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Date: 20001013

Dossier: 95-3534-IT-G

ENTRE :

CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] Le présent appel possède une histoire longue et quelque peu compliquée. Il a débuté par un appel interjeté devant notre cour à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 1990 de l'appelante. Notre cour a rendu un jugement le 3 juillet 1998. Comme on pourra le constater à la lecture des motifs du jugement, l'appel a été admis dans le but de rendre exécutoire un consentement portant sur une question mineure. Autrement, l'appel a échoué. Depuis cette date, la question a été examinée par la Cour d'appel fédérale et par la Cour suprême du Canada qui l'a renvoyée devant la Cour d'appel fédérale. Par une décision de la Cour d'appel fédérale datée du 17 février 2000, l'appel a été renvoyé devant notre cour afin qu'une décision basée sur les faits et le droit soit rendue en ce qui concerne l'emprunt fait en dollars australiens que la Cour estimera nécessaire uniquement en ce qui a trait à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2] Comme il est noté dans les motifs du jugement de notre cour, le présent appel concernait à l'origine deux emprunts faits en monnaies étrangères, l'un en dollars australiens ($A) et l'autre en dollars néo-zélandais ($NZ). Les opérations étaient identiques, sauf pour des détails non pertinents, à celles examinées par la Cour suprême dans l'affaire Shell Canada Ltée c. Canada[1]. Dans les cotisations en litige, le ministre du Revenu national a refusé la déduction d'une partie des intérêts déclarés en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi. Une description des événements pertinents ainsi que de la cotisation en litige figure dans les motifs du jugement du 3 juillet 1998. La Cour d'appel fédérale a initialement rejeté l'appel de la décision de notre cour, mais à la suite d'un appel interjeté auprès de la Cour suprême du Canada, elle a autorisé l'appel de l'appelante interjeté à l'encontre de la décision de notre cour en ce qui a trait aux intérêts sur l'emprunt fait en dollars néo-zélandais et a conclu que la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shell régissait toutes les questions liées à l'emprunt fait en dollars australiens à l'exception de celle que je dois maintenant examiner, soit l'application de la version actuelle de l'article 245 de la Loi (la règle générale anti-évitement par ailleurs connue comme la RGAÉ). La RGAÉ ne s'appliquait pas à l'emprunt fait en dollars néo-zélandais car elle n'était pas en vigueur à l'époque[2].

[3] L'article 245, dans la version qui s'applique à l'opération de l'emprunt en dollars australiens, est reproduit à l'annexe A des présents motifs. Il doit être interprété conformément à l'article 11 de la Loi d'interprétation qui est ainsi libellé :

Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.

[4] Avant de continuer, je présenterai un aperçu très bref de l'article 245. Le paragraphe 245(2) de la Loi prévoit que si une opération constitue une « opération d'évitement » , les attributs fiscaux doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui découlerait par ailleurs de cette opération. L'expression « opération d'évitement » est définie au paragraphe 245(3) comme une opération dont découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée dans le but d'obtenir autre chose qu'un avantage fiscal. L'expression « avantage fiscal » est définie au paragraphe 245(1) comme la réduction, l'évitement ou le report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la Loi ou l'augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la Loi. Enfin, on remarquera qu'en vertu du paragraphe 245(4), le paragraphe 245(2) ne s'applique pas à moins que l'opération n'entraîne, directement ou indirectement, un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[5] L'article 245 a été adopté dans le contexte établi par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine[3]. Cette décision a mis un terme à toute notion selon laquelle une fin commerciale était nécessaire pour qu'une opération soit jugée valide au sens de la Loi. L'affaire Stubart a amené la Cour suprême du Canada à affirmer ce qui suit dans l'affaire Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada[4] :

Il est bien établi, dans la jurisprudence de notre Cour, qu'aucune « fin commerciale » n'est exigée pour qu'une opération soit jugée valide selon la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'un contribuable peut se prévaloir de la Loi même si l'opération en cause vise seulement à réduire au minimum l'imposition : Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536. En outre, notre Cour a souligné dans l'arrêt Antosko, précité, à la p. 327, que, bien que diverses techniques puissent être utilisées pour interpréter la Loi, « ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l'effet juridique et pratique de l'opération est incontesté » .

