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Date: 19980526

Dossier: 94-2341-IT-G

ENTRE :

HARRY VIBE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience le 17 octobre 1997 à Toronto (Ontario))

Le juge Garon, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels interjetés contre de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1989, 1990 et 1991.

[2] Par ces nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national a refusé les déductions de 14 433,24 $, de 15 083,28 $ et de 16 345,33 $ respectivement demandées par l'appelant pour les années 1989, 1990 et 1991 en vertu de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de la juste valeur locative d'une résidence appartenant à l'appelant et occupée par lui durant chacune des trois années.

[3] L'appelant a été ordonné en mai 1962 et a, depuis, été membre du clergé de l'Église évangélique luthérienne au Canada et du prédécesseur de celle-ci. Il est membre en règle du synode du Manitoba et du Nord-Ouest de l’Ontario de l'Église évangélique luthérienne au Canada.

[4] Depuis son ordination jusqu'en 1986, l'appelant a servi diverses congrégations comme pasteur à temps plein de son Église, dans des localités du Manitoba, de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et de l'Ontario et, brièvement, au Minnesota (États-Unis).

[5] À partir du 1er septembre l986, l'appelant était employé comme secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne. Après cette nomination, une cérémonie d'installation a été organisée par son Église; cette cérémonie était présidée par l'évêque de l'appelant, soit l'évêque du synode du Manitoba et du Nord-Ouest de l’Ontario. Le secrétaire général de la Société biblique canadienne assistait l’évêque lors de la cérémonie d'installation de l'appelant. L'appelant exerçait cet emploi durant les trois années en cause et a résigné ses fonctions en 1993, pour des raisons de santé.

[6] La Société biblique canadienne a été créée en tant que société sans but lucratif en vertu de l'Acte constituant en corporation la Canadian Bible Society auxiliary to the British and Foreign Bible Society, sanctionné le 26 juin l906. La Société biblique canadienne est un organisme de charité enregistré au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[7] L'objet de la Société biblique canadienne est énoncé à l'article 4 de sa loi constitutive, comme suit :

L'objet de la Société est d'aider à répandre au Canada et dans Terre-Neuve la Bible sans notes ou commentaires, et de contribuer à l'oeuvre de la British and Foreign Bible Society.

[8] Les extraits suivants tirés de la version de 1990 des statuts de la Société biblique canadienne présente un intérêt aux fins de l'espèce :

[TRADUCTION]

1. Le seul objet du District est d'encourager une plus large promotion de la Bible, sans notes ou commentaires, partout au Manitoba, et d'aider la Société biblique canadienne dans son ministère mondial.

[...]

6. Un secrétaire de district est nommé par le conseil général de la Société biblique canadienne. Cette nomination sera précédée d'une consultation entre le secrétaire général et le conseil exécutif du District du Manitoba.

a. Le secrétaire du District rend compte au conseil général de la Société biblique canadienne, mais travaille de concert avec le conseil de district de la Société biblique canadienne.

b. Le secrétaire du District est le directeur général du District et est chargé de l'administration et de la gestion du District. Il est également chargé de promouvoir et de mettre en oeuvre les politiques nationales de la Société dans le District.

c. Le secrétaire du District est membre d'office du conseil du District.

Les paragraphes numéros 1 et 2 du règlement intérieur de la Société biblique canadienne méritent d'être cités :

[TRADUCTION]

Les affaires de la Société biblique canadienne sont gérées par le conseil de direction. Le tiers du conseil de direction se compose de membres du clergé et les deux tiers de laïcs représentant les diverses confessions du district. Le conseil est élu lors de l'assemblée générale de la Société qui a lieu annuellement, au printemps.

Il est requis que les membres du conseil de direction soient membres en règle de leur congrégation respective et, dans la mesure du possible, qu'ils soient élus ou nommés au conseil par leur confession.

[9] Il n'y a pas de différences importantes entre les dispositions citées plus haut de la version de 1990 des statuts de la Société biblique canadienne et les dispositions correspondantes de la version précédente qui s'appliquaient durant une partie de la période en cause.

