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Date: 19980709

Dossier: 97-2648-IT-G

ENTRE :

JENS LARSEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel, interjeté sous le régime de la procédure générale, a été entendu à Castlegar (Colombie-Britannique) le 10 juin 1998. L'appelant a témoigné et a fait comparaître Paul Jeakins, forestier professionnel inscrit qui a été reconnu comme témoin expert pour déposer sur la question de savoir si du bois d'oeuvre vendu sur un terrain privé en Colombie-Britannique doit être vendu au mètre cube. L'appel concerne l'année d'imposition 1994 de l'appelant, pour laquelle il avait indiqué un gain en capital imposable de 59 319,74 $, ainsi qu'une déduction correspondante pour gains en capital. En établissant la nouvelle cotisation, le ministre a supprimé le gain en capital imposable et a inclus dans le revenu de l'appelant 161 075 $ comme part de l'appelant sur la vente du bois d'oeuvre. L'appelant a déposé un avis d'appel. Quatre points sont en litige :

1) Le montant de 161 075 $ représente-t-il un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien en vertu de l'alinéa 12(1)g) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

2) Dans la négative, est-ce un revenu provenant d'un projet comportant un risque ou d'une affaire de caractère commercial?

3) Dans la négative, est-ce un gain en capital?

4) Dans l'affirmative, l'appelant a-t-il droit à la déduction pour gains en capital au titre de biens agricoles admissibles en vertu du paragraphe 110.6(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

[2] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Par l'intermédiaire de leur avocat respectif, les parties aux présentes admettent les faits suivants, sous réserve que cet aveu s'applique uniquement aux fins de l'action en cause, qu'il ne puisse être utilisé contre l'une ou l'autre partie à d'autres occasions et que les parties puissent produire d'autres éléments de preuve pertinents relatifs aux questions en litige et non incompatibles avec le présent exposé.

1. En 1951, le père de l'appelant a acquis les 480 acres de terrains légalement décrits comme étant les lots de district 6335, 3816 et 8387 — sauf la partie du lot de district 8337 qui se trouve au nord de la rivière Little Slocan — ainsi que le lot 3818, du district de Kootenay — sauf les parties incluses dans le plan 18069 (le « terrain » ).

2. Le terrain est divisé en deux par un ruisseau; sur environ 160 acres adjacents au ruisseau, on trouve des prés, soit des terrains sans arbres; de chaque côté du ruisseau, le terrain accuse une pente qui va en s'accentuant, et ces flancs de coteau étaient en majeure partie boisés. (Voir la copie de la carte figurant à la section 14 du recueil de documents de l'intimée.)

3. Au cours de chacune des années allant de 1951 à 1976, le père de l'appelant n'a utilisé le terrain que pour y faire l'élevage de bovins. (Les parties ne s'entendent toutefois pas quant à savoir si tout le terrain était utilisé à cette fin.)

4. L'appelant et son frère Christian (Larsen) aidaient leur père dans l'exploitation agricole du terrain lorsqu'ils n'étaient pas à l'école ou au travail.

5. La principale zone de pâturage du terrain était située au fond de la vallée longeant le ruisseau. Les bestiaux paissaient en partie à flanc de coteau.

6. Le terrain est à 24 km de la résidence du père de l'appelant, située à Lemon Creek.

7. On ne faisait paître le bétail sur le terrain qu'au cours de la période allant de mai à septembre inclusivement. Le reste de l'année, on gardait le bétail sur la propriété de Lemon Creek.

8. Il fallait faire paître le bétail sur le terrain de mai à septembre pour pouvoir faire pousser du foin sur la propriété de Lemon Creek au cours de cette période.

9. En 1964, l'appelant a commencé à travailler pour la Slocan Forest Products, comme mécanicien de machinerie lourde. Dans le cadre de ses fonctions, il allait réparer de la machinerie lourde en forêt. Il observait alors le déroulement des activités forestières et s'entretenait avec les forestiers.

