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Date: 19991006

Dossiers: 98-205-IT-G; 98-206-IT-G

ENTRE :

GIULIA TODESCO, GIULIA TODESCO, REPRÉSENTANTE SUCCESSORALE DE LA SUCCESSION DE DANILO TODESCO,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] Les appelants interjettent appel contre les cotisations d'impôt établies à l'égard de l'année d'imposition 1992 dans lesquelles le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que pas plus qu'un demi-hectare du terrain sur lequel était construite la résidence des appelants était nécessaire à l'usage de l'immeuble comme résidence par les appelants.

LA QUESTION EN LITIGE

[2] La valeur de l'immeuble n'est pas en litige. Il s'agit seulement de déterminer si c'est à bon droit que le ministre a établi une cotisation à l'égard des appelants en partant du principe que le terrain excédant un demi-hectare ne faisait pas partie de la résidence principale parce qu'il n'était pas nécessaire à l'usage du logement comme résidence par les appelants.

LES FAITS

[3] Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits dont les paragraphes pertinents aux présents appels sont ainsi rédigés :

[TRADUCTION]

1. Le ou vers le 13 janvier 1976, Danilo Todesco (décédé) et Guilia Todesco (“ M. et Mme Todesco ”) ont conclu une convention de vente (la “ convention de vente ”) et ont accepté d'acheter pour le prix de 290 000 $ l'immeuble situé au 375, av. Inglewood, à West Vancouver, Colombie-Britannique (l'“ immeuble ”). La description cadastrale de l'immeuble est la suivante :

Le quart sud-ouest

du lot de district no 1074,

Groupe 1, district de New Westminster

2. Une copie de la convention de vente est annexée sous l'onglet 1.

3. La convention de vente a été modifiée par la suite pour tenir compte de changements dans les taux d'intérêts et les modalités de paiement.

4. Vers le mois de mai 1991, le titre en fief simple de l'immeuble a été transféré à M. et Mme Todesco comme tenants conjoints. Le transfert a été inscrit au bureau d'enregistrement des droits immobiliers le 30 mai 1991. Une copie de l'acte de transfert est annexée sous l'onglet 2.

5. L'immeuble avait une superficie de 1,138 hectares (ou 2,813 acres) et comprenait une maison unifamiliale (le “ logement ”). Sur la copie du plan annexée sous l'onglet 3 le périmètre de l'immeuble est démarqué en rouge.

6. M. et Mme Todesco ont résidé dans le logement de 1976 jusqu'à ce que l'immeuble soit vendu en 1992.

7. En juin 1991, M. et Mme Todesco ont subdivisé l'immeuble en deux lots. Un des lots avait une superficie de 0,275 acre (le “ petit lot ”) et l'autre, sur lequel le logement était situé, 2,538 acres (le “grand lot ”). Sur la copie du plan annexée sous l'onglet 4 le périmètre du petit lot est démarqué en jaune.

8. La nouvelle adresse du petit lot était le 371, av. Inglewood, West Vancouver, Colombie-Britannique, le grand lot a conservé celle du 375, av. Inglewood, West Vancouver, Colombie-Britannique.

9. Le ou vers le 5 juin 1992, M. et Mme Todesco ont vendu le petit lot à des promoteurs pour 220 000 $. Une copie de l'état des rajustements du vendeur est annexée sous l'onglet 5.

10. Le ou vers le 14 août 1992, M. et Mme Todesco ont vendu le grand lot aux mêmes promoteurs pour 1 200 000 $. Une copie de l'état des rajustements du vendeur est annexée sous l'onglet 6.

11. Le logement a été enlevé et toute la parcelle subdivisée (le petit et le grand lot) en 8 parcelles. La copie du plan annexée sous l'onglet 7 montre le périmètre de l'immeuble démarqué en rouge ainsi que la subdivision en 8 parcelles.

12. Entre la date où M. et Mme Todesco ont conclu la convention de vente en janvier 1976 jusqu'à et incluant celle à laquelle ils ont vendu l'immeuble en 1992, l'immeuble était zoné RS-3 (maisons unifamiliales, zone 3), et la superficie minimale de lot permise par la ville de West Vancouver était de 12 000 pieds carrés.

13. L'immeuble pouvait être subdivisé légalement quand M. et Mme Todesco ont initialement conclu la convention de vente en janvier 1976, quand ils l'ont vendu en 1992 et durant toute la période entre ces deux dates.