[10] Le poste de secrétaire de district de la Société biblique canadienne avait été annoncé dans un numéro du périodique de l'Église luthérienne au Canada à un moment donné en 1985 ou au début de 1986. L'annonce se lit comme suit :

[TRADUCTION]

LA SOCIÉTÉ BIBLIQUE CANADIENNE

aura besoin de deux secrétaires de district pour le 1er juillet 1986. Les candidats choisis seront des membres du clergé qui ont été ordonnés et qui sont bibliquement motivés, aux convictions véritablement oecuméniques, ayant de l’entregent et étant prêts à servir au Manitoba ou en Nouvelle-Écosse. Prière d'adresser votre demande comme suit :

Le secrétaire général

10, Carnforth Road

Toronto (Ontario) M4A 2S4

[11] La description du poste de secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne décrit comme suit le principal rôle du titulaire :

[TRADUCTION]

[...]

Alerter, écouter et mettre au défi la communauté chrétienne du Manitoba concernant le triple objet de la Société biblique canadienne, tel qu'il s'applique au Canada et à l'étranger, et le faire d'une manière à la fois pertinente et respectueuse.

En d'autres termes, découvrir les meilleures façons d'alerter et de mettre au défi les chrétiens des diverses confessions composant la mosaïque chrétienne du Manitoba relativement au triple objet de la Société, soit :

Traduire la Bible, entièrement ou partiellement, dans la langue de quiconque désire la lire.

Publier la Bible sous une forme facilement lisible et à un prix abordable.

Distribuer la Bible, directement ou dans le cadre des entreprises missionnaires des églises partenaires, à toux ceux qui en désirent un exemplaire.

[12] La Société biblique canadienne exigeait à l'époque pertinente que le secrétaire du District ait au moins cinq ans, et de préférence dix ans, d'expérience paroissiale. Il était également jugé souhaitable que le titulaire de ce poste ait une vaste expérience oecuménique, puisqu'il devait traiter avec un grand nombre de confessions chrétiennes.

[13] Avant d'accepter la nomination, l'appelant a consulté l'évêque du synode du Manitoba et du Nord-Ouest de l'Ontario, qui l'a encouragé vivement. Cet évêque avait d'ailleurs appuyé la candidature de l'appelant.

[14] L'appelant avait également eu à cette époque-là des discussions avec le révérend William R. Russell, secrétaire général de la Société biblique canadienne, au sujet des fonctions du secrétaire du District du Manitoba de ladite société.

[15] L'appelant s'est vu offrir le secrétaire du District du Manitoba par lettre en date du 3 juin 1986 du secrétaire général, le révérend Russell.

[16] Après avoir accepté le poste susmentionné, l'appelant a reçu une lettre d'appel du synode du Manitoba et du Nord-Ouest de l'Ontario. Une lettre d'appel en date du 3 novembre 1986 a également été écrite à l'appelant par le conseil ecclésiastique de l'Église évangélique luthérienne au Canada. Cette lettre d'appel a été transmise à l'appelant par le secrétaire de cette église avec sa lettre du 19 novembre 1986. Le dernier paragraphe de sa lettre du 19 novembre 1986 revêt une certaine importance :

[TRADUCTION]

Puisse Dieu vous bénir dans ce nouveau ministère que vous entreprenez.

(Le soulignement est de moi.)

[17] L'appelant a fait un compte rendu détaillé du travail qu'il accomplissait comme secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne. Il a témoigné qu'il passait à peu près 60 p. 100 de son temps en déplacement aux fins des visites dans les paroisses et auprès des congrégations des diverses confessions que l'on trouve au Manitoba. Dans le cadre de son travail, il contactait les pasteurs de telles confessions. Au minimum, avec le consentement du pasteur de l'Église locale, il participait au culte en faisant une présentation de cinq minutes au cours de laquelle il encourageait la lecture et l'étude de la Bible. En moyenne, il faisait de 150 à 200 présentations de cinq minutes par année au cours de la période pertinente. De plus, il prêchait de 60 à 70 fois par année au cours des années en cause. Il se rendait dans 150 au 200 églises locales au cours d'une année.

[18] En ce qui concerne le culte, l'appelant faisait la lecture de passages tirés des Saintes Écritures et partageait la charge de présenter des sermons, si les pasteurs locaux étaient d'accord. Souvent, les pasteurs locaux consentaient à ce que l'appelant joue un rôle important dans la conduite des cérémonies du culte; parfois, il présidait l'ensemble du culte. Il aidait aussi à la communion, c'est-à-dire à distribuer le pain et le vin dans des églises de sa confession et, dans une moindre mesure, dans des églises d'autres confessions. L’appelant présentait également ce qu'il appelait un spécial pour l'enfance ou la jeunesse, soit un message religieux rendu accessible aux jeunes d'une congrégation.

