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Date: 20000128

Dossier: 98-704-IT-I

ENTRE :

ROYAL WAYNE MOTEL LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Prononcés à l'audience à Calgary (Alberta), le mardi 30 mars 1999)

Le juge Margeson, C.C. I.

[1] La Cour rend maintenant sa décision dans l'affaire Royal Wayne Motel Ltd. et Sa majesté la Reine, numéro de dossier 98-704(IT)I.

[2] Les parties s'entendent pour dire que le litige porte uniquement sur l'année 1993, c'est-à-dire, sur la cotisation établie pour l'année 1993. Dans la réponse à l'avis d'appel, il est fait mention des années 1993, 1994 et 1995, mais au début de l'audience les parties ont accepté que la Cour ne se penche que sur l'année 1993. La seule question en litige en ce qui concerne 1993 est celle de la valeur de l'immeuble en cause au jour de l'évaluation.

[3] Dans la réponse à l'avis d'appel, le ministre a prétendu que l'immeuble avait une valeur réelle de 27 000 $ au jour de l'évaluation, et c'est la valeur qu'il a retenue lors de l'établissement de la cotisation à l'égard de l'appelante en l'espèce.

[4] Dans la présente affaire, comme il arrive la plupart du temps dans les cas où il s'agit d'une évaluation, les parties ont des intérêts opposés. Il y a des rapports d'évaluation contradictoires. Malheureusement pour l'appelante en l'espèce, le rapport d'évaluation qu'elle a présenté à la Cour a été admis en preuve avec des restrictions importantes.

[5] Au début de l'audience, l'appelante a indiqué que M. Eagleson d'Eagleson Property Appraisals Limited, l'évaluateur qui avait rédigé le rapport, n'était pas présent pour être contre-interrogé. En outre, l'appelante n'avait pas, comme les règles de la Cour canadienne de l'impôt l'exigent, déposé le rapport de l'expert au greffe dans le délai prescrit ni fait parvenir une copie du rapport à l'autre partie.

[6] Malgré ces lacunes, il a été convenu que le rapport d'évaluation serait admis en preuve, mais que la Cour lui accorderait le poids jugé approprié et tiendrait compte du fait que l'évaluateur lui-même n'était pas là pour être contre-interrogé par l'avocate de l'intimée. Dans une cause telle que celle-ci, l'impossibilité de contre-interroger l'évaluateur revêt une très grande importance.

[7] Il est important que les auteurs des rapports d'évaluation soient présents pour qu'ils puissent être contre-interrogés. M. Ben Chow, l'évaluateur du ministre, est présent. Il est ici pour témoigner concernant son rapport, pour être mis sur la sellette, pour ainsi dire, et pour essayer de répondre à toutes les questions qui lui seront posées sur ce rapport. Voilà qui crée pour l'appelante un problème important.

[8] Deux rapports d'évaluation indiquant des valeurs qui divergent sensiblement l'une de l'autre ont été présentés à la Cour. Selon M. Chow, l'immeuble avait une juste valeur marchande de 20 000 $ le jour de l'évaluation tandis que d'après le rapport fait par Eagleson Property Appraisals Limited pour M. Adderson, l'immeuble valait 69 000 $. La différence est considérable.

[9] La Cour doit déterminer quelle était la valeur réelle de l'immeuble. Elle ne dispose toutefois d'aucun élément de preuve qui lui permettrait de simplement retenir la moyenne des deux valeurs. Pour ce faire, il faudrait qu'il y ait des éléments de preuve sur lesquels la Cour pourrait se fonder pour conclure que le rapport de M. Chow est erroné, que le rapport déposé pour le compte de l'appelante l'est également et que la valeur réelle se situe entre les deux estimations.

[10] Il pourrait en être ainsi si la Cour était convaincue que l'appelante s'était acquittée de l'obligation de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la cotisation du ministre est erronée. C'est là le fardeau très particulier qui incombe toujours à la partie appelante.

