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Date: 19980924

Dossier: 97-1752-GST-G

ENTRE :

163410 CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Québec (Québec), le 23 septembre 1998.)

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] [L’appelante conteste une cotisation couvrant la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1995 émise le 22 mars 1996 et dont l’avis porte le numéro 5212813. Le seul point en litige en rapport avec cette cotisation concerne le droit à des crédits de taxe sur les intrants initialement accordés à l’appelante en rapport avec les fournitures de services juridiques effectuées par l’étude légale Heenan Blaikie de Montréal. L’intimée soutient que l’appelante n’a pas droit à ces crédits puisqu’elle ne peut être considérée l’acquéreur de telles fournitures au sens donné à ce terme au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise (Partie IX, Taxe sur les produits et services) (la « Loi » ). Le montant réclamé est de 35 755 $ avec intérêts et pénalités.

[2] [Les paragraphes 5 à 21 de l’Avis d’appel fournissent un résumé des faits ayant donné lieu au litige dans les termes suivants :

5. En 1990, l’Appelante a agi comme promoteur d’un projet immobilier alors connu sous le nom de Société en commandite Villa de Chicoutimi (ci-après appelée “Villa”), le tout tel que plus amplement détaillé ci-après.

6. De fait, Villa a été constituée le 7 août 1990 afin de procéder à l’acquisition, la construction et l’exploitation d’une résidence pour personnes âgées.

7. Le projet de Villa devait être financé de la manière suivante:

a) Émission par Villa de parts sociales pour un montant de 2 250 000 $;

b) Emprunt d’une somme de 4 111 400 $ auprès de Corporation d’hypothèques Midland (ci-après appelée “Midland”), garanti par une hypothèque de premier rang.

8. En cours de route, la structure du financement fut modifiée de la manière suivante:

a) Émission par Villa de parts sociales pour un montant de 2 250 000 $;

b) Emprunt d’une somme de 3 479 400 $ auprès de Midland, garanti par une hypothèque de premier rang;

c) Emprunt d’une somme de 632 000 $ auprès de l’Appelante, garanti par une hypothèque de deuxième rang.

9. En août 1990, Villa accordait à l’Appelante le mandat de faire construire la résidence pour personnes âgées pour une somme forfaitaire. Il s’agissait d’un contrat de type “clé en main”.

10. Pour s’acquitter de son mandat, l’Appelante conclut elle-même avec Les Consultants ALB Inc. un contrat de construction, ledit contrat visant l’érection de la résidence pour personnes âgées. La construction de la résidence pour personnes âgées devait être complétée pour le 1er juillet 1991.

11. Dès le début des travaux, Midland a agi comme fiduciaire des sommes devant servir à financer le projet, y compris la somme de 632 000 $ devant provenir de l’Appelante.

12. Les Consultants ALB Inc. ne fut pas en mesure de compléter les travaux pour le 1er juillet 1991 et celle-ci fit cession de ses biens en août 1991. Lors de l’abandon des travaux, Les Consultants ALB Inc. avait été payée entièrement pour l’exécution des travaux mais avait fait défaut d’acquitter une bonne part des sommes dues aux sous-traitants. Ces derniers enregistrèrent des privilèges de construction sur l’immeuble de Villa pour une somme totale d’environ 1 900 000 $. Les Consultants ALB Inc. enregistra elle-même un privilège pour couvrir les sommes dues à ses sous-traitants.

13. C’est dans ce contexte qu’en novembre 1991, Midland arrêtait les déboursés, requérait de la Cour supérieure la nomination d’un séquestre intérimaire et menaçait de reprendre possession de la résidence pour personnes âgées sur laquelle elle avait une hypothèque de premier rang.

14. Des négociations furent alors entreprises entre Villa, l’Appelante, Midland et le syndic de Les Consultants ALB Inc. en vue de trouver une solution pour sauver le projet.