[...]

15. M. Todesco est décédé le 3 août 1995.

[4] L'annexe A jointe aux présents motifs montre l'immeuble au 375, av. Inglewood sur lequel le logement était construit ainsi que la superficie des biens-fonds dans le voisinage immédiat.

[5] L'annexe B jointe aux présents motifs montre ce qui restait de l'immeuble au 375, av. Inglewood après la subdivision ainsi que la petite parcelle sur laquelle les mots “ Parcelle subdivisée ” ont été inscrits.

[6] En plus de l'exposé conjoint partiel des faits dont elle est saisie, la Cour a entendu les témoignages de Giulia Todesco (“ Giulia ”), de sa fille, Sonia Sadin (“ Sonia ”), et de son seul fils, Sergio Bill Todesco (“ Sergio ”).

[7] Leurs témoignages n'ont pas été contestés et ont établi que la petite maison construite sur l'immeuble lors de l'achat a été rénovée de fonds en comble et que d'importants travaux d'agrandissement ont transformé la modeste résidence en une grande maison luxueuse dotée d'une piscine intérieure.

[8] Il ressort également des témoignages que dès le début la famille s'est continuellement servi de toute la parcelle de terrain à des fins récréatives. Les enfants des appelants y prenaient leurs ébats ou les membres de la famille s'assoyaient pour contempler ce qui selon Giulia et son mari constituait un paysage agréable et reposant. Quant aux trois enfants, ils considéraient le bien-fonds comme leur terrain de jeu particulier où tous les enfants du voisinage venaient les rencontrer pour jouer. Ils jouaient sur le terrain et allaient pêcher dans un vaste étang. Ils élevaient de nombreux animaux tels que des oies, des canards, des lapins, des paons et d'autres oiseaux ainsi que deux chiens.

[9] En 1989, l'appelante et son mari ont tenté de vendre l'immeuble mais n'ont pas réussi.

[10] En 1991, il a été décidé d'effectuer une parcellisation du terrain pour des raisons financières, mais il ne s'est pas vendu. En 1992, un promoteur a acheté la petite parcelle à la condition qu'il puisse acheter la grande parcelle qui restait. Les deux ventes ont été conclues en 1992. Le promoteur qui avait acheté l'immeuble a enlevé la maison et subdivisé toute la parcelle de terrain comme l'indique l'annexe C.

[11] Giulia et son mari maintenant décédé n'avaient pas projeté comme tel de mettre le bien-fonds en valeur mais il avait été question que les trois enfants y construiraient leur maison. Pour ce faire, il aurait fallu sans doute effectuer trois subdivisions.

ANALYSE

[12] L'expression “ résidence principale ” est définie à l'article 54 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), et pour trancher le litige en l'espèce il faut tenir compte de l'alinéa e) de cet article qui, en résumé, est ainsi libellé :

e) la résidence principale d'un contribuable pour une année d'imposition est réputée comprendre [...] le fonds de terre sous-jacent au logement ainsi que la partie du fonds de terre adjacent qu'il est raisonnable de considérer comme facilitant l'usage du logement comme résidence; toutefois, dans le cas où la superficie totale du fonds de terre sous-jacent et de cette partie excède un demi-hectare, l'excédent n'est réputé faciliter l'usage du logement comme résidence que si le contribuable établit qu'il était nécessaire à cet usage;

À la lecture de cette disposition, il ressort que l'on peut se trouver devant deux situations.

[13] Dans le premier cas, la superficie de la parcelle de terrain est inférieure à un demi-hectare, et le critère à appliquer consiste à déterminer la partie du fonds de terre adjacent “ qu'il est raisonnable de considérer comme facilitant l'usage du logement comme résidence ”.

[14] Dans le second cas, la superficie du fonds de terre adjacent excède un demi-hectare. Selon l'alinéa e), la partie du terrain qui excède un demi-hectare n'est réputée faciliter l'usage du logement comme résidence que si le contribuable établit qu'elle était nécessaire à cet usage.

[15] Les parties m'ont renvoyé à plusieurs décisions que je vais tenter de résumer en suivant l'ordre chronologique.

