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Date: 19990609

Dossier: 98-201-IT-G

ENTRE :

LOMAN WAREHOUSING LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre de cotisations établies à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1994 et 1995. La question porte sur la déductibilité par l'appelante d'une créance irrécouvrable de 2 306 163 $ en 1994, conformément à la division 20(1)p)(ii)(A) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La cotisation de 1995 refusant le report d'une perte subie en 1994 est une conséquence de la cotisation établie pour l'année 1994.

Introduction

[2] Les faits sont quelque peu complexes. Je tenterai donc de les simplifier. En peu de mots, l'appelante fait partie d'un vaste groupe de compagnies contrôlées par M. et Mme Julian B. Smith (le “ groupe Smith ”). Pour éviter que chaque compagnie ait à emprunter à la banque, ils ont conclu un “ accord de compensation parallèle ” (“ ACP ”), dont l'objet était de réduire le temps et les frais consacrés à l'administration ainsi que les frais d'intérêt. De façon générale, le taux d'intérêt qu'une banque paie à un client sur l'argent déposé chez elle est inférieur au taux qu'elle réclame sur l'argent prêté à ce client. Ainsi, si un client doit 100 000 $ à la banque, qu'il paie un taux d'intérêt de 6 p. 100 et qu'il a à la banque un dépôt de 40 000 $ qui lui rapporte 4 p. 100, les frais d'emprunt nets (6 000 $ - 1 600 $ = 4 400 $) sont supérieurs à ce qu'ils seraient si les deux comptes étaient combinés (60 000 $ x 0,06 = 3 600 $). Cela, en des termes quelque peu simplistes, est la situation que l'ACP, autrement appelé l'“ accord de centralisation ”, était destiné à éviter.

[3] Le problème est facile à comprendre et sa solution est évidente dans l'exemple que j'ai donné précédemment, où il y a un client et deux comptes bancaires, l'un ayant un solde positif qui rapporte un taux d'intérêt annuel de 4 p. 100 et l'autre, un découvert sur lequel le client paie 6 p. 100 d'intérêt annuellement. La solution évidente consiste à combiner les comptes. Lorsque, cependant, un même groupe est constitué d'une multitude de sociétés, le problème est plus complexe et nécessite une solution plus recherchée à moins, bien entendu, que l'on soit disposé à fusionner les sociétés pour n'en former qu'une seule. Évidemment, cette solution n'a pas trouvé grâce auprès de M. Smith, d'où l'ACP.

Faits

[4] Je vais essayer de résumer les points saillants de l'exposé conjoint des faits et du témoignage de M. Julian B. Smith.

[5] L'exercice de l'appelante, qui a été constituée en société le 30 juin 1992, a pris fin le 30 juin 1994. Le 30 juin 1993 et le 30 juin 1994, M. Smith contrôlait un vaste groupe de sociétés, énumérées dans des annexes jointes à l'exposé conjoint. Parmi elles se trouvait Continental Distributors Ltd. (“ Continental ”), dont M. Smith détenait la totalité des actions, et l'appelante, dont il détenait 70 p. 100 des actions par l'intermédiaire d'une compagnie à numéro.

[6]Crawford Warehouses Inc. (“ CWI ”) faisait elle aussi partie du groupe. Cette compagnie ne figure pas dans les tableaux qui sont annexés à l'exposé conjoint mais, dans celui-ci, les parties ont précisé que CWI faisait partie du groupe Smith et qu'elle avait été constituée en société en vue d'acquérir les éléments d'actif d'une compagnie d'entreposage appelée Johnson Terminals. L'un des plus importants clients de Johnson Terminals était Proctor & Gamble Inc. qui, contre toute attente, a quitté les lieux après que les éléments d'actif de Johnson Terminals eurent été acquis par CWI, laissant cette dernière avec un grand immeuble inoccupé et coûteux. C'est pour cette raison que CWI a éprouvé les difficultés financières qui ont mené à la déduction des créances irrécouvrables en cause en l'espèce.