15. Ces négociations aboutirent en mai 1992 à deux ententes, à savoir:

a) Une entente entre Midland et le syndic de Les Consultants ALB Inc. par laquelle Midland s’engageait à payer au syndic une somme de 100 000 $ en contrepartie de la radiation du privilège de construction qu’elle avait enregistré et s’engageait à injecter une somme additionnelle ne devant pas dépasser 1 300 000 $ pour régler les réclamations des sous-traitants en contrepartie de la radiation des privilèges de construction que ceux-ci avaient enregistrés. La convention intervenue entre Midland et le syndic de Les Consultants ALB Inc. stipulait que les sommes payées par Midland étaient payées pour et à l’acquit de l’Appelante;

b) Une entente entre Midland et l’Appelante par laquelle cette dernière s’engageait à ce que la somme de 632 000 $ devant servir à financer la construction de la résidence et qui n’avait pas encore été déboursée soit utilisée pour terminer la construction, corriger les vices, acquitter les honoraires professionnels du séquestre intérimaire et acquitter les honoraires de l’étude légale Heenan Blaikie devant être engagés pour régler les privilèges de construction et voir à la terminaison des travaux et à la correction des vices.

16. La conclusion de cette dernière entente était conditionnelle à ce que l’Appelante obtienne quittance de Villa et donc que cette dernière reconnaisse que l’Appelante s’était acquittée de son obligation de lui livrer un immeuble libre de toute charge.

17. Dans les faits, Villa a donné quittance à l’Appelante reconnaissant alors qu’elle s’était acquittée de son obligation de lui livrer un immeuble libre de toute charge.

18. En date du 23 février 1994, Midland rendait compte à l’Appelante de l’utilisation de la somme de 632 000 $ qu’elle détenait en fiducie et qu’elle s’était engagée à utiliser conformément aux termes de l’entente intervenue.

19. Suite à cette reddition de compte, l’Appelante réclamait de l’Intimée les CTI pour la taxe sur les produits et services afférente aux honoraires pour les services rendus par Heenan Blaikie et qui avaient été acquittés à même les sommes appartenant à l’Appelante mais détenues par Midland en fiducie.

20. L’Intimée fit droit à la réclamation de l’Appelante et lui remboursa une somme de 35 755 $ au titre de CTI.

LES MOTIFS

21. Alors qu’en 1994, il a fait droit à la demande de CTI de l’Appelante et lui avait remboursé la somme de 35 755 $, l’Intimée revint sur sa décision et refuse maintenant d’accorder à l’Appelante les CTI pour les taxes payées sur les honoraires de la firme d’avocats Heenan Blaikie au motif que l’Appelante n’est pas “l’acquéreur” des services rendus par Heenan Blaikie, celui-ci étant, selon l’Intimée, Midland.

[3] [Les documents soumis en preuve, notamment les pièces A-7, A-9 et A-10, établissent sans équivoque que Midland détenait « en fidéicommis » une somme de 632 000 $ appartenant à l’appelante et que cette dernière devait initialement prêter à Villa avec la garantie d’une seconde hypothèque.

[4] [Suite aux nombreuses difficultés rencontrées, l’appelante acceptait par la convention signée entre elle et Midland le 12 mai 1992 que les sommes lui appartenant soient utilisées par Midland pour payer certaines réclamations, honoraires et coûts de construction dans l’ordre indiqué aux paragraphes 3 à 11 de cette convention, tout solde, le cas échéant, devant lui être remis.

[5] [Selon le paragraphe 4. de cette convention, les honoraires de l’étude légale Heenan Blaikie devaient être payés en deuxième lieu après qu’un premier montant de 244 400 $ soit appliqué à la garantie d’une réclamation de 274 400 $ contre l’appelante par le syndic à la faillite de l'entrepreneur en construction Les Consultants ALB Inc. Ce paragraphe 4. de la convention prévoyant ainsi le paiement des honoraires de l’étude l’égale Heenan Blaikie est libellé dans les termes suivants:

4. LE SOLDE sera appliqué au paiement des honoraires et déboursés tant passés que futurs du cabinet Heenan Blaikie en relation avec toute démarche effectuée en rapport avec le dossier impliquant d’une part MIDLAND et d’autre part 163410, VILLA et ou ses filiales, actionnaires ou administrateurs. Heenan Blaikie devra remettre à 163410 le détail des honoraires et déboursés ainsi encourus lesquels seront établis de la même manière que si 163410 était un client régulier de Heenan Blaikie, et comme s’ils devaient être acquittés par MIDLAND.

