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Date: 20000211

Dossier: 1999-2889-EI

ENTRE :

JOHN D. TUPPER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1] Il s'agit ici d'un appel interjeté par M. John D. Tupper, ci-après appelé l'“ appelant ”, à l'encontre d'une détermination et d'une décision émises le 26 mars 1999 par le ministre du Revenu national, ci-après appelé l'“ intimé ”, sauf si le contexte s'y oppose. Dans cette détermination et cette décision, l'intimé arrivait à la conclusion que l'emploi de l'appelant auprès de Tupper's Trucking and Backhoeing Limited, ci-après appelé le “ payeur ”, pour les périodes du 9 mai 1994 au 17 septembre 1994, du 5 juin 1995 au 15 septembre 1995, du 19 février 1996 au 22 novembre 1996 et du 13 janvier 1997 au 24 octobre 1997, n'était pas effectué dans le cadre d'un contrat de louage de services puisqu'il n'existait aucun lien employé-employeur. L'intimé a fondé sa conclusion sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[2] Pour arriver à ces conclusions, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

(a) Le payeur était une société dûment constituée en vertu des lois de la province de Nouvelle-Écosse depuis le 14 janvier 1985;

le payeur exploitait une entreprise qui offrait des services d'excavation, de camionnage et de déneigement;

depuis la constitution du payeur, son seul actionnaire et administrateur a été M. Donald Tupper (“ Donald ”);

depuis la constitution du payeur, au cours des périodes d'assurance-chômage et d'assurance-emploi visées et jusqu'à présent, Donald était employé à plein temps du ministère de la Défense nationale;

depuis la constitution du payeur, Donald a résidé à Lahr, en Allemagne, à Oromocto (Nouveau-Brunswick) et à Hatchett Lake (Nouvelle-Écosse);

l'appelant avait pour tâche de manoeuvrer une pelle rétrocaveuse et de superviser d'autres employés;

au moment de la constitution du payeur, Donald n'avait pas, et n'a toujours pas à l'heure actuelle, de connaissances ou d'expérience dans la gestion ou dans l'exploitation d'une entreprise offrant les services qu'offre le payeur;

Donald n'était aucunement impliqué dans l'exploitation ou la gestion du payeur;

c'est l'appelant, et non Donald, qui signait tous les états financiers et les déclarations de revenus;

Donald n'a signé aucun document de prêt ou de financement pour le payeur;

la seule personne qui signait les documents de prêt ou de financement du payeur était l'appelant;

l'appelant signait habituellement les documents de prêts pour le compte du payeur sans avoir consulté Donald;

c'est l'appelant, et non Donald, qui était le signataire autorisé du compte bancaire de l'entreprise;

l'appelant signait tous les chèques émis par le payeur, que se soit au cours des périodes d'assurance-chômage et d'assurance-emploi visées ou non, y compris ses propres chèques de paie;

depuis la constitution du payeur en société, Donald n'a retiré aucun montant de l'entreprise à titre de jeton de présence, de dividende ou de prêt à un actionnaire;

l'édifice dans lequel est exploité le payeur est situé sur un terrain appartenant à l'appelant;

bien que l'appelant allègue recevoir un loyer en contrepartie de l'utilisation de son terrain par le payeur, qui y a un lieu d'affaires, il n'a pas déclaré ce revenu;

c'est l'appelant, et non Donald, qui s'occupe de faire l'estimation des contrats et de les finaliser;

l'appelant notait lui-même le nombre d'heures qu'il travaillait;

personne ne notait, pour le compte du payeur, le nombre d'heures travaillées par l'appelant;

l'appelant recevait un salaire hebdomadaire correspondant à 54 heures travaillées, quel que soit le nombre d'heures travaillées, non travaillées ou travaillées en sus de ce total;

l'utilisation de la structure de l'entreprise constituait une tentative, de la part de l'appelant et de Donald, visant à rendre l'appelant admissible aux prestations d'assurance-chômage et d'assurance-emploi auxquelles il n'aurait pas eu droit autrement;

il n'existait aucun contrat de louage de services entre l'appelant et le payeur.

