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Date : 19971212

Dossier : 97-907-UI

ENTRE :

AGNES QUINN-HISCOTT,

appelante,

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à London (Ontario), le 18 novembre 1997.)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté en vertu des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”), qui est maintenant connue sous le nom de Loi sur l'assurance-emploi. Du 8 avril au 6 octobre 1996, l'appelante travaillait pour Ultra Panel Systems Inc. (la “ compagnie ”). Il existe un lien de dépendance entre l'appelante et la compagnie. La belle-mère de l'appelante détient toutes les actions émises de la compagnie sauf une, celle-ci étant détenue par le mari de l'appelante.

[2] Étant donné qu'il existait un lien de dépendance entre l'appelante et la compagnie, la ministre du Revenu national (la “ ministre ”) a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 3(2)c) de la Loi et a conclu que les modalités d'emploi n'étaient pas à peu près semblables à celles qui auraient existé dans le cas de personnes sans lien de dépendance. En fait, la ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon défavorable à l'appelante, d'où le présent appel.

[3] Lorsque l'emploi qu'elle exerçait auprès de la compagnie a pris fin le 6 octobre 1996, l'appelante a présenté une demande en vue d'obtenir des prestations d'assurance-chômage. La demande a été rejetée au motif que l'emploi n'était pas un emploi assurable, parce qu'il s'agissait plutôt d'un emploi exclu aux termes de l'alinéa 3(2)c) de la Loi. Étant donné que l'appel est fondé sur cette disposition particulière, nous avons affaire à un pouvoir ministériel discrétionnaire qui, au cours des dernières années, a fait l'objet de litiges importants devant la Cour d'appel fédérale. En particulier, il y a l'affaire Tignish Auto Parts Inc. v. Minister of National Revenue, (1996) 185 N.R. 73, puis l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. Minister of National Revenue, (1995) 178 N.R. 361, et, plus récemment, en juin 1997, une décision rendue par le juge en chef de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1997] A.C.F. no 876 (Q.L.) (C.A.F.).

[4] L'arrêt Jencan est important parce qu'il résume ce que la Cour d'appel fédérale a déclaré dans les arrêts Tignish et Ferme Émile Richard au sujet des principes de droit qui régissent les appels interjetés en pareilles circonstances. Après avoir résumé le droit applicable, le juge en chef Isaac fait la remarque suivante :

[...] En d'autre termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités.

La Cour d'appel fédérale a donc clairement énoncé l'obligation qui m'incombe. Cela est particulièrement pertinent en l'espèce parce qu'un certain nombre de faits que la ministre a présumés ont été réfutés à l'audience; je les examinerai ci-dessous. J'ai apprécié la force des autres éléments de preuve en vue de déterminer si je peux à bon droit entreprendre une nouvelle enquête et omettre de tenir compte du pouvoir discrétionnaire conféré à la ministre.

[5] La période en cause ne s'étend que sur huit mois, du mois d'avril au mois d'octobre 1996, mais un nombre considérable d'éléments de preuve ont été présentés à l'égard des emplois que l'appelante avait exercés auprès de la compagnie à certains moments avant la période en cause. Ces périodes antérieures d'emploi sont pertinentes parce qu'elles font partie des faits que la ministre a présumés. De plus, le relevé d'emploi de l'appelante a été produit en preuve.

[6] La compagnie s'occupe de fournir des produits en aluminium devant principalement être utilisés dans des résidences privées, comme des portes panoramiques coulissantes et tous les divers éléments permettant de construire un solarium dans une maison privée. La compagnie s'adresse à des fabricants pour fabriquer certains produits, mais elle dispose également d'une installation de fabrication et de transformation dans son usine. Le produit est ensuite vendu à des distributeurs et à des concessionnaires partout au Canada; la plupart d'entre eux sont établis en Ontario, mais certains concessionnaires sont également établis dans d'autres provinces. La compagnie ne conclut pas de ventes au détail sauf dans les régions où il n'y a pas de concessionnaires, auquel cas elle vend directement le produit au détail.