[6] [Compte tenu des termes de la convention, il est évident que Midland devait non seulement utiliser les sommes appartenant à l’appelante pour payer dans l’ordre indiqué les réclamations, honoraires et autres dépenses spécifiques mentionnées mais également rendre compte de cette utilisation à l’appelante. Dans son témoignage, Me Bernard Jolin de l'étude légale Heenan Blaikie affirme avoir commencé à rendre des services juridiques à Midland et à des sociétés d’assurances associées dans le dossier Villa en date du 1er octobre 1991. La convention du 12 mai 1992 signée entre Midland et l’appelante a été négociée par lui-même pour Midland et Me Pierre Cimon de l’étude légale Ogilvie Renault pour l’appelante. La dernière phrase du paragraphe 4. de la convention aurait été exigée par Me Cimon qui a d’ailleurs confirmé ce fait de façon à ce que les honoraires de l’étude Heenan Blaikie soient établis sur la même base que si l’appelante était un client régulier de l’étude au même titre que Midland même si la convention prévoyait que ces honoraires seraient payés par l’appelante. En réalité, le paragraphe 4. prévoyait que Midland utiliserait une partie de la somme détenue pour acquitter directement les honoraires facturés par l'étude Heenan Blaikie. Les mots « comme s'ils devaient être acquittés par Midland » à la fin du paragraphe 4. ne laissent planer aucun doute sur le fait que c'est l'appelante qui était en réalité tenue de payer les honoraires facturés par l'étude Heenan Blaikie à Midland.

[7] [L’étude légale Heenan Blaikie n’est pas directement indiquée comme partie à cette convention bien que Me Jolin de cette étude ait signé au nom de Midland. Il faut bien reconnaître toutefois que le paragraphe 4. concerne les services juridiques déjà fournis et ceux à être fournis par son étude en rapport avec le dossier Villa et qu’il comporte deux engagements précis de la part de l’étude légale qui modifient très certainement l'entente initiale du 1er octobre 1991 concernant les services juridiques devant être fournis à Midland et ce, à tout le moins en ce qui concerne le paiement de tels services.

[8] [D’abord, même si c’est Midland et non l’appelante qui est son client, l’étude légale Heenan Blaikie s’engage à « remettre à 163410, c'est-à-dire à l'appelante, le détail des honoraires et déboursés ainsi encourus... » . Deuxièmement, et cet élément est encore plus important, l’étude accepte d’établir ses honoraires « de la même manière que si 163410 était un client régulier ... et comme s’ils devaient être acquittés par Midland » .

[9] [Or, les fonds de l’appelante ont ainsi été utilisés par Midland pour acquitter les honoraires de l’étude légale Heenan Blaikie comme en fait foi le document intitulé « État de comptes » de la pièce A-10.

[10] [Je considère que l’entente du 12 mai 1992 entre Midland et l’appelante mais à laquelle est également implicitement partie l’étude légale Heenan Blaikie de par ses engagements qui y sont clairement définis au paragraphe 4. porte sur la fourniture de services juridiques et modifie l’entente initiale entre Midland et l’étude légale Heenan Blaikie à cet égard.

[11] [À mon avis, cette convention du 12 mai 1992 est ainsi à son paragraphe 4. une convention qui porte sur une fourniture de services juridiques au terme de laquelle l’appelante et non Midland est désignée comme la personne tenue de payer la contrepartie de cette fourniture. Midland est simplement autorisée ou mandatée par l'appelante de les acquitter avec les sommes qu'elle détient déjà « en fidéocommis » et qui appartiennent à l'appelante. Ceci étant, l’appelante et non Midland doit être considérée l’ « acquéreur » aux fins de la définition de l’alinéa 123(1)a) de la Loi. Par voie de conséquence, l’appelante a droit aux crédits de taxe sur les intrants en rapport avec la taxe payée à l’égard des honoraires professionnels facturés par l’étude légale Heenan Blaikie et acquittés avec des fonds lui appartenant. Même si j'estimais que la convention n'est pas un contrat portant sur la fourniture de services juridiques par l'étude Heenan Blaikie je devrais reconnaître que l'appelante est quand même tenue de payer pour ces services aux termes du paragraphe 4. de cette convention avec la conséquence que l'appelante devrait quand même être considérée comme étant l'acquéreur de cette fourniture non plus en vertu de l'alinéa 123(1)a) mais plutôt en vertu de l'alinéa 123(1)b) de la Loi. Autrement dit, comme l'appelante était tenue en vertu du paragraphe 4. de la convention de payer la contrepartie des services juridiques rendus à Midland, le résultat est donc le même que l'on considère la convention du 12 mai 1992 comme en étant une qui porte ou non sur la fourniture de services juridiques.