L'ACP

[7] Depuis 1985, le groupe Smith a conclu une série d'ACP avec la Banque de l'Ouest et du Pacifique du Canada (qui semble avoir changé de nom à un moment donné et qui s'appelle maintenant la Banque Canadienne de l'Ouest) (la “ Banque ”). L'accord qui s'applique aux appels en l'instance est daté du 17 mars 1993. Il a été conclu entre la Banque et 13 compagnies du groupe Smith, dont Continental, CWI et l'appelante, toutes désignées dans l'accord comme la “ cliente ”.

[8] L'accord prévoyait trois types de comptes :

des comptes désignés pour chaque cliente;

des comptes de compensation pour chaque compte désigné;

un compte commun qui devait être au nom de Continental, décrite comme la “ cliente principale ”.

[9] Le 20 avril 1993, la Banque a offert de prêter, à Continental, le montant total de 3 300 000 $ à titre de fonds d'exploitation, de fonds de roulement et de facilité relative à la location à bail. Le remboursement des prêts était garanti par les autres compagnies parties à l'ACP daté du 17 mars 1993.

[10] Les paragraphes 4, 5, 6, 7 et 8 de l'ACP sont libellés dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

COMPTE DÉSIGNÉ PRINCIPAL

Les clientes et la Banque conviennent que la cliente principale désignera un compte comme étant le “ compte désigné principal ” dans l'annexe A du présent accord, que la Banque créditera de tout montant dû à la cliente principale par la Banque aux termes du présent accord et que la Banque débitera de tout montant dû à la Banque par la cliente principale aux termes du présent accord.

GROUPEMENT DES SOLDES

Chaque jour à la fermeture des bureaux, la Banque détermine le solde final de clôture rajusté de chaque compte désigné et transfère le solde de chacun de ces comptes, qu'il s'agisse d'un solde négatif ou d'un solde positif, dans le compte commun en effectuant une compensation entre le compte désigné, son compte de compensation applicable et le compte commun.

LIMITES DE CRÉDIT

La cliente fait en sorte qu'en tout temps le solde débiteur net du compte commun n'excède pas la limite de crédit prévue à l'accord telle qu'elle est énoncée à l'annexe A du présent accord, et les clientes conviennent que la Banque peut refuser d'accepter tout retrait sur un compte désigné qui aurait pour effet de porter le solde du compte en question au-delà de la limite de crédit autorisée pour le compte telle qu'elle est énoncée à l'annexe A du présent accord ou qui, de l'avis de la Banque, aurait pour effet de faire excéder la limite de crédit prévue à l'accord telle qu'elle est énoncée à l'annexe A du présent accord.

SOLDES DÉBITEURS

Si, à un moment ou à un autre, le compte commun affiche un solde débiteur net, le montant applicable constitue une dette de la cliente principale, qui doit payer à la Banque l'intérêt sur cette dette au taux et selon les modalités prévus à l'annexe A du présent accord.

FONCTIONNEMENT DES COMPTES

La cliente reconnaît que le transfert des soldes du compte désigné au moyen d'un compte de compensation signifie qu'aucune écriture ne sera faite par la Banque, relativement aux transferts en question, dans les relevés du compte désigné applicable, et que les relevés de chaque compte désigné demeureront intacts à des fins de consignation seulement.

La cliente reconnaît que, exception faite de ce qui est prévu dans le présent accord, les comptes désignés de la cliente continuent d'être utilisés comme des comptes distincts de la cliente conformément à la pratique normale de la Banque qui régit de tels comptes, et que rien dans l'accord ne peut modifier les autres accords ou arrangements conclus entre les clientes et la Banque, ni les autres droits que la Banque peut détenir légalement en ce qui concerne les prêts, les dépôts ou toute autre question bancaire.