[16] Dans l'affaire The Queen v. Yates, 83 DTC 5158, le juge Mahoney, de la Section de première instance de la Cour fédérale, devait se prononcer sur le cas de contribuables qui avaient construit un logement sur une parcelle de 10 acres, la superficie résidentielle minimale permise selon le zonage. Le juge Mahoney a statué que, puisque les contribuables n'auraient pas pu légalement occuper leur logement à titre de résidence sur une superficie inférieure à 10 acres, la partie qui excédait une acre (selon le libellé de l'article à l'époque) était nécessaire à l'usage. Il a dit à la page 5159 :

À mon avis, il faut prendre en considération la période qui a précédé la disposition. Il se peut qu'un critère subjectif, tel que la contribution du fonds de terre contigu à l'usage et à la jouissance par le contribuable de son logement à titre de résidence, soit acceptable. Les facteurs dont on tient compte habituellement pour appliquer le paragraphe 24 (6) de la Loi sur l'expropriation pourraient éventuellement être pris en considération dans les circonstances appropriées. Cependant, qu'il y ait lieu ou non d'appliquer un critère subjectif, il faut certainement appliquer un critère objectif et si, dans ce cas, on juge que le contribuable s'est acquitté du fardeau de la preuve, il devient inutile de prendre en considération le critère subjectif.

[17] La décision suivante est celle que mon collègue le juge Taylor a rendue dans Rudeloff v. M.N.R., 84 DTC 1548. Dans cette affaire, le contribuable avait vendu sa résidence principale et les 10 acres adjacentes. Selon les règlements de zonage pertinents, il fallait que les lots aient une superficie d'au moins cinq acres. Il a constaté que le contribuable avait utilisé l'excédent de terrain pour élever ses cinq enfants, que la famille y avait fait de l'équitation, etc. Il a dit à la page 5149 :

Je suis persuadé que les dix acres "facilitaient au contribuable l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence" (alinéa 54g) de la Loi, S.C. 1970-71-72, c. 63 modifiée), mais l'appelant doit établir que l'excédent en cause était "nécessaire à cet usage et à cette jouissance". Je me reporte à trois jugements rendus à ce sujet : Donald Fraser c. Le ministre du Revenu national, 83 DTC 448; Sa Majesté la Reine c. William Yates, 83 DTC 5158; Elmo B. Baird c. Le ministre du Revenu national, 83 DTC 582.

Dans les affaires Yates et Baird (précitées), il y avait eu parcellement du terrain principal avec (d'après les arguments des appelants) vente d'une partie de la "résidence principale" originale et conservation d'une autre partie de celle-ci qui continuait cependant d'être appelée "résidence principale". Étant donné cette distinction, je ne pense pas que les décisions Yates ou Baird (précitées) puissent être intégralement suivies en l'espèce. M. Rudeloff n'a pas loti son terrain à la date critique, comme dans ces décisions. Si l'on veut faire une comparaison, ce doit être avec Fraser (précité), les phrases capitales sont les suivantes (pages 452 et 453) :

" J'aimerais aussi souligner que la Loi est parfaitement claire : la résidence principale est le logement et seulement le logement; ce qui est ajouté constitue apparemment un compromis en faveur de ce qui est pratique et raisonnable.

(. . .)

La famille pouvait sûrement demeurer dans la maison sans jamais mettre les pieds dans le jardin ou le terrain de jeu.

(. . .)

Il faut que le surplus de terrain en litige soit indispensable, dans sa relation directe, aux caractéristiques résidentielles du logement, et non seulement par son utilité et sa valeur pour les habitants de celui-ci."

Je ne suis pas convaincu que la disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu applicable en l'espèce permette l'argument du contribuable, à savoir qu'il peut étendre les limites de son logement aux paramètres du domaine naturel qu'il entend faire reconnaître au simple motif qu'il occupe un logement situé sur le terrain et utilise le reste du terrain d'une manière ou d'une autre, pour accroître l'utilité et le plaisir que lui procure ce style de vie.

[18] La décision suivante est celle de mon collègue le juge Bonner dans Watson et al. v. M.N.R., 85 DTC 270. Dans cette affaire, mon collègue a examiné la définition de la Loi ainsi que l'utilisation projetée des terrains adjacents excédentaires et il a dit à la page 271 :

La thèse voulant que le fonds de terre adjacent fût nécessaire, eu égard à l'utilisation projetée de la propriété, ne tient pas compte de la définition de la Loi. Il faut prouver que l'excédent de terrain est nécessaire à l'usage et à la jouissance de la maison "à titre de résidence". La définition ne peut être traitée comme si les termes "à titre de résidence" n'avaient aucun sens. À cet égard, je me reporte à l'affaire Betty Madsen c. le Ministre du Revenu national.

