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Dossiers : 2015‑1968(GST)I

2015‑2017(IT)G

ENTRE :

JOHN TJELTA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus les 4 et 5 juillet 2017, à Edmonton (Alberta)

Devant : L'honorable juge David E. Graham


Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Neil T. Mather

Avocate de l'intimée :

Me Margaret McCabe

 

JUGEMENT

  Les appels interjetés par l'appelant à l'encontre des cotisations établies à son égard au titre de sa responsabilité comme administrateur d'Empire International Service Rigs Inc. pour les dettes de celle‑ci sont rejetés.

  Les dépens sont adjugés à l'intimée dans le cas de l'appel en matière d'impôt sur le revenu. Aucuns dépens ne sont adjugés dans le cas de l'appel en matière de TPS.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2017.

« David E. Graham »

Le juge Graham


Référence : 2017 CCI 187

Date : 20170925

Dossiers : 2015‑1968(GST)I

2015‑2017(IT)G

ENTRE :

JOHN TJELTA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Graham

[1]  John Tjelta était l'administrateur d'une société dénommée Empire International Service Rigs Inc. (Empire). Celle‑ci a omis de verser plus de 400 000 $ au titre de la taxe sur les produits et services (TPS) et des retenues sur les salaires. En conséquence, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de M. Tjelta à titre d'administrateur en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise. M. Tjelta a interjeté appel à l'encontre de ces cotisations.

[2]  Monsieur Tjelta ne nie pas qu'Empire doit les taxes et il ne soutient pas qu'il a fait preuve de diligence raisonnable dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur. Il fait uniquement valoir que les conditions préalables applicables à une cotisation au titre de la responsabilité d'un administrateur aux alinéas 227.1(2)a) et 323(2)a) n'ont pas été remplies. Ces alinéas prévoient qu'un administrateur n'encourt la responsabilité que lorsqu'« un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable [...] a été enregistré à la Cour fédérale [...] et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme ». M. Tjelta reconnaît que le certificat approprié a été enregistré à la Cour fédérale, mais il remet en question la bonne foi du ministre lorsqu'il a tenté de déterminer et de saisir les biens d'Empire.

[3]  Dans R. c. Barrett [1] , la Cour d'appel fédérale a déclaré que l'alinéa 323(2)a) et, par extension, l'alinéa 227.1(2)a) n'imposent pas une obligation au « ministre de faire des efforts raisonnables pour vérifier l'existence possible d'actifs d'une personne morale débitrice » [2] . M. Tjelta reconnaît que le ministre n'était donc pas tenu de faire des efforts raisonnables pour vérifier l'existence des biens d'Empire.

[4]  Toutefois, dans Barrett, la Cour d'appel fédérale a décidé que le ministre avait néanmoins l'obligation d'agir de bonne foi lorsqu'il détermine si la condition préalable a été remplie. M. Tjelta affirme que le ministre n'a pas agi de bonne foi. M. Tjelta fait valoir qu'il avait informé le ministre des biens qui pouvaient être saisis et que le ministre a omis de donner suite à ces renseignements.

[5]  Je conclus que le ministre a agi de bonne foi. Je décrirai d'abord les mesures que l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) a prises et ensuite mes motifs selon lesquels j'ai conclu que ces mesures ont été prises de bonne foi.

Les mesures prises par l'ARC

[6]  Empire fabriquait et remettait en état du matériel de champs de pétrole. En août 2011, Empire devait à son locateur un montant légèrement supérieur à celui qu'elle devait à l'ARC. Le locateur a retenu les services d'une société d'huissiers autorisée par la province de l'Alberta, Stewart Belland & Assoc. Inc., en vue de saisir les biens d'Empire. La société d'huissiers, à son tour, a demandé à un huissier nommé Robert Parry de procéder à la saisie.

[7]  Lyle Stewart est le propriétaire de Stewart Belland & Assoc. L'intimée a cité à témoigner M. Stewart et M. Parry. J'ai estimé qu'ils étaient tous deux crédibles.