[11] Les paragraphes 23 à 33 de l'exposé conjoint exposent clairement le fonctionnement de l'ACP. Il ne servirait à rien que je tente de résumer, en utilisant mes propres termes, le fonctionnement de l'accord. Il suffit de reproduire les paragraphes en question :

[TRADUCTION]

Mis à part les fonds avancés aux termes de l'ACP de 1993 ou d'autres accords de compensation parallèle semblables, certaines compagnies du groupe Smith avançaient à l'occasion des fonds à d'autres compagnies du groupe à des fins précises. En conséquence, chaque compagnie avait un solde positif ou négatif net au sein du groupe (les “ soldes ne faisant pas l'objet d'une compensation parallèle ”).

En outre, chaque compagnie du groupe Smith partie à un accord de compensation parallèle avait un solde positif ou négatif dans son compte désigné avec la Banque, chaque jour à la fermeture des bureaux (les “ soldes faisant l'objet d'une compensation parallèle ”).

Du fait des accords de compensation parallèle (dont l'ACP de 1993) en vigueur pendant les périodes pertinentes, le groupe Smith a pris part à une entente bancaire centrale. Aux termes de cette entente, des soldes positifs et négatifs ont été transférés du compte désigné de chaque compagnie du groupe, au moyen d'un compte de compensation, à un compte commun, chaque jour à la fermeture des bureaux. Chaque compagnie ayant un solde négatif pouvait utiliser les fonds du compte commun pour porter son solde à zéro. Si les fonds du compte commun étaient insuffisants pour permettre à chaque compagnie ayant un solde négatif de porter son solde à zéro, le groupe utilisait sa marge de crédit à la Banque dans la mesure nécessaire pour porter les comptes négatifs à zéro.

Aux termes des accords de compensation parallèle, le groupe Smith a accepté que le transfert des soldes des comptes désignés dans le compte commun au moyen des comptes de compensation ne soient pas consignés par la Banque dans les comptes désignés, et que les relevés des comptes désignés demeurent intacts à des fins de consignation seulement.

Les tableaux suivants fournissent un exemple simple du fonctionnement de l'ACP de 1993 :

Création de comptes désignés en vertu de l'ACP de 1993

Un compte désigné est créé pour chaque compagnie ainsi qu'un compte désigné principal pour Continental. Dans le tableau no 1, le crédit de la compagnie A s'élève à 100, celui de Loman, à 200, CWI a un découvert de 200, la compagnie D, un découvert de 500, et Continental a un crédit de 1 000.

Tableau no 1

Compagnie Smith

Compte désigné principal

Compte désigné

Compte de compensation

Compte commun

A

+100

Loman

+200

CWI

- 200

D

- 500

Continental

+1 000

Transfert dans les comptes de compensation

Ainsi que le montre le tableau no 2, à la fermeture des bureaux chaque jour, l'argent est soit :

retiré du compte de compensation et déposé dans le compte désigné, ce qui laisse un solde de zéro dans le compte désigné et un solde négatif dans le compte de compensation (voir, p. ex., CWI et la compagnie D);

retiré du compte désigné et déposé dans le compte de compensation, ce qui laisse un solde de zéro dans le compte désigné et un solde positif dans le compte de compensation (voir, p. ex., la compagnie A, Loman et Continental) :

Tableau no 2

Compagnie

Compte désigné principal

Compte désigné

Compte de compensation

Compte commun

A

+100

- 100

0

+100

Loman

+200

- 200

0

+200

CWI

- 200

+200

0

- 200

D

- 500

+500

0

- 500

Continental

+1 000

- 1 000

0

+1 000

Transfert dans le compte de centralisation

30. Ainsi que le montre le tableau no 3, simultanément, le même processus s'applique aux comptes de compensation pour transférer le solde dans le compte commun :

Tableau no 3

Compagnie

Compte désigné principal

Compte désigné

Compte de compensation

Compte commun

A

+100

- 100

0

+100

- 100

0

+100

+200

- 200

- 500

+1 000

+600

Loman

+200

- 200

0

+200

- 200

0

CWI

- 200

+200

0

- 200

+200

0

D

- 500

+500

0

- 500

+500

0

Continental

+1 000

- 1 000

0

+1 000

- 1 000

0

Total

0

0

0

31. La Banque payait un intérêt sur le solde positif du compte commun à la fermeture des bureaux une journée donnée (dans cet exemple, la Banque payait un intérêt sur le montant de 600 $).