[3] À l'ouverture de l'audience, l'appelant a admis les hypothèses (a) à (f), (i), (m), (p) et (r), mais a nié chacune des autres hypothèses exposées ci-dessus.

[4] Dans sa réponse à l'avis d'appel, l'intimé soutient comme moyen subsidiaire que, si la Cour devait conclure à l'existence d'un contrat de louage de services, l'emploi de l'appelant ne devrait pas être considéré comme un emploi assurable mais plutôt comme un emploi exclu, puisque l'appelant et le payeur avaient un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et au sens de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi, dans la mesure où ces alinéas se rapportent aux périodes sous examen.

[5] Au soutien de son moyen subsidiaire, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses de fait supplémentaires exposées ci-dessous :

[TRADUCTION]

(a) l'appelant est le frère de Donald;

l'entreprise utilise la ligne téléphonique personnelle de l'appelant à des fins commerciales;

la portion personnelle des frais téléphoniques de l'appelant est assumée par le payeur;

l'appelant effectue des tâches pour le payeur hors des périodes d'assurance-chômage et d'assurance-emploi à l'étude, sans être rémunéré pour ces services;

l'appelant ne figure pas sur la feuille de paye de l'entreprise pour les périodes au cours desquelles travaillaient des employés qu'il supervisait;

l'appelant est une personne liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, avec ses modifications;

il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[6] L'avocat de l'appelant a demandé à la Cour de radier le moyen subsidiaire puisque la détermination de l'intimé, telle qu'elle se lit dans sa lettre datée du 6 janvier 1998, et sa décision rendue dans sa lettre du 26 mars 1999, ne font pas mention d'un tel moyen subsidiaire. Avec le consentement de l'avocat de l'intimé, trois lettres, datées des 6 janvier 1998, 21 septembre 1998 et 26 mars 1999, respectivement déposées sous les cotes A-1, A-2 et A-3, ont été admises en preuve.

[7] Selon ma compréhension des faits, la pièce A-1 adressée à l'appelant constitue l'avis l'informant de la position d'origine de l'intimé quant à l'emploi de l'appelant au cours des périodes à l'étude. La Loi sur l'assurance-chômage et la Loi sur l'assurance-emploi indiquent toutes deux que l'intimé est tenu d'envoyer aux personnes visées par une détermination ou une décision un avis de son intention de trancher l'appel, et de leur donner l'occasion de fournir à l'intimé les renseignements que ces personnes considèrent importants. La lettre déposée sous la cote A-1 est un tel avis et ne constituait pas une détermination ou décision finale du ministre. Son deuxième paragraphe se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Votre travail auprès de Tupper's Trucking & Backhoeing Limited au cours des périodes à l'étude ne peut être considéré comme un emploi assurable puisque vous n'étiez pas un employé fournissant des services dans le cadre d'un contrat de louage de services.

[8] Dans le dossier de la Cour, on retrouve une lettre datée du 21 avril 1998, signée par un certain M. John W. Crosby, comptable agréé, et adressée au chef des appels en réponse à la lettre du 6 janvier 1998 (précitée); cette lettre fournit des renseignements quant à l'emploi de l'appelant et indique l'intention de l'appelant d'interjeter appel de la décision projetée du ministre.

[9] Le 21 septembre 1998, le directeur adjoint des appels a écrit à l'appelant, plutôt qu'à M. Crosby, une lettre (pièce A-2), probablement en réponse à la lettre de M. Crosby, lui demandant des renseignements supplémentaires “ dont nous avons besoin pour que le ministre prenne une décision dans votre dossier ”. Joint à cette lettre était un questionnaire que l'on demandait de remplir et de retourner. Le dossier de la Cour n'indique pas si le questionnaire a été rempli et retourné. Le paragraphe 4 de la lettre se lit comme suit :

[TRADUCTION]

L'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi indiquent qu'un emploi, lorsque le travailleur et le payeur ont un lien de dépendance, est un emploi exclu (c.-à-d. non assurable). Le travailleur et le payeur peuvent être réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que le payeur et le travailleur auraient conclu un arrangement à peu près semblable (quant au salaire, à la durée du travail, à l'importance du travail, aux modalités du travail, etc.) avec une personne avec laquelle ils n'ont aucun lien.

