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Date: 19980728

Dossier: 97-2263-IT-I

ENTRE :

JOHN O'CONNELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Dans ces appels de cotisations établies pour 1994 et 1995, la principale question est de savoir si une allocation au sens du sous-alinéa 6(1)b)(v) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) reçue de son employeur par un employé représente le remboursement intégral de frais de déplacement effectivement engagés, comme le prétendait l'appelant, ou si elle représente une indemnité raisonnable de frais de déplacement versée à l'employé par son employeur, comme le prétendait le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) dans les cotisations.

[2] Durant toute la période pertinente, John O'Connell, l'appelant, était le seul actionnaire de la société 800546 Ontario Limited (la “ société Ontario ”), laquelle société détenait 50 p. 100 des actions de la J.O.C. Fashion Inc. (la “ JOC ”). Une autre société, Your Man Inc. (la “ société Man ”), était liée à la JOC. M. O'Connell était président de la JOC et de la société Man. Ces deux sociétés exploitaient des magasins de détail, dont l'un vendait des vêtements pour dames et l'autre des vêtements pour hommes, dans la région de St. Catharines en Ontario. M. O'Connell était acheteur pour les deux sociétés. Comme acheteur, il se rendait à Toronto environ trois fois par semaine et à Montréal quatre fois par année. Il allait en outre à New York une fois par année, en voiture. M. O'Connell négociait des contrats pour les deux sociétés.

[3] D'après M. O'Connell, la JOC vend des vêtements haute couture pour dames, et l'image du détaillant est importante pour les fabricants et leurs représentants qui vendent des vêtements de couturier à la JOC.

[4] Pour se rendre dans les diverses villes où il va pour le compte de la JOC et de la société Man, M. O'Connell se sert d'une BMW 735(i) (la “ BMW ”) qu'il a achetée 66 040 $ en 1993. L'argent lui avait été avancé par la JOC, et il remboursait à la JOC 1 000 $ par mois, principal et intérêts. En 1994, le montant des intérêts payés par M. O'Connell a été de 3 633 $; le reste des 12 000 $, soit 8 367 $, se rapportait au principal.

[5] Il n'y a pas de différend entre les parties quant au fait que M. O'Connell a effectivement parcouru en voiture les distances qu'il dit avoir parcourues. Il tenait un journal de ses déplacements et n'incluait pas dans les distances parcourues le trajet entre son domicile et le bureau.

[6] Au procès, les parties ont convenu que l'appelant avait utilisé la BMW à des fins commerciales dans une proportion de 79 p. 100 en 1994 et de 73 p. 100 en 1995. M. O'Connell a reçu de la JOC et de la société Man des indemnités de parcours de 14 700 $ en 1994 et de 13 600 $ en 1995. Le millage annuel total de l'appelant a, paraît-il, été de 17 350 aussi bien en 1994 qu'en 1995, dont un millage à des fins commerciales de 13 695 et de 12 580 respectivement[1].

[7] M. O'Connell a témoigné qu'il avait indiqué une allocation de un dollar pour chaque mille qu'il avait parcouru en voiture pour la JOC et la société Man. Aucune explication n'a été donnée au procès quant à la différence entre le millage à des fins commerciales et le montant reçu par M. O'Connell, étant donné que ce dernier devait recevoir un dollar par mille parcouru.

[8] M. O'Connell a dit que l'allocation de un dollar par mille parcouru lui [TRADUCTION] “ semblait juste ” et correspondait au montant qu'il recevait d'une société ouverte dont il était administrateur.

[9] La thèse de l'appelant est qu'une allocation raisonnable pour frais de déplacement devrait être le total des coûts effectifs de fonctionnement du véhicule pour l'année et l'amortissement annuel ou la déduction pour amortissement concernant ce véhicule. En 1994, les frais de fonctionnement de la BMW ont été de 7 381 $, et la déduction pour amortissement calculée par Revenu Canada a été de 7 038 $. En 1995, les frais de fonctionnement de la BMW ont été de 9 622 $, et la déduction pour amortissement calculée par Revenu Canada a été de 4 927 $. Le total des frais de fonctionnement et de la déduction pour amortissement s'élevait à 14 419 $ pour 1994 et à 14 549 $ pour 1995. La fraction de ces montants se rapportant à des fins commerciales s'élève à 11 391 $ pour 1994 et à 10 621 $ pour 1995.