10. En 1976, le père de l'appelant est décédé, et l'appelant, ses frères, Noble Larsen et Christian Larsen, et sa soeur, Gertrude Lindstrom, ont reçu en héritage de leur père un intérêt indivis sur le terrain, soit le quart chacun. (Voir la copie du testament figurant à la section 1 du recueil de documents de l'intimée.)

11. Après le décès du père de l'appelant en 1976, l'appelant s'est associé avec son frère Christian, et ils ont continué à utiliser le terrain uniquement aux fins de l'élevage de bétail.

12. Depuis 1984, la soeur de l'appelant, Gertrude Lindstrom, exerçait des pressions sur l'appelant et ses frères pour qu'ils lui rachètent son intérêt sur le terrain. (Voir la copie de la lettre figurant à la section 2 du recueil de documents de l'intimée.)

13. Le 31 octobre 1991, le terrain, en excluant les arbres qui y poussaient, a été évalué à 328 350 $. À partir de cette évaluation, il a été déterminé que l’intérêt de Gertrude sur le terrain, soit un intérêt d'un quart, avait, sans compter les arbres, une juste valeur marchande d'environ 100 000 $.

14. L'appelant, ses frères et sa soeur ont décidé en 1994 de procéder à l'exploitation forestière du bien.

15. L'appelant, ses frères et sa soeur n'avaient aucune expérience directe de l'exploitation forestière et n'avaient pas le matériel nécessaire aux fins d'une telle exploitation.

16. En 1994, le bien a fait l'objet d'un inventaire forestier, et il a été estimé qu'il y avait sur le terrain l'équivalent de 150 charges de bois, en tenant pour acquis que les arbres à couper auraient un diamètre d’au moins 12 pouces à la base. (Au bout du compte, l'appelant a convenu avec ses frères et sa soeur d'abattre les arbres ayant un diamètre de 10 pouces ou plus.)

17. L'appelant et son frère Christian voulaient seulement abattre tout le pin gris et toutes les autres essences d'un diamètre de 12 pouces ou plus, car cela leur assurerait suffisamment de fonds pour racheter l’intérêt de Gertrude sur le terrain. Le frère de l'appelant qui habitait à Salt Lake City et sa soeur, Gertrude Lindstrom, voulaient que tout le pin gris et toutes les autres essences d'un diamètre de 10 pouces ou plus soient abattus, car ils estimaient qu'une trop grande quantité de bois serait laissée si on abattait seulement les arbres d'un diamètre de 12 pouces ou plus. L'appelant a accepté que cette quantité supérieure soit abattue, mais sans plus.

18. En 1994, l'appelant s'est entretenu verbalement avec des responsables de quatre scieries en vue de l'exploitation forestière du terrain et leur a demandé ce qu'ils paieraient pour le bois qui se trouvait sur le terrain.

19. La C.P.S. Investments Inc. a proposé le prix le plus élevé, soit 70 $ le mètre cube, pour le bois situé sur le terrain.

20. L'appelant, ses frères et sa soeur n'ont pas demandé un prix global fixe pour le bois situé sur le terrain, considérant qu'il était plus juste pour les deux parties que le prix payé à cet égard soit de 70 $ le mètre cube. L'appelant estimait que, si expérimentée qu'elle soit, la personne effectuant l'inventaire forestier pouvait se tromper quant à la quantité de bois provenant du terrain qui pourrait être récolté et mis sur le marché.

21. L'appelant, ses frères et sa soeur ont retenu les services d'un comptable agréé, M. Craig Gutwald, et d'un avocat, M. Kenyon McGee, pour se faire aider dans la rédaction des conventions régissant la vente du bois debout qui se trouvait sur le terrain.

22. L'appelant, ses frères et sa soeur tenaient à ce qu'on ait fini d'enlever le bois du terrain en décembre 1994, de sorte que les opérations forestières n'entravent pas l'exploitation agricole du terrain; ils ne voulaient pas que les opérations forestières prennent plus de temps que cela n'était nécessaire.