[8]  Le 26 août 2011, M. Parry s'est présenté aux bureaux d'Empire. M. Tjelta a rapidement appelé l'ARC. Il savait qu'Empire devait une somme importante à l'ARC. Il savait également qu'il pourrait être tenu responsable de ces fonds à titre d'administrateur. Il a indiqué qu'il souhaitait que l'ARC agisse afin de protéger ses intérêts.

[9]  Le jour de la saisie, M. Tjelta a discuté avec Gordon Beatty, agent de recouvrement de l'ARC. M. Beatty n'était pas l'agent de recouvrement habituellement chargé du dossier d'Empire. Le dossier lui a été attribué à compter de la date de la saisie. L'intimée a cité M. Beatty à témoigner. J'ai estimé que M. Beatty était un témoin crédible.

[10]  Monsieur Beatty a demandé à M. Tjelta de lui envoyer une copie du mandat que M. Parry lui avait donné. C'est ce que M. Tjelta a fait. M. Tjelta a également, soit à ce moment‑là ou à une date ultérieure, fourni à M. Beatty une copie de l'avis de saisie‑exécution de biens meubles que M. Parry avait préparé après la saisie.

[11]  Le jour de la saisie, M. Beatty a pris immédiatement des mesures pour protéger les intérêts de l'ARC. Il a établi des certificats à l'égard des dettes d'Empire envers l'ARC, a pris les dispositions nécessaires pour enregistrer ces certificats à la Cour fédérale, a obtenu des brefs de saisie‑exécution pour les dettes et les a enregistrés à l'égard des biens d'Empire au registre des biens meubles de l'Alberta. De manière remarquable, M. Beatty a réussi à enregistrer les droits de l'ARC avant que le locateur n'enregistre les siens.

[12]  En fin de compte, M. Parry a permis à Empire de rester en possession de ses biens conformément à un engagement de dépôt qu'il avait obtenu de M. Tjelta.

[13]  Dans les jours qui ont suivi la saisie, M. Tjelta a eu une conversation avec M. Beatty au cours de laquelle M. Beatty a expliqué les mesures qu'il avait prises pour assurer les droits de l'ARC. M. Beatty a également informé M. Tjelta que l'ARC avait une fiducie réputée sur les biens d'Empire et qu'elle aurait donc le premier rang sur tout produit de la vente des biens par Stewart Belland. Ainsi, l'ARC serait payée avant le locateur. M. Beatty a clarifié le fait que la fiducie réputée ne s'appliquerait pas aux pénalités et aux intérêts qui ont été établis à l'égard d'Empire ou à la part de l'employeur des paiements d'assurance‑emploi et du régime de pensions du Canada.

[14]  Monsieur Tjelta croit qu'à ce moment‑là, il a donné à M. Beatty, oralement, une liste des biens d'Empire. M. Tjelta n'a donné à M. Beatty aucune preuve documentaire pour étayer le droit de propriété d'Empire sur ces biens ni leur juste valeur marchande. Voici les biens clés que M. Tjelta a décrits à M. Beatty :

a)  Tour de forage : un appareil appelé une « tour pour forages inclinés » d'une valeur de 1 000 000 $ qu'Empire fabriquait pour la société Central Alberta Well Service Corp. (« CWC »);

b)  Camions‑pompes : deux camions‑pompes dont la valeur n'a pas été indiquée par M. Tjelta;

c)  Autres biens : d'autres appareils importants d'une valeur entre 390 000 $ et 400 000 $ [3] .

[15]  En raison de ma conclusion selon laquelle le ministre a agi de bonne foi, je n'ai pas à décider des biens précis appartenant à Empire au moment de la saisie ou de leur juste valeur marchande. Il suffit de conclure que M. Tjelta avait informé M. Beatty qu'Empire avait d'importants biens physiques d'une valeur importante [4] .

[16]  Monsieur Tjelta a déclaré qu'il avait demandé à M. Beatty de saisir ces biens. M. Beatty a affirmé que l'ARC ne pouvait saisir les biens. Il a expliqué que, une fois que les biens ont été saisis par Stewart Belland & Assoc., l'ARC ne pouvait pas saisir de nouveau les biens. Il a expliqué que, une fois saisis, les biens étaient détenus par Stewart Belland & Assoc. pour le compte de tous les créanciers et non pas seulement du locateur, et qu'il n'était donc pas nécessaire de prendre d'autres mesures.