[19]Occasionnellement, il faisait également fonction de ministre remplaçant pour le culte. Huit ou dix fois par année, il était également disponible pour faire du travail de ministère le dimanche, à la demande de l'évêque du synode. Il se rendait occasionnellement dans des prisons et, plus souvent, dans des foyers pour personnes âgées. Il se rendait en outre aux bureaux de la Cour de la citoyenneté, où il offrait des bibles à des personnes qui devenaient citoyens canadiens.

[20] Bien des fois, lorsqu'il assistait et participait au culte, il portait le col ecclésiastique et était habillé comme un membre du clergé. D'autres fois, selon les voeux du pasteur local, il portait la soutane ou s'habillait simplement en civil.

[21] Outre qu'il participait au culte, l'appelant devait, dans le cadre des fonctions de sa charge, s'occuper de la correspondance et répondre à des demandes spéciales provenant, par exemple, d'institutions désireuses d'obtenir gratuitement des exemplaires de la Bible ou du Nouveau Testament. Il prenait part aux réunions du conseil de la Société biblique canadienne et à un certain nombre de réunions de divers comités du District du Manitoba de la Société.

[22] Lorsqu'il se rendait dans les églises des diverses confessions, l'appelant faisait en sorte que des enveloppes soient placées dans l'église afin de recueillir des dons pour la Société biblique canadienne, sous réserve du consentement du pasteur local. Dans bien des cas, le pasteur local n'était pas d'accord sur ce mode de quête. L'appelant a dit que le travail de collecte de fonds accompli pour la Société biblique canadienne ne représentait pas une partie importante de ses fonctions. La collecte de fonds pour la Société biblique canadienne s'effectuait principalement au moyen du programme national de publipostage de la Société –administré par l'intermédiaire de son siège social à Toronto – par un certain nombre d'employés de la Société. L'appelant lui-même accusait réception des dons plus importants à la Société biblique canadienne.

[23] Il est à noter que, au cours des années en question, l'appelant devait se présenter à des congrégations et dans des rassemblements non pas comme pasteur luthérien mais comme représentant de la Société.

[24] L'appelant était en outre tenu de présenter par écrit un rapport annuel à l'évêque du synode au sujet de son ministère et, notamment, au sujet du travail qu'il accomplissait pour la Société. Il avait en outre des communications informelles avec l'évêque du synode au moins deux fois par année.

[25] L'appelant n'a pas dirigé de funérailles au cours des années en cause; il a célébré deux mariages durant cette période. Donner des conseils familiaux et matrimoniaux ne faisait pas partie des fonctions de son poste.

[26] Il est également à noter que l'Église évangélique luthérienne au Canada ne payait aucune partie du salaire de l’appelant. L'Église de l'appelant ne lui fournissait pas de bureau ou autre local. Toutefois, l'appelant a choisi de continuer à participer au régime de retraite de son Église plutôt qu'à celui de la Société biblique canadienne.

[27] Le témoignage de celui qui était évêque du synode du Manitoba et du Nord-Ouest de l'Ontario durant les années en cause corroborait le témoignage de l'appelant, notamment au sujet de la cérémonie d'installation qui a eu lieu peu après la nomination de l'appelant au poste de secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne. De plus, l'évêque du synode a affirmé que l'appelant devait avoir été appelé par son Église pour servir comme secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne. L’évêque a en outre confirmé que l'appelant, comme tout autre pasteur de sa confession, devait lui présenter un rapport annuel, bien que la forme du rapport ait été différente dans le cas de l’appelant.

[28] Il a également été mentionné que, en particulier, l'appelant demeurait assujetti aux dispositions de son Église en matière de discipline, lesquelles figurent dans la partie III du règlement intérieur de l'Église évangélique luthérienne au Canada.

[29] Le révérend Russell Tudor Hall, qui était directeur des ressources de la Société biblique canadienne au cours des années pertinentes, a témoigné brièvement à l'audition de ces appels. Il a fourni des renseignements quant à la façon dont la Société biblique canadienne recueillait les fonds pour financer ses activités. Il a donné des explications notamment au sujet du programme de publipostage pour la collecte de fonds, programme dirigé par le siège social de la Société biblique canadienne, qui se trouve à Toronto. Ce programme était la principale source de fonds de la Société biblique canadienne.

Arguments de l'appelant

[30] On a fait valoir pour l'appelant que, en vertu de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, un contribuable doit répondre à des exigences en matière de statut et de fonction pour avoir droit à la déduction prévue.