[10] Le 26 mars 1999, la pièce A-3 a été envoyée à l'appelant. Après avoir indiqué au paragraphe 1 les périodes d'emploi à l'étude, la lettre continuait comme suit, au paragraphe 2 :

[TRADUCTION]

Nous avons décidé que l'emploi n'était pas assurable pendant les périodes mentionnées ci-dessus puisqu'il n'existait aucun lien employé-employeur et, par conséquent, aucun contrat de louage de services.

[11] La lettre indiquait ensuite que l'appelant pouvait interjeter appel de la décision au cours de la période de 90 jours fixée par la loi. L'avocat de l'appelant a déposé auprès de notre cour un avis d'appel daté du 11 juin 1999.

[12] L'article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt traite de la procédure informelle des appels interjetés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu; le paragraphe 18.29(1) rend notamment le paragraphe 18.15(4) applicable à la partie IV de la Loi sur l'assurance-emploi, qui autorise les appels devant la présente cour. Le paragraphe 18.15(4) se lit comme suit :

(4) Par dérogation à la loi habilitante, la Cour n'est pas liée par les règles de preuve lors de l'audition d'un appel interjeté en vertu de cette loi et visé à l'article 18; ces appels sont entendus d'une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent.

[13] Lorsqu'il s'agit d'une procédure informelle, la Cour doit, dans l'exercice de sa compétence, veiller à s'assurer qu'il n'y a pas de violation des droits de l'appelant à une audience juste et impartiale.

[14] Au paragraphe 10 de sa réponse à l'avis d'appel, l'intimé allègue ce qui suit :

[TRADUCTION]

10. Le ministre n'a pas indiqué à l'appelant que son emploi auprès du payeur n'était pas assurable au cours des périodes d'assurance-chômage et d'assurance-emploi à l'étude en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et de l'alinéa 5(2)(i) de la Loi sur l'assurance-emploi En effet, le ministre a tenu compte de ces paragraphes lorsqu'il a complété son enquête sur les circonstances entourant l'embauche de l'appelant.

[15] L'expression “ lorsqu'il a complété son enquête ” doit faire référence à la période entre, d'une part, la signification de la détermination de l'intimé et de la décision visant l'appelant et, d'autre part, le dépôt et la signification de la réponse de celui-ci à l'avis d'appel. On se serait attendu à ce que l'intimé termine son enquête avant de rendre sa détermination et sa décision.

[16] L'article 71 de la Loi sur l'assurance-chômage et le paragraphe 104(2) de la Loi sur l'assurance-emploi ont pour effet de rendre toute décision ou détermination de l'intimé finale et exécutoire aux fins des lois applicables. Les décisions et la détermination de l'intimé étaient finales dès le 26 mars 1999 et son enquête aurait dû être complétée à cette date. Le fait de permettre à l'intimé d'étoffer ses décisions ou déterminations après que l'appelant en eut interjeté appel serait, à mon avis, injuste, mais cela serait également illégal selon la lettre de la loi.

[17] La requête de l'appelant visant la radiation de la réponse de l'intimé, dans la mesure où elle se rapporte à l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et à l'alinéa 5(2)(i) de la Loi sur l'assurance-emploi, est admise.

[18] La preuve de l'appelant peut être résumée comme suit.

[19] Donald Tupper, le frère de l'appelant, a constitué le payeur en 1985. Il a créé la société pour que celle-ci soit une source de travail et une entreprise qu'il puisse continuer à exploiter après sa retraite. Il n'a jamais participé à une entreprise de ce genre auparavant et aucune preuve ne démontre qu'il possédait de l'expérience dans ce domaine.