23. L'appelant a signé deux conventions avec la C.P.S. Investments Inc. le 28 juillet 1994. Ces deux conventions figurent aux sections 4 et 5 du recueil de documents de l'intimée.

24. Une fois tous les arbres abattus, ils ont été enlevés. Il a fallu environ trois semaines pour enlever tous les arbres abattus.

25. À peu près une fois par semaine, l'appelant effectuait un contrôle pour veiller à ce que les arbres d'un diamètre de moins de 10 pouces ne soient pas abattus. Au cours des trois semaines pendant lesquelles on a procédé à l'enlèvement du bois, l'appelant se rendait quotidiennement sur le chantier. C’est le seul rôle qu'a joué l'appelant dans le processus d'exploitation forestière.

26. Entre le mois d'août 1994 et le 18 janvier 1995, la C.P.S. Investments Inc. a enlevé du terrain 9 204,28 mètres cubes de bois. La C.P.S. Investments Inc. a versé à l'appelant et à ses frères et sa soeur une somme totale de 644 300,16 $ pour le bois.

27. On a enlevé du bois sur environ 250 acres du terrain. Les 70 acres restants du terrain boisé n'ont pas été exploités parce qu'ils accusaient une pente trop raide ou qu'ils étaient trop marécageux. (Voir les copies de photos du terrain prises en décembre 1997, qui montrent la partie inexploitée et les parties exploitées du terrain. Ces photos se trouvent derrière les sections 11 et 12, respectivement, du recueil de documents de l'intimée.)

28. Les 644 300,16 $ reçus de la C.P.S. Investments Inc. ont été partagés également entre l'appelant, ses frères et sa soeur.

29. C'était la première fois depuis l'acquisition du terrain par le père de l'appelant que le terrain était l'objet d'une exploitation forestière commerciale.

30. Après l'exploitation forestière du terrain, l'appelant a planté environ 300 arbres pour empêcher l'érosion. Les souches des arbres abattus n'ont pas été enlevées ni brûlées parce qu'elles étaient assez basses (environ 6 pouces de haut), étant donné que l'exploitation s'était faite à l'aide d'une abatteuse-empileuse.

31. L'appelant ne voulait pas d'une coupe à blanc, parce que c'était visuellement peu attrayant, qu'il fallait des arbres pour faire de l'ombre aux bestiaux et que le fait qu'il reste des arbres debout permettait un ensemencement naturel et empêchait les problèmes d'érosion.

32. L'appelant et Christian Larsen n'ont jamais augmenté la taille de leur cheptel bovin après l'exploitation forestière du terrain.

33. Pour les années d'imposition allant du 31 décembre 1989 au 31 décembre 1997, la société de personnes créée par l'appelant et Christian Larsen a déclaré les ventes de boeuf suivantes :

1989

22 322 $

1990

22 668 $

1991

23 767 $

1992

24 250 $

1993

21 664 $

1994

23 849 $

1995

23 996 $

1996

15 280 $

1997

19 036 $

(Voir les copies des états des résultats qui se trouvent derrière la section 13 du recueil de documents de l'intimée.)

Par l'intermédiaire de leur avocat respectif, les parties aux présentes conviennent, en signant le présent exposé, des faits mentionnés précédemment.

[3] Ainsi, Jens avait deux genres de rapports. Jens et Christian étaient, en matière d'agriculture, des associés exploitant une ferme d'élevage de bovins sur le terrain : chaque été, ils déplaçaient leur bétail de Lemon Creek jusqu'à ce terrain, où les bestiaux paissaient durant l'été. Ils faisaient pousser du foin à Lemon Creek pendant ce temps, puis ramenaient le bétail à Lemon Creek pour l'hiver. Jens, Christian, Noble et Gertrude étaient en outre tenants communs du terrain. Il semble que chacun payait certaines des dépenses relatives au terrain. La déclaration de revenus de Jens concernant la ferme d’élevage indique qu'il a payé des impôts fonciers à l'égard du terrain dont il était propriétaire avec ses deux frères et sa soeur, mais aucun élément de preuve n'indique qu'il a payé un loyer (pièce AR-1, section 13).

