Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000128

Dossier: 98-1176-IT-I

ENTRE :

SUZANNE JOLIVET,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel sous le régime de la procédure informelle interjeté à l'encontre d'une cotisation établie à l'égard de l'appelante pour son année d'imposition 1995.

[2] L'appelante a travaillé, du 12 décembre 1994 au 25 mai 1995, comme réceptionniste chez A929 Algoma and District Dental Group 17 sous la supervision du Dr Harvey R. Snider.

[3] Selon l'appelante, elle a été en stage probatoire durant les trois premiers mois. Dans son témoignage, elle a déclaré avoir été victime de violence verbale de la part de son employeur. À l'époque, elle était membre du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et elle a mis un délégué syndical au courant de la situation. Le syndicat lui a conseillé de refuser de parler au Dr Snider dans son bureau à moins qu'un délégué syndical ne soit présent. Selon le témoignage de l'appelante, quand elle a suivi cette recommandation, le Dr Snider l'a licenciée. Son employeur lui a versé la somme de 1 630 $ représentant deux semaines de salaire et sa paie de vacances.

[4] L'appelante a déclaré qu'elle recevait un salaire de 12 $ de l'heure durant son emploi temporaire. Au paragraphe 5(b) de la réponse à l'avis d'appel, l'intimée a émis l'hypothèse que l'appelante avait reçu un salaire de 10 467 $ entre le 1er janvier 1995 et le 26 mai 1995. L'appelante n'a pas contesté cette hypothèse.

[5] Dans son avis d'appel, l'appelante déclare que le délégué syndical lui a recommandé de déposer un grief puisque le Dr Snider “ n'avait aucun motif valable de la licencier et que son congédiement était le fruit de l'arbitraire et du caprice ”. Le délégué syndical et l'avocat de l'employeur ont alors décidé de régler le grief avant qu'il ne soit soumis à un arbitre. L'employeur a offert la somme de 10 000 $ à l'appelante et elle l'a acceptée. Elle a reçu un chèque de 10 000 $ de son employeur en septembre 1995. Dans une lettre qu'il a envoyée au syndicat le 22 septembre 1995, l'avocat de l'employeur déclare que la somme de 10 000 $ représente des dommages-intérêts.

[6] Le 4 octobre 1995, l'appelant a signé une renonciation générale dans laquelle elle a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Je, Suzanne Jolivet, de la province d'Ontario, en contrepartie de l'unique somme de 10 000 $ versée par A929 Algoma and District Dental Group 17, somme dont je me déclare satisfaite et que je reconnais expressément avoir reçue par les présentes, renonce pour toujours, par les présentes, à toute action, cause d'action, poursuite, créance, demande, obligation et réclamation et à tout compte, droits, engagements et contrat, quelle qu'en soit la nature, que j'ai déjà eu, que j'ai, que je peux avoir, pourrais avoir ou aurai peut-être contre le Dr Harvey Snider, quelle qu'en soit la cause ou la raison, y compris, sans que soit limitée la portée générale des présentes, toute action, cause d'action, poursuite, créance, droit et obligation, demandes ou réclamation liée à mon emploi par le Dr Harvey Snider ou à la cessation de mon emploi.

Par les présentes, je déclare et garantis tout particulièrement au renonciataire que je n'ai plus aucune réclamation à faire valoir à son égard en raison de mon emploi par le Dr Harvey Snider ou la cessation de cet emploi, y compris, sans que soit limitée la portée générale des présentes, toute réclamation pour salaire, avis de cessation d'emploi, salaire tenant lieu d'avis de cessation d'emploi, indemnité de départ, dépenses, prime, commissions, rémunération des heures supplémentaires, intérêt, avantages sociaux ou paye de vacances, y compris toute réclamation aux termes du Code canadien du travail, de la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario ou autre loi similaire. Si je présente à l'avenir une réclamation ou une demande ou si je commence ou menace de commencer une action, de présenter une réclamation ou une poursuite contre le renonciataire pour quelque motif que ce soit, le présent document pourra être utilisé comme fin de non recevoir pour empêcher la présentation de toute réclamation, demande, action, poursuite ou plainte.