[19] Un mois après le prononcé de la décision dans Watson, le juge Christie, alors juge en chef adjoint, a rendu une décision dans Rode et al. v. M.N.R. 85 DTC 272. Dans cette affaire, les contribuables avaient acheté un terrain de 9,3 acres et y avaient établi leur logement. Ils utilisaient l'excédent de terrain pour cultiver leur nourriture et menaient un style de vie autarcique. Le juge Christie a dit aux pages 273, 274 et 275 :

L'alinéa 54g) de la Loi définit la "résidence principale" d'un contribuable pour une année d'imposition. Il prévoit que la résidence principale située sur un terrain d'une acre ou plus (maintenant un demi-hectare) est formée du fonds de terre sur lequel repose le logement et de toute partie d'un fonds de terre contigu qui peut raisonnablement être considéré comme facilitant au contribuable l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence. Par conséquent, la superficie qu'occupe une résidence principale varie selon les circonstances. J'estime également que le critère à appliquer pour déterminer cette superficie n'est pas rigide, compte tenu surtout des mots soulignés, si le contribuable ne prétend pas que le fonds de terre sur lequel repose sa résidence principale et qui est contigu à celle-ci dépasse une acre. Dans ce cas, nous devons accorder un poids considérable à toute preuve plausible favorable à l'appelant, qui peut raisonnablement être considérée comme le genre d'aide décrit ci-dessus. Par contre, si celui-ci affirme que les limites de sa résidence principale dépassent une acre, il doit s'acquitter d'un fardeau sensiblement différent et beaucoup plus lourd. Dans ce cas-là, la loi prévoit que l'excédent est réputé ne pas lui avoir facilité l'usage et la jouissance du logement considéré comme résidence, à moins qu'il ne prouve que cet excédent était nécessaire à cet usage et à cette jouissance. Les mots soulignés sont essentiels. Le terme "réputé" figurant à l'alinéa 54g) entraîne cette conséquence. Même si un appelant établit clairement que la partie du terrain qui excède une acre lui a en fait grandement facilité l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence, ce fait ne lui est d'aucune utilité en raison de la loi, à moins qu'il ne prouve que cet excédent était nécessaire. Par conséquent, pour réussir à établir que sa résidence principale excède une acre, il doit prouver que l'excédent était "nécessaire" à l'usage et à la jouissance du logement en tant que résidence. À mon sens, cette exigence considérée dans son contexte prescrit l'application d'un critère rigoureux pour déterminer la superficie d'une résidence principale. J'estime également que ce qui constitue une résidence principale doit être déterminé en entier au moyen de critères objectifs et non subjectifs. Le fait de juger un litige portant sur les limites d'une résidence principale d'après une preuve fondée uniquement sur les impressions de l'une des parties à l'instance me semble soulever un grave problème d'équité, même si je sais bien que l'expression "facilitant au contribuable [...] la jouissance [...]" contenue à l'alinéa 54g) incite à appliquer un critère subjectif à cet égard.