[7] Jusqu'en 1994, la compagnie installait également le produit. Deux équipes installaient le produit qui était vendu au détail aux quelques clients qui ne traitaient pas avec un concessionnaire. Selon la preuve présentée par l'appelante, la compagnie a cessé de s'occuper de l'installation en 1994 et ne conclut maintenant que des ventes en gros. Cela étant, la compagnie compte peu d'employés. En 1990, il y avait environ six employés et, en 1994, lorsque deux équipes s’occupaient de l’installation du produit, il pouvait y en avoir jusqu’à dix. Toutefois, en 1995, 1996 et 1997, la compagnie ne comptait plus que quatre employés, soit la belle-mère de l'appelante (Mme Tunk), le mari de l'appelante (Brian Hiscott), le directeur de l'entrepôt (Patrick Mooney) et l'appelante, qui s'occupait de l'administration du bureau. Après 1994, ces quatre personnes géraient l'entreprise. Il s'agit d'une entreprise saisonnière en ce sens que les produits en aluminium ne peuvent pas être installés à l'extérieur en hiver à cause du froid, de sorte que l'entreprise n'est exploitée que du mois d'avril au mois d'octobre. La période allant du mois de novembre au mois de mars est considérée comme la morte-saison.

[8] L'appelante a commencé à travailler pour la compagnie en novembre 1993; cette première période d’emploi s’est terminée en avril 1994. Durant cette période, elle administrait le bureau. Elle a travaillé pendant la morte-saison parce que sa belle-mère était gravement malade et qu'elle ne pouvait pas s'occuper de l'administration. La compagnie avait eu à son service une préposée à la tenue de livres qui travaillait à plein temps (Trudy Bicknell), mais uniquement pendant la haute saison, du mois d'avril au mois d'octobre. Je crois comprendre, compte tenu du témoignage de l'appelante, que lorsque Trudy arrêtait de travailler à l’automne, la belle-mère gérait l'entreprise pendant l'hiver suivant parce que c'était la morte-saison et que les affaires étaient relativement calmes. Toutefois, étant donné qu'elle a été gravement malade en 1993-1994, la belle-mère n’a pu travailler, de sorte que l'appelante a travaillé cet hiver-là. Lorsque les activités ont repris au printemps 1994, l'emploi que l'appelante exerçait auprès de la compagnie a pris fin et Trudy Bicknell a recommencé à travailler pour la compagnie. L'appelante a alors exercé un autre emploi, durant le printemps et l'été 1994; elle a travaillé pour le comté de Lambton et pour les Infirmières de l'Ordre de Victoria, à London, ou à Thedford; elle s'occupait d'administration pour les deux organisations.

[9] La deuxième période d'emploi de l'appelante au sein de la compagnie a commencé en avril 1995 et s'est poursuivie jusqu'en octobre 1995. L'appelante a obtenu cet emploi parce que la préposée à la tenue de livres (Trudy Bicknell), qui avait travaillé pendant la haute saison, en 1994, avait déclaré lorsqu'elle était partie à l'automne 1994 qu'elle ne retournerait pas travailler pour la compagnie. L'appelante a donc commencé à travailler pour la compagnie en avril 1995 afin de remplacer Trudy Bicknell. Elle a travaillé pendant la haute saison en 1995, et de nouveau en 1996. La période d'emploi, en 1996, est celle qui a donné lieu à la demande de prestations qui a été rejetée.

[10] En me fondant sur le tableau qui a ci-dessus été dressé, je suivrai les directives de la Cour d'appel fédérale et j'examinerai les faits que la ministre a présumés lorsqu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer si ces faits ont été réfutés ou si des explications ont été données à leur égard. Les faits présumés par la ministre sont énoncés au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel (la “ réponse ”). Je les résumerai sans les énoncer au complet. Les faits énoncés aux alinéas 6a), b), c) et d) se rapportent au lien de dépendance qui existe entre l'appelante et la compagnie, lequel n'est pas contesté. Le travail effectué par le payeur (la compagnie) est décrit à l'alinéa 6e) de la réponse; l'énoncé est en général exact, mais fort bref, et il n'est pas contesté. Les autres alinéas se rapportent aux tâches de l'appelante et à la façon dont ces tâches étaient intégrées aux activités de la compagnie.