[17]  Le 1er septembre 2011, le locataire a changé les verrous des locaux d'Empire.

[18]  Le 5 septembre 2011, M. Tjelta a informé M. Beatty qu'il avait entendu que Stewart Belland & Assoc. donnait la tour de forage à CWC, malgré le fait qu'Empire en était encore propriétaire parce que CWC n'en avait pas payé le prix intégral à Empire.

[19]  Le 6 septembre 2011, M. Tjelta a parlé avec M. Stewart. M. Tjelta lui a dit qu'Empire était encore propriétaire de la tour de forage et que Stewart Belland & Assoc. ne devrait donc pas la remettre à CWC. M. Tjelta est passé devant les locaux d'Empire plus tard le même jour et il a vu qu'on enlevait néanmoins la tour.

[20]  Messieurs Tjelta et Beatty ont eu un certain nombre d'autres conversations au cours des jours suivants. M. Beatty a indiqué que M. Tjelta lui avait dit qu'on avait donné divers biens à diverses personnes et qu'il avait donc discuté avec M. Stewart afin de déterminer ce qui se passait. M. Beatty a indiqué que M. Stewart avait confirmé que certains biens avaient été libérés, mais il l'a assuré que cela n'avait eu lieu qu'après que Stewart Belland & Assoc. avait déterminé que les biens appartenaient à des tiers. M. Beatty a interrogé M. Stewart particulièrement au sujet de la tour de forage. Il a affirmé que M. Stewart l'avait informé que CWC avait acheté et payé la tour et que Stewart Belland & Assoc. l'avait donc autorisée à la prendre. Ces déclarations constituent du ouï‑dire et je ne peux pas les retenir en tant que preuve de la propriété de la tour ou de ce qui lui est arrivé. Je retiens toutefois qu'après sa conversation avec M. Stewart, M. Beatty avait des motifs de croire que les préoccupations de M. Tjelta étaient sans fondement et que M. Stewart s'occupait de manière appropriée des biens d'Empire. En contre‑interrogatoire, M. Beatty a indiqué qu'il n'avait pas demandé à Stewart Belland & Assoc. de produire un acte de vente pour la tour de forage. Il a expliqué que l'ARC ne demandait pas habituellement à obtenir de tels documents puisqu'elle se fie au travail des huissiers.

[21]  Monsieur Stewart a déclaré qu'il se souvenait avoir parlé avec une personne chez CWC au sujet de la tour de forage et a indiqué que CWC avait en fin de compte fourni à Stewart Belland & Assoc. suffisamment de documents pour établir le fait qu'elle était propriétaire de la tour. En contre‑interrogatoire, M. Stewart a indiqué qu'il ne se souvenait pas que M. Tjelta lui ait dit que la tour n'avait pas été payée au complet. Il a reconnu que son dossier ne comprenait pas d'acte de vente pour la tour, ni une autorisation signée par Empire permettant que la tour soit remise à CWC. Toutefois, il a expliqué qu'Empire avait eu l'occasion de s'opposer à la saisie et à la remise des biens, mais qu'elle ne l'avait pas fait. Il a indiqué que M. Tjelta et son père avaient déposé des oppositions personnelles afin que leurs droits en tant que créanciers garantis allégués soient reconnus, mais Empire n'a déposé aucune opposition.

[22]  Monsieur Beatty a indiqué qu'à une autre occasion, il avait discuté avec une autre personne chez Stewart Belland & Assoc., mais qu'il ne se souvenait ni de son nom, ni du sujet de la discussion.

[23]  En contre‑interrogatoire, M. Beatty a affirmé qu'il avait envoyé un avis au locateur pour l'informer que l'ARC bénéficiait d'un rang plus élevé pour tout montant que le locateur recevrait. À la question de savoir s'il avait fait un suivi auprès du locateur afin de déterminer s'il avait effectivement reçu un montant, M. Beatty était quelque peu évasif. Je conclus qu'il ne l'a pas fait.

[24]  Le 15 septembre 2011, M. Beatty a acheminé des demandes péremptoires à la banque d'Empire et à un tiers qui devait de l'argent à Empire.