En outre, je reconnais et comprends que la contrepartie susmentionnée qui m'a été versée comprend toutes les sommes que j'aurai pu avoir le droit de recevoir aux termes du Code canadien du travail, de la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario telle que modifiée ou de toute autre loi pertinente en matière de travail ou de normes d'emploi.

J'ai lu la présente renonciation générale, j'ai eu l'occasion de consulter un avocat indépendant sur ce document et je comprends qu'elle contient une renonciation générale et intégrale à toutes les réclamations que j'ai ou pourrais avoir contre le renonciataire en ce qui concerne mon emploi ou la cessation de mon emploi. Je comprends qu'elle ne contient aucune reconnaissance de responsabilité de la part du renonciataire et que celui-ci nie être responsable.

Toutes les stipulations qui précèdent s'appliqueront au profit du renonciataire, de ses héritiers, de ses exécuteurs, de ses administrateurs, de ses successeurs et de ses ayants droit et devront être respectées par moi, mes héritiers, exécuteurs, administrateurs et ayants droit.

EN FOI DE QUOI, j'ai apposé ma signature sur la présente renonciation générale ce 4e jour d'octobre 1995.

[7] L'appelante a reconnu que si elle n'avait pas signé la renonciation générale elle n'aurait pas reçu la somme de 10 000 $.

[8] Dans le premier relevé T4A préparé par l'employeur, il est indiqué que le paiement de 10 000 $ a été versé à titre de dommages-intérêts pour du salaire. L'appelante a communiqué immédiatement avec le délégué syndical puisqu'elle ne croyait pas que la somme de 10 000 $ constituait un revenu imposable. Elle a par la suite reçu un relevé T4A modifié sur lequel il est indiqué que la somme de 10 000 $ a été versée à titre de “ dommages – règlement ”. L'employeur n'a déduit aucun impôt sur le revenu. L'appelante n'a pas tenu compte de cette somme dans le calcul de son revenu puisque que le délégué syndical lui avait affirmé que la somme était exempte d'impôt. Dans la correspondance échangée en 1997 entre le délégué syndical et l'avocat de l'ancien employeur, il est réitéré que la somme de 10 000 $ a été versée à l'appelante à titre de dommages-intérêts.

[9] Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de l'appelante et ajouté la somme de 10 000 $ à son revenu pour l'année d'imposition 1995 pour le motif qu'elle représentait un revenu provenant d'une allocation de retraite selon le sous-alinéa 56(1)a)(ii) et le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”).

[10] L'appelante prétend que les parties n'ont jamais considéré la somme versée en règlement comme une indemnité de départ ou une allocation de retraite de quelque nature que ce soit. D'après elle, cette somme est beaucoup plus importante que le mois de salaire normalement accordé à titre de dommages-intérêts à la personne licenciée d'un emploi qu'elle occupe depuis six mois. La somme lui a été versée pour éviter l'institution de procédures judiciaires en ce qui concerne le comportement du Dr Snider et la façon dont le licenciement avait été effectué.

[11] L'appelante s'appuie sur le bulletin d'interprétation IT-337R3 – Allocations de retraite, daté du 30 janvier 1998. Au paragraphe 9 de ce bulletin, on trouve des commentaires sur les dommages. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

Ainsi qu'il est décrit au point 2b) ci-dessus, une allocation de retraite comprend une somme reçue à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle soit reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent. Les dommages-intérêts spéciaux, comme ceux reçus pour les salaires ou avantages sociaux perdus (non gagnés), sont imposables soit en vertu du paragraphe 5(1) ou de l'alinéa 6(1)a), si l'employé conserve son emploi ou est rétabli dans ses fonctions, soit à titre d'allocation de retraite, si l'employé perd sa charge ou son emploi. Une somme reçue à titre de dommages-intérêts généraux, c'est-à-dire de dommages pour perte d'estime de soi, humiliation, angoisse, insultes, etc., ou versée conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent, peut être une allocation de retraite si le paiement découle de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi. Toutefois, une somme qu'un tribunal des droits de la personne adjuge à un contribuable à titre de dommages-intérêts généraux n'est normalement pas à inclure dans le revenu. Lorsqu'une perte d'emploi est liée à une violation des droits de la personne et qu'il y a un règlement à l'amiable, une somme raisonnable à l'égard des dommages-intérêts généraux peut être exclue du revenu. La question de savoir ce qui est raisonnable dépend notamment de la somme maximale qui peut être adjugée en vertu de la législation applicable sur les droits de la personne ainsi que de la preuve présentée dans l'affaire. Les dommages ne comprennent pas le remboursement au contribuable de ses frais judiciaires et extrajudiciaires.