[11] À première vue, les hypothèses émises par la ministre justifieraient à mon avis facilement l’exercice par celle-ci de son pouvoir discrétionnaire d'une façon défavorable à l'appelante. Toutefois, après avoir entendu le témoignage de l'appelante, je suis porté à croire que presque toutes les hypothèses ont été réfutées par des éléments de preuve non contestés, ou que l'appelante a donné des explications à leur égard de sorte qu'il reste fort peu d'éléments de preuve à l'appui de la décision de la ministre. Ayant fait cette remarque préliminaire, j'examinerai maintenant les autres hypothèses énoncées dans la réponse qui tendent à être défavorables à l'appelante. Dans la mesure où les énoncés et les hypothèses sont défavorables à l'appelante dans les circonstances spéciales de l'espèce, ils sont réfutés ou des explications ont été données à leur égard.

[12] À l'alinéa 6f) de la réponse, il est énoncé ce qui suit :

[TRADUCTION]

l'appelante a été inscrite dans le livre de paie du payeur pendant la morte-saison, du 1er novembre 1993 au 7 avril 1994; elle a été mise à pied pendant toute la saison 1994 et elle a ensuite été inscrite dans le livre de paie pour les saisons 1995 et 1996;

Cet énoncé est incontestablement exact, mais il donne l'impression que l'appelante a uniquement été inscrite dans le livre de paie de façon à être admissible aux prestations d'assurance-chômage. En fait, l'appelante a expliqué que c'était la première fois qu'elle travaillait pour la compagnie parce qu'en 1993-1994, sa belle-mère était gravement malade et ne pouvait pas travailler. Il est donc vrai que l'appelante était inscrite dans le livre de paie, mais uniquement parce que sa belle-mère ne pouvait pas travailler. Cela étaye les dires de l'appelante. L'appelante a été radiée du livre de paie en avril 1994 lorsque l'employée sans lien de dépendance, Trudy, est revenue faire le travail de bureau. S'il s'agissait d'une occasion de créer un emploi pour l'appelante, le nom de celle-ci aurait continué à figurer dans le livre de paie pendant la haute saison.

[13] À l'alinéa 6g), il est énoncé ce qui suit :

[TRADUCTION]

l'appelante a été embauchée par le payeur pour effectuer du travail général de bureau (soit principalement pour répondre au téléphone, pour noter les messages et pour effectuer des travaux d'écritures au besoin);

Cet énoncé n'est tout simplement pas vrai. L'appelante a expliqué qu'elle s'était rendue dans cette région de l'Ontario en 1989 seulement, lorsqu'elle a commencé à être liée à l'entreprise familiale. À ce moment-là, Harriet Turner s'occupait du travail de bureau, à une époque où il n'y avait pour ainsi dire pas encore d'ordinateurs. Selon les dires de l'appelante, Harriet effectuait les travaux d'écritures sur une machine à écrire manuelle; même en 1989 et en 1990, la compagnie n'avait ni photocopieur ni télécopieur. Harriet gagnait 250 $ par semaine. Lorsque Harriet Turner a cessé de travailler pour la compagnie, Trudy Bicknell a été embauchée. Elle s'occupait de la tenue de livres ainsi que des relevés d'emploi et de la paie pendant la haute saison; elle gagnait un salaire hebdomadaire de 360 $. Pendant les périodes d'emploi de Trudy, la compagnie est passée de l'époque victorienne à l'âge moderne. Elle s'est procuré un télécopieur, un photocopieur et des ordinateurs. Elle a entrepris de traiter les factures, les dossiers des clients et la paie par ordinateur. Selon le témoignage de l'appelante, qui n'a pas été contesté, Trudy ne voulait pas apprendre à utiliser les ordinateurs. Il était logique qu'elle quittât un jour son emploi et c'est ce qu'elle a fait en 1994.