[4] Jens Larsen a 57 ans. Il vit près de Slocan, exploite une ferme et travaille pour une entreprise de l'industrie forestière. Son frère Christian a 51 ans et vit tout près. Christian travaille à temps plein comme conducteur de chargeuse pour la Slocan Forest Products. Leur soeur, Gertrude, et leur frère Noble ont dans la cinquantaine eux aussi. Ils vivent respectivement en Alberta et dans l'Utah. Jens et Christian avaient directement intérêt à poursuivre l'entreprise consistant à utiliser le terrain comme pâturage pour l'été. L'engagement de Gertrude et de Noble à l'égard de ce bien tenait à leurs intérêts comme tenants communs. Jens a témoigné que la famille avait décidé de vendre les droits de coupe principalement pour permettre à Gertrude de vendre l’intérêt qu'elle détenait sur le terrain. Jens ne pouvait payer sa soeur autrement. L'enlèvement des arbres malades et l'élargissement de la zone de pâturage étaient secondaires par rapport à la vente de l’intérêt détenu par Gertrude. Les trois frères et la soeur détenaient l'ensemble du terrain comme tenants communs et, d'après la lettre de Gertrude en date du 21 janvier 1991 (pièce AR-1, section 2), ils étaient responsables à parts égales « des dettes contractées à l'égard de la ferme » .

[5] Jens a témoigné que Gertrude avait toujours voulu vendre l’intérêt détenait sur le terrain. Toutefois, d'après la preuve, c'est par suite de la lettre du 21 janvier 1991 que Jens s'était rendu compte que Gertrude allait vendre, et il avait alors dû prendre des dispositions pour acheter. Il n'a pas témoigné que l'un ou l'autre de ses frères entendait qu'il en aille autrement après la lettre du 21 janvier 1991. À partir du 21 janvier 1991, on a agi en se fondant sur le fait que Gertrude allait vendre son intérêt sur le terrain et que Jens allait acheter l'ensemble ou une partie de cet intérêt.

[6] En 1991, Jens avait obtenu l'évaluation du terrain, laquelle ne faisait pas état de la valeur du bois qui s’y trouvait. Il a témoigné qu'il savait à ce moment qu'il pourrait vendre le bois pour payer Gertrude. Jamais il n'a obtenu d'offres ou une évaluation du bois en 1991, mais il estimait que le bois valait environ 400 000 $ à cette époque. En 1994, Jens estimait que le bois valait 500 000 $. Au cours de cette période, il prenait seulement en compte les arbres d'un diamètre de 12 pouces ou plus à la base. Cependant, Gertrude et Noble insistaient pour que soient vendus les arbres d'un diamètre de 10 pouces ou plus, car ils considéraient que ce serait renoncer à une valeur trop importante que de couper uniquement les arbres d'un diamètre de 12 pouces ou plus. Cette divergence était réglée au moment de la signature des contrats. On a coupé les arbres d'un diamètre de 10 pouces ou plus.

[7] En 1994, Jens estimait que le prix courant du bois était bon. Il avait décidé de vendre les droits de coupe. Au printemps, il avait sollicité des offres d'achat de ces droits auprès de quatre entreprises et avait accepté l'offre la plus élevée, soit 70 $ le mètre cube. La Cour conclut que, ce faisant, Jens agissait pour les quatre Larsen.

[8] Jens avait obtenu des avis professionnels en vue de vendre les droits de coupe pour une somme forfaitaire, de manière à éviter une imposition sur la base du revenu (pièce AR-1, section 3). Les conventions des frères et de la soeur avec la C.P.S. Investments Inc. (pièce AR-1, sections 4 et 5) ont toutes les deux été signées le 28 juillet 1994. La convention figurant à la section 4 indique que des arbres d'un diamètre de 10 pouces ou plus ont été vendus pour une somme forfaitaire de 350 000 $ et fait état d'un calendrier de paiement. La convention figurant à la section 5 indique un prix de 70 $ le mètre cube et énonce que le montant de 350 000 $ mentionné dans la convention de la section 4 se fonde sur 5 000 mètres cubes à 70 $ chacun. Les paiements étaient faits à mesure que le bois était enlevé du terrain.

