Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19980708

Dossier : 96-2491-IT-G

ENTRE :

JOHN D. FERRACUTI, DIANE M. FERRACUTI ET SANDRA ANTONUTTI,

FIDUCIAIRES DE LA SUCCESSION D’ITALIA FERRACUTI,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] Italia Ferracuti ( « Italia » ) a déposé, de son vivant, le présent avis d’appel, procédure qui a été poursuivie par ses fiduciaires. Cet appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation d’impôt dont le montant a été établi à 148 168,25 $ en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu ( la « Loi » )

Les faits

[2] John David Ferracuti, Diane Mary Ferracuti et Sandra Antonutti sont les fiduciaires de la succession de feue Italia, décédée le 19e jour de décembre 1996.

[3] Italia était la veuve de feu Ralph Ferracuti ( « Ralph » ), décédé le 23e jour de janvier 1990.

[4] Il est admis que, pendant toute la période en litige, Ralph avait, selon la Loi, une dette fiscale dont le montant était au moins égal à la cotisation imposée à Italia en vertu de l’article 160.

[5] Ralph a conclu un contrat de vente-achat sans date, avec une dénommée Léonore H. Katz, en vue d’acquérir une unité condominiale identifiée comme l’unité 4B du condominium Mariposa, situé au 2001 South Surf Road, à Hollywood, en Floride « l’unité » , pour la somme de 185 000 $. Tout montant en question dans le contrat de vente est en dollars américains.

[6] L’article 4 du contrat de vente stipule que :

[TRADUCTION]

Si ce contrat n’est pas exécuté par le vendeur et l’acheteur à ___:___heures, le 27 avril 1989 ou avant cette date, l’acompte sera rendu à l’acheteur, à son gré, et ce contrat deviendra nul et sans effet [...]

[7] Je suis d’avis, par conséquent, que le contrat, bien qu’il ne contienne pas de date, a été exécuté le 27 avril 1989 ou avant cette date.

[8] La date de clôture est établie comme étant le 15 janvier 1990.

[9] Lorsque les parties se sont engagées, par ce contrat, un acompte de 10 000 $ a été versé. Le contrat comportait une condition selon laquelle l’acheteur devait obtenir une hypothèque de premier rang de 138 000 $ qui représenterait une portion de la contrepartie, l’autre portion étant une somme de 37 000 $ à fournir à la date de clôture. Le montant total de la contrepartie, à la date de clôture, était donc de 175 000 $, en tenant compte toutefois des ajustements.

[10] L’article 7 en première page portant l’en-tête « Clauses spéciales » prévoit « avant le 10 décembre 1989 » . Le dernier article, à la page quatre du contrat, sous le même en-tête « Clauses spéciales » , se lit comme suit :

[TRADUCTION]

La liste ci-jointe des objets à retirer de l’appartement, tel que prévu, doit être vérifiée et signée par l’acheteur avant que le présent contrat n’entre en vigueur.

[11] L’acheteur est déclaré être Ralph ou ses ayants droit.

[12] Ralph et Italia ont tous deux établi des procurations nommant mandataires leurs trois fils Remo Ferracuti ( « Remo » ), Antony Ferracuti et John Ferracuti. Ces procurations datent du 13 décembre 1989 et l’affidavit qui les accompagne a été fait le 14e jour de décembre 1989.

[13] Ces procurations ont été rédigées par Me James S. Reycraft, un procureur qui était aussi témoin aux procurations.

[14] Le 15 décembre 1989, Me James Reycraft a, en sa qualité de premier administrateur, rédigé les statuts constitutifs d’une société qui portait le nom de 872908 Ontario Inc. (la société) et dont l’article 5 stipule que:

[TRADUCTION]

Les affaires de la société se limitent à la détention, à la gestion et au contrôle d’une seule propriété située au 2001 South Surf Road, appartement 4B, Hollywood, Floride, É-U., et la société détient tous les pouvoirs auxiliaires requis pour gérer, louer, réparer, hypothéquer et vendre la propriété et en disposer.

À la détention de biens pour usage personnel, au bénéfice des actionnaires.