[31] En ce qui concerne le critère du statut, le contribuable doit être membre du clergé ou d'un ordre religieux ou ministre régulier d'une confession religieuse. Pour ce qui est du critère de la fonction, le contribuable doit desservir un diocèse ou une paroisse, ou avoir la charge d’une congrégation, ou s'occuper à plein temps du service administratif, du fait de sa nomination par un ordre religieux ou une confession religieuse.

[32] En ce qui concerne l'application de ces deux critères, on a soutenu pour l'appelant que ce dernier répondait au premier critère du fait qu'il avait été ordonné ministre de l'Église évangélique luthérienne au Canada.

[33] En ce qui a trait au second critère, on a soutenu que l'appelant desservait la congrégation dont il s'occupait en sa qualité de secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne. À l'appui de cet argument, les avocats de l'appelant se sont référés aux paragraphes 4 et 5 du bulletin d'interprétation IT-141 en date du 31 décembre 1973 et aux directives de Revenu Canada TIP 92-02 et 1974.14 en date du 20 mars 1997.

[34] Il a également été argué pour l'appelant que, dans le membre de phrase “ a la charge d'une congrégation ” qui figure à l'alinéa 8(1)c) de la Loi, le mot “ congrégation ” devrait être interprété comme incluant le pluriel “ congrégations ”. On a fait valoir qu'une intention contraire n’est pas exprimée à l'alinéa 8(1)c).

[35] On a soutenu en outre que l’exigence selon laquelle le contribuable doit avoir la charge d’une congrégation n’a pas pour effet de limiter seulement au ministre local d’une congrégation particulière la possibilité de se prévaloir de la déduction prévue à l'alinéa 8(l)c) de la Loi.

[36] Subsidiairement, l'appelant a en outre fait valoir que, si son travail comme secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne est jugé ne pas consister à avoir la charge d’une congrégation, il s'agissait d'un service administratif à plein temps fourni du fait de sa nomination par une confession religieuse, soit l'Église évangélique luthérienne au Canada.

Arguments de l'intimée

[37] L'intimée a invoqué la décision rendue dans l'affaire McNeil v. The Queen1, dans laquelle le juge suppléant Rowe a décrit l'objet général de l'alinéa 8(1)c), à la page 705.

[38] L'avocat de l'intimée a également invoqué à l’appui de sa position les débats de la Chambre des communes du 31 juillet 1956 rapportés dans le hansard aux pages 7010 et 7011, et notamment les observations formulées par le ministre des Finances de l'époque. À cet égard, l'avocat de l'intimée a dit ce qui suit dans son mémoire intitulé “ Respondent’s Points of Argument ” (arguments de l'intimée), qu'il a présenté au cours de son argumentation orale :

[TRADUCTION]

En 1956, à l'époque où la disposition a été modifiée de manière à ce qu’elle soit rédigée comme elle l’est actuellement, le ministre responsable avait déclaré que la déduction n'était pas destinée à s'appliquer à tous les membres du clergé ou ministres du culte et qu'elle devait s'appliquer à un membre du clergé “ qu'il soit de fait pasteur d'une congrégation ou membre de la haute hiérarchie de l'église [...] qui ne s'occupe que de son culte, y compris la fonction de pasteur de temps en temps ”.

[39] L'avocat de l'intimée a soutenu en outre que la Loi vise d’une manière générale à exclure la déduction de frais personnels ou de subsistance et a fait valoir que, selon le jugement de notre cour dans l’affaire Oligny v. The Queen2et selon la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire Zylstra Estate et al. v. The Queen3, l'alinéa 8(l)c) doit recevoir une interprétation stricte plutôt que libérale.

[40] L'avocat de l'intimée a attiré l'attention de la Cour sur une différence de fond entre les versions anglaise et française de l'alinéa 8(l)c), la version française étant de portée plus étroite. À l'appui de cet argument, l’avocat a mis en regard la version anglaise de l'alinéa 8(1)c) qui dit “ is in charge of, or ministering to a diocese, parish or congregation ” (dessert un diocèse, une paroisse ou une congrégation ou en a la charge), et la version française qui dit “ et qu'il dessert un diocèse, une paroisse ou a la charge d'une congrégation ”.

