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Date: 19990811

Dossier: 98-1182-UI

ENTRE :

ABANDONRITE ENVIRO SERVICES CORP.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Calgary (Alberta) le 27 mai 1999.

[2] L'appelante interjette appel du règlement du ministre du Revenu national (le « ministre » ), daté du 17 août 1998, selon lequel l'emploi exercé du 1er novembre 1997 au 9 janvier 1998 par un certain John Davis pour la société était un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). Le motif de la décision était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] John Davis occupait un emploi aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, il était votre employé. Son emploi était donc assurable.

[3] On a précisé que la décision avait été prise conformément à l'article 93 de la Loi et qu'elle était fondée sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

[4] Les faits établis révèlent que John Davis a travaillé à l'essai à titre de représentant de commerce ou d'agent de commercialisation dans l'entreprise de fermeture et de remise en état de puits de pétrole et de gaz de l'appelante. Les choses ne se sont pas très bien passées et la relation a duré à peine plus de deux mois. La question soumise à la Cour est celle de savoir si le travailleur était alors employé aux termes d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise. Dans le premier cas, l'emploi est assurable au sens de la Loi; dans le second, il n'est pas assurable.

Le droit

[5] La façon dont la Cour doit déterminer si les modalités particulières de travail constituent un contrat de louage de services, qui correspond à une relation employeur-employé, ou un contrat d'entreprise, qui correspond à une relation entre entrepreneurs indépendants, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. Le critère devant être appliqué a également été expliqué par cette cour dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Par la suite, la Cour canadienne de l'impôt a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les représentants des parties, qui indiquent comment ces lignes directrices ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale déclarait ceci :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

[C'est moi qui souligne.]

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : « Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents » .

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[6] Les critères auxquels la Cour se reportait peuvent être résumés comme suit :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le présumé employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par les présumés employés dans l'entreprise du présumé employeur.

[7] Mentionnons aussi les propos suivants tenus par le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, pour approuver l'approche retenue par les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[8] J'ajouterai à ces propos ceux du juge Décary, qui, dans l'arrêt Charbonneau v. Canada (M.N.R.), [1996] F.C.J. No. 1337, déclarait au nom de la Cour d'appel fédérale :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service [...]. En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

[9] Voilà donc les lignes directrices que je dois garder à l'esprit pour trancher la question en litige.

Les faits

[10] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé sont énoncées dans les termes suivants dans la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

l'appelante exploitait une compagnie de gaz et de pétrole dont l'activité principale était de fermer des puits de gaz et de pétrole et de les remettre en état;

le président de l'appelante était L. Scott Darling;

l'appelante et M. Davis n'étaient pas liés ni n'avaient entre eux un lien de dépendance;

M. Davis a été engagé par l'appelante à titre de représentant de commerce, et il avait pour fonction d'obtenir des contrats auprès de différentes compagnies de l'industrie;

M. Davis touchait un salaire de 2 500 $ par mois, plus 0,5 p. 100 du revenu mensuel de l'appelante pour le mois en question;

l'appelante fournissait à M. Davis un bureau, un ordinateur et un téléphone ainsi que des services de secrétariat;

l'appelante remboursait à M. Davis les dépenses que ce dernier engageait dans le cadre de ses fonctions;

L. Scott Darling donnait des instructions et des directives à M. Davis;

M. Davis travaillait pendant les heures d'ouverture de l'appelante, c'est-à-dire de 8 h à 17 h du lundi au vendredi;

le rendement de M. Davis était surveillé par L. Scott Darling;

M. Davis ne courait aucun risque de subir des pertes dans le cadre de ses fonctions.

[11] Par l'intermédiaire de son représentant, l'appelante a admis les hypothèses énoncées aux alinéas a) à e) (elle était d'accord avec le montant indiqué, mais elle a fait valoir qu'il ne s'agissait pas d'un salaire, mais d'honoraires), et aux alinéas f) à h). Le représentant de l'appelante a par ailleurs nié l'hypothèse faite à l'alinéa i), indiquant que le travailleur était libre de travailler selon son propre horaire; il a indiqué, relativement à l'hypothèse énoncée à l'alinéa j), que cette surveillance n'était pas différente de celle que M. Darling exerçait à l'égard des autres sous-entrepreneurs, et mentionné qu'il ne comprenait pas pourquoi il était question de risque de pertes à l'alinéa k).

[12] Seul Larry Scott Darling, le président de la société, a témoigné. Il a indiqué que le travailleur avait été engagé pour promouvoir l'entreprise de la société d'une façon différente. Apparemment, le travailleur possédait des compétences dans les domaines de la vente et de la commercialisation. Le témoin a indiqué que la société avait des employés à temps plein et engageait un certain nombre de sous-entrepreneurs. À cet égard, à titre d'exemple, il a mentionné les personnes qui, si je comprends bien, travaillent surtout aux installations de forage, souvent pour effectuer le travail de nettoyage. Les employés à temps plein travaillaient au siège social et étaient assujettis aux politiques de la société relatives, notamment, aux heures de travail. Le travailleur dans la présente instance a été engagé aux termes d'une « entente conclue avec un entrepreneur autonome » . Cette entente semble avoir été signée le 30 septembre 1997, soit quelques mois avant que le travail commence. Elle semble être du type de celles que la société conclue avec ses sous-entrepreneurs qui travaillent sur les chantiers. Elle porte entre autres choses sur le travail et sur l'indemnisation en cas d'accident du travail, et elle fait état d'un programme d'orientation élémentaire en matière de sécurité. Il est bien établi en droit que ce n'est pas la forme de l'entente, ni le titre que les parties lui donnent, qui régit la question, mais le fond. Il arrive trop souvent à la Cour de voir dans de telles situations des parties qui ne font que mettre un titre sur leur entente et estiment que c'est tout ce qu'elles doivent faire pour que le titre vaille. Si, en cas d'ambiguïté, la Cour doit s'en remettre dans une certaine mesure à l'intention initiale des parties, le droit est clair : si, dans les faits, l'entente correspond à un contrat de louage de services, le titre que les parties lui ont donné n'a aucune importance.

