, Mme Liao Li Shou Chon, ainsi que d’autres membres de la famille de Mme Liao, M. Tang a présenté une série de documents faisant état de virements bancaires ainsi que des contrats de prêt personnel (pièce A‑1), tous datés de 2005. Bien que les documents faisant état des virements bancaires joints comme pièce A‑1 ne présentaient pas une preuve directe du virement effectué entre la tante de M. Tang et M. Tang, ils corroboraient les montants en question. M. Tang a expliqué à la Cour que les virements avaient été effectués à partir des comptes de sa tante (ainsi que d’autres membres de la famille de Mme Liao, à savoir l’oncle et le cousin de M. Tang) sur son compte bancaire à Taïwan, puis transférés au Canada à partir de son compte bancaire à Taïwan. Le frère de M. Tang agissait pour le compte de M. Tang à Taïwan en vertu d’une procuration, ayant le pouvoir d’agir en son nom à des fins bancaires. La Couronne a laissé entendre que les contrats de prêt personnel avaient été créés en prévision de la vérification et qu’ils avaient donc peu de valeur. Toutefois, M. Tang et son fils ont fait remarquer que, selon les pratiques culturelles taïwanaises, il n’est habituellement pas nécessaire de signer un document écrit lorsque des membres d’une même famille se prêtent de l’argent, et qu’il y avait donc lieu de rédiger cette version écrite du contrat pour représenter leur entente, même si cela a été fait après coup. M. Tang a également pu produire un document de la Taipei International Commercial Bank montrant un virement de la part de Mme Liao Li Shou Chon à M. Tang (pièce A-7) ainsi que des documents montrant des virements du cousin et de l’oncle de M. Tang à M. Tang (pièces A-4, A-5 et A‑6). M. Tang a expliqué que les virements de la part de son cousin et de son oncle ont été effectués au nom de sa tante, et que ces virements étaient conformes aux pratiques de sa famille en ce qui a trait au partage de l’argent.

(2) Prêt consenti par la famille de M. Tang (héritage laissé par le père)

[42]  Au sujet du prêt de 439 216 $ de sa famille à Taïwan, M. Tang a produit deux documents, intitulés [TRADUCTION] « Reconnaissance de dette », qui corroborent le montant du prêt (pièce A-2). M. Tang a expliqué avec force détails que ce prêt était garanti par un bien immeuble dont il avait hérité au décès de son père et a précisé les paramètres d’utilisation par sa famille du bien laissé en héritage et la façon dont le prêt a eu lieu. M. Tang a affirmé qu’il avait reçu 20 % du patrimoine de son père, ce qui avait servi de garantie pour le prêt, et il a utilisé le montant de ce prêt pour couvrir ses dépenses personnelles. Selon le fils de M. Tang, son père et ses oncles n’ont pas eu à travailler pour gagner leur vie parce qu’ils avaient suffisamment de ressources provenant de l’héritage de son grand-père.

[43]  La Couronne a mis en doute la pertinence de ces documents, car ils montrent un prêt à la mère de M. Tang, et non pas à M. Tang lui-même. Bien que le nom traduit de ces documents soit « reconnaissance de dette », qui est un document non officiel, ils semblent être des documents sous forme de contrat de prêt entièrement réfléchis et correctement établis. Les documents précisent les modalités du contrat de façon assez détaillée et désignent également les parties par leur nom, leur sceau et leur adresse. M. Tang est décrit comme un garant conjoint dans un document et un fournisseur de garantie, ainsi que comme un garant conjoint et codébiteur dans un autre document. Je suis d’avis que ces documents sont pertinents aux fins de l’appel interjeté par M. Tang et apportent de la crédibilité aux affirmations de M. Tang selon lesquelles il a reçu de l’argent à titre de prêt.