[15] Ayant analysé le contrat de vente-achat et surtout les clauses citées ci-dessus, je suis d’avis que ce n’est pas avant la première partie du mois de décembre 1989 que le contrat est entré en vigueur et je conclus, par conséquent, que c’est ce qui a mené à la nomination de l’avocat Reycraft et selon ses conseils ou ceux de M. Goldfarb, [...] à la constitution de la société. M. Goldfarb est un comptable agréé qui agissait au nom de Ralph et de la société.

[16] Je n’ai pas trouvé en Remo un témoin convainquant et je rejette la majeure partie de son témoignage, y compris sa déclaration selon laquelle il aurait autorisé la constitution de la société, conformément aux instructions reçues de son père et selon lesquelles il devait suivre les conseils de M. Goldfarb.

[17] Il est simplement trop difficile de croire que Ralph et Italia se seraient rendus au bureau de Me Reycraft le 13e ou 14e jour de décembre 1989 et que la société aurait été constituée le 15e jour de décembre 1989, conformément aux instructions de Remo.

[18] Remo déclare que son père lui a ordonné de suivre les conseils du comptable. Cela est peut-être vrai, mais je conclus néanmoins que le transfert du titre de la propriété à la société ontarienne s’est effectué conformément à une décision prise par Ralph, Italia, Me Reycraft et M. Goldfarb au moment où les procurations ont été rédigées ou exécutées.

[19] Remo prétend qu’aucune action n’a été distribuée par la société. Je n’accepte pas cette allégation comme ayant été prouvée. Aucun registre de la société n’a été présenté à la Cour.

[20] Les appelants n’ont pas demandé à Me Reycraft ni à M. Goldfarb de témoigner. On m’a demandé de tirer, de cette non comparution, une conclusion négative et c’est ce que je fais. Je présume que leur témoignage aurait des conséquences néfastes pour la cause des appelants. Si les registres de la société ainsi que ses déclarations de revenus avaient été présentés, la Cour aurait trouvé la réponse à la question de savoir quelles avaient été les instructions reçues de Ralph et d’Italia. Je présume que quelqu’un a pourtant bien produit les déclarations ontariennes de revenus de la société, sinon la société aurait perdu ses lettres patentes et l'actif en question aurait pu être confisqué en faveur du gouvernement de l’Ontario. Je présume que tel n’a pas été le cas, étant donné la grande valeur de l'actif, valant aujourd’hui probablement plus de 300 000 $ canadiens.

[21] Le 20 janvier 1990, Remo, en sa qualité de mandataire, a signé et tiré un chèque de 148 168,26 $, du compte de banque de Ralph; la somme a été déposée dans un compte détenu par Italia. Cet argent, a-t-on fait valoir, représentait le montant en fonds canadiens requis pour conclure le contrat d'achat du condominium situé en Floride. Toutefois, le contrat exige une somme de 175 000 $ à la clôture. Il n’existe pas de preuve pour démontrer d’où serait provenue le solde des fonds requis.

[22] Remo, agissant soit seul, soit avec l’assistance des ses frères, toujours comme mandataire d’Italia, a retiré l’argent afin de conclure le contrat d'achat du condominium. Les registres des comptes en banque n’ont pas été présentés. Je conclus que le chèque de Ralph à Italia pour un montant de 148 168,26 $ (tiré juste avant le décès de Ralph) a servi à fermer son compte afin d’épargner de l’argent en frais juridiques et en droits d’homologation et pour remettre les fonds entre les mains d’Italia. Le montant que Remo aurait envoyé en Floride provenant du compte de sa mère n’a pas été suffisamment bien établi, selon moi, car il devait y avoir plus de 150 000 $ (somme arrondie) à envoyer en Floride pour conclure l’achat. Il n’y a pas de preuve qu’une hypothèque américaine ait été obtenue, donc 175 000 $ ont dû être envoyés en Floride pour conclure l’achat, lequel a bien été conclu le 1er mars 1990.