[13] De toute évidence, l'entente conclue avec le travailleur dans la présente affaire était fort différente de celles qui étaient conclues avec les employés permanents qui travaillaient dans le bureau. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne s'agit pas d'un contrat de louage de services. Il peut simplement s'agir d'un différent type d'entente conclue avec un employé.

[14] Le témoin a fait grand cas du fait que le travailleur avait entrepris un autre travail au cours de la même période pour une autre entreprise non liée effectuant de l'asphaltage à Bragg Creek. C'est là certainement le signe que l'entente en question diffère des modalités d'emploi habituellement appliquées par la société, mais, je le répète, je ne crois pas que cela permette de tirer quelque conclusion que ce soit car, aujourd'hui, il y a beaucoup de gens dans notre société qui acceptent plus d'un contrat de travail à la fois. Alors, encore une fois, bien que ce soit un facteur à prendre en considération, on ne peut conclure automatiquement que l'entente conclue avec la société n'était pas un contrat de louage de services.

[15] Il est clair que la rémunération versée au travailleur comprenait un salaire de base et un pourcentage de la totalité des profits réalisés par la société et que, par conséquent, cette rémunération n'avait aucun rapport direct avec les contrats que le travailleur obtenait pour la compagnie. Cela me semble important puisque c'est fréquemment le signe d'un emploi régulier plutôt que d'un contrat d'entreprise.

[16] J'estime également important le fait que Scott Darling a déclaré qu'il accompagnait le travailleur lorsque ce dernier se rendait chez des clients potentiels, ce qui indique clairement que cette fonction faisait partie de l'entreprise de la société.

[17] En résumé, la preuve a semblé démontrer que le travailleur avait été engagé à l'essai en raison de ses compétences dans les domaines de la vente et du marketing, pour voir combien de contrats il pouvait obtenir. Ses heures de travail n'étaient pas contrôlées et il avait un accès illimité aux bureaux de la compagnie, aux services de secrétariat et au matériel informatique, bien que, dans les faits, il n'en fît pas grand usage. Il était souvent accompagné du président de la société lorsqu'il effectuait son travail. Ses heures de travail étaient flexibles. Il touchait un salaire de base en plus d'un pourcentage de la totalité des profits. Il ne touchait pas une commission pour les ventes effectuées, car Scott Darling ne voulait pas que le travailleur meure de faim au tout début. Néanmoins, il semble s'être agi d'un salaire. Enfin, après une période relativement brève, il a quitté la société volontairement, Scott Darling étant d'avis que l'entente ne rapportait en réalité pas suffisamment à la société pour qu'il vaille la peine de la maintenir.

Application des critères à la preuve

[18] En ce qui concerne le contrôle, il semble y avoir eu très peu de contrôle direct. Les heures de travail étaient complètement flexibles. Cependant, le travailleur était accompagné par le président de la société lorsqu'il se rendait chez des clients potentiels, ce qui est certainement une mesure de contrôle. Il est toujours difficile d'évaluer le degré de contrôle exercé dans le cas d'un professionnel; on ne peut engager quelqu'un et faire le travail à sa place. Néanmoins, c'est le droit d'exercer un contrôle plutôt que l'exercice du contrôle comme tel qui est pertinent. Il me semble que Scott Darling a conservé dans une certaine mesure le droit de contrôler le travail du travailleur et que cela s'ajoutait à la surveillance générale qu'il a affirmé avoir exercé relativement aux autres sous-entrepreneurs. Cet aspect du critère est quelque peu ambigu.

[19] Il est clair que, de façon générale, la société fournissait tout le matériel nécessaire, notamment le téléphone cellulaire utilisé par le travailleur. Ce dernier utilisait sa propre automobile, mais toutes ses dépenses lui étaient remboursées. Il avait également plein accès aux services de secrétariat et au matériel informatique de la société. Cet aspect du critère fait pencher la balance en faveur d'une relation employeur-employé plutôt que d'un travail autonome.

[20] En ce qui concerne l'aspect du critère qui se rapporte à la possibilité pour le travailleur de réaliser des bénéfices ou de subir des pertes, la preuve fait clairement pencher la balance en faveur d'un contrat de louage de services. Le travailleur ne courait aucun risque de subir des pertes, et il n'avait aucune chance de réaliser des bénéfices, à part ce qui était prévu dans son entente salariale : il n'y avait certainement aucun élément d'entreprise.

[21] En ce qui concerne le critère de l'intégration, il me semble que le travail du travailleur était totalement intégré à l'entreprise de l'appelante. Dans la présente affaire, on n'a pas démontré l'existence de la moindre indépendance commerciale. L'entreprise était celle de l'appelante. Le travailleur avait censément des compétences, mais elles ont été utilisées entièrement aux fins du développement de l'entreprise de la société. Il ne me semble pas que le travailleur était dans les affaires à son compte.

Conclusion

[22] En conclusion, je suis d'avis que, pendant la période en cause, l'entente conclue entre l'appelante et le travailleur correspondait à un contrat de louage de services. Honnêtement, l'appelante n'a pas établi que le travailleur jouissait d'un degré nécessaire d'indépendance commerciale pour que l'entente puisse être appelée un contrat d'entreprise.

[23] En conséquence, l'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 11e jour d'août 1999.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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