[10] Les indemnités de parcours reçues par M. O'Connell en 1994 et en 1995 dépassaient respectivement de 3 309 $ et de 2 979 $ la fraction des sommes totales se rapportant à des fins commerciales. Le ministre a inclus ces montants excédentaires de 3 309 $ et de 2 979 $ dans le revenu de l'appelant pour 1994 et 1995 respectivement, comme avantage que l'appelant avait reçu des sociétés en sa qualité d'employé ou, subsidiairement, en sa qualité d'actionnaire, et ce, en vertu du paragraphe 6(1) et de l'article 15 de la Loi. De l'avis du ministre, les sommes excédentaires reçues par l'appelant n'étaient pas des allocations raisonnables pour frais de déplacement au sens du sous-alinéa 6(1)b)(v) de la Loi.

[11] Le ministre a accepté comme “ allocation raisonnable ” les frais de fonctionnement de la BMW indiqués par M. O'Connell pour chacune des années considérées en l'espèce. Toutefois, il a invoqué l'alinéa 13(7)g) de la Loi et l'article 7307 du Règlement de l'impôt sur le revenu pour limiter le coût en capital de la BMW à 24 000 $, plus les taxes fédérale et provinciale payables sur un véhicule acquis à un coût de 24 000 $. De l'avis de l'appelant, le ministre devrait, en calculant les allocations, considérer la dépréciation et non la déduction pour amortissement pour déterminer ce qu'est un montant raisonnable au titre de l'amortissement ou de la déduction pour amortissement. En l'espèce, l'appelant maintient que la dépréciation devrait être calculée en fonction de l'estimation de l'appelant que la BMW avait une durée de vie de cinq ans. Si tel était le cas, 20 p. 100 du coût effectif du véhicule seraient ajoutés aux frais de fonctionnement annuels pour déterminer une allocation raisonnable.

[12] Il y a deux questions que je dois considérer, premièrement le sens du terme “ allocation ”[2] et deuxièmement le sens de l’expression “ allocation raisonnable ”. Les sens ordinaires que les dictionnaires attribuent au mot anglais “ allowance ” (allocation) comprennent ce qui suit : “ a limited portion or sum ” (portion ou somme limitée) et “ to put upon an allowance; to limit in the amount allowed [3] (accorder une allocation; limiter le montant accordé). Ce sont des sens courants de ce mot. La version française du sous-alinéa 6(1)b)(v) utilise le terme “ allocations ” lorsque la version anglaise emploie le mot “ allowances . Tout comme le mot anglais “ allowance ”, le terme “ allocation ” correspond au versement d'une somme d'argent ou d'une prestation[4]. Les termes “ allocation ” et “ prestation ” sont synonymes.

[13] Les allocations pour usage d'une automobile que les deux sociétés ont versées à M. O'Connell visaient en fait à le rembourser de ses frais d'automobile et de la dépréciation du véhicule. Cependant, une allocation est différente d'un remboursement. Dans le cas d'un remboursement, une dépense de l'employeur est prise en charge par un employé, puis récupérée de l'employeur. L'employé doit en rendre compte à l'employeur. Une allocation est [TRADUCTION] “ une somme arbitraire qui est habituellement payée à la place d'un remboursement ”[5]. C'est une somme déterminée à l'avance qui est payée à un employé à l'égard de certains types de dépenses engagées par l'employé. L'employé peut utiliser la somme comme il le désire, sans avoir à rendre compte des dépenses.

[14] La somme qu'un contribuable reçoit de son employeur comme allocation est incluse dans son revenu, à moins que l'allocation n'entre dans les exceptions énumérées à l'alinéa 6(1)b) ou au paragraphe 81(3.1) de la Loi ou qu'elle ne soit exclue du revenu en vertu du paragraphe 6(6)[6].

[15] Le sous-alinéa 6(1)b)(v) autorise des allocations raisonnables pour frais de déplacement reçues de son employeur par un employé et afférentes à une période pendant laquelle son emploi était lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur. Donc, aux fins de cette allocation non imposable, les exigences sont les suivantes : 1) il faut qu'il y ait vente de biens ou négociation de contrats; 2) il doit s'agir d'une allocation pour frais de déplacement, y compris les frais afférents à un véhicule à moteur; 3) l'allocation doit être raisonnable.