[44]  Toutefois, comme je l’ai déjà dit, à l’audience, la Couronne s’est opposée à ce que j’examine cette question compte tenu des réponses fournies par M. Tang aux questions à l’interrogatoire préalable indiquant que la seule préoccupation de M. Tang en ce qui concerne le calcul de la valeur nette, sauf indication contraire, est liée aux prêts accordés par des membres de sa famille au montant total de 385 288 $ (prêt de sa tante) et au solde d’ouverture du compte des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited au 31 décembre 2004. Je ne suis pas d’accord avec la Couronne et, à mon avis, je devrais examiner cette question, pour les raisons exposées ci-dessous.

[45]  Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2003 CAF 438, [2003] ACF no 1725 (QL), la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 : « Parmi les buts de l’enquête préalable, l’un est de simplifier la preuve au procès et un autre, de restreindre les questions qui demeurent en litige. » Plus récemment, dans l’arrêt Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, 2011 DTC 5069, la Cour d’appel fédérale a déclaré :

30  D’abord, je crois que l’objectif général de l’interrogatoire préalable n’a pas changé. Dans l’arrêt Bande de Montana c. Canada, 1999 CanLII 9366 (CF), [2000] 1 C.F. 267 (Section de 1re inst.), au paragraphe 5, le juge Hugessen a décrit cet objectif comme suit :

L’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent. Il est dans l’intérêt de la justice que chaque partie soit le mieux informée au sujet des positions des autres parties afin de ne pas être défavorisée en étant surprise à l’instruction […]

[46]  J’ai reconnu que M. Tang était représenté par un avocat pendant cette période. Cependant, M. Tang a déclaré qu’il n’avait pas compris qu’il limitait les questions en litige au cours de l’interrogatoire préalable. Il a expliqué que, comme il était à l’étranger, l’ensemble du processus était très difficile à suivre. Après mars 2016, M. Tang était non représenté et a décidé d’agir pour son propre compte à l’audience. De plus, je fais remarquer que, lors des téléconférences sur la gestion de l’instance tenues avant l’audience, M. Tang a mentionné que, selon lui, il y avait beaucoup d’erreurs dans le calcul de la valeur nette, et il a dit qu’il présenterait des éléments de preuve à l’audience à cet égard. Avant l’audience, M. Tang a également envoyé des documents à la Couronne. Selon la Couronne, le format de ces documents ne permettait pas de faire des copies, et il n’était pas possible de donner un sens aux documents. Il est impossible de déterminer quels documents ont été envoyés par M. Tang. Enfin, je remarque que l’avis d’appel fait référence à l’héritage que M. Tang a reçu de son père, ce qui tend à confirmer que la Couronne était suffisamment et amplement informée de la question. J’estime que la Couronne n’a pas été « défavorisée en étant surprise à l’instruction » (Décision Bande de Montana, précitée).

[47]  En outre, la Couronne me demande de conclure que la raison pour laquelle l’ARC n’a jamais reçu de copie de ces documents de prêt était parce que, si l’héritage laissé par le père et les avoirs productifs de revenu détenus à Taïwan, comme il est indiqué dans les déclarations de revenus taïwanaise déposées comme pièces A-3, A‑8 et A-9, avaient été pris en compte dans le calcul de la valeur nette, les résultats auraient été défavorables pour M. Tang. À mon avis, il est loin d’être clair que les résultats n’auraient pas été favorables pour M. Tang. Premièrement, les revenus déclarés dans les déclarations de revenus taiwanaises ne sont pas très importants (moins de 20 000 $ par année pour 2006 et 2007). De plus, je dois tenir compte du fait que M. Tang a quitté le Canada en 2009 et qu’il n’était pas représenté pendant la période de vérification, mais qu’il a demandé à l’être seulement au stade de l’opposition.

(3) Prêt consenti par Neostar Technologies Co. Ltd.