[9] La convention décrite à la section 4 avait initialement été rédigée en fonction d'un montant forfaitaire de 350 000 $ fondé sur la position de Jens voulant que l'on coupe des arbres d'un diamètre de 12 pouces ou plus. Il avait été convenu que les arbres devaient être coupés et enlevés au cours de la période allant du 12 juillet au 31 décembre 1994. La coupe était terminée au 31 décembre 1994, mais le dernier chargement n'a été transporté que le 18 janvier 1995, soit à peu près la date du dernier paiement.

[10] M. Jeakins a témoigné qu'il est préférable et plus juste de vendre le bois en contrepartie d’un prix au mètre cube que d’une somme forfaitaire. Lors du contre-interrogatoire, il a admis qu'il est légal en Colombie-Britannique de vendre l'ensemble des arbres d'un terrain privé pour une somme forfaitaire et que ces types de ventes ont lieu sur des terrains privés. Il a témoigné que les bûcherons s'en tirent habituellement mieux dans le cas d'une vente pour une somme forfaitaire, car ils sont plus aptes que le propriétaire à évaluer correctement la quantité de bois vendable se trouvant sur le terrain du propriétaire.

[11] M. Jeakins a témoigné que, par rapport à l'estimation d'un forestier d'expérience effectuant l'inventaire, l'écart total de production pouvait être d'environ 30 p. 100. Il a également témoigné que le propriétaire du bois serait probablement le perdant dans cette estimation. Selon le principe de la juste valeur marchande, le vendeur, par exemple Gertrude, veut obtenir le meilleur prix, et l'acheteur, par exemple Jens, veut payer le prix le plus bas. C'est évidemment ce que Jens visait lorsqu’il a essayé — sans succès toutefois — de limiter la coupe aux arbres d'un diamètre de 12 pouces ou plus. Jens n'avait toutefois pas les moyens d'acheter une part quelconque de l’intérêt de Gertrude sans le produit de la vente du bois. Dans cette mesure, il avait également avantage à obtenir le meilleur prix des droits de coupe.

[12] La Cour conclut que les trois frères et la soeur, y compris Jens, s'étaient fixé comme objectif commun de vendre les droits de coupe pour que Gertrude puisse vendre son intérêt sur le terrain au meilleur prix. Pour acheter, Jens devait payer ce prix et n'avait pas l'argent nécessaire. Son revenu d'exploitation agricole ou salaire n'était pas assez élevé pour justifier une hypothèque sur le terrain. Gertrude connaissait la valeur des arbres poussant sur le terrain et tenait à la réalisation d'une telle valeur dans le cadre de son prix de vente. Que ce soit du point de vue de l'acheteur ou de celui du vendeur, les arbres poussant sur un terrain représentent une partie de la juste valeur marchande de ce terrain. Pour que Jens conserve son propre intérêt sur le terrain et continue d'y exploiter une ferme, il lui fallait acheter la part de Gertrude. Il voulait conserver son intérêt sur le terrain et continuer d'y exploiter une ferme. Pour ces motifs, la Cour conclut que le seul but de Jens en vendant les droits de coupe en 1994 était de permettre la vente de l’intérêt de Gertrude à Jens. Dans l'affaire Lemieux v. The Queen, 73 DTC 5428 (C.F., 1re inst.), un agent immobilier avait acheté une terre agricole le 18 août 1966 et avait vendu la maison de ferme le 31 mars 1967. Le contribuable avait conservé une grande partie du terrain. Le 22 juillet 1968, le contribuable avait vendu à l'acheteur initial une partie du terrain adjacent à la maison de ferme. Le ministre avait imposé le profit réalisé sur ces ventes comme revenu. En se prononçant en faveur du contribuable, le juge Pratte, de la section de première instance de la Cour fédérale, déclarait à la page 5429 :

[TRADUCTION]

Bien que la demanderesse ait vendu la maison et une partie de son terrain le 31 mars 1967, ce n'était que pour régler un conflit familial. L'époux de la demanderesse, dont les ressources financières étaient limitées, ne pouvait accepter que sa femme soit propriétaire d'une maison de campagne dont il ne pouvait payer lui-même les frais.