Il ressort clairement de la formulation choisie par le législateur pour exprimer son intention que son objectif était de mettre un terme à certaines formes, mais pas toutes, d'évitement fiscal. Le paragraphe 245(3) précise que le législateur avait l'intention d'exclure de la portée de la RGAÉ les opérations qui, prises objectivement, pouvaient être considérées avoir été effectuées principalement pour des objets véritables. Il est indubitable qu'une opération effectuée principalement pour réaliser un objectif commercial non fiscal n'entre pas dans la portée de la RGAÉ. À mon avis, l'utilisation du mot « principalement » vise à préserver le droit du contribuable d'organiser une opération axée sur les activités commerciales d'une manière efficace sur le plan fiscal.

[6] À la suite de la décision datée du 17 février 2000 rendue par la Cour d'appel fédérale, notre cour a tenu une deuxième audience au cours de laquelle les parties ont présenté des observations supplémentaires en ce qui concerne l'application de l'article 245 à un emprunt fait en dollars australiens. L'intimée a soutenu que les événements qui ont amené cet emprunt étaient soumis à l'article 245. Dans leur exposé, les avocats de l'intimée ont soutenu que :

[TRADUCTION]

L'appelante souhaitait emprunter des dollars canadiens afin de les utiliser dans l'exploitation de son entreprise. Au lieu d'emprunter des dollars canadiens directement, elle a pris des dispositions pour émettre des obligations non garanties libellées en dollars australiens pour l'échange ou la conversion d'abord en yens japonais puis en dollars canadiens.

Il peut être raisonnablement considéré que l'appelante a pris des dispositions afin d'émettre des obligations non garanties en dollars australiens, c'est-à-dire de libeller les obligations non garanties en dollars australiens puis de conclure des opérations monétaires connexes principalement dans le but d'obtenir les avantages fiscaux suivants :

a) déduire les intérêts au taux plus élevé australien plutôt qu'au taux canadien;

b) reporter l'imposition du gain acquis compensatoire pendant cinq ans après le remboursement des obligations non garanties;

c) obtenir le traitement des gains en capital pour le gain acquis.

Le fait d'émettre un titre de créance en dollars australiens plutôt qu'en dollars canadiens nécessaires constituait un abus de la Loi dans son ensemble car cela convertissait des remboursements du principal canadiens non déductibles en une dépense déductible, gonflant ainsi le coût de l'emprunt uniquement à des fins fiscales. L'appelante tentait de déduire le capital, les paiements du principal en dollars canadiens, sous la forme de paiements d'intérêts en dollars australiens en tirant avantage d'une différence entre la forme juridique des opérations et leur véritable effet lorsqu'elles sont considérées de manière réaliste pour l'application de l'article 245 de la Loi. La qualification d'une opération ne peut reposer sur la forme juridique uniquement; au contraire, l'effet de l'opération devrait être considéré d'une manière réaliste. On ne peut sérieusement contester que l'effet correspond à la description ci-dessus.

Les attributs fiscaux de l'appelante qui seraient raisonnables dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans l'article 245, découlerait directement ou indirectement de l'opération d'évitement, seraient de rejeter cette partie des paiements d'intérêts annuels autorisés en vertu de l'alinéa 20(1)c) qui représente les remboursements du principal.