[48]  Au sujet du prêt de 125 000 $ de Neostar Technologies Co. Ltd., je n’ai admis aucun élément de preuve relatif à ce prêt et, par conséquent, je n’ai pas à me prononcer sur l’opposition de la Couronne à l’examen de cette question par la Cour étant donné les réponses aux questions écrites de l’interrogatoire préalable. Neostar Technologies Co. Ltd. agit apparemment comme mandataire de M. Tang en ce qui concerne le virement des montants de prêt personnel de la part des membres de sa famille. Toutefois, les documents qui concernent ce prêt ne figuraient pas dans la liste de documents de l’une ou l’autre des parties et n’ont pas été présentés lors de l’interrogatoire préalable. En outre, M. Tang n’est ni un administrateur ni un actionnaire de Neostar Technologies Co. Ltd. et ne pouvait donc pas témoigner personnellement de l’exactitude ou du contexte de ces documents. Si j’avais admis ces documents, la Couronne aurait été injustement défavorisée puisqu’elle n’aurait pas été avisée au préalable de ces documents et n’aurait pas été en mesure de contre-interroger une personne qui aurait pu témoigner de la pertinence et de la nature des documents. Je souligne que M. Coghlin, le vérificateur de l’ARC, a déclaré qu’il avait reconnu une partie de ce montant dans le calcul de la valeur nette.

(4) Solde des prêts à l’actionnaire consentis par Dynasty Investments Limited

[49]  S’agissant du solde des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited de 325 362 $, qui figure à l’annexe B de la réponse, M. Tang soutient que ce prêt a été sous-évalué en raison d’une erreur comptable et qu’il devrait plutôt être comptabilisé comme un prêt de 558 610,89 $. À l’appui de sa thèse, M. Tang a produit des états financiers de Tang Dynasty Investments Limited, qui indiquent un montant de 558 610,89 $ (pièce R-1, onglet 78). M. Coghlin, le vérificateur de l’ARC, a indiqué que le montant inférieur provenait de la déclaration de revenus des sociétés (T2) de Tang Dynasty Investments Limited. Malheureusement, M. Tang n’a pu faire témoigner M. Darrell Jessome, le comptable qui a préparé les états financiers et la déclaration T2, pour expliquer le contexte et les raisons de cet écart. Par conséquent, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve de la part de M. Tang sur cette question et du témoignage de M. Coghlin, je conclus que le montant du solde d’ouverture des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited s’élevait à 325 362 $ au 31 décembre 2004.

(5) Calcul des dépenses personnelles dans le cadre de l’évaluation fondée sur la valeur nette (annexe D de la réponse)

[50]  En dernier lieu, M. Tang a soutenu que l’évaluation fondée sur la valeur nette semble avoir été préparée de façon peu rigoureuse. En particulier, M. Tang a souligné que les montants pour l’eau, le combustible et l’électricité, indiqués à l’annexe D de la réponse, fluctuent considérablement, passant de plus de 42 000 $ en 2004 à 6 600 $ et 4 553 $ en 2005 et 2006, respectivement. En outre, M. Tang a fait remarquer que ses frais de communication semblaient déraisonnablement élevés et fluctuaient également beaucoup, soit 18 222 $ en 2004, 10 605 $ en 2005 et 14 967 $ en 2006. M. Coghlin, le vérificateur de l’ARC, a affirmé que tous les montants indiqués à l’annexe D de la réponse ne sont pas des estimations et peuvent tous être rattachés à des relevés bancaires ou à des relevés de carte de crédit. Je ne suis pas convaincue que M. Tang, en raison de l’inexactitude des montants énumérés à l’annexe D de la réponse, a réfuté, de façon suffisante à première vue, les présomptions du ministre. Qui plus est, je conclus que la Couronne a présenté suffisamment d’éléments de preuve ou d’arguments pour réfuter les préoccupations soulevées par M. Tang quant à l’exactitude de l’annexe D, sur laquelle est fondée en partie l’évaluation de la valeur nette.

4.  Pénalités pour faute lourde

[51]  Le paragraphe 163(2) de la Loi porte que « [t]oute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration » est passible d’une pénalité.

[52]  Il incombe au ministre d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité, suivant le paragraphe 163(3) de la Loi.

[53]  Selon le libellé même du paragraphe 163 (2) de la Loi, deux éléments sont requis pour qu’une pénalité s’applique : 1) un élément psychologique (« sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde ») et 2) un élément matériel (« fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration »).