Dans la présente espèce, il s'agissait d'une vente isolée de droits de coupe devant être effectuée à un endroit et dans un délai précis. La quantité de bois devant être enlevée dépendait du terrain où se trouvaient les arbres et du diamètre des arbres. Les contrats de vente des droits de coupe n'imposent pas une quantité minimale ou maximale de production à la C.P.S. Investments Inc. Cette dernière a simplement un délai à respecter aux fins de la réalisation de son profit à prendre.

[13] C'était la première fois qu'on exploitait les arbres du terrain. L'entreprise de Jens était une exploitation agricole et non une exploitation forestière. La vente du profit à prendre représentait une opération isolée visant à permettre à Gertrude de réaliser la valeur intégrale de son bien en immobilisation, y compris ses droits de coupe, et à permettre à Jens d'acheter. La sollicitation d'offres, par Jens, visait à obtenir le meilleur prix possible de la vente du profit à prendre, de manière à maximiser la valeur du terrain. Il n'y avait pas d'usage ou de production de nature continue aux fins de la vente de Gertrude. La vente du profit à prendre augmentait bel et bien la valeur du terrain aux fins de l'exploitation agricole. Toutefois, cette augmentation de valeur était marginale et accessoire par rapport à l'ensemble de l'opération.

[14] L'alinéa 12(1)g) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

[...]

g) les sommes que le contribuable a reçues au cours de l'année en fonction de l'usage d'un bien ou de la production en découlant, qu'elles aient été ou non versées en acompte sur le prix de vente du bien (un acompte sur le prix de vente d'un fonds de terre servant à l'agriculture n'est toutefois pas inclus en vertu du présent alinéa);

(L'italique est de moi.)

Cet alinéa a été examiné dans un contexte semblable à celui de l'espèce par le juge Kempo, de notre cour, puis par le juge Strayer, de la section de première instance de la Cour fédérale, qui ont tous les deux statué en faveur de la partie appelante. Dans l'affaire The Queen v. Mel-Bar Ranches Ltd., 89 DTC 5189, le juge Strayer déclarait, aux pages 5191 et 5192 :

[...] Il s'agissait d'un contrat unique relatif à l'enlèvement du bois à un endroit et dans un délai précis. Il était parfaitement raisonnable que le prix payé par l'acheteur, et reçu par la défenderesse, soit relié à la quantité de bois utilisable effectivement coupé et enlevé pour réaliser l'objectif que constituait l'enlèvement du bois. [...] J'estime que, lors de la rédaction de la clause 1, tous les intéressés s'entendaient pour penser qu'il y avait environ 25 500 tonnes (bois) de billes qui pouvaient et devaient être enlevées de l'endroit indiqué dans le contrat. Vu la difficulté d'évaluer très exactement la quantité de bois disponible, il fut décidé d'un prix à la tonne (bois) effectivement coupée. Cependant, c'est l'objectif consistant à faire enlever de l'endroit indiqué tout le bois utilisable, dans le délai spécifié, qui est toujours ressorti le plus clairement. Que la défenderesse ait réalisé quelques profits, certainement bienvenus, tout en faisant déboiser son terrain pour le rendre apte au pâturage ne fait pas de ces profits des revenus "qui dépendai[en]t de l'usage ou de la production de biens", selon mon interprétation de la jurisprudence.