Le législateur a juxtaposé deux éléments qui s'opposent. Premièrement, il a prévu une disposition pour déterminer l'étendue de terrains de dimensions variables qui peuvent constituer la résidence principale des contribuables si ceux-ci réussissent à prouver que les dimensions alléguées sont exactes en remplissant un critère non rigide. Cette règle s'applique à un fonds de terre ayant des lignes de démarcation fixes qui ne doivent pas dépasser une acre. Deuxièmement, il a prévu une disposition pour déterminer l'étendue de terrains de dimensions variables pouvant constituer la résidence principale des contribuables, qui ont plus d'une acre et qui n'ont pas de limites extérieures fixes. J'estime qu'à cet égard, le législateur a eu l'intention de rendre très difficile la tâche de justifier une ligne de démarcation supérieure à une acre et le processus visant à l'étendre au-delà de cette limite. C'est ce qui résulte de l'insertion du mot "nécessaire" utilisé pour déterminer les dimensions des terrains de plus d'une acre. L'Oxford English Dictionary définit, entre autres, le mot "nécessaire" (necessary) comme (TRADUCTION) "indispensable, requis, essentiel, utile, dont on ne peut se passer". De ces définitions, je crois que c'est l'expression (TRADUCTION) "dont on ne peut se passer" qui illustre le mieux les exigences qu'un contribuable doit remplir pour prouver que sa résidence principale peut, à juste titre, être considérée comme occupant une superficie supérieure à une acre. À mon sens, la façon appropriée de décider de ces appels est de procéder à un examen objectif de tous les faits pertinents présentés en preuve, qui existaient immédiatement avant la vente du bien immeuble, et, à la lumière de ceux-ci, de répondre à la question suivante : d'après la prépondérance des probabilités, les appelants ont-ils établi que sans le terrain qui, selon eux, constitue le fonds de terre sur lequel repose le logement et qui est contigu à celui-ci, ils n'auraient pu vraiment se servir et jouir du logement comme résidence? J'utilise l'expression "immédiatement avant la vente" parce qu'"il faut prendre en considération la période qui a précédé la disposition" (La Reine c. Yates, 83 DTC 5158, page 5159). Selon la jurisprudence, les particularités d'ordre juridique que comporte un terrain peuvent déterminer ou non l'étendue du terrain sur lequel repose une résidence principale. À titre d'exemple, citons Yates (précitée) et Watson et autres c. M.R.N.* Dans Yates, les contribuables avaient acheté un terrain vacant de 10 acres sur lequel ils avaient construit une maison. Il s'agissait de la superficie minimale imposée par les règlements de zonage. Comme le juge Mahoney l'a mentionné à la page 5159, la conséquence de ces règlements était que "les défendeurs ne pouvaient légalement occuper leur logement à titre de résidence sur une superficie inférieure à dix acres." (Souligné par mes soins) Le juge a ajouté ce qui suit :

"Il s'ensuit non seulement que l'on "peut raisonnablement" considérer que l'ensemble des dix acres, sous-jacents et contigus, facilite au contribuable l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence, mais aussi qu'il faut conclure en ce sens. Il s'ensuit également que l'excédent était nécessaire à cet usage et à cette jouissance."

Dans Watson, le juge Bonner a déclaré ce qui suit :

(TRADUCTION)

"M. Watson a déclaré que le bien immeuble ne pouvait être divisé tant lorsqu'il l'a acheté que lorsqu'il en a été exproprié. Je présume qu'il faisait allusion à l'interdiction contenue au paragraphe 29 (2) de la Loi sur l'aménagement du territoire*, R.S.O. 1970, chap. 349. Son argument était, semble-t-il, que pour utiliser la maison et, en particulier, y avoir accès, le terrain tout entier était nécessaire, car il n'était pas possible de céder la maison et la bande de terrain nécessaire pour l'entrée de garage sans, en même temps, céder le reste du terrain. À mon sens, la définition de l'expression "résidence principale" figurant à l'alinéa 54g) est telle que les considérations relatives à ce qui peut être légalement et effectivement cédé ne sont pas pertinentes. Aux termes de l'alinéa 54g) de la Loi de l'impôt sur le revenu, la superficie du terrain qui facilite l'usage et la jouissance d'un logement n'est pas liée à ce qui peut être légalement acheté et revendu.

* Traduction officielle publiée par le ministère du Procureur général de l'Ontario"

L'essentiel de la thèse des appelants est qu'en raison du mode de vie particulier qu'ils ont choisi de mener pendant qu'ils résidaient sur le bien immeuble, leur résidence principale, aux fins de l'alinéa 54g) de la Loi, comprenait 9,3 acres lorsqu'ils l'ont vendue, en 1977, et non une acre, comme l'intimé l'a allégué. Bien entendu, le mode de vie des appelants était parfaitement acceptable, certains diraient recommandable, mais il ne les a pas favorisés sur le plan fiscal lors de la vente du bien immeuble. D'après la preuve produite, ils n'ont pas réussi à établir qu'il faut répondre par l'affirmative à la seconde question qui a été posée précédemment.

[20] Dans Cox et al. v. M.N.R., 85 DTC 320, le contribuable exploitait un vivier sur le terrain, et le juge en chef adjoint Christie, après avoir examiné cet alinéa de la Loi, a dit ce qui suit :

Le réservoir ou vivier pouvait fort bien faciliter l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence, mais il ne satisfait pas au critère de la nécessité énoncé dans Rode.