[54]  En ce qui a trait à l’élément matériel, la jurisprudence conclut qu’une déclaration inexacte dans une déclaration de revenus équivalait à une présentation erronée des faits (Nesbitt c. La Reine, 96 DTC 6045, [1996] ACF 19 (CF 1re inst.) (QL); D’Andrea c. La Reine, 2011 CCI 298, 2011 DTC 1234, au paragraphe 35).

[55]  Quant à l’élément psychologique, il convient d’examiner deux scénarios possibles pour déterminer si des pénalités s’appliquent : M. Tang a-t-il sciemment fait un faux énoncé ou une omission ou a-t-il fait un faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde?

[56]  Dans la décision Can-Am Realty Ltd. c. Canada, [1994] ACF no 135 (CF 1re inst.) (QL), 1 CTC 336, 94 DTC 6293, la Cour fédérale a décrit le comportement qui serait requis à l’appui d’une décision de faute lourde comme un comportement « exceptionnel » et « patent ». Dans la décision Venne c. Canada, [1984] ACF no 314 (CF 1re inst.) (QL), 84 DTC 6247, le juge Strayer a souligné que, pour établir une faute lourde « [i]l doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi ».

[57]  Dans l’arrêt Strachan c. La Reine, 2015 CAF 60, 2015 DTC 5044, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une faute lourde pouvait aussi découler de l’ignorance volontaire de la part du contribuable.

[58]  Les pénalités qui sont imposées au titre du paragraphe 163(2) de la Loi ne doivent l’être que si des éléments de preuve le justifient clairement. Si les éléments de preuve laissent planer un doute quant aux pénalités pour faute lourde qui devraient être imposées compte tenu des circonstances de l’appel, la seule conclusion juste est que le contribuable doit jouir du bénéfice du doute dans ces circonstances.

[59]  Comme je l’ai conclu ci-dessus, M. Tang a réfuté l’évaluation fondée sur la valeur nette à hauteur de 84 % du revenu supplémentaire imposé. Je souligne également que la Couronne n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve me permettant de conclure à un comportement à ce point exceptionnel ou patent qu’il mériterait d’être qualifié de faute lourde. De plus, la Couronne n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve me permettant de conclure que M. Tang a sciemment fait un faux énoncé ou une omission.

[60]  Pour les motifs qui précèdent, les pénalités pour faute lourde ne devraient pas s’appliquer.

5.  Année d’imposition prescrite : 2005

[61]  Les trois années d’imposition en litige dans le présent appel (2005, 2006 et 2007) ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation le 29 novembre 2010. L’année d’imposition 2005 de M. Tang a initialement fait l’objet d’une cotisation le 2 octobre 2006, et n’a fait l’objet d’une nouvelle cotisation que le 29 novembre 2010. Le délai est supérieur à la limite de trois ans applicable à M. Tang, laquelle est définie à l’alinéa 152(3.1)b) de la Loi comme la période normale de nouvelle cotisation.

[62]  Lorsque le ministre établit une nouvelle cotisation relativement à une année d’imposition après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, il lui incombe d’établir, conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, que le contribuable a fait une présentation erronée des faits et que cette présentation erronée est attribuable à une négligence, à une inattention ou à une omission volontaire, ou que le contribuable a commis quelque fraude en produisant sa déclaration de revenus ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi concernant cette année d’imposition.

[63]  La Couronne soutient que je devrais limiter mon examen aux questions qui subsistent après l’interrogatoire préalable, c’est‑à‑dire les prêts consentis par la tante de M. Tang et les montants du solde des prêts à l’actionnaire consentis par Tang Dynasty Investments Limited, et ne pas examiner si la nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2005 était prescrite. Je ne suis pas d’accord.