[41] Il était également soutenu dans le mémoire de l'intimée que les termes “ ministering to a congregation ” (dessert une congrégation) désignent le fait pour une personne d'avoir les besoins et le bien-être spirituels de la congrégation comme centre de ses activités et non pas de s’en occuper simplement d'une manière incidente ou secondaire. Il a en outre été allégué que les termes “ ministering to a congregation ” (dessert une congrégation) ne désignent pas l'accomplissement d'une partie seulement des fonctions ordinairement remplies par un membre du clergé qui dessert une congrégation. Un membre du clergé qui dessert une ou des congrégations est un membre du clergé qui remplit l’ensemble des fonctions normalement liées à la charge du ministre d'une congrégation et normalement remplies par le ministre d'une congrégation.

[42] Enfin, on a fait valoir énergiquement à la Cour que la nomination de l'appelant au poste de secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne n'était pas une nomination faite par une confession religieuse comme l'exige l'alinéa 8(1)c) de la Loi, mais plutôt une nomination faite par la Société biblique canadienne, soit une entité autre qu'une confession religieuse ou qu'un ordre religieux.

Analyse

[43] Les parties conviennent que le droit d'un membre du clergé de déduire du revenu tiré de sa charge ou de son emploi un montant au titre de sa résidence est régi par l'alinéa 8(l)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est ainsi conçu :

8(1) Lors du calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, peuvent être déduits ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

c) lorsque le contribuable est membre du clergé ou d'un ordre religieux ou ministre régulier d'une confession religieuse, et qu'il dessert un diocèse, une paroisse ou a la charge d'une congrégation, ou s'occupe exclusivement et à plein temps du service administratif, du fait de sa nomination par un ordre religieux ou une confession religieuse, un montant égal

(i) à la valeur de la résidence ou autre logement qu'il a occupé en vertu ou au cours de l'exercice de sa charge ou de son emploi, à titre de membre ou ministre qui ainsi dessert un diocèse, une paroisse ou a la charge d'une congrégation, ou est ainsi occupé à un service administratif, dans la mesure où cette valeur est incluse dans le calcul de son revenu pour l'année en vertu de l'article 6, ou

(ii) au loyer qu'il a payé pour une résidence ou autre logement qu'il a loué et occupé ou à la juste valeur locative d'une résidence ou autre logement lui appartenant et occupé par lui durant l'année, sans dépasser, dans aucun de ces deux cas, la rémunération provenant de sa charge ou de son emploi ainsi qu'il est indiqué au sous-alinéa (i) [...]

[44] Tout d'abord, il n'y a aucun différend quant au montant de la déduction indiquée par l'appelant pour chacune des années en cause.

[45] Comme le dit le juge Beaubier de notre cour dans l'affaire Kolot v. The Queen4, la jurisprudence a établi qu'il y a un double critère pour déterminer si le cas d’un contribuable relève de l'alinéa 8(l)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces critères ont été décrits comme étant le critère du statut et le critère de la fonction.

[46] C’est un fait avéré en l'espèce que l'appelant a été ordonné ministre de l'Église évangélique luthérienne au Canada. Il était donc membre du clergé au sens des termes figurant au début de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ainsi, l'appelant répond au critère du statut.

[47] Pour ce qui est du second critère, il s'agit de déterminer si, au cours des années en cause, l'appelant répondait au critère de la fonction. Autrement dit, compte tenu des faits de l'espèce, l'appelant avait-il la charge d’une congrégation en sa qualité de secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne?

[48] Les principales fonctions de l’appelant dans ce poste — outre le travail de bureau qui est lié à une charge ecclésiastique ou, en fait, d'une manière générale, à n’importe quel type de charge — pourraient être résumées comme suit :

À bien des occasions, l'appelant assistait le pasteur de l'Église locale à conduire les offices religieux réguliers de la congrégation. Il montait en chaire pour adresser la parole à l'assemblée des fidèles. En fait, en faisant sa présentation sur l'utilisation et la lecture de la Bible, l’appelant participait au sermon fait à la congrégation. Dans certains cas, c'est lui qui prononçait l'ensemble du sermon. Il participait également d'autres façons au culte régulier des congrégations, notamment en faisant la lecture de passages tirés des Saintes Écritures et en présidant à la prière. L'appelant aidait aussi à administrer le sacrement de la communion. Il dirigeait les séances d'étude de la Bible.

[49] De plus, le travail accompli par l'appelant comme secrétaire du District du Manitoba de la Société biblique canadienne était considéré comme un ministère par son Église. Entre autres, l'Église évangélique luthérienne au Canada avait écrit une lettre d'appel précise à l'appelant, après qu'il fut nommé à ce poste. L'évêque du synode lui avait également envoyé une lettre d'appel au même sujet.