[14] L'appelante est de toute évidence une femme intelligente. Elle a expliqué qu'elle avait suivi un certain nombre de cours commerciaux. En particulier, pendant l'automne 1994, elle a commencé à suivre un cours dans le cadre du Programme de perfectionnement de la gestion de l'Ontario (le “ PPGO ”). Au printemps 1995, elle a obtenu un certificat en gestion de bureau dans le cadre de ce programme. Il semblerait donc que l'appelante était plus apte à exercer les fonctions administratives de bureau pour la compagnie que ses deux prédécesseurs, Harriet Turner et Trudy Bicknell. Pour en revenir à l'alinéa 6g), l'appelante n'effectuait pas simplement des travaux d'écritures. Elle se chargeait de tout le travail qu'il y avait à faire dans le bureau, ce qui comprenait la mise en mémoire des renseignements importants, la facturation, les commandes d'achat et la paie.

[15]L'alinéa 6h) est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

compte tenu de la nature et de l'ampleur de l'entreprise du payeur, il n'était pas nécessaire sur le plan commercial d'embaucher l'appelante pour effectuer du travail général de bureau quarante heures par semaine, pendant toute la saison, et il n'était pas du tout nécessaire de l'embaucher pendant la morte-saison;

Cet énoncé n'est tout simplement pas exact. Pendant les deux années en cause, soit les années 1995 et 1996, il n'y avait que quatre employés. Le mari de l'appelante travaillait presque tout le temps comme vendeur itinérant; M. Mooney était directeur de l'entrepôt et s'occupait de recevoir et d'entreposer le produit, et de l'expédier aux concessionnaires ou de le livrer lorsque ceux-ci venaient le chercher; la belle-mère s'occupait de la gestion générale de la compagnie. L'appelante a expliqué qu'en 1995 et en 1996, il devait y avoir quelqu'un dans le bureau huit heures par jour, cinq jours par semaine, pour s'occuper de la facturation et pour enregistrer les factures parce que presque tous les concessionnaires qui venaient chercher le produit le payaient comptant. Lorsque le produit était expédié à un concessionnaire qui ne venait pas le chercher, quelqu'un devait établir la facture, enregistrer l'envoi de la facture, enregistrer la créance, indiquer si le produit avait été payé et s'occuper de la paie des autres employés. Je dirais donc que l'avis exprimé par la ministre à l'alinéa 6h), à savoir qu'il n'était pas nécessaire d'embaucher l'appelante pour effectuer du travail général de bureau pendant toute la saison, s'avère inexact. En réponse à l'énoncé suivant figurant à l'alinéa 6h) : “ [I]l n'était pas du tout nécessaire de l'embaucher pendant la morte-saison ”, l'appelante a expliqué qu'elle avait été embauchée, pendant la “ morte-saison ” 1993-1994, parce qu'elle remplaçait sa belle-mère qui était malade.

[16] L'alinéa 6i) se lit comme suit :

[TRADUCTION]

l'appelante touchait un salaire hebdomadaire fixe qui est passé d'environ 350 $ par semaine en 1994 à 500 $ par semaine en 1996 (durant la saison 1994, les travailleurs sans lien de dépendance gagnaient environ 360 $ par semaine);

L'alinéa j) est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

contrairement aux travailleurs sans lien de dépendance qui exerçaient un emploi auprès du payeur, lesquels ne recevaient que des augmentations de salaire minimes d'une saison à l'autre, le salaire hebdomadaire brut de l'appelante a augmenté d'environ 67 p. 100 depuis 1994 (elle a reçu diverses augmentations en 1994 et en 1995 et une augmentation de 100 $ par semaine en juin 1996);

À l'appui de ces deux alinéas, on a produit les pièces R-1, R-2 et R-3 (les relevés d'emploi de l'appelante) et la pièce R-4 (le relevé d'emploi de Trudy Bicknell). Commençons par la pièce R-4, qui indique que Trudy a longtemps gagné 360 $ par semaine pour une semaine de 40 heures, soit exactement neuf dollars l'heure. Pendant la haute saison, il semble que Trudy ait gagné environ 400 $ par semaine et qu'en juin, en juillet et en août, elle ait presque tout le temps travaillé plus de 40 heures par semaine. En septembre et en octobre, le nombre d'heures effectuées chaque semaine est de nouveau tombé à 40 heures. Je conclus donc que le salaire de Trudy, calculé sur une base hebdomadaire, était de 360 $ pour une semaine de 40 heures, au taux horaire de neuf dollars.