[64]  L’avis d’appel de M. Tang semble plutôt mettre en cause l’intégralité de l’évaluation fondée sur la valeur nette. La Couronne cite explicitement le paragraphe 152(4) de la Loi au paragraphe 12 de sa réponse, anticipant ainsi cette question. De plus, l’interrogatoire préalable n’a pas tenu compte de la question des années d’imposition prescrites et, ce qui est peut-être le plus important, rien ne m’indique que M. Tang avait signé une renonciation au sens du sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi. Les délais de prescription prévus par la Loi offrent une sorte de protection procédurale aux contribuables. En l’absence d’une renonciation explicite ou d’un accord entre les parties, je ne peux pas en faire abstraction.

[65]  La Couronne a également soutenu que les cotisations qui portent sur la perte pour une année d’imposition n’étaient pas touchées par la limite de trois ans. Cependant, le paragraphe 152(1.1) de la Loi, concernant l’obligation de déterminer le montant des pertes pour déclencher le délai de prescription, ne peut s’appliquer lorsque le contribuable a déjà une cotisation initiale valide. Comme M. Tang avait une cotisation valide en date du 2 octobre 2006, conformément au paragraphe 5 de la réponse, l’obligation de déterminer le montant de la perte est inapplicable. Il incombe donc au ministre de démontrer qu’il y a eu présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, comme l’indique le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[66]  J’ai conclu que M. Tang a réfuté l’évaluation fondée sur la valeur nette à hauteur de 84 % du revenu supplémentaire; néanmoins, je conclus que la Couronne a bel et bien établi qu’il y a eu présentation erronée des faits : je suis d’avis que M. Tang n’a pas été attentif lorsqu’il a préparé ses déclarations. Les éléments de preuve ont démontré que M. Tang participait à la gestion quotidienne de l’entreprise et qu’il était responsable, avec son ex-épouse, de leurs activités bancaires. Je suis d’avis que M. Tang a agi avec inattention en produisant ses déclarations de revenus.

[67]  Le ministre s’est acquitté du fardeau qui lui incombait à cet égard, et l’année d’imposition 2005 de M. Tang n’est donc pas prescrite.

E.  CONCLUSION

1.  La Loi

[68]  Le ministre s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que M. Tang a fait une présentation erronée des faits qui satisfaisait à la norme énoncée au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi et, par conséquent, l’année d’imposition 2005 n’est pas prescrite.

[69]  En ce qui concerne les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, puisque le ministre n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que le comportement de M. Tang satisfaisait à la norme énoncée au paragraphe 163(2) de la Loi, les pénalités pour faute lourde grave seront annulées.

[70]  M. Tang a donné des explications raisonnables sur la façon dont il a maintenu son mode de vie durant les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, en tenant compte des prêts consentis par sa tante et par sa famille, qui représentent environ 84 % du revenu supplémentaire imposé dans le cadre de l’évaluation de la valeur nette. Par conséquent, ces prêts seront pris en compte dans l’évaluation de la valeur nette, et le revenu supplémentaire imposé en application de la méthode de calcul de la valeur nette à l’égard de chaque année d’imposition sera réduit de 84 %. Autrement dit, seulement 16 % du revenu supplémentaire calculé selon la méthode de la valeur nette sera imposé.

[71]  L’appel relatif aux années d’imposition 2005, 2006 et 2007 est donc accueilli, et les nouvelles cotisations pour ces années sont renvoyées au ministre pour réexamen et nouvelles cotisations sur ce fondement.

2.  Dépens

[72]  En règle générale, le plaideur qui a gain de cause a droit aux dépens entre parties conformément au tarif. Toutefois, lorsqu’elle adjuge les dépens, la Cour a un vaste pouvoir discrétionnaire selon l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) et l’article 18.26 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

[73]  Bien que M. Tang l’ait emporté en grande partie sur l’intimée dans le présent appel, son manque de préparation adéquate a nécessité l’ajournement de l’audience initialement prévue et, dans l’ensemble, a retardé la procédure.


Par conséquent, chaque partie supportera ses propres dépens, sous réserve du droit de l’une ou l’autre des parties de présenter d’autres observations dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2017.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de septembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste.


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 168

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-40(IT)G

INTITULÉ :

CHIEN CHUNG TANG ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 15 et 16 mai 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 septembre 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me David I. Besler

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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