Si le solde du compte commun était négatif à la fermeture des bureaux un jour donné, le groupe Smith devait puiser un montant égal, pour ce jour, dans sa marge de crédit avec la Banque pour porter le solde négatif du compte commun à zéro. Le groupe Smith devait alors à la Banque l'intérêt sur le montant puisé dans la marge de crédit pour ce jour-là.

Chaque mois d'un exercice, la pratique du groupe Smith consistait, pour chaque compagnie du groupe, à ajouter les soldes positifs ou négatifs ne faisant pas l'objet d'une compensation parallèle aux soldes positifs ou négatifs faisant l'objet d'une compensation parallèle pour arriver à un solde des prêts net pour le mois donné. Le groupe réclamait ensuite des frais d'intérêt ou calculait le revenu d'intérêt pour chaque membre du groupe en fonction de son solde des prêts net pour le mois. Le groupe Smith ne séparait pas l'intérêt gagné ou payé sur les soldes ne faisant pas l'objet d'une compensation parallèle de l'intérêt gagné ou payé sur les soldes faisant l'objet d'une compensation parallèle.

[12] En conséquence, les frais d'emprunt du groupe dans son ensemble étaient réduits en retranchant effectivement les soldes positifs et négatifs des prêts nets dans le compte désigné individuel de chaque société partie à l'ACP.

[13] Au cours des années d'imposition 1993 et 1994, l'appelante a avancé à CWI qui, ainsi qu'il est mentionné précédemment, éprouvait des difficultés financières du fait de la perte de son locataire principal, Procter & Gamble Inc., un montant total de 2 306 163 $ par l'entremise du compte commun. Apparemment, une partie de ces fonds ont été avancés même après le départ de Procter & Gamble Inc. On pourrait se demander pourquoi l'appelante a continué à avancer de l'argent alors qu'elle savait que CWI éprouvait des difficultés, mais il avait été déterminé que tout le groupe subirait un préjudice s'il laissait un de ses membres faire faillite. C'était une décision de gestion et elle doit être respectée.

[14] En 1993 et 1994, CWI a payé à l'appelante des intérêts de 42 543 $ et de 182 749 $ respectivement. CWI a déduit les intérêts accumulés sur le solde de ses emprunts nets et l'appelante a inclus dans son revenu les intérêts gagnés sur les soldes de ses prêts nets.

[15] Le 30 juin 1994, l'appelante a exigé que CWI lui rembourse 2 369 239 $. Le montant était irrécouvrable dans l'année d'imposition 1994 de l'appelante, et il ne lui a pas été remboursé par CWI. L'appelante a déduit 2 369 269 $ en vertu de l'alinéa 20(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est concédé que le chiffre exact est plutôt 2 306 163 $.

[16] Les parties conviennent que les questions à trancher sont les suivantes :

[TRADUCTION]

l'avance de 2 306 163 $ de Loman à CWI mentionnée au paragraphe 38 était-elle un “ prêt ou un titre de crédit ” aux fins du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la “ Loi ”)?

si l'avance était un prêt ou un titre de crédit, l'activité d'entreprise habituelle de Loman consistait-elle en tout ou en partie à prêter de l'argent?

si l'avance était un prêt ou un titre de crédit et que l'activité d'entreprise habituelle de Loman consistait en tout ou en partie à prêter de l'argent, Loman a-t-elle consenti ou acquis le prêt ou titre de crédit en question dans le cours normal des activités de son entreprise de prêt d'argent?