[12] [Au début de l’audition, l’avocat de l’intimée a soulevé un point de droit additionnel selon lequel l’appelante n’aurait pas droit aux crédits de taxe sur les intrants à l’égard des honoraires payés par Midland avec les fonds de l’appelante. En effet, selon lui, l’appelante a, suite à la reddition de compte, poursuivi Midland en dommages pour une somme de plus de 268 000 $ pour non respect des termes de la convention du 12 mai 1992 et mauvaise utilisation des fonds lui appartenant (voir la pièce I-1). L'appelante y contestait notamment certains honoraires professionnels de l’étude Heenan Blaikie et le fait que certaines réclamations avaient été réglées sans son autorisation ou contrairement à l'entente du 12 mai 1992. Somme toute, l’appelante soutenait qu'elle aurait dû normalement recevoir un solde à l’égard des fonds lui appartenant détenus par Midland si cette dernière avait utilisé les fonds selon les termes de la convention. J'ajoute que dans sa déclaration en Cour supérieure (voir pièce I-1), l’appelante se réservait « le droit d’amender le quantum de la réclamation et ce notamment pour y ajouter les crédits de taxes correspondant aux montants de taxes payés à même les fonds détenus en fiducie par [Midland] » .

[13] Cette poursuite s’est terminée par un règlement hors cour au terme duquel Midland a décidé de verser 25 000 $ à l’appelante pour éviter les ennuis d'un procès et l’appelante a accepté de donner une quittance complète et finale à Midland pour toute réclamation passée, présente ou future. L’avocat de l’intimée soutient que la transaction alors intervenue entre Midland et l’appelante empêcherait cette dernière d’avoir droit aux crédits sur les intrants à l’égard des honoraires de l’étude Heenan Blaikie car cela causerait préjudice à Midland qui a réclamé elle-même et obtenu ces mêmes crédits. L’avocat de l’intimée devait modifier la Réponse à l’avis d’appel pour ajouter ce point de droit et l’avocat de l’appelante a accepté qu'il fasse cette modification.

[14] [J’estime cet argument additionnel sans fondement. D’une part, une transaction est un contrat portant sur des droits litigieux et n’a l’autorité de la chose jugée qu’entre les parties (article 2633 du Code civil du Québec; voir également l'article 2848 sur l'autorité de la chose jugée). Certes, l'appelante, bien qu'elle se soit réservé des droits à cet égard par la convention du 12 mai 1992, ne peut plus réclamer quoi que ce soit de Midland concernant les crédits sur les intrants en rapport avec les honoraires d'Heenan Blaikie. Toutefois, ses droits vis-à-vis l'intimée et lui résultant de la Loi ne sont aucunement affectés par cette transaction. D’autre part, cette transaction n’a pas modifié de quelque façon que ce soit la convention du 12 mai 1992 au terme de laquelle les honoraires de l’étude légale Heenan Blaikie devaient être acquittés avec les fonds détenus par Midland et appartenant à l'appelante. Ce qui a d’ailleurs été fait. Cette convention, je le répète, porte en sa partie pertinente au présent litige (soit le paragraphe 4.) sur la fourniture de services juridiques par l'étude légale Heenan Blaikie. Il est évident que l’appelante était tenue au terme de cette convention de payer pour ces services, bien que Midland était mandatée de les acquitter avec les fonds de l’appelante. Comme je l'ai indiqué plus haut, l’appelante est donc, à mon avis, l’acquéreur de la fourniture au sens donné à ce terme par l’alinéa 123(1)a) de la Loi. L’appelante a donc droit aux crédits de taxe sur les intrants en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi.

[15] L’appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national ou à son mandataire Revenu Québec pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1995 en tenant pour acquis que l’appelante a droit à des crédits de taxe sur les intrants d’un montant de 35 755 $ à l’égard d’honoraires professionnels de l’étude Heenan Blaikie qu'elle était tenue de payer et qui ont été acquittés avec des fonds lui appartenant, le tout avec rajustement des intérêts et des pénalités.

[16] [L’appelante a droit à ses dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 1998.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.

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