[16] Dans l'arrêt R. M. MacDonald v. Canada, 94 DTC 6262, le juge Linden a dit pour la Cour d'appel fédérale, à la page 6264 :

[...] le principe général qui permet de définir l'“allocation” pour l'application de l'alinéa 6(1)b) comporte trois éléments. En premier lieu, une allocation est une somme arbitraire, c'est-à-dire une somme déterminée à l'avance sans tenir expressément compte d'une dépense ou d'un coût réel. Cependant, ainsi que je l'ai déjà signalé, le montant de l'allocation peut être établi en fonction d'une prévision ou d'une moyenne des dépenses ou des coûts. En deuxième lieu, l'alinéa 6(1)b) englobe les allocations pour frais personnels ou de subsistance ou pour toute autre fin, de sorte que l'allocation vise habituellement une fin déterminée. En troisième lieu, le bénéficiaire de l'allocation peut en disposer à sa guise, en ce sens qu'il n'est pas tenu de démontrer que l'argent a servi à une dépense ou à un coût réels.

[17] En outre, concernant le principe général d'imposition des allocations, le juge Linden a dit dans l'arrêt Verdun v. The Queen, 98 DTC 6175, à la page 6176 (C.A.F.) :

[...] Même lorsque ces montants ne sont pas utilisés dans un but inapproprié, et même lorsqu'ils représentent des estimations raisonnables des coûts, la loi les traite comme une rémunération supplémentaire et non comme un remboursement de dépenses, ce qui nécessite la présentation de reçus détaillés. Ces reçus sont jugés nécessaires pour garantir que les dépenses personnelles admissibles qui sont remboursées sont correctement comptabilisées et que le système est équitable pour tous les Canadiens, malgré les coûts comptables supplémentaires qui peuvent s'ensuivre.

[18] Donc, dans le cas d'une allocation, on cherche simplement à indemniser jusqu'à un certain point l'employé de frais qu'il a engagés dans le cadre de son emploi. Dans certaines circonstances, l'allocation peut en effet couvrir les débours de l'employé. L'alinéa 6(1)b) énumère les allocations dont les montants ne sont pas inclus dans le revenu tiré d'un emploi. Les allocations pour frais de déplacement ou pour l'usage d'un véhicule à moteur doivent toutefois être raisonnables : sous-alinéas 6(1)b)(v), (vii) et (vii.1).

[19] Chaque personne peut évidemment interpréter le mot “ raisonnable ” de diverses manières. En l'espèce, la véritable question en litige entre les parties est de savoir à quel point la déduction pour amortissement devrait être considérée comme raisonnable. L'appelant veut faire fi de la déduction pour amortissement et se fonder uniquement sur ce qui représente une dépréciation raisonnable du véhicule. À mon avis, pour déterminer à quoi correspond le mot “ raisonnable ” employé au paragraphe 6(1), il faut tenir compte d'autres dispositions de la Loi qui se rapportent à des allocations de déplacement et au coût en capital d'une voiture de tourisme. On peut s'inspirer de l'alinéa 18(1)r) de la Loi et de l'article 7307 du Règlement de l'impôt sur le revenu quant à savoir ce que le législateur considère comme une déduction pour amortissement raisonnable et s'inspirer de l'article 7306 du Règlement de l'impôt sur le revenu pour ce qui est des montants considérés comme représentant un paiement raisonnable, de la part d'un employeur, au titre de kilomètres parcourus en voiture par un employé dans le cadre de son emploi.

[20] Aux fins du calcul du revenu ou de la perte provenant d'une entreprise ou d'un bien, l'alinéa 18(1)r) limite la déduction dont un contribuable peut bénéficier à l'égard d'une allocation pour usage d'une automobile par un particulier, conformément aux règles prescrites. Le paragraphe 7306 du Règlement énonce les limites applicables, aux fins de l'alinéa 18(1)r), à une allocation relative aux kilomètres parcourus par l'employé. Si l'allocation excède ces limites prescrites, l'employé ne peut déduire le montant excédentaire que si celui-ci doit être inclus dans le revenu de l'employé. Comme je le disais précédemment, l'alinéa 13(7)g) de la Loi et l'article 7307 du Règlement, ensemble, plafonnent la déduction pour amortissement relative à des voitures de tourisme.

