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Date: 19990903

Dossier: 98-1518-IT-G

ENTRE :

GEORGE WHYTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance, interjeté sous le régime de la procédure générale, a été entendu à Prince Albert (Saskatchewan) le 9 août 1999. L'appelant a témoigné et il a fait comparaître Marjorie Cook, chef de bureau de Farm World Equipment Ltd. (“ Farm World ”) de Kinistino (Saskatchewan) (population, 653) et David Cook, président et propriétaire à 50 p. 100 de Farm World.

[2] L'appelant est âgé de 77 ans; il exploite activement une ferme depuis 1947. Il réside près de Codette (Saskatchewan) et cultive à lui seul 880 acres de terre. Il a porté en appel des cotisations établies à son égard pour les années d'imposition 1993 et 1994. Les paragraphes 5 à 9 inclusivement de la réponse à l'avis d'appel exposent sommairement les questions en litige. Ils sont libellés dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le ministre a initialement établi une cotisation à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1993 et 1994, selon les déclarations que celui-ci avait produites, le 12 mai 1994 et le 26 mai 1995 respectivement. En 1993, l'appelant a demandé un crédit d'impôt à l'investissement (“ CII ”) de 18 450 $, sur le fondement de sa prétendue acquisition, en 1993, d'une moissonneuse-batteuse, d'une écimeuse et d'une ramasseuse neuves, qu'il a payées 184 500 $. Le montant du CII demandé a réduit la fraction non amortie du coût en capital (“ FNACC ”) de la moissonneuse-batteuse, de l'écimeuse et de la ramasseuse, ce qui a réduit la FNACC et la déduction pour amortissement (“ DPA ”) en 1994.

Dans des avis de nouvelle cotisation, tous datés du 7 mai 1997, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1993 et 1994 en tenant compte du fait que :

la moissonneuse-batteuse, l'écimeuse et la ramasseuse n'étaient pas “ neuves ” et elles n'étaient donc pas admissibles au CIIPE;

aucun CII n'ayant réduit la FNACC, les DPA ont été rajustées.

L'appelant a déposé des avis d'opposition pour 1993 et 1994, que le ministre a reçus le 2 juin 1997. Le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 dans un avis daté du 12 mai 1998.

Pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

la moissonneuse-batteuse a été initialement expédiée par le fabricant Ford New Holland Canada Ltd. à Farm World Equipment Ltd. le 24 septembre 1993;

la moissonneuse-batteuse a été utilisée par Farm World Equipment Ltd. comme démonstrateur;

le 30 décembre 1993, l'appelant a acheté la moissonneuse-batteuse à Farm World Equipment Ltd.;

à l'époque où l'appelant a acquis la moissonneuse-batteuse, celle-ci avait été endommagée et réparée aux termes d'une garantie dans laquelle figurait le nom d'une autre personne comme propriétaire;

l'écimeuse a été expédiée par Ford New Holland à Farm World Equipment Ltd. le 27 avril 1993;

Farm World Equipment Ltd. a utilisé l'écimeuse comme démonstrateur;

l'appelant a acheté l'écimeuse à Farm World Equipment Ltd. le 30 décembre 1993;

lorsque l'appelant a acheté l'écimeuse, celle-ci :

i) comptait 213 heures d'utilisation;

avait subi des dommages mineurs;

la ramasseuse a été expédiée par Precision Metal Fabricating Ltd. à Farm World Equipment Ltd. le 7 juillet 1993;

la ramasseuse était en consignation chez Farm World Equipment Ltd.;

l'appelant a obtenu un rabais de 10 p. 100 sur le prix de la ramasseuse;

avant leur acquisition par l'appelant, la moissonneuse-batteuse, l'écimeuse et la ramasseuse avaient été utilisées ou acquises pour être utilisées ou louées à une autre fin.

QUESTIONS EN LITIGE

La question en litige est la suivante :

la moissonneuse-batteuse, l'écimeuse et la ramasseuse ont-elles été utilisées à une autre fin avant leur acquisition par l'appelant?

[3] Farm World est le plus important concessionnaire de produits Ford-New Holland au monde. Elle vend les produits en Saskatchewan et dans l'Ouest canadien et aussi en Australie et en Ukraine. Elle a un atelier où peuvent être réparées et entretenues jusqu'à 12 moissonneuses-batteuses automotrices à la fois. Il y a parfois de 30 à 40 moissonneuses-batteuses neuves à vendre sur le terrain. La majorité de ses ventes sont réalisées à la suite d'une démonstration de la machinerie agricole chez l'agriculteur. Elle effectue aussi des ventes sur son terrain et par commande spéciale. Elle compte en tout temps six vendeurs. Pendant les périodes en question, elle avait une nouvelle employée inexpérimentée qui s'occupait du travail de bureau relié aux travaux d'entretien et de réparation faits à l'atelier. Elle relevait du contremaître de l'atelier.