[25]  Le 16 septembre 2011, M. Beatty a demandé à M. Tjelta de lui fournir une liste des créances d'Empire et une liste de ses travaux en cours. M. Tjelta a fourni ces renseignements à M. Beatty le 23 septembre et celui‑ci a envoyé d'autres demandes péremptoires le même jour. Une de ces demandes péremptoires a été acheminée à CWC.

[26]  Monsieur Beatty a déclaré que l'ARC avait reçu moins que quelques centaines de dollars au moyen de ces demandes péremptoires.

[27]  On ne sait trop ce qui est arrivé en dernier ressort aux biens saisis par Stewart Belland & Assoc. M. Tjelta a déclaré qu'ils ne lui ont pas été remis. Ils ne sont certainement pas restés à l'établissement d'Empire. M. Stewart a affirmé que Stewart Belland & Assoc. n'avait jamais reçu du locateur des directives de vendre des biens. Il ne sait pas ce qui est arrivé aux biens. M. Stewart a expliqué que, si un bien avait été vendu, son entreprise prendrait alors les mesures nécessaires pour déterminer le rang des créanciers et pour s'assurer que les créanciers puissent s'opposer à la répartition du produit proposée. M. Stewart ne savait pas si le locateur avait vendu les biens. M. Stewart supposait, selon son expérience, que le locateur pouvait avoir conclu une entente avec Empire pour échanger les biens en contrepartie d'arriérés de loyer, mais il n'avait aucune preuve d'une telle entente.

[28]  En 2013, M. Beatty a conclu qu'Empire ne rembourserait pas sa dette envers l'ARC. En conséquence, il a décidé d'établir une cotisation à l'égard de M. Tjelta. Il a expliqué qu'afin de remplir les conditions préalables prévues aux alinéas 227.1(2)a) et 323(2)a), il croyait qu'il devait demander à un huissier de tenter véritablement d'effectuer une saisie en exécution du bref de l'ARC plutôt que d'exécuter le mandat du locateur. En conséquence, l'ARC a retenu les services d'une société d'huissiers dénommée Consolidated Civil Enforcement Inc. en vue de tenter de saisir les biens d'Empire. Puisqu'elle n'avait reçu aucun produit découlant de la saisie antérieure, l'ARC ne s'attendait pas à recevoir quoi que ce soit de la deuxième saisie. Elle n'a pas été déçue. Le bref n'a pu être exécuté faute de biens. L'intimée soutient que ce deuxième bref qui n'a pu être exécuté répond à la condition préalable qu'il y ait eu défaut d'exécution totale ou partielle. L'huissier qui a effectué la saisie s'appelait Jamie Chitolie. L'intimée a cité M. Chitolie à témoigner. J'ai estimé que M. Chitolie était un témoin crédible. Je conclus qu'il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle.

Le ministre a‑t‑il agi de bonne foi?

[29]  Tel que cela est indiqué ci‑dessus, la Cour d'appel fédérale a indiqué dans Barrett que le ministre doit agir de bonne foi lorsqu'il tente d'exécuter un bref. Les parties ont différentes opinions de ce qu'il faut faire pour satisfaire à l'exigence. Je trancherai d'abord la question de savoir ce que la Cour d'appel fédérale voulait dire lorsqu'elle a indiqué que le ministre doit agir de bonne foi. Je déciderai ensuite si le ministre a satisfait à ce critère en l'espèce.

[30]  L'intimée soutient qu'il n'y a aucun doute quant à ce que la Cour d'appel fédérale voulait dire dans Barrett lorsqu'elle a déclaré que le ministre doit agir de bonne foi. L'intimée indique que la Cour a déclaré expressément que le ministre devait « agir sans arrière‑pensée ou sans motif inacceptable » [5] . Je suis d'accord avec l'intimée.

[31]  Monsieur Tjelta soutient que je devrais utiliser la définition de « bonne foi » adoptée par le juge Sommerfeldt dans sa décision récente Ploughman c. La Reine [6] . Dans son analyse d'un argument subsidiaire, le juge Sommerfeldt a appliqué la définition suivante de la bonne foi : « l'utilisateur de l'information n'avait pas d'intentions malhonnêtes et n'avait aucune raison de douter de la véracité de l'information » [7] .