[20] Il a désigné l'appelant pour que ce dernier gère l'entreprise pendant que lui-même poursuivait sa carrière au sein des Forces armées canadiennes, où il est toujours en poste. La gestion de l'entreprise comprenait la supervision de tous les employés.

[21] Au cours des périodes visées en l'espèce, M. Donald Tupper a travaillé au Canada et a participé à des missions de maintien de la paix en Europe et en Afrique.

[22] L'appelant était président, secrétaire et trésorier du payeur et son seul signataire autorisé.

[23] L'appelant était un conducteur de pelle rétrocaveuse avant la constitution du payeur et continuait à offrir ce service au payeur au cours des périodes visées en l'espèce. Il était payé au taux de 15 $ de l'heure pour tous ses services. Tous les employés et l'appelant avaient leurs propres fiches de présence, qui étaient retournées quotidiennement à Mme Sandra Muir, la chef de bureau, qui a éventuellement épousé l'appelant.

[24] L'appelant résidait à Pictou (Nouvelle-Écosse), soit l'endroit où le payeur faisait affaire.

[25] Le bureau et le garage abritant le matériel du payeur étaient situés sur la propriété résidentielle de l'appelant, mais le payeur ne versait pas de loyer. Néanmoins, le payeur remboursait à l'appelant la portion des taxes foncières liées à l'augmentation de l'évaluation foncière de la propriété.

[26] M. Donald Tupper revenait de temps à autre à Pictou lors de ses congés et discutait de l'entreprise avec l'appelant. Le payeur faisait également usage de la ligne téléphonique personnelle de l'appelant et, en retour, payait les frais de téléphone, y compris les interurbains personnels effectués par l'appelant.

[27] Au moment où le payeur a été constitué, Donald Tupper a financé l'achat d'une pelle rétrocaveuse pour le payeur et a été remboursé par celui-ci sur ses revenus. Quelques années plus tard, il a de nouveau participé à l'achat de matériel au moyen d'un prêt de 6 000 $, encore une fois remboursé à partir des revenus de l'entreprise. Le payeur a également acheté du matériel sur signature de l'appelant, le reste du matériel du payeur étant mis en gage à titre de sûreté.

[28] L'appelant a embauché tous les autres employés et, de temps à autre, a délégué ce pouvoir à Mme Sandra Muir. Il a indiqué que Mme Muir connaissait l'entreprise aussi bien que lui et n'avait besoin que d'un minimum de supervision.

[29] Toutes les dépenses engagées dans l'exploitation de l'entreprise étaient réglées par le payeur.

[30] À l'occasion, lorsque l'utilisation de la pelle rétrocaveuse n'était pas nécessaire, l'appelant se mettait à pied sans solde. Néanmoins, si des services de camionnage ou autres étaient requis à ce moment, les autres employés restaient au travail. Pendant sa propre période de mise à pied, l'appelant continuait à se rendre aux bureaux de l'entreprise à l'occasion et à signer tous les chèques.

[31] M. Donald Tupper n'a jamais participé aux profits de l'entreprise et n'a jamais reçu d'autre rémunération de la part du payeur.

[32] À l'occasion, l'appelant n'encaissait pas ses chèques de paie, soit parce qu'il n'avait pas besoin d'argent, soit parce que le compte bancaire du payeur était à découvert et que l'appelant lui évitait ainsi des intérêts supplémentaires. La preuve n'indique pas qui aurait garanti le remboursement du découvert en cas de défaut.

[33] Au cours de l'argumentation des parties, après la présentation de leur preuve, l'avocat de l'appelant a soutenu que, selon les critères proposés dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. Minister of National Revenue, [1986] 3 F.C. 553, il s'agissait d'une relation d'employeur-employé entre l'appelant et le payeur. Néanmoins, ces critères visent à aider la Cour à déterminer la nature de la relation légale entre un employeur et une personne qu'il a embauchée lorsqu'il lui faut trancher la question de savoir si l'emploi est exercé en vertu d'un contrat de louage de services ou en vertu d'un contrat d'entreprise.