Conformément à la décision rendue par le juge Strayer et pour les mêmes raisons, je considère que le montant reçu par Jens pour la vente du profit à prendre n'était pas fonction de l'usage d'un bien ou de la production en découlant au sens de l'alinéa 12(1)g) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En outre, les frères et la soeur avaient hérité du terrain et du bois de leur père, qui s'en était servi de la même manière que Jens et Christian, soit comme terre agricole, à des fins d'exploitation agricole. Jens a témoigné que, lorsqu'ils allaient chercher le troupeau sur le terrain afin de le ramener à Lemon Creek pour l'hiver, ils épandaient du foin frais dans le pré pour attirer le bétail hors du bois et du secteur avoisinant. Les bêtes s'abritaient dans le bois lorsqu'elles n'étaient pas au pâturage. Les frères et la soeur ont continué d'utiliser le terrain de la même manière que leur père, et ce, aux fins de l'entreprise agricole exploitée par Jens et Christian comme associés.

[15] Dans le cas de Jens, la réalisation du produit de la vente du bois selon un plan d'abattage des arbres d'un diamètre d'au moins 10 pouces n'était pas ce qu'il voulait. Il tentait de limiter la vente du bois aux arbres d'un diamètre d'au moins 12 pouces, de sorte que le terrain acheté à Gertrude comprenne de plus gros arbres. Ainsi, une partie du produit allant à Jens peut avoir été bienvenue, mais n'était pas voulue. Elle était voulue par Noble et Gertrude.

[16] Jens, ses frères et sa soeur ont vendu un profit à prendre à la C.P.S. Investments Inc. en lui accordant « [...] un droit d'enlever du bois des propriétés » (pièce AR-1, section 4, page 1). Dans l'affaire La Reine (C.-B.) c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533, aux pages 540 et 541, Mme le juge Wilson donne des détails sur le concept de profit à prendre (appelé « droit d'extraction » ). Elle dit :

Avant d'aborder l'analyse détaillée des lois applicables, il est nécessaire, je crois, d'étudier plus spécialement la nature du droit réel immobilier des intimés. Je crois que le juge en chambre a peut-être commis une erreur en considérant que les intimés avaient deux droits immobiliers distincts—les claims miniers et le droit d'accès à la surface dans le but de les mettre en valeur—et en qualifiant ce dernier droit de droit d'extraction. Il a été décidé que le propriétaire d'un claim minier avec des droits de superficie accessoires ne pouvait aliéner ce dernier comme s'il s'agissait d'un droit distinct. Ces droits ne sont cessibles qu'en compagnie de la cession du claim minier même; voir In Re Reliance Gold Mining and Milling Co. (1908), 13 B.C.R. 482, par le juge Wilson à la p. 483. J'estime que les intimés détenaient en fait un droit réel immobilier unique de la nature d'un droit d'extraction qui comprenait à la fois les claims miniers et les droits de superficie nécessaires à leur jouissance.

Un droit d'extraction est défini dans le Stroud's Judicial Dictionary (4e éd.), vol. 4, p. 2141 de la façon suivante: [TRADUCTION] « droit conféré à une personne d'accéder au bien-fonds d'une autre personne et de tirer un profit du sol » . Dans le Black's Law Dictionary (5e éd.) il est défini comme ceci: [TRADUCTION] « droit d'utiliser le bien-fonds d'une autre personne, comme le droit d'en extraire des minéraux, lequel droit comporte un droit d'accès et un droit de retirer du sol et d'emporter les produits ou profits désignés; il comporte également le droit de jouir de la surface nécessaire et utile à son exercice » .

Le juge Wells a commenté la nature d'un droit d'extraction dans l'affaire Cherry v. Petch, [1948] O.W.N. 378, à la p. 380:

[TRADUCTION] On a dit qu'un droit d'extraction est le droit de retirer quelque chose du bien-fonds d'une autre personne. On peut le définir avec plus de précision comme le droit d'accéder au bien-fonds d'une autre personne et de tirer certains profits du sol, tels que des minéraux, du pétrole, des pierres, des arbres, du gazon, du poisson ou du gibier, à l'usage du titulaire du droit. Il s'agit d'un droit incorporel et, à la différence d'une servitude, il ne profite pas nécessairement à un fonds dominant, mais il peut être détenu comme un droit en soi et peut en conséquence être cédé et traité comme un bien ayant de la valeur conformément aux règles ordinaires du droit de propriété.