[50] En outre, la cérémonie d'installation après la nomination de l'appelant au poste susmentionné avait été présidée par l'évêque du synode. Ce fait représente une reconnaissance claire de la part de l'Église que le travail de l'appelant constituait un ministère. Je conviens avec les avocats de l'appelant qu'un poids considérable doit être accordé à ce qui constitue un ministère aux yeux d'une église donnée, bien que je reconnaisse que cela peut ne pas être entièrement concluant. Le travail que l'appelant accomplissait pour la Société biblique canadienne était également considéré comme un ministère par la Société. Le directeur des ressources de la Société biblique canadienne a témoigné que le travail des secrétaires de district de la Société était décrit comme un “ ministère apparenté ”.

[51] Dans l'exécution des tâches susmentionnées, l'appelant desservait à mon avis les congrégations auprès desquelles il se rendait. Il s'agissait de congrégations ordinaires de confessions religieuses établies. Pour ce qui est de l'emploi du singulier dans le membre de phrase “ dessert un diocèse, une paroisse ou a la charge d'une congrégation ” figurant à l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, je souscris entièrement à la remarque qu’ont faite les avocats de l'appelant, à savoir que, selon un principe d'interprétation législative de longue date, le singulier comprend bel et bien le pluriel, comme l'indique le paragraphe 33(2) de la Loi d'interprétation.

[52] Il est intéressant de noter la portée des termes “ diocèse ”, “ paroisse ” et “ congrégation ” dans le contexte de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les observations du juge MacKay de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Zylstra Estate et al. v. The Queen, 94 DTC 6687, à la page 6696, méritent d'être citées :

[...]

À mon avis, dans ce contexte plus large des mots employés pour expliquer les conditions d'admissibilité à la déduction, les mots “diocèse, paroisse ou congrégation” visent à désigner différentes structures organisationnelles ou institutionnelles qui sont désignées par des confessions religieuses pour exercer de façon régulière des activités permanentes organisées pour leurs membres. Ainsi donc, un rassemblement de personnes peut fort bien constituer une congrégation à certaines fins, mais à moins qu'il s'agisse d'un rassemblement qui poursuit des buts religieux communs qui sont reconnus par une confession religieuse en ce qui concerne les activités religieuses régulières de son organisation, il ne répond pas à la définition du terme “congrégation” au sens où ce mot est employé à l'alinéa 8(1)c) de la Loi.

[53] Même si l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu doit être interprété d'une manière stricte, je ne puis accepter que sa portée soit limitée au cas habituel du pasteur local d'une Église. Si telle avait été l'intention du législateur, il aurait été facile de le préciser. À cet égard, il est intéressant de noter que, dans le bulletin d'interprétation IT-141, en date du 31 décembre 1973, une interprétation relativement large est donnée des termes “ a la charge d'une congrégation ” et “ congrégation ”. Les paragraphes 4 et 5 de ce bulletin se lisent comme suit :

4. “Avoir la charge d'une congrégation” signifie remplir une fonction vis-à-vis les membres de la congrégation semblable à celle que remplissent les ministres des confessions religieuses mieux connues. Par exemple, un chantre dont la principale fonction est de chanter lors des offices religieux n'a pas la charge d'une congrégation, contrairement à un chantre formé pour se charger de fonctions religieuses semblables à celles d'un rabbi et qui exerce de telles fonctions.

5. Une congrégation n'est définie ni par des limites territoriales ni par le nombre de personnes réunies en un même endroit. Ainsi, les aumôniers des forces armées ou des institutions sont généralement considérés comme ayant charge de congrégation.

[54] Ainsi, je considère comme avéré que, durant les années en cause, l'appelant avait la charge de congrégations au sens de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Au cours des années en cause, l'appelant répondait au critère de la fonction.

[55] En conséquence, j'arrive à la conclusion que l'appelant a droit, pour chacune des années en cause, à la déduction prévue à l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu au titre de sa résidence.

[56] Pour ces motifs, les appels sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit, pour les années l989, l990 et 1991, à la déduction prévue à l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 1998.

“ Alban Garon ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour de septembre 1998.

Erich Klein, réviseur



1 95 DTC 702.

2 96 DTC 1744.

3 94 DTC 6687.

4 92 DTC 2391.

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