[11] Dans son argumentation, l'avocate de l'intimée a dit qu'il s'agissait de déterminer la valeur de l'immeuble au 31 décembre 1971, soit le jour de l'évaluation. La question qui se pose est de savoir si l'appelante a fourni des éléments de preuve qui réfutent l'hypothèse du ministre dont il est fait état dans la réponse à l'avis d'appel et selon laquelle la valeur de l'immeuble excédait 27 000 $, la valeur que le ministre a retenue pour établir la cotisation.

[12] Aujourd'hui le ministre adopte la position selon laquelle l'immeuble valait 27 000 $ le jour de l'évaluation même si dans son rapport M. Chow en fixe la valeur à 20 000 $.

[13] La Cour est convaincue en l'espèce qu'elle a reçu une explication satisfaisante de la différence entre le rapport préliminaire dont le ministre s'est peut-être servi pour établir la cotisation—qui a joué d'ailleurs en faveur de l'appelante—et le rapport de l'évaluateur, M. Chow, sur lequel l'intimée s'appuie aujourd'hui et selon lequel l'immeuble valait 20 000 $ au jour de l'évaluation. La Cour est convaincue que la différence a été expliquée.

[14] L'évaluation préliminaire a été effectuée en vue de l'établissement d'une cotisation par le ministre. Il semble que cette évaluation ait été trop généreuse, mais il ne s'agit pas d'une évaluation détaillée. Elle n'a pas été faite en vue d'un litige. Il n'a pas été démontré que cette évaluation préliminaire est exacte et que celle de M. Chow est erronée. La Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui fait naître un doute sur le rapport de M. Chow.

[15] L'avocate de l'intimée a fait valoir que la Cour devrait conclure que l'immeuble valait 27 000 $ le jour de l'évaluation. L'avocate a dit que la Cour devrait accorder très peu de poids au rapport d'évaluation de l'appelante selon lequel, au jour de l'évaluation, la valeur de l'immeuble était de beaucoup supérieure à celle de 20 000 $ fixée par M. Chow et à celle de 27 000 $ utilisée par le ministre pour établir la cotisation.

[16] Le rapport de l'appelante a été admis en preuve avec certaines restrictions. L'auteur du rapport n'était pas présent et ne pouvait être contre-interrogé. Par contre, M. Chow, lors de sa présence à la barre, a été interrogé précisément sur le rapport de l'appelante et, selon la Cour, il a pu dans une très large mesure faire ressortir des éléments qui rendraient ce rapport peu fiable.

[17] La Cour se fie beaucoup au rapport d'évaluation de M. Chow étant donné la minutie apportée à la préparation du document et compte tenu des ventes d'immeubles comparables qu'il a analysées. La Cour est convaincue qu'il a employé la bonne méthode d'évaluation dans les circonstances. La Cour ne peut conclure que le rapport de M. Chow présente des lacunes.

[18] Dans son témoignage, M. Chow a mis en doute le rapport de M. Eagleson, et la Cour est prête à accepter une partie de ce témoignage. Par exemple, M. Chow a indiqué qu'à la page 14, certains attributs physiques des immeubles comparables décrits par M. Eagleson n'étaient pas identiques à ceux de l'immeuble de l'appelante. Les attributs physiques des immeubles comparables étaient supérieurs à ceux que possédait l'immeuble de l'appelante.

[19] M. Chow n'était pas en mesure de confirmer les ventes d'immeubles comparables inscrites dans le rapport de l'évaluateur de l'appelante. Il a dit que la conclusion selon laquelle l'immeuble en cause valait 69 000 $ ne pouvait être justifiée par aucune méthode acceptable utilisée par l'évaluateur. Ce chiffre représentait seulement une moyenne. L'évaluateur n'avait pas tenu compte de certains rajustements devant nécessairement être faits. Les hypothèses sur lesquelles le rapport était fondé comportaient des lacunes. M. Eagleson a surévalué la densité permise dans le cas de la propriété en cause; la densité permise était en fait plus faible.

[20] Les ventes d'immeubles comparables analysées par l'évaluateur de l'appelante n'ont pas été conclues après le jour de l'évaluation. Normalement, ces prix de vente auraient nécessairement été plus élevés qu'ils ne l'auraient été le jour de l'évaluation du fait que le marché de l'immobilier était alors à la hausse. En conséquence, les ventes d'immeubles comparables analysées par l'évaluateur de l'appelant n'étaient pas appropriées.