[7] L'appelante a soutenu que l'article 245 ne s'appliquait pas parce que :

a) il n'y a pas d' « avantage fiscal » au sens du paragraphe 245(1);

b) l'emprunt en dollars australiens a été effectué principalement pour des objets non fiscaux véritables et il n'y a donc pas d'opération d'évitement au sens du paragraphe 245(3);

c) l'opération n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[8] À mon avis, l'appelante doit obtenir gain de cause parce que l'emprunt fait en dollars australiens et la série d'opérations dont il faisait partie peuvent raisonnablement être considérés avoir été effectués principalement afin de réunir des capitaux et cela constituait, au sens du paragraphe 245(3), un objet (commercial) véritable qui n'était pas motivé par un objectif fiscal.

[9] Il n'a pas été proposé que les conclusions découlant des faits à l'origine du litige présentées dans les motifs du jugement datés du 3 juillet 1998 étaient erronées. Je ne vais pas répéter tout ce qui a été dit auparavant. Il est suffisant de reproduire deux passages qui sont particulièrement pertinents à l'application de l'article 245 :

a) paragraphe 4

Ma conclusion est que chaque emprunt, ainsi que les opérations de change s'y rapportant, était conçu pour satisfaire à un besoin de capitaux d'emprunt d'une manière qui permette d'augmenter le montant des intérêts intégralement déductibles en vertu de l'alinéa 20(1)c) tout en compensant les coûts d'intérêt plus élevés par un gain acquis devant être réalisé sur la vente de la monnaie étrangère empruntée. L'appelante entendait traiter les gains acquis, une fois réalisés, comme gains en capital.

b) paragraphe 21 d)

La décision de l'appelante quant à l'opportunité d'un emprunt a été prise pour des raisons commerciales. La décision de l'appelante de faire l'emprunt en monnaie étrangère représentait une tentative pour réduire ses coûts d'emprunt globaux, considérés d'un point de vue purement économique, en structurant les opérations de manière à obtenir :

i) de meilleures déductions en vertu de l'alinéa 20(1)c),

ii) les gains acquis,

iii) un traitement des gains acquis correspondant aux gains en capital prévus.

[10] Je ferai maintenant remarquer que je ne souscris pas à l'affirmation de l'intimée selon laquelle [TRADUCTION] « le fait d'émettre un titre de créance en dollars australiens plutôt qu'en dollars canadiens nécessaires [...] convertissait des remboursements du principal canadiens non déductibles en une dépense déductible, gonflant ainsi le coût de l'emprunt uniquement à des fins fiscales » . Bien que cette déclaration puisse être précise en tant que description concise d'un effet économique global, cela ne représente pas du tout ce qui s'est produit et il est important pour les besoins de l'analyse de l'article 245 de préciser ce qui s'est passé. Ce que l'appelante a fait a été d'effectuer un choix, afin de répondre à ses besoins de capital devant être utilisé dans son entreprise, en empruntant de l'argent. Elle a fait un deuxième choix, à savoir réaliser ses objectifs en empruntant des dollars australiens. Ce deuxième choix a entraîné avec lui un fardeau et un avantage. Le fardeau correspondait à l'obligation de payer des intérêts sur l'argent emprunté à un taux de 16,125 p. 100, le taux d'intérêt du marché pour les emprunts faits en dollars australiens. Ce taux était considérablement plus élevé que celui que l'appelante aurait été obligée de payer si elle avait emprunté des dollars canadiens directement. Cela avait pour avantage de donner l'occasion de participer à une opération de change rentable. L'appelante a été en mesure de vendre pour livraison immédiate les dollars australiens qu'elle avait empruntés. Elle a pu acheter en 1989 pour livraison en 1994 les dollars australiens nécessaires pour rembourser les obligations non garanties à l'échéance. La différence entre le taux de change applicable aux ventes de dollars australiens faites en 1989 pour livraison immédiate et celui applicable aux achats de dollars australiens faits en 1989 pour livraison en 1994 a rapporté à l'appelante un profit énorme sur une opération de change. Il n'y a aucun doute que le taux d'intérêt élevé sur les emprunts faits en dollars australiens était lié aux conditions inflationnistes qui ont fait en sorte que les dollars australiens livrés en 1994 avaient une valeur moindre que les dollars australiens livrés en 1989, mais ce lien économique ne soutient pas une conclusion selon laquelle les remboursements du principal sur les obligations non garanties ont été d'une certaine manière « convertis » en une dépense déductible. L'article 245 ne permet pas qu'un événement soit qualifié autrement dans le but de déterminer si le paragraphe 245(2) s'applique. La nouvelle qualification n'est autorisée en vertu de l'alinéa 245(5)c) que lorsque l'on peut conclure que le paragraphe 245(2) s'applique en tenant compte d'opérations qui n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle qualification.