[21] En 1986, la Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement que le juge Mahoney avait rendu dans l'affaire Yates (précitée).

[22] La décision suivante est celle que le juge Strayer, qui était alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a rendue dans Fourt v. The Queen, [1991] 2 C.T.C. 311. Dans cette affaire, le contribuable possédait deux lots adjacents, sa résidence principale étant située sur un lot et son parterre, son stationnement et ses autres bâtiments secondaires sur l'autre. Le contribuable avait vendu le lot secondaire. Les deux lots ensemble avaient une superficie de moins d'un demi-hectare. Le juge Strayer a accueilli l'appel et dit à la page 314 :

Le mot “raisonnable” suppose un critère objectif quelconque, en ce sens que la Cour n'est pas obligée d'accepter les vues les plus extravagantes ou fantasques du contribuable sur la façon dont le fonds de terre adjacent facilite l'usage ou la jouissance de sa résidence. Mais lorsqu'il existe, comme en l'espèce, des éléments de preuve dignes de foi concernant l'usage et la jouissance que le contribuable a effectivement faits du fonds de terre adjacent relativement à sa maison, on doit accorder beaucoup de valeur à ces éléments de preuve pour déterminer s'il est raisonnable de considérer que ce fonds de terre a facilité au contribuable l'usage et la jouissance de sa résidence. [Dans la décision Rode c. M.R.N., supra, note 2, à la page 274, le juge Christie, juge en chef adjoint de la Cour de l'impôt, a fait une remarque semblable, bien qu'à titre incident.] Ce n'est ni aux fonctionnaires du ministère du Revenu national, ni aux tribunaux qu'il appartient de juger le style de vie que choisissent les contribuables. Nous devons résister à la tentation de rejeter trop volontiers le choix qu'a fait le contribuable au sujet de ce qui facilite l'usage et la jouissance de sa résidence tout simplement parce que d'autres personnes pourraient exercer des choix différents; en particulier, nous n'avons pas le droit de repousser la prétention du contribuable suivant laquelle un fonds de terre donné lui a facilité l'usage et la jouissance de sa résidence, au simple motif qu'à notre avis, ce fonds de terre n'était pas nécessaire à cet usage et à cette jouissance. Ce dernier critère ne vaut que dans le cas de la disposition d'une superficie de plus d'un demi hectare.

[23] La Cour d'appel fédérale a examiné la vente d'un immeuble de 8,99 acres dans Augart v. The Queen, 93 DTC 5205. Le juge Robertson, aux motifs duquel a souscrit le juge Heald, a statué que la décision relative à la superficie de terrain réputée constituer la résidence principale ne devrait pas être fondée sur l'application mécanique d'un seul critère comme celui de la superficie minimum au moment de l'aliénation.

[24] Le juge Linden, dans ses motifs dissidents, a conclu que le juge en chef adjoint Christie, dans l'arrêt Rode (précité) avait bien résumé l'effet de l'alinéa 54g) de la Loi. Il a ajouté à la page 5211 :

L'exception prévue à l'alinéa 54g) ne vise que les cas où l'excédent de terre au-delà d'une acre est nécessaire à l'usage et à la jouissance du logement à titre de résidence. L'exemple donné à ce sujet par l'avocat de la Couronne est celui où une superficie de plus d'une acre était nécessaire vu l'aménagement d'une allée carrossable d'accès à la maison. Un autre exemple donné est celui de la maison bâtie à flanc de coteau, qui avait besoin de plus d'une acre pour avoir une fondation solide. Il y a certainement de nombreux autres cas semblables.

Un autre cas illustré par la jurisprudence est celui où un règlement municipal fait qu'il est impossible d'occuper une résidence sur une parcelle de moins d'une acre. Dans La Reine c. Yates, 83 DTC 5158 (C.F. 1re inst.), confirmée 86 DTC 6296 (C.A.F.), [...]