[12] Au paragraphe 248(1), une allocation de retraite est définie, entre autres, comme une somme reçue “ à l'égard de ["in respect of"] la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent ”. Si la somme est reçue à l'égard de la perte d'un emploi, alors elle est qualifiée d'allocation de retraite. Dans Nowegijick v. The Queen, 83 DTC 5041, le juge Dickson de la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit à la page 5045 :

The words "in respect of" are, in my opinion, words of the widest possible scope. They import such meanings as "in relation to", "with reference to" or "in connection with". The phrase "in respect of" is probably the widest of any expression intended to convey some connection between two related subject matters.

[13] Dans Anderson v. The Queen, 98 DTC 1190, le juge Rip de la présente cour a dit que pour déterminer si la somme reçue par le contribuable représente une allocation de retraite, les termes “à l'égard de” figurant au paragraphe 248(1) “ commandent que l'on considère une inclusion d'une large portée par rapport à la question de savoir ce qui constitue un lien suffisant entre la perte d'emploi et les sommes reçues ”.

[14] En l'espèce, je conclus que la renonciation générale signée par l'appelante est suffisamment claire et indique que la somme de 10 000 $ a été reçue par l'appelante à l'égard de la perte de son emploi. Elle a admis que si elle n'avait pas signé la renonciation générale elle n'aurait pas reçu la somme. Il m'apparaît aussi clairement que, comme l'a dit le juge Pinard dans Merrins v. M.N.R., 94 DTC 6669 (C.F.1re inst.) “[s']il n'y avait pas eu perte d'emploi, il n'y aurait eu aucun grief, aucun règlement, aucune sentence arbitrale, et, par conséquent, aucun versement de cette somme au demandeur”. Le juge Pinard ajoute :

[...] les mots “à l'égard de” utilisés dans la définition de “allocation de retraite” que donne le paragraphe 248(1) de la Loi, dénote assurément un lien entre la perte de l'emploi du demandeur et le fait qu'il ait, par la suite, reçu les 60 000 $ que lui a versé[...]son ancien employeur.

[15] Le fait que les deux parties aient eu l'intention de qualifier la somme de 10 000 $ de dommages-intérêts ne modifie pas le fait que l'appelante a effectivement reçu cette somme à la suite de la perte de son emploi.

[16] Il est purement hypothétique de dire que, si l'appelante n'avait pas perdu son emploi, elle aurait reçu ce montant. Je puis seulement conclure qu'une telle somme payée à titre de dommages-intérêts est une allocation de retraite parce qu'il existe un lien suffisant entre la réception de la somme et la perte d'emploi. (voir Overin v. M.N.R., 98 DTC 1299).

[17] En outre, je ne puis conclure que les éléments de preuve démontrent que le montant du règlement a été reçu par l'appelante en compensation d'une violation des droits de la personne. La renonciation générale signée par l'appelante prévoit particulièrement qu'il n'y a aucune reconnaissance de responsabilité par l'employeur et que celui-ci nie être responsable. Il m'est donc impossible d'attribuer un montant raisonnable à l'égard des dommages généraux qui auraient été causés par une telle violation des droits de la personne.

[18] Dans les circonstances, je suis d'avis que la somme de 10 000 $ est visée par la définition d'allocation de retraite et qu'elle doit être incluse dans le revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1995 conformément au sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi.

[19] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2000.

“Lucie Lamarre”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour d'août 2000.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.