[11] La première étape dans l'examen de la question de savoir si l'article 245 s'applique à une opération est de déterminer si l'opération entraîne un « avantage fiscal » tel qu'il est défini au paragraphe 245(1). L'intimée a fait valoir dans la réponse à l'avis d'appel que l'une des conclusions sur laquelle la cotisation s'appuyait était la suivante :

[TRADUCTION]

h) les opérations concernant les dollars australiens auraient, sans l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu, entraîné une réduction, un évitement ou un report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la Loi de l'impôt sur le revenu ou une augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la Loi de l'impôt sur le revenu au moyen de la déduction d'un montant supérieur au montant réel d'intérêts payés ou payables;

Il ressort clairement de ce que j'ai dit au paragraphe 10 que je ne souscris pas à une analyse qui donne à penser que l'emprunt fait en dollars australiens a entraîné une réduction d'impôt par la déduction d'un montant supérieur à l'intérêt effectivement payé ou payable. Il ne s'ensuit toutefois pas qu'il n'y a pas eu d'avantage fiscal.

[12] La définition d'avantage fiscal figurant au paragraphe 245(1), en faisant référence à une « réduction, [à un] évitement ou [à un] report d'impôt [...] » , suppose l'existence d'un montant normal d'impôt avec lequel la réduction peut être comparée[5]. En l'espèce, il ressort clairement de la preuve que l'appelante a réagi à un besoin d'emprunter du capital sous la forme de dollars canadiens ($CAN). Il est également évident qu'un emprunt direct de dollars canadiens aurait pu être effectué à un taux d'intérêt très inférieur à 16,125 p. 100. À mon avis, dans les circonstances de l'espèce, la question de savoir si l'opération a entraîné une réduction d'impôt doit trouver une réponse par la référence au montant d'impôt qui aurait été exigible si l'appelante avait emprunté le montant pertinent directement en dollars canadiens. La norme avec laquelle la réduction doit être comparée n'est pas une opération qui est théoriquement possible, mais, de façon concrète, il s'agit d'une opération improbable dans les circonstances. Je remarquerai par conséquent qu'un emprunt direct fait en dollars canadiens est ce que l'appelante aurait pu faire et, à mon avis, ce qu'elle aurait, sans motif fiscal, fait. Je dis cela parce que, même lorsque les avantages compensatoires produits par des opérations de change rendues possibles par l'emprunt fait en dollars australiens sont considérés, l'emprunt fait en dollars australiens coûte à l'appelante au moins 40 points de base de plus sur une base avant impôt que les intérêts sur un emprunt direct fait en dollars canadiens. Je ne suis pas disposé à reconnaître avec les témoins experts que la différence n'était pas importante. L'appelante, se souviendra-t-on, empruntait un montant d'argent très important, et une différence de 40 points de base ou plus serait vraiment très considérable. J'ajouterais que l'un des dirigeants de l'appelante a témoigné au sujet des nombreuses considérations dont l'appelante tient systématiquement compte lorsqu'un emprunt important est envisagé. Je ne suis pas convaincu que l'emprunt fait en dollars australiens a fourni à l'appelante un avantage non fiscal important qui n'aurait pas été disponible si l'appelante avait choisi d'emprunter directement en dollars canadiens. L'emprunt fait en dollars australiens a par conséquent réduit l'impôt en générant des frais d'intérêts déductibles en vertu de l'alinéa 20(1)c) qui étaient considérablement supérieurs aux frais d'emprunts en dollars canadiens et en récoltant les avantages compensatoires dans une forme que, à la lumière de la décision dans l'affaire Shell[6], je suis obligé de considérer comme un gain en capital. De toute évidence, l'opération a entraîné un avantage fiscal.