Il est important de souligner que c'est le droit de retirer quelque chose qui permet au titulaire du droit d'extraction d'acquérir la propriété de l'objet retiré. Le titulaire du droit n'est pas propriétaire des minéraux sur place. Ils font partie de la propriété. Ce que le titulaire possède, c'est les claims miniers et le droit de les exploiter par extraction. Cela peut avoir de l'importance pour répondre aux questions suivantes: qu'est-ce que l'expropriation d'un droit d'extraction? Qu'est-ce qu'un préjudice dans le cas d'un droit d'extraction?

On peut posséder des droits d'extraction sans être propriétaire du bien-fonds, c.-à-d. qu'ils peuvent constituer une propriété en soi. En cela, ils diffèrent des servitudes. Par contre, ils peuvent être l'accessoire d'un bien-fonds comme les servitudes le sont, c.-à-d. qu'ils peuvent constituer un droit lié à la propriété du bien-fonds et qui en augmente la jouissance. En l'espèce, les intimés paraissent avoir un droit d'extraction en soi puisqu'ils ne sont propriétaires d'aucun bien-fonds auquel le droit se rapporte.

Le juge Dickson était d'accord avec elle. Les autres membres du groupe de juges de la Cour suprême n'ont pas exprimé de dissidence à l'égard de l'analyse, par Mme le juge Wilson, de la notion de profit à prendre.

[17] Ce qui a été vendu en l'espèce, c'est le pouvoir des frères et de la soeur d'exploiter le bois debout par « extraction » et le droit d'accéder au terrain et d'y enlever le bois dans un délai précis. Dans ce cas-ci, cela constitue un intérêt sur une terre agricole allié à des pouvoirs et privilèges relatifs à cet intérêt. Il s'agit d'une immobilisation. Le produit de la vente du profit à prendre n'était pas un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien pour l'année. Quoi qu'il en soit, les versements effectués entrent dans le cadre de l'exception prévue à l'alinéa 12(1)g), car il s'agit de sommes versées en acompte sur le prix de vente d'un intérêt sur un fonds de terre servant à l'agriculture. Ils ont donné lieu à un gain en capital pour l'appelant en vertu du paragraphe 39(1).

[18] Là-dessus, l'appelant affirme que le gain représente une disposition d'un bien agricole admissible. (Voir les paragraphes 110.6(2) et (3) de la Loi de l'impôt sur le revenu.) L'expression « bien agricole admissible » est définie comme suit au paragraphe 110.6(1) :

[...] l'un des biens suivants appartenant à ce moment donné au particulier [...] ou à une société de personnes dont une participation est une participation dans une société de personnes agricole familiale [...] :

a) un bien immeuble qui a été utilisé [...] :

[...]

(v) soit par une société de personnes dont une participation est une participation dans une société de personnes agricole familiale [du] particulier [...]

(vi) [...]

(B) le bien [...] était utilisé par [... la] société de personnes [...] principalement dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise agricole au Canada tout au long d'une période d'au moins 24 mois pendant laquelle le particulier [...] prenait une part active de façon régulière et continue à l'entreprise agricole dans le cadre de laquelle le bien [...] était utilisé [...]

[19] Selon la définition précitée, Jens était propriétaire d'une participation dans le terrain ou d’un intérêt sur le terrain, y compris le bois debout, en tant que tenant commun. Les bovins de la société de personnes dans laquelle il était associé utilisaient la forêt comme abri au cours des périodes où ils paissaient à cet endroit. C’était la seule utilisation des arbres jusqu'à la vente du profit à prendre. Pour cette raison, l’intérêt de Jens a été utilisé par ce dernier et par Christian dans le cadre de la société de personnes agricole familiale. La vente du profit à prendre, par Jens, correspondait à la vente d'un intérêt sur un bien agricole admissible.

[20] L'appel est admis. La question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. L'appelant se verra adjuger des frais entre parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juillet 1998.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de janvier 1999.

Isabelle Chénard, réviseure

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