[25] Dans l'arrêt Carlile v. The Queen, 95 DTC 5483, une décision partagée rendue deux ans plus tard, la Cour d'appel fédérale s'est de nouveau penchée sur cette question. Les motifs de la juge Desjardins, auxquels a souscrit le juge MacGuigan, sont correctement résumés dans la note qui est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

Arrêt : L'appel du contribuable a été accueilli. Le contribuable qui fait valoir que le terrain excédant le demi-hectare (une acre) sous-jacent à sa résidence principale est sa résidence principale doit en prouver la nécessité. Selon la jurisprudence, cette tâche s'avère “ difficile ”. Une façon de faire la démonstration consiste à recourir à ce que l'on reconnaît être un critère objectif. Si, à l'application du critère objectif, un fonds de terre ne se révèle pas visé par la définition de “ résidence principale ”, il pourrait le devenir par application du critère subjectif. En l'espèce, le contribuable répondait au critère objectif non seulement du fait que son terrain devait avoir une superficie minimale de 25 acres mais aussi en ce qui concerne le reste puisque l'autorité locale n'aurait pas autorisé un parcellement de son terrain entre les 25 acres et le reste. Elle n'était pas par conséquent tenue de payer d'impôt sur le gain en capital à l'égard de toute sa parcelle de terrain, En conséquence, il a été ordonné au ministre d'établir une nouvelle cotisation.

La juge dit à la page 5484 :

Le contribuable qui considère être sa résidence principale la partie du fonds de terre supérieure à un demi-hectare (une acre) sous-jacent à sa résidence principale doit en prouver la nécessité. Il a le fardeau de démontrer que cet excédent est nécessaire à l'usage et à la jouissance du logement considéré comme résidence.

[26] La juge Desjardins s'est dite d'accord avec la décision rendue par le juge Christie dans l'affaire Rode (précitée), quand elle a ajouté :

Selon la jurisprudence, cette tâche s'avère “difficile”4. Une façon de démontrer que l'excédent d'une acre est nécessaire à l'usage et à la jouissance du logement considéré comme résidence, consiste à recourir à ce que l'on reconnaît être un critère objectif. Si, à l'application du critère objectif, un fonds de terre ne se révèle pas visé par la définition de “résidence principale”, il pourrait le devenir par application du critère subjectif.

[27] Le juge McDonald, dissident, cite également la décision rendue par le juge Christie dans Rode. Le juge McDonald n'est pas d'accord avec la décision rendue par le juge Mahoney dans l'affaire Yates (précitée).

[28] Depuis l'affaire Carlile, la Cour canadienne de l'impôt a examiné cette disposition dans Sendher v. The Queen, [1998] 1 C.T.C. 2709 et dans Rowe v. The Queen, [1998] 4 C.T.C. 2859. Aucune de ces décisions n'est très utile en l'espèce.

[29] Selon cette jurisprudence, je ne crois pas que l'utilisation à des fins récréatives ou celle en fonction du style de vie soit comprise dans le libellé de la définition et particulièrement dans les mots suivants :

qu'il est raisonnable de considérer comme facilitant l'usage du logement comme résidence;

[30] S'il était possible d'établir qu'un fonds de terre est visé par la définition de “ résidence principale ” par l'application de critères tels que l'utilisation à des fins récréatives ou celle en fonction du style de vie, un contribuable pourrait prétendre que son ranch de 1000 acres dans les piémonts, sur lequel il chasse et pêche et où, de son fauteuil sur le portique avant de la maison, il peut admirer le magnifique paysage, facilite l'usage du logement comme résidence.

[31] En l'espèce, Giulia et son mari décédé ont acquis cette grande parcelle de terrain parce qu'ils désiraient adopter un style de vie similaire à celui que le mari avait connu en Italie. Il voulait que les membres de sa famille et leurs amis utilisent le terrain excédentaire pour leur propre plaisir et recherchait un endroit où il pourrait s'asseoir et admirer le paysage.

[32] Ceci étant dit, je ne crois pas que l'utilisation de cet excédent de terrain était nécessaire à l'usage de la maison comme résidence. Grâce au vaste terrain, Giulia, son mari et leurs enfants ont été en mesure d'exercer le style de vie qu'ils désiraient mais ce style de vie n'était pas nécessaire à l'utilisation de leur maison comme résidence.

[33] Selon moi, les cas où du terrain excédentaire sert à aménager une allée carrossable d'accès à la maison ou un étang d'eaux usées de 2 hectares pour l'évacuation des effluents d'une vaste maison avec de nombreuses pièces constituent des exemples où l'excédent de terrain est nécessaire à l'usage de la maison comme résidence.

[34] Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens. L'intimée ne pourra cependant réclamer qu'un seul mémoire de frais d'avocat pour l'audience.

Signé à Calgary (Alberta), ce 6e jour d'octobre 1999.

“ Gordon Teskey ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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