[13] En créant l'article 245, le législateur a défini le terme « avantage fiscal » dans des termes généraux de façon à donner une portée initiale large à l'expression « opération d'évitement » . Le législateur a entrepris ensuite de centrer l'article sur les opérations considérées comme incorrectes en :

a) limitant la définition d'opérations d'évitement pour exclure les opérations qu'il « est raisonnable de considérer [qu'elles sont] principalement [effectuées] pour des objets véritables – l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable; »

b) adoptant le paragraphe 245(4).

[14] Selon l'avocat de l'intimée, en ce qui a trait au critère de l'objet principal visé au paragraphe 245(3), l'objectif global d'emprunter le capital en dollars canadiens n'aide pas l'appelante puisque l'emprunt fait en devises étrangères ne visait d'autres objets que l'obtention d'un avantage fiscal au moyen d'une réduction actuelle d'impôt et un report de l'imposition de la compensation à des taux applicables aux gains en capital. L'avocat a fait remarquer que le paragraphe 245(3) prévoit que si l'une des étapes accomplies dans une série d'opérations n'a pas été effectuée principalement pour des objets non fiscaux véritables, alors cette étape constituera une opération d'évitement. L'avocat a soutenu que lorsqu'une opération est effectuée à la fois pour des objets non fiscaux véritables et dans un but d'évitement fiscal, l'objet principal de l'opération doit être déterminé. Une opération, a-t-il dit, ne sera pas considérée être une opération d'évitement parce que, incidemment, elle entraîne un avantage fiscal ou parce que des considérations fiscales constituaient un objet important mais non principal de la réalisation de l'opération. Toutefois, la réduction fiscale constituait, a-t-il insisté, l'objet principal de l'emprunt fait en dollars australiens.

[15] Il y a lieu de noter que les mots « s'il est raisonnable de considérer » supposent que le critère de l'objet du paragraphe 245(3) est objectif par nature[7]. Cela est compréhensible compte tenu de la qualité délicate et non fiable des déclarations d'intention subjective pour en arriver à des résultats fiscaux. L'emprunt fait en dollars australiens et les opérations de change constituent une série d'opérations au sens de l'alinéa 245(3)b) et du paragraphe 248(10). La preuve a établi que, devant l'insistance de l'appelante, la conclusion des opérations ont eu lieu au motif que l'appelante ne s'était pas engagée à l'égard de l'une des opérations à moins que toutes les opérations aient lieu. Néanmoins, cela n'aide pas la cause de l'intimée. Les opérations qui composent, selon l'intimée, la série sont, lorsque envisagées objectivement, inextricablement liées comme des éléments d'un processus visant principalement à produire le capital emprunté dont l'appelante avait besoin à des fins commerciales. Le capital a été obtenu et il a ainsi été utilisé. Aucune des opérations faisant partie de la série ne peut être considérée comme ayant été organisée pour un objet qui diffère de l'objectif global de la série. La preuve ne soutient tout simplement pas la position de l'intimée. En conséquence, aucune des opérations que l'intimée invoque ne constituait une opération d'évitement au sens du paragraphe 245(3).

[16] Le paragraphe 245(4) mène au même résultat. Dans l'affaire McNichol c. La Reine[8], figure le passage suivant :

Le paragraphe 245(4) prévoit que le paragraphe (2) ne s'applique pas à l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. Il s'agit d'une exception à la règle générale énoncée au paragraphe (3) et, si je comprends bien, elle était destinée à tenir compte des opérations que le législateur cherchait à encourager au moyen de la création d'un avantage fiscal ou d'un stimulant ou d'opérations qui, pour d'autres raisons, ne violent pas la Loi lue dans son ensemble.