[17] En ce qui concerne la pièce R-1, il semble que du mois de novembre 1993 au mois d'avril 1994, alors qu'elle remplaçait sa belle-mère, l'appelante ait gagné 395 $ par semaine. Cela correspond à environ 40 $ par semaine de plus que Trudy, mais je crois comprendre, compte tenu de ce que l'appelante a dit, qu'elle avait plus de compétences que Trudy. Elle gagnait environ 10 p. 100 de plus que Trudy pour son travail cet hiver-là et, étant donné que sa belle-mère était malade, elle aurait été obligée de s'acquitter non seulement des tâches de Trudy, mais aussi de celles de sa belle-mère. La rémunération que l'appelante a touchée pendant l'hiver 1993-1994 n'a donc rien de remarquable.

[18] La pièce R-2 porte sur la période de paie allant du 24 avril au 27 octobre 1995. Selon cette pièce, l'appelante a gagné 400 $ par semaine pendant toute cette période. Ici encore, cela est comparable à ce qu'elle avait gagné alors qu'elle remplaçait sa belle-mère à l'hiver 1993-1994 et cela ne représente que 10 p. 100 de plus que ce que Trudy gagnait. Toutefois, l'appelante aidait à transformer l’entreprise grâce à du matériel de bureau plus moderne. Étant donné que Trudy ne voulait pas apprendre à utiliser les ordinateurs et qu'elle n'a pas appris à les utiliser, et que l'appelante était disposée à le faire, il me semble qu'elle aurait été pour la compagnie une employée plus précieuse. Pendant la haute saison de 1995, le travail de l'appelante valait 400 $ par semaine.

[19] La pièce R-3 se rapporte à la période de paie allant du 8 avril au 6 octobre 1996, lorsque l'appelante gagnait 500 $ par semaine. En d'autres termes, sa rémunération avait augmenté de 25 p. 100, mais comme elle l'a elle-même expliqué, elle avait suivi un cours dans le cadre du PPGO et avait obtenu un certificat. De plus, elle avait suivi un autre cours pour améliorer ses compétences en gestion et pour être en mesure de mieux s'occuper du travail de bureau. Par opposition aux faits susmentionnés, l'alinéa 6i) indique notamment ceci : “ [...] un salaire hebdomadaire fixe qui est passé d'environ 350 $ par semaine en 1994 à 500 $ par semaine en 1996 [...] ”. Il ressort de l'examen des relevés d'emploi que le salaire hebdomadaire n'était pas d'environ 350 $. En 1993-1994, il était de 395 $. De plus, en 1995, le salaire hebdomadaire de l'appelante est passé à 400 $ et, en 1996, il est passé à 500 $.

[20] En ce qui concerne l'alinéa 6j), je ne puis arriver à une augmentation de salaire de 67 p. 100 de 1994 à 1996. Durant l'hiver 1993-1994, l'appelante gagnait un salaire hebdomadaire d'environ 400 $; durant l'été 1995, elle gagnait un salaire hebdomadaire de 400 $; et durant l'été 1996, elle gagnait un salaire hebdomadaire de 500 $, ce qui représente une augmentation de 25 p. 100 en un an. Toutefois, pendant cette période, l'appelante avait suivi au moins deux cours commerciaux et avait obtenu deux certificats en administration de bureau, ce qui justifiait l'augmentation.

[21]L'alinéa 6k) se lit comme suit :

[TRADUCTION]

contrairement aux travailleurs sans lien de dépendance qui exerçaient un emploi auprès du payeur, lesquels n'ont pas reçu de primes, l'appelante a touché une prime de 14 500 $ pour la saison 1995;

L'appelante a expliqué que le montant susmentionné n'était pas une prime, mais qu'elle touchait des commissions sur les ventes. Son mari et Patrick Mooney touchaient également des commissions sur les ventes. Apparemment, Patrick Mooney avait vendu, en 1997, deux unités pour lesquelles il avait touché des commissions. Selon le témoignage non contesté qu'elle a présenté, l'appelante avait touché les commissions susmentionnées en effectuant elle-même les ventes. Elle a également dit que le montant versé au titre des commissions était indiqué dans un autre genre de feuillet T4 que Patrick Mooney et elle avaient reçu à la fin de l'année. Ils recevaient chacun deux feuillets T4, un pour le salaire régulier et l'autre pour les commissions. Par conséquent, l'énoncé figurant à l'alinéa 6k) est erroné parce que les 14 500 $ ne représentaient pas une prime, mais une commission.