[17] L'alinéa 20(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu applicable en 1994 est libellé dans les termes suivants :

Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien.

Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

Créances irrécouvrables — le total des montants suivants :

[...]

les montants représentant chacun la partie du coût amorti, pour le contribuable à la fin de l'année, d'un prêt ou d'un titre de crédit (sauf un bien évalué à la valeur du marché, au sens du paragraphe 142.2(1)) que le contribuable a établie, au cours de l'année, comme étant devenue irrécouvrable, lequel prêt ou titre, selon le cas :

si le contribuable est un assureur ou si son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent, a été consenti ou acquis dans le cours normal des activités de son entreprise d'assurance ou de prêt d'argent,

si le contribuable est une institution financière au sens du paragraphe 142.2(1) au cours de l'année, compte parmi ses titres de créance déterminés au sens de ce paragraphe;

[18] L'appelante ne fait pas valoir que l'avance était un titre de crédit. L'avocat a soutenu que c'était un prêt. En outre, les parties conviennent que l'activité d'entreprise de l'appelante était exclusivement l'entreposage et les services qui s'y rattachent et que, pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelante n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent.

[19] Ayant admis qu'elle n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent, l'appelante soutient toutefois que son “ activité d'entreprise habituelle consist[ait] en tout ou en partie à prêter de l'argent ” et que le prêt a été “ consenti ou acquis dans le cours normal des activités de son entreprise [...] de prêt d'argent ”.

[20] Il est admis que le montant est devenu irrécouvrable en 1994. Dans l'affaire Whitland Construction Company Limited v. The Queen, 99 DTC 33, le juge Teskey a énoncé les quatre conditions auxquelles il doit être satisfait pour permettre une déduction aux termes de l'alinéa 20(1)p). Seulement trois de ces conditions sont en cause en l'espèce puisqu'il a été admis que le montant en question était irrécouvrable.

[21] L'avance de 2 306 163 $ était-elle un prêt? L'avocate de l'intimée soutient que l'avance n'était pas un prêt, mais une avance entre sociétés. Elle souligne le fait qu'il n'y avait aucune entente de prêt ni résolution, billet à ordre ou autre document de garantie jugé nécessaire pour établir l'existence en droit d'un prêt par opposition à un arrangement conclu entre des entités liées.

[22] Je conviens qu'un prêt et une avance ne sont pas toujours synonymes, mais lorsqu'une avance est faite et que les deux parties s'entendent sur l'existence d'une obligation de rembourser cette avance sur demande ou à une date prédéterminée, l'avance devient un prêt. L'absence de documents officiels n'est pas fatale, ni l'absence d'une obligation de payer de l'intérêt. En l'espèce, cependant, le paiement d'intérêt vient étayer l'existence d'une obligation implicite de rembourser les montants, et la pratique, parmi les compagnies faisant partie du groupe, consistant à rembourser les avances, confirme que les montants avancés entre les parties à l'ACP étaient des prêts.

[23] L'avocate a mentionné l'affaire Andersen Inc. v. T.D. Bank (1994) 14 B.L.R. (2d) 1 (C.A. Ont.). Cette affaire confirme l'authenticité commerciale de telles ententes de compensation parallèles et la réalité des avances faites entre les compagnies. Dans ce sens, elle vient appuyer dans une certaine mesure la thèse de l'appelante.

[24] La question de savoir si l'activité d'entreprise habituelle de l'appelante consistait en tout ou en partie à prêter de l'argent est plus délicate. Il est vrai que la participation à un ACP donnait lieu à une nécessaire relation d'affaires pour des motifs commerciaux judicieux. Chaque partie à l'ACP dont le solde était positif était automatiquement obligée d'avancer de l'argent à celles dont le solde était inférieur à zéro. Dans un sens, on pourrait dire que les ententes bancaires d'un contribuable ainsi que les ententes administratives qu'il conclut sont des éléments nécessaires de l'exploitation de son entreprise. Cela est confirmé dans des affaires comme Boulangerie St-Augustin Inc. v. The Queen, 95 DTC 164, conf. par 97 DTC 5012 (C.A.F.), ou Beauchamp v. Woolworth Plc., [1990] 1 A.C. 478 (C.L.). Néanmoins, je n'aurais pas cru que l'on pût affirmer que le fait de consentir des prêts à d'autres compagnies d'un même groupe fait partie de l'activité d'entreprise habituelle d'une compagnie d'entreposage. J'affirme cela pour plusieurs raisons.