À mon avis, le ministre a placé la charrue avant les boeufs lorsqu'il a, comme on l'a déjà expliqué, tenté de qualifier autrement les événements en affirmant que l'émission d'un titre de créance en dollars australiens constituait un abus dans l'application de la Loi dans son ensemble parce que cela convertissait des remboursements de principal canadiens non déductibles en une dépense déductible. Cela, je le répète, n'est pas ce qui s'est produit. L'appelante cherche à déduire les frais d'intérêts payables en vertu d'obligations non garanties émises en dollars australiens. Pour ce qui est de l'opération presque identique examinée dans l'affaire Shell (précitée), Madame le juge McLachlin (tel était alors son titre) a déclaré à la page 649 :

Permettre à Shell de déduire les intérêts payés au taux exigé par les prêteurs étrangers en contrepartie des 150 000 000 $ NZ, qui ont ensuite été utilisés pour produire un revenu, ne va pas à l'encontre de l'objet et l'esprit du sous-al. 20(1)c)(i), bien au contraire.

De toute évidence, le paragraphe 245(4) impose également que le paragraphe 245(2) ne peut s'appliquer en l'espèce.

[17] Une dernière observation doit être faite. Selon les mots de mon collègue le juge Bowman dans l'affaire Jabs Construction Ltd. c. Sa Majesté La Reine[9] :

L'article 245 est une sanction extrême. Cela ne doit pas être utilisé de façon routinière chaque fois que le ministre est mécontent du simple fait qu'un contribuable structure une opération d'une manière fiscalement efficace ou ne structure pas une opération d'une manière qui optimalise l'impôt.

[18] Je vais par conséquent admettre l'appel et déférer la cotisation au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation au motif que l'appelante a le droit de déduire l'intérêt en litige.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'octobre 2000.

« Michael J. Bonner »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de novembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

ANNEXE A

(1) Définitions. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« attribut fiscal » — « attribut fiscal » S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » — « avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

« opération » — « opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

(2) Disposition générale anti-évitement. En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

(3) Opération d'évitement. L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

(4) Non-application du par. (2). Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble — compte non tenu du présent article — n'est pas visée par le paragraphe (2).

(5) Attributs fiscaux à déterminer. Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement :

a) toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d'un revenu, d'une perte ou d'un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d'un paiement ou d'un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

[...]

(7) Exception. Malgré les autres dispositions de la présente loi, les attributs fiscaux d'une personne, par suite de l'application du présent article, ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire ou que par avis d'un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11), compte tenu du présent article.

(8) Obligations du ministre. Sur réception d'une demande présentée par une personne conformément au paragraphe (6), le ministre doit, dès que possible, après avoir examiné la demande et malgré le paragraphe 152(4), établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ou déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11), en se fondant sur la demande. Toutefois, une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ne peut être établie, ni un montant déterminé, en application du présent paragraphe que s'il est raisonnable de considérer qu'ils concernent l'opération visée au paragraphe (6).



[1] [1999] 3 R.C.S. 622

[2] L.C. 1988 chap. 55 par. 185(2)

[3] [1984] 1 R.C.S. 536.

[4] [1998] 1 R.C.S 795, à la p. 839

[5] McNichol c. La Reine, C.C.I., no 94-1577(IT)G, 17 janvier 1997 (97 DTC 111).

[6] Shell Canada Ltd. c. Canada (précitée), aux pages 653 et 654.

[7] OSFC Holdings Ltd. v. R., [1999] 3 C.T.C. 2649

[8] C.C.I., no 94-1577(IT)G, 17 janvier 1997, à la page 20 (97 DTC 111, à la page 120).

[9] C.C.I., 98-827(IT)G, 24 juin 1999, à la page 22 (99 DTC 729, à la page 738).

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