[34] Dans sa détermination et sa décision, l'intimé n'a pas conclu à la non-existence d'un contrat de louage de services entre l'appelant et le payeur en raison de l'existence d'un contrat d'entreprise; il a simplement conclu qu'il n'existait aucun contrat de louage de services. En d'autres mots, il n'existait aucune relation juridique entre l'appelant et le payeur.

[35] Dans l'arrêt Navennec v. Minister of National Revenue (1992), 150 N.R. 307 (C.A.F.), la Cour a conclu que, lorsque le tribunal doit décider si une personne a été engagée par une société en vertu d'un contrat de louage de services, plutôt que d'avoir à trancher si la personne avait été engagée en vertu d'un contrat de louage de services par opposition à un contrat d'entreprise, les critères proposés dans l'arrêt Wiebe Door (précité) n'étaient pas pertinents. Le juge Desjardins de la Cour d'appel fédérale qui a rédigé la décision au nom de la majorité et qui traite de l'application, par le juge de première instance, des critères pour trancher la question, indique, à la page 312 :

“ [11] À mon sens, le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est mal dirigé en droit.

[12] La contestation du ministre porte sur le caractère véritable du contrat de louage de services, non pas par opposition à un contrat d'entreprise, mais plutôt par opposition à la situation où se trouve le propriétaire d'entreprise, c'est-à-dire celui qui travaille à son propre compte.

[13] Les critères de l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. (1986), 70 N.R. 214; 87 D.T.C. 5025 (C.A.F.)*, n'étaient donc pas pertinents, l'objection du ministre ayant trait à la qualité des rapports juridiques existant entre le requérant et la corporation [...] ”

[36] Le juge Desjardins a réitéré cette opinion lorsqu'elle a rédigé la décision majoritaire dans l'arrêt Bouillon v.Minister of National Revenue, 203 N.R. 227. Bien que les faits de cette cause diffèrent de ceux de l'espèce, ils illustrent néanmoins une situation où la société sous laquelle une personne fait prétendument affaire constitue en fait un paravent. Les faits de cette cause peuvent être résumés de la façon suivante.

[37] MM. Bruno Bouillon, Jean-Pierre Bouillon et Ghislain Bélanger sont devenus actionnaires d'une société déjà en existence. Afin de financer le paiement des actions, la société a emprunté 25 000 $. MM. Bruno Bouillon et Bélanger ont endossé le prêt et sont devenus débiteurs de la société à raison de 12 500 $ chacun.

[38] MM. Bruno Bouillon et Bélanger ont reçu chacun 40 p. 100 du capital-actions de la société (200 actions) et Jean-Pierre a reçu 20 p. 100 du capital-actions (101 actions). Jean-Pierre n'avait rien déboursé pour ces actions.

[39] Par la suite, Jean-Pierre a transféré ses actions à un certain Yves Levasseur, sans qu'une quelconque somme d'argent ne soit transférée. M. Raynald Gaudreau a ensuite acquis les actions de M. Levasseur en contrepartie du travail qu'il avait effectué pour le compte de la société.

[40] Quatre ans plus tard, la société a déclaré un dividende de 25 000 $, payable à raison de 12 500 $ à MM. Bruno Bouillon et Bélanger chacun, mais n'a versé aucune somme d'argent. Les prêts endossés par MM. Bruno Bouillon et Bélanger ont été annulés par la société. Seul M. Bruno Bouillon a signé le livre de procès-verbaux faisant état du dividende et de l'annulation des prêts, mais le procès-verbal indique que M. Bélanger était présent. M. Gaudreau n'a reçu aucun dividende.

[41] MM. Bruno Bouillon et Bélanger étaient des finisseurs de béton. Au cours de la période visée, la société détenait un contrat conclu avec une corporation oeuvrant dans la finition de façades d'édifices. Cette corporation fournissait le matériel et la société fournissait l'outillage. M. Bruno Bouillon travaillait avec M. Bélanger, et a décrit ce dernier comme étant son associé.