[4] La preuve établit clairement que, le 30 octobre 1993, l'appelant et Farm World ont, conformément à la Agricultural Implements Act de la Saskatchewan, signé un contrat — formulaire A — aux termes duquel l'appelant a acheté la moissonneuse-batteuse New Holland TR-96, numéro de série 554 446, l'écimeuse New Holland, modèle 971, numéro de série 562940, et la ramasseuse Precision Metal Fabricating, numéro de série 14B-93031, qu'il a payées 184 500 $. Dans le même document, il a remis en échange à Farm World une moissonneuse-batteuse New Holland TR-86, une moissonneuse-batteuse Allis Chalmers R6 et une autre petite machine, pour 184 499 $. Il s'est engagé à payer 1 $ et à remettre les deux moissonneuses-batteuses en contrepartie totale du prix d'achat de 184 500 $.

[5] Dans la région de l'appelant, les récoltes étaient terminées le 30 octobre. L'appelant a acheté la machinerie en partie pour ne plus avoir à engager un homme. Il avait décidé que les problèmes liés à l'embauche d'une aide convenable étaient devenus trop lourds. Le 1er novembre, une très forte chute de neige a empêché la livraison de la moissonneuse-batteuse, qui a été livrée en décembre 1993.

[6] Il faut déterminer si la moissonneuse-batteuse, l'écimeuse et la ramasseuse étaient neuves. Le paragraphe 5 de l'avis d'admission (pièce R-1, onglet A), qui n'a pas été admis, donne certaines indications sur cette question. Il est reproduit ci-après :

[TRADUCTION]

Pendant qu'elle était utilisée par Farm World comme démonstrateur, la moissonneuse-batteuse a été endommagée et réparée aux termes de la garantie, ainsi qu'il est décrit dans le tableau qui suit :

Numéro de facture

Date de facturation

Heures

Description

Total

S25093

19 oct. 1993

25

Échange – réparer pompe d'injection

608,23

L12439

20 oct. 1993

S/O

Démonstrateur TR96 – 2 x filtres 9613344

12,42

S25590

28 oct. 1993

67

Échange – remplacer courroie d'alimentation

146,18

S24940

5 nov. 1993

191

Échange – tuyaux, courroies, visite d'un réparateur

1 875,08

S25384

22 nov. 1993

103

Échange – réparer embrayage, remplacer courroie d'alimentation, visite d'un réparateur

708,65

S25823

26 nov. 1993

213

Démonstrateur – réparer dommages à la porte et au cadre d'appui, remplacer moteur électrique et vis sans fin

S25635

9 déc. 1993

191

Échange – Entretien et vérification

981,88

S25923

10 déc. 1993

117

Démonstrateur – Remplacer vis sans fin de déchargement

760,27

L'appelant a admis que la moissonneuse-batteuse avait été essayée par d'autres clients de Farm World.

[7] Marjorie Cook et David Cook ont tous deux nié que certaines des factures postérieures au 28 octobre 1993 se rapportaient à la moissonneuse-batteuse de l'appelant :

S24940 5 nov. 1993

S25384 22 nov. 1993

David Cook a témoigné qu'il s'agissait d'une erreur matérielle et que le travail n'avait pas été effectué sur la moissonneuse-batteuse de M. Whyte. La Cour accepte cette explication car la facture de travail (pièce R-1, onglet 6) et la description faite au paragraphe 5 indiquent toutes deux qu'il s'agit de biens remis en “ échange ”. Si l'on se reporte à d'autres registres, les travaux paraissent avoir été effectués sur des biens remis en échange par M. Whyte ou par d'autres agriculteurs.

[8] S25823 - 26 novembre 1993

Sur la feuille de travail manuscrite à cet égard (pièce R-1, onglet 17) les noms des propriétaires, “ Ron et Allan Hounsell [...] Birch Hills ”, sont rayés et remplacés par l'inscription “ démonstrateur ”. Y figurent également le numéro TR96 554446 et la mention “ utilisation pendant 213 heures ”. La pièce R-1, onglet 19, indique la même date, les mêmes heures et la même moissonneuse-batteuse, et contient les inscriptions “ démonstrateur ” et “ heures ”. David Cook a témoigné que les Hounsell avaient une moissonneuse-batteuse semblable et que ces données devaient s'y rapporter. Ce témoignage est accepté.

[9] S25635 - 9 décembre 1993

La description du travail