[32]  Je ne suis pas disposé à appliquer la définition tirée de Ploughman. Ploughman portait sur les pénalités administratives à des tiers prévues à l'article 163.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Plus précisément, il portait sur les dispositions du paragraphe 163.2(6), qui prévoit un moyen de défense contre les pénalités imposées si le contribuable a agi de bonne foi. En conséquence, le juge Sommerfeldt interprétait une disposition qui utilisait expressément l'expression « bonne foi ». Dans les circonstances, il devait décider quelle était l'intention du législateur lorsqu'il a utilisé cette expression. Je n'ai pas la même tâche que le juge Sommerfeldt. Je n'ai pas à interpréter l'intention du législateur lorsqu'il a utilisé l'expression « bonne foi ». Le législateur n'a pas utilisé cette expression aux alinéas 227.1(2)a) ou 323(2)a). Je dois interpréter l'intention de la Cour d'appel fédérale lorsqu'elle a utilisé cette expression dans Barrett. Puisque la Cour d'appel fédérale a déclaré expressément ce qu'elle entendait par cela, je ne crois pas qu'il m'est nécessaire d'interpréter cet énoncé davantage. Je souligne que le fait que je ne suis pas disposé à adopter l'interprétation du juge Sommerfeldt ne doit pas être interprété comme un désaccord.

[33]  En fonction de tout ce qui précède, je conclus qu'afin de remplir la condition préalable prévue aux alinéas 227.1(2)a) et 323(2)a), l'intimée doit démontrer que le ministre a agi sans arrière‑pensée et sans motif inacceptable. Je conclus que c'est ce qu'a fait l'intimée.

[34]  Monsieur Beatty a reçu les renseignements que M. Tjelta lui a fournis et il a fait ce qu'il devait afin de protéger les intérêts de l'ARC. Même s'il est possible que M. Beatty eût pu en faire plus pour s'assurer que l'ARC recouvre un montant d'Empire, Barrett établit clairement que mon rôle ne consiste pas à examiner ce que l'ARC aurait pu faire ou à décider si les mesures que l'ARC a prises étaient raisonnables, mais plutôt à décider simplement si l'ARC a agi de bonne foi. Rien dans la preuve n'indique qu'elle n'a pas agi de bonne foi ni que M. Beatty a agi avec une arrière‑pensée ou pour un motif inacceptable. En fait, les éléments de preuve indiquent tout à fait le contraire. M. Beatty a agi rapidement pour protéger les intérêts de l'ARC, il a pris d'autres mesures pour tenter de recouvrer les montants des clients d'Empire et, lorsqu'il a été informé par M. Tjelta que les biens étaient saisis, il a fait un suivi auprès de Stewart Belland & Assoc. afin de constater ce qui se passait. M. Beatty a fait en sorte que l'ARC soit assurée que, si Stewart Belland & Assoc. recevait un produit des biens saisis, l'ARC serait payée en premier.

[35]  Il ressort du témoignage de M. Tjelta que M. Beatty n'était pas toujours disponible lorsque M. Tjelta l'appelait et que M. Beatty ne le rappelait pas toujours ou ne le rappelait pas rapidement, et que M. Beatty ne répondait pas à ses courriels. Toutefois, j'ai nettement l'impression que M. Tjelta estimait que M. Beatty agissait pour le compte d'Empire et s'attendait à ce qu'il réponde à ses appels et courriels et qu'il prenne des mesures pour le compte d'Empire de la même manière qu'un avocat agissant pour le compte d'Empire. Cette attente était irréaliste. Les fonctions de M. Beatty consistaient à protéger les intérêts de l'ARC et non ceux d'Empire ou de M. Tjelta.

[36]  Je précise que M. Tjelta n'a pris aucune mesure pour le compte d'Empire afin de s'opposer officiellement à la saisie des biens en question et qu'il n'a pris aucune mesure pour le compte d'Empire à l'encontre du locateur ou de CWC. C'était comme si M. Tjelta s'attendait à ce que l'ARC le fasse pour le compte d'Empire.