[25] L'expression “ son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent ” nécessite que l'on détermine exactement ce qu'est l'“ activité d'entreprise habituelle ” du contribuable. En l'espèce, l'activité d'entreprise habituelle de l'appelante est l'entreposage et non le prêt d'argent à d'autres compagnies du groupe. Il faut donner un sens au terme “ habituelle ”. Il suppose que l'entreprise de prêt d'argent est l'une des sources de revenu de la compagnie dans le cours ordinaire de ses activités commerciales. Il suppose également que le prêt d'argent peut être caractérisé comme une entreprise. Je conviens que la participation à l'ACP, aux termes duquel une compagnie du groupe, selon qu'elle a un solde positif ou un solde négatif un jour donné, peut prêter ou emprunter des fonds, est un élément accessoire de son entreprise. Par son argument, l'appelante assimile l'expression “ son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent ” aux termes “ son activité d'entreprise consiste de façon accessoire à prêter de l'argent ”. Je ne crois pas que ces deux expressions englobent la même notion.

[26] Cette conclusion est étayée par les derniers mots de la division 20(1)p)(ii)(A) :

[...] consenti ou acquis dans le cours normal des activités de son entreprise [...] de prêt d'argent,

[La version anglaise de cet extrait était libellée dans les termes suivants :]

[...] made or acquired in the ordinary course of the taxpayer's business of [...] the lending of money.

[27] Il est admis que l'appelante n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent. Comment alors peut-on affirmer que le prêt d'argent faisait partie de son activité d'entreprise habituelle ou même que les prêts étaient consentis “ dans le cours normal [de ses] activités [...] de prêt d'argent ”?

[28] Il est clair que le contribuable doit exploiter une entreprise de prêt d'argent. Compte tenu de la preuve, je ne peux tirer une telle conclusion en l'espèce.

[29] Je suis renforcé dans mon opinion à cet égard par l'analyse faite par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bastion Management Limited v. The Queen, 95 DTC 5238, sur la distinction entre l'expression “ in the ordinary course of the business ” [“ dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise ”] et l'expression “ in the ordinary course of business ” [“ dans le cours normal des affaires ”]. À la page 5242, le juge Linden a écrit ceci :

L'expression utilisée est “dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise ” [“ in the ordinary course of the business ”], et non “ dans le cours normal des affaires ” [“ in the ordinary course of business ”]. Cela veut dire que l'entreprise en cause est celle du contribuable, et non quelque organisation commerciale abstraite. Logiquement, les mots “ l'entreprise ” tels qu'ils sont employés à l'alinéa 20(1)gg), ne peuvent se rapporter qu'à l'entreprise du contribuable qui se fonde sur la disposition pour calculer son revenu.

[30] Je remarque que, dans le texte antérieur de la version anglaise de l'alinéa 20(1)p), on utilise l'expression “ in the ordinary course of business ”.

[31] Certes, le prêt a pu avoir été consenti “ dans le cours normal des affaires ” dans le sens où l'ACP est un élément accessoire de l'entreprise de l'appelante, mais on ne peut dire qu'il a été consenti dans le cours normal des activités de prêt d'argent de l'entreprise de l'appelante. L'appelante n'exploitait pas une telle entreprise.

[32] Les appels sont rejetés avec frais.

Signé à Toronto, Canada, ce 9e jour de juin 1999.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de mars 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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