[21] Je ne mets pas en question le témoignage de M. O'Connell selon lequel l'image de la JOC, notamment, est rehaussée lorsque les fournisseurs de la JOC voient M. O'Connell au volant d'une voiture de luxe. Le ministre semble en convenir : il a considéré les frais de réparation et d'entretien de la voiture comme une partie raisonnable de l'allocation en question.

[22] En déterminant ce que comprenait une allocation raisonnable dans le cas de M. O'Connell, le ministre a considéré les limites que la Loi imposait aux contribuables déduisant des frais d'automobile dans le calcul de leur revenu et il s'est notamment appuyé sur les dispositions en matière de déduction pour amortissement prévues à l'alinéa 13(7)g) de la Loi et à l'article 7307 du Règlement. Cela est à mon avis un bon point de départ pour déterminer ce que le législateur entendait par une allocation raisonnable. L'appelant ne m'a pas convaincu que le ministre s'était trompé en s'appuyant sur ces dispositions. De toute évidence, le législateur voulait limiter le montant de la déduction pour amortissement relative à un véhicule à moteur et plafonner ce qu'il considère comme un montant raisonnable. Faire totalement fi de l'alinéa 13(7)g) de la Loi et de l'article 7307 du Règlement, ce serait faire fi de l'objet et de l'esprit de ce que le législateur considère comme une “ allocation raisonnable ” aux fins du sous-alinéa 6(1)b)(v). Il se peut bien que le montant de 24 000 $ qui est prescrit à l'article 7307 du Règlement doive être augmenté — le montant de 24 000 $ a été fixé en 1991, et le prix des voitures de tourisme a augmenté considérablement depuis, comme peut en témoigner quiconque a récemment acheté une automobile. En examinant la question de savoir ce qu'est une allocation raisonnable, j'aurais pu considérer le coût en capital d'une automobile acquise en 1993 comme se limitant à un montant légèrement supérieur à 24 000 $. Cela n'a toutefois pas été plaidé, et l'appelant n'a pas non plus cherché à produire des éléments de preuve à cet effet.

[23] Dans les circonstances, il n'y a pas lieu de changer quoi que ce soit à la cotisation. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juillet 1998.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de janvier 1999.

Stephen Balogh, réviseur



[1]               Le ministre n'a pas mis en question le fait que les distances parcourues par le véhicule au cours des deux années étaient identiques.

[2]               Les tribunaux se sont penchés sur le terme “ allocation ” à maintes reprises. Dans l'arrêt The Queen v. Pascoe, [1975] CTC 656, 75 DTC 5427 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué qu'une allocation est une somme d'argent répondant aux conditions suivantes : 1) elle est limitée et déterminée à l'avance; 2) elle est versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à certains types de dépenses; 3) celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à rendre à personne. Toutefois, dans l'arrêt Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264, 86 DTC 6179 (C.S.C.), le juge Beetz, à la page 275, a modifié la troisième condition relative à une allocation aux fins de l'alinéa 60b) de la Loi, disant qu'“ il faut que le bénéficiaire puisse en disposer complètement à son profit, abstraction faite des restrictions qui lui sont imposées quant à la manière d'en disposer et d'en profiter ”. Il est à noter que les arrêts Gagnon et Pascoe traitaient tous les deux du sens du mot “ allocation ” dans le contexte limité de paiements de pension alimentaire prévus à l'alinéa 60b) de la Loi.

[3]               The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles.

[4]               Voir Le Petit Robert 1.

[5]               Ransom v. M.N.R., 67 DTC 5235, à la page 5244 (C. de l'É.).

[6]               Voir le Bulletin d'interprétation IT-522R de Revenu Canada, Frais afférents à un véhicule à moteur, frais de déplacement et frais de vendeurs engagés ou effectués par les employés, 29 mars 1996, paragraphe 40. À mon avis, le paragraphe 40 décrit exactement l'état du droit pendant les années considérées en l'espèce.

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