[37]  Je comprends la frustration de M. Tjelta quant à ce qui s'est produit. Il me paraît évident qu'Empire avait des biens, y compris la tour de forage, que Stewart Belland & Assoc. a saisis, mais qui n'ont été ni vendus ni remis à Empire. Quelque chose est arrivé à ces biens. Il est possible que le père de M. Tjelta, avec lequel il s'était brouillé, et qui était également un administrateur d'Empire, avait conclu une entente avec le locateur en vertu de laquelle Empire avait donné au locateur tous ou certains des biens en règlement du loyer. Il est également possible que le locateur ait simplement vendu les biens et gardé l'argent sans en informer Stewart Belland & Assoc. Toutefois, peu importe ce qui est arrivé aux biens, l'ARC a agi de bonne foi en fonction des renseignements qu'elle avait à ce moment‑là. Lorsque M. Tjelta l'a informé qu'il y avait des biens, M. Beatty s'est renseigné auprès de M. Stewart et a vérifié que Stewart Belland & Assoc. gérait les biens de manière appropriée. Toute omission de la part de M. Beatty de vérifier ce que M. Stewart lui disait ne peut être attribuée à un manque de bonne foi. En fin de compte, si M. Tjelta estime que le locateur a pris à tort les biens d'Empire, il est libre de le poursuivre à l'aide du privilège que lui accordent les paragraphes 227.1(6) et 323(7). De même, s'il croit que son père a disposé des biens de manière inappropriée, M. Tjelta peut répéter la part de son père en vertu des paragraphes 227.1(7) et 323(8).

[38]  Si j'ai tort et que j'eus dû appliquer l'interprétation du terme « bonne foi » donnée dans Ploughman, je conclurais toujours que le ministre a agi de bonne foi. L'interprétation donnée dans Ploughman aurait exigé que le ministre ait une intention honnête et qu'il n'ait pas de raison de douter de la véracité de l'information qu'il avait. Rien dans la preuve n'indique que l'intention du ministre n'était pas honnête. Même s'il ressortait certainement de la preuve que M. Beatty avait des raisons de douter de la véracité de l'information qu'il avait, il ressortait également clairement de la preuve qu'il avait pris des mesures pour s'assurer que Stewart Belland & Assoc. s'occupait de l'affaire de manière appropriée. En me demandant de décider si les mesures que M. Beatty a prises étaient suffisantes, M. Tjelta me demande en fait de décider si M. Beatty avait fait preuve de diligence raisonnable plutôt que de décider s'il avait agi de bonne foi. C'est exactement le genre d'analyse que je ne dois pas faire, selon Barrett.

Dispositif

[39]  En raison de ce qui précède, les appels sont rejetés. Un mémoire de dépens est adjugé à l'intimée dans le cas de l'appel en matière d'impôt sur le revenu. Aucuns dépens ne sont adjugés dans le cas de l'appel en matière de TPS, puisqu'il était régi par la procédure informelle.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de septembre 2017.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Annexe A – Biens appartenant à Empire

[40]  Si je devais décider de la propriété et de la juste valeur marchande des biens décrits par M. Tjelta, je serais parvenu aux conclusions suivantes :


a)  Tour de forage : Selon le témoignage de M. Tjelta et la preuve documentaire déposée, j'aurais conclu que, le 26 août 2011, CWC avait payé 90 % du prix d'achat de la tour de forage. Elle devait encore environ 100 000 $ à Empire [8] . Conformément au contrat conclu entre CWC et Empire, CWC n'avait pas le droit de recevoir la tour avant que tous les paiements n'aient été versés. Même si M. Tjelta a affirmé à maintes reprises que la valeur de la tour s'élevait à 1 000 000 $, je conclus que sa valeur maximale était de 100 000 $, puisque ce montant correspond au prix maximal que l'acheteur le plus vraisemblable, CWC, était susceptible de payer pour l'acquérir. Même si CWC ne souhaitait pas l'acheter, un tiers acquéreur bien informé aurait négocié une entente parallèle avec CWC pour prendre en charge le contrat de CWC et, par conséquent, Empire aurait obtenu au plus la somme de 100 000 $ qui lui était due.