[42] M. Bruno Bouillon fournissait régulièrement à M. Gaudreau un relevé de ses dépenses et de ses activités. Des réunions avaient lieu toutes les deux semaines environ et on y discutait des affaires de la société.

[43] La société détenait une marge de crédit de 5 000 $ garantie par MM. Bruno Bouillon et Bélanger.

[44] M. Bruno Bouillon a indiqué que personne n'était chargé de la surveillance ou n'était le patron. Chaque employé connaissait les horaires de travail des équipes. MM. Bruno Bouillon et Bélanger signaient tous les chèques.

[45] Le savant juge de première instance, après avoir appliqué les critères proposés dans l'arrêt Wiebe Door (précité), a conclu qu'il n'existait aucune relation employeur-employé entre M. Bruno Bouillon et la société. Le juge Desjardins, de la Cour d'appel fédérale, commentant la décision du juge, a indiqué, à la page 231 :

[10] J'estime que le premier juge a incorrectement cerné le débat. Il ne s'agit pas, en l'espèce, de déterminer s'il y a eu contrat de louage de service par opposition à un contrat d'entreprise, mais plutôt de décider s'il existait un véritable contrat, quelle que soit sa nature, entre le requérant et le payeur. Or, selon la preuve, ni Jean-Pierre Bouillon, ni Yves Levasseur, ni Raynald Gaudreau n'ont versé d'argent pour l'achat de 20 % des actions du payeur. Le comptable reçut ces actions pour services rendus, non pas à Yves Levasseur, mais à Cimentek B.S.L. Inc., malgré qu'Yves Levasseur fût auparavant détenteur de ces actions.

[11] L'imbroglio ainsi décrit jette un sérieux doute quant à l'existence du payeur comme entité distincte de ses principaux actionnaires, MM. Bruno Bouillon et Ghislain Bélanger. Ceux-ci ont agi comme si le troisième “ actionnaire ” n'existait pas au point même de l'exclure du dividende. Ils avaient mainmise complète (Carmelo Scalia c.Le ministre du Revenu national (19 mai 1994), A-222-93 (C.A.F.)) sur le payeur qui n'a joué qu'un rôle de convenance et a servi de paravent à leurs activités. Je conclus à l'inexistence de quelque entente que ce soit entre le requérant et le payeur, et à plus forte raison, à l'inexistence d'un contrat de louage de service. J'en déduis que le requérant travaillait à son propre compte durant les périodes pertinentes.

[Je souligne]

[46] Dans l'affaire Navennec (précitée), le juge Desjardins a examiné le critère devant être appliqué pour conclure ou non à l'existence d'un contrat de louage de services entre le requérant et le payeur, et a indiqué, à la page 313 :

[14] C'est aux critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; 53 N.R. 241; 84 D.T.C. 6305, qu'il faut se référer.

[15] Dans Stubart, la question, il est vrai, était de savoir si dans le but avoué de réduire ses impôts, une société pouvait conclure une entente par laquelle ses profits futurs étaient passés à une filiale-soeur dans le but de se prévaloir du report des pertes de cette dernière. Mais les principes demeurent applicables en l'espèce alors qu'il s'agit de déterminer si le requérant n'a pas, somme toute, arrangé ses affaires de façon à pouvoir percevoir des prestations d'assurance-chômage. Et si, malgré les apparences, il ne demeure pas moins le propriétaire véritable de tous ses biens malgré leur vente à la société ainsi que l'unique détenteur des actions malgré leur vente à sa conjointe et ses fils.