[22] L'alinéa 6l) se lit comme suit :

[TRADUCTION]

le salaire hebdomadaire de l’appelante et les avantages qui lui ont été accordés étaient excessifs compte tenu des circonstances;

À mon avis, ce n'est pas le cas, et la question de savoir s'ils étaient excessifs dépend des circonstances. Compte tenu de la preuve, j'ai conclu que la rémunération de l'appelante n'était pas excessive, pour les raisons qui suivent. Selon le témoignage non réfuté de l'appelante, Harriet Turner, qui utilisait une machine à écrire manuelle et qui ne disposait d'aucun matériel de bureau moderne, a gagné 250 $ par semaine jusqu'en 1990. Trudy Bicknell, qui avait plus de compétences en ce qui concerne l'utilisation de matériel de bureau moderne, mais qui ne voulait pas utiliser un ordinateur, a gagné 360 $ par semaine jusqu'en 1994; de plus, elle travaillait à un moment où la compagnie remplaçait son ancien matériel de bureau par du matériel moderne. L'appelante, qui savait comment utiliser tout le matériel de bureau moderne, gagnait environ 400 $ par semaine durant l'hiver 1993-1994 et la haute saison de 1995. En 1996, elle gagnait 500 $ par semaine. En 1996, il n'était ni extraordinaire ni excessif pour l'appelante de gagner deux fois plus d'argent que ce que Harriet Turner gagnait en 1990 alors que du matériel de bureau qui était incontestablement désuet était utilisé.

[23] J'aimerais faire une remarque au sujet d'un facteur dont la ministre tient rarement compte. Le fait qu'une somme soit versée à une personne avec laquelle il existe un lien de dépendance ne veut pas nécessairement dire que le payeur accorde un avantage quelconque au bénéficiaire simplement pour cette raison. Il arrive très souvent que le bénéficiaire est un employé plus précieux pour une organisation commerciale du fait même de l'existence du lien de dépendance, parce que le bénéficiaire a intérêt à faire en sorte que l'entreprise familiale soit rentable. Le bénéficiaire ne se contente pas de surveiller l'heure et ne s'empresse pas de partir à 17 h; il ne se contente pas de gagner son salaire sans se préoccuper davantage de l'entreprise. Il se peut que cette entreprise fasse partie intégrante de la vie de l'appelante parce qu'elle constitue le gagne-pain de son mari et que sa belle-mère en est propriétaire. À mon avis, l'alinéa 3(2)c) de la Loi constitue une restriction nécessaire visant à empêcher que, dans une relation où il existe un lien de dépendance, un avantage extraordinaire soit conféré à un membre de la famille qui ne contribue pas à l'exploitation de l'entreprise. Dans les cas où un membre de la famille contribue réellement à l'exploitation de l'entreprise, la ministre doit se montrer plus prudente lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire d'une façon défavorable à l'employé.

[24] En l'espèce, je conclus non seulement que les faits sur lesquels la ministre s'est fondée ont été réfutés ou que des explications ont été données à leur égard, mais aussi qu'il restait fort peu de faits, sinon aucun, à l'appui de la conclusion de la ministre. Je peux donc à juste titre entreprendre une deuxième enquête ou un procès de novo en vue de déterminer si les modalités de l'emploi que l'appelante exerçait auprès de la compagnie sont semblables à celles qui existeraient dans le cas d'un employé sans lien de dépendance. Comme le dit la loi, est-il raisonnable de conclure que l'appelante et la compagnie auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance? Compte tenu de la preuve dont je dispose, il est raisonnable de présumer que la compagnie aurait conclu un contrat à peu près semblable en l'absence d'un lien de dépendance. Pour ces motifs, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de décembre 1997.

"M.A. Mogan"

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour d’août 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

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