[23] Quand on a demandé à Remo qui était propriétaire de la maison familiale de ses parents, et si elle était détenue conjointement, il a répondu que sa mère en était propriétaire. Il s’agit donc là d’un bien d’une valeur importante que Ralph n’a pas hésité à placer au nom d’Italia. Remo a également dit, à un certain moment, que sa mère avait hérité de tout malgré le fait que le dernier testament de Ralph ne lui octroyait qu’un droit viager

[24] Inscrire le titre du condominium de Floride parmi les acquis d’une société ontarienne était, dans les années 1989 ou 1990, une pratique courante permettant d’éviter des impôts de succession et des frais d’homologation élevés en Floride. Remo a prétendu que jamais une action n’a été émise ni que des administrateurs ont été élus au sein de la société, mais qu’il en était le président et que ses deux frères en étaient le vice-président et le secrétaire-trésorier, respectivement. Il a par la suite soutenu que la succession de Ralph détenait les droits de propriété. Je n’accepte pas ceci. Me James Reycraft était le premier administrateur lorsqu’il a signé les statuts constitutifs de la société. Ralph avait de lourdes dettes envers Revenu Canada. Il a manifestement choisi d’acheter un condominium en Floride à 185 000 $ plutôt que de payer Revenu Canada, de telle manière que le titre de la société a été sciemment caché ou placé au nom d’Italia afin de dissimuler l’argent. Je conclus que des directives ont été données selon lesquelles le titre de propriété de la société devait être confié à Italia.

[25] Les faits relatifs à la possession et à la jouissance du condominium et les opérations au compte bancaire d'Italia en Floride sont aussi compatibles avec la thèse voulant qu'Italia soit purement et simplement propriétaire de l'unité qu'avec la thèse voulant qu'elle détienne un droit viager dans l'unité.

[26] Remo a déclaré avoir ordonné à une secrétaire de l’entreprise familiale, connue sous le nom de Ralph Ferracuti and Sons Builders Ltd. et dont Ralph était l’unique actionnaire, de préparer un bail pour sa mère. Cette allégation est également rejetée. Même si la succession de Ralph était le propriétaire de cette société, Italia possédait déjà, en vertu du testament de Ralph, un droit viager dans l’unité. Aucun bail n’était donc requis et je doute qu’on en ait jamais même demandé, préparé ou signé un.

[27] Je suis convaincu qu’Italia savait ce qui se passait, ainsi que le comment et le pourquoi. Elle a probablement laissé la gestion des affaires financières à son mari, lorsque celui-ci était vivant, puis à Remo après le décès de son mari. Cela n’équivaut toutefois pas à dire qu’elle ignorait tout de l’état de ses affaires. De toute manière, lorsque les fonds (peu importe leur montant) ont été tirés de son compte afin de conclure l'achat du condominium, elle est réputée avoir été au courant de l'opération, puisque cela s’est fait par l’intermédiaire de son mandataire, conformément à la procuration générale qu’elle avait signée en décembre 1989.

[28] Les faits se résument de la façon suivante : Ralph devait à Revenu Canada une somme de plus de 150 000 $ canadiens (en chiffres arrondis). Ralph, de son vivant, a mis de côté des fonds pour permettre l’acquisition d’un condominium en Floride, pour lequel on a seulement démontré le versement d’un acompte de 10 000$ et d’une somme de 150 000$. J’en conclus qu’Italia a payé le reste avec de l’argent qu’elle a pu obtenir de Ralph au cours des années précédentes. Si ce condominium est demeuré dans le patrimoine de Ralph, Remo et ses frères, en leur capacité de fiduciaires de la succession de Ralph, ont sciemment choisi de ne pas vendre le condominium et ainsi de ne pas payer les dettes de Ralph envers Revenu Canada de sorte que la famille puisse jouir de cet argent aux dépens des contribuables canadiens. Remo a déclaré ne pas savoir si la société existait encore. C’est là la preuve d’une certaine désinvolture à l’égard d’un bien dont la valeur équivalente au Canada doit être d’au moins 300 000 $. Si cette déclaration est vraie, cela ne peut être que parce qu’il sait que Revenu Canada a droit à la totalité ou à la majeure partie de l'avoir.

Analyse

[29] Étant donné ces faits, il y a eu transfert de l’argent par Ralph, de son vivant, à Italia, qui avait entière connaissance des faits; cet argent, avec d’autres fonds qui lui appartenaient, a servi à acheter un condominium en Floride dont le titre de propriété a été inscrit comme appartenant à la société dont elle était la seule actionnaire, qui détenait le titre en qualité de fiduciaire. Il n’est pas besoin de s’attarder sur les différents arguments présentés devant cette cour. L’appel est rejeté avec adjudication des dépens à l’intimée sur la base partie-partie.

Signé à Ottawa, ce 8e jour de juillet 1998.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de novembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.