b)  Camions‑pompes : Les éléments de preuve relatifs aux camions‑pompes portaient à confusion. M. Tjelta a indiqué qu'Empire était propriétaire de deux camions‑pompes au moment de la saisie, mais il n'a pas indiqué la valeur de ces camions et il n'a fourni aucune preuve documentaire selon laquelle Empire était la propriétaire, ni le montant qu'elle avait payé pour les acquérir. En contre‑interrogatoire, M. Tjelta a affirmé qu'un camion‑pompe appartenait à CWC et qu'elle avait versé un acompte à Empire afin que du matériel y soit installé, mais il n'a pas expliqué si CWC devait d'autres montants à Empire pour ces travaux et, dans l'affirmative, combien. Puisque M. Tjelta a déclaré que le camion‑pompe appartenait à CWC, il ne m'est pas clair si ce camion était un troisième camion, en plus des deux autres camions qu'il avait indiqués appartenir à Empire. En raison de cette ambiguïté, je ne sais pas si l'autre camion‑pompe appartenait également à CWC et si Empire en avait possession afin d'y installer la tour de forage. Dans les circonstances, je n'aurais attribué aucune valeur aux camions‑pompes, puisque M. Tjelta ne m'a pas convaincu qu'Empire en était le propriétaire.

c)  Autres biens : Je suis disposé à retenir l'argument selon lequel ce matériel appartenait à Empire en août 2011. M. Tjelta a indiqué que la valeur totale de ce matériel était de 390 000 $ à 400 000 $ [9] . À part son témoignage oral, M. Tjelta n'a déposé aucune preuve de leur juste valeur marchande. Il me semble que M. Tjelta était trop optimiste dans son évaluation des biens. Il semble avoir évalué les biens selon le marché de détail normal et ne pas avoir tenu compte du fait qu'au moment de l'évaluation des biens, ils avaient déjà été saisis. Si les biens avaient été vendus, la vente aurait été effectuée pour régler les dettes fiscales d'Empire ou ses dettes envers le locateur. Quoi qu'il en soit, le marché dans lequel les biens auraient été vendus n'aurait pas été le marché de détail normal, mais plutôt le marché aux enchères de biens saisis, comportant les incertitudes de prix, les frais et les dépenses connexes. En l'absence d'éléments de preuve quant au prix qui aurait été reçu dans ce marché et d'une certaine confirmation des valeurs de détail normales utilisées par M. Tjelta, j'aurais imposé un rabais important et j'aurais attribué aux biens des valeurs qui n'auraient pas, à mon avis, dépassé le prix qu'ils auraient lors d'une vente aux enchères. Si je devais décider, j'aurais conclu que leur valeur maximale s'élevait à 200 000 $.

[41]  En raison de ce qui précède, si j'avais à décider, j'aurais conclu qu'à la date de la saisie, Empire avait des biens d'une valeur maximale de 300 000 $.

 


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 187

DOSSIERS :

2015‑1968(GST)I

2015‑2017(IT)G

INTITULÉ :

JOHN TJELTA c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 4 et 5 juillet 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge David E. Graham

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 septembre 2017

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Neil T. Mather

Avocate de l'intimée :

Me Margaret McCabe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Neil T. Mather

Cabinet :

Mather Law

 

Pour l'intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   2012 CAF 33.

[2]   Barrett, au paragraphe 36.

[3]   M. Tjelta a mentionné un treuil de forage JIMCO 550, une chargeuse CAT IT24F, une cabine de peinture et une grande tente.

[4]   Si cela avait été nécessaire, j'aurais conclu qu'Empire avait des actifs d'une valeur maximale de 300 000 $ au moment de la saisie. Mes motifs pour cette conclusion sont exposés à l'annexe A.

[5]   Barrett, au paragraphe 38.

[6]   2017 CCI 64.

[7]   Paragraphe 68 dans Ploughman, où l'on cite la décision de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique rendue dans MacAlpine v. T.H. (1991), 83 D.L.R. (4th) 609.

[8]   10 % du prix d'achat de 1 000 000 $. Pièce A‑1, pages 3 et 27.

[9]   M. Tjelta a attribué une valeur de 200 000 $ au treuil de forage JIMCO 550, de 60 000 $ à 70 000 $ à la chargeuse CAT IT24F, de 80 000 $ à la cabine de peinture et de 50 000 $ à la grande tente.

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