[16] Les parties en l'espèce sont liées. Mais ce qui importe est d'établir si, par leurs conventions, elles ont fait ce qu'elles ont dit vouloir faire. Le requérant entendait-il effectivement faire de la société une entreprise familiale ou s'est-il gardé le contrôle? Sa conjointe et ses enfants avaient-ils effectivement l'intention d'acquitter leurs billets promissoires par les profits qu'ils tireraient de l'entreprise ou par d'autres revenus? Ou n'ont-ils jamais eu cette intention ? S'est-il agi d'obligations juridiques claires et exécutoires ? Ou s'agit-il d'un trompe-l'oeil?

[47] Il existe une règle bien établie en droit de la preuve voulant que, si une partie ou un témoin omet de présenter une preuve que cette partie ou ce témoin était capable de présenter et qui aurait pu élucider les faits, le tribunal peut en tirer l'inférence que la preuve de la partie ou du témoin aurait été défavorable à la partie responsable de l'omission. La partie à qui incombe le fardeau d'écarter cette inférence peut s'en décharger en expliquant les circonstances qui ont empêché la production d'une telle preuve ou d'un tel témoin (voir l'arrêt Murray v. Saskatchewan, [1952] 2 D.L.R. 499, pages 505-506).

[48] Bien que les règles de preuve légales et techniques soient moins rigides dans le cadre d'instances informelles comme la nôtre, la règle mentionnée précédemment a trait à la valeur de la preuve et les parties sont néanmoins tenues de présenter la meilleure preuve disponible, ou de justifier leur omission de ce faire.

[49] Seul l'appelant a témoigné en sa faveur et, par conséquent, son témoignage peut être considéré comme intéressé. Bien que l'appelant ait admis l'existence du payeur et le fait que Donald Tupper en ait été le seul administrateur et actionnaire, aucune preuve indépendante, qu'elle soit testimoniale ou documentaire, n'a été présentée ou produite pour indiquer que ce dernier participait à l'entreprise, soit à titre de financier, soit à titre de superviseur, ou qu'il exerçait un certain degré de contrôle. Il était absolument essentiel, dans les circonstances, que la Cour entende le soi-disant propriétaire du payeur, M. Donald Tupper. Dans les affaires Bouillon et Navennec (précitées), la preuve a mené à l'explication de l'ensemble de la structure de la société et des opérations sur les actions, qui ont permis dans chaque cas au tribunal de cerner l'intention des parties et le degré de contrôle qu'elles exerçaient.

[50] En l'espèce, la preuve démontre clairement que l'appelant se supervisait lui-même, approuvait ses propres heures de travail et se rémunérait lui-même. Seul le fait que M. Donald Tupper retournait à sa résidence de Pictou de temps à autre et que l'appelant et lui discutaient de l'entreprise prouve que M. Donald Tupper était au courant de ce qui se passait dans cette entreprise.

[51] Dans l'affaire Scalia v. Canada (Minister of National Revenue (précitée)), le juge Marceau indique, à la page 2 :

À l'analyse de la preuve, cependant, on constate que le requérant avait sur la compagnie, sur ses activités, sur les décisions de son bureau de direction [...] un ascendant tel qu'entre lui-même et la compagnie ne pouvait exister ce rapport d'indépendance nécessaire à la création d'un véritable lien de subordination [...] le contrôle que la personne morale locataire des services peut exercer sur celui qui la domine complètement est plus fictif que réel [...]

[52] Je suis d'avis de faire miens ces commentaires et de les appliquer à l'espèce.

[53] L'appelant n'a produit aucune preuve crédible permettant de contrer les hypothèses (j), (k) et (q), et a admis dans sa preuve les hypothèses (g), (h), (l), (n), (o), (s), (t) et (u), qu'il avait niées à l'origine. L'appelant n'a pu présenter de preuve prima facie permettant de contrer les hypothèses émises par l'intimé.

[54] J'arrive à la conclusion que l'appelant et l'entreprise ne formaient qu'un et que l'appelant, à l'exclusion de M. Donald Tupper, exerçait un contrôle total sur celle-ci.

[55] Je rejette l'appel de l'appelant et confirme la détermination et la décision de l'intimé.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick) ce 11e jour de février 2000.

“ M. F. Cain ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de septembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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