[21] Étant donné la nature des descriptions et le fait qu'il n'avait pas été en mesure de confirmer que les ventes avaient eu lieu ni de déterminer la date des ventes ou les prix de vente, M. Chow n'a pu dire lesquelles des ventes de propriétés comparables avaient été conclues après 1971.

[22] M. Chow, a témoigné que l'évaluateur de l'appelante avait de toute évidence conclu qu'il était permis de construire des habitations multifamiliales sur ce lot alors que, selon M. Chow, ce n'était pas le cas. C'était illégal.

[23] M. Chow a ajouté qu'il n'y avait en 1978 aucune demande pour cette propriété qui ferait que les chiffres utilisés seraient raisonnables ou que la vente de la propriété à ce prix-là serait considérée comme faisable. Il faut que la mise en valeur soit faisable, qu'elle soit matériellement possible. Tout emplacement peut être mis en valeur, mais, pour que le projet soit faisable, il ne suffit pas que l'emplacement puisse être mis en valeur, il faut aussi que sa mise en valeur soit faisable. En 1971, la mise en valeur de la propriété en cause n'était pas faisable. Parmi tous les critères qui sont normalement utilisés pour estimer la valeur d'un bien-fonds, l'évaluateur de l'appelante n'en a utilisé que trois. L'évaluateur de l'appelante n'a pas employé les trois derniers critères figurant à la page 21 du rapport de M. Chow.

[24] L'évaluateur de l'appelante s'est fondé sur des hypothèses qui comportaient des lacunes et des erreurs. Il n'était pas raisonnable d'estimer la valeur de la propriété à 69 000 $. La valeur estimée par M. Chow est raisonnable. Il a admis que Revenu Canada avait utilisé une valeur de 27 000 $ et il a expliqué pourquoi.

[25] La Cour a déjà conclu que ce facteur n'était pas très important en l'espèce. Selon les explications de M. Chow, moins de temps aurait été consacré à l'évaluation préliminaire, qui n'était pas destinée à être utilisée en cour, qu'à la rédaction de son rapport, qui devait être utilisé en cour. Il savait qu'il allait être contre-interrogé. Il connaissait le type de questions auxquelles il devrait répondre. Il s'est donc préparé de façon détaillée.

[26] Le représentant de l'appelante a contre-interrogé M. Chow d'une façon adéquate, il n'y a pas de doute là-dessus. M. Chow a témoigné d'une grande expertise en allant au fond de certaines des questions en litige. La Cour est convaincue qu'il a été en mesure de faire ressortir des renseignements très importants.

[27] M. Chow a été un témoin très franc, un témoin qui possédait une vaste expérience et une grande compétence dans son domaine. La Cour avait l'impression que c'était une personne qui avait pris la préparation de son évaluation très au sérieux et qu'il avait utilisé tous les moyens à sa disposition pour analyser convenablement les renseignements sur lesquels il a fondé son évaluation.

[28] La Cour se demande si la preuve produite est de nature à la convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelante s'est acquittée de l'obligation qui lui incombe de démontrer que le chiffre de 27 000 $ retenu par le ministre est erroné. Voilà la question à laquelle la Cour doit répondre.

[29] Considérant les deux rapports d'évaluation qui ont été déposés, considérant les restrictions auxquelles est soumis le rapport d'évaluation déposé au nom de l'appelante, considérant aussi le contre-interrogatoire de M. Chow et le fait qu'il a mis sérieusement en doute le rapport d'évaluation déposé pour le compte de l'appelante, la Cour n'hésite aucunement à conclure que l'appelante ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve lui incombant.

[30] La Cour est convaincue hors de tout doute que l'évaluation de M. Chow est bien fondée. De toute façon — ce qui est plus important d'ailleurs —, la Cour n'est pas convaincue que l'appelante a démontré que le chiffre de 27 000 $ utilisé

par le ministre est erroné. En conséquence, la Cour se voit dans l'obligation de rejeter l'appel et de confirmer la cotisation du ministre.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2000.

“ T.E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'août 2000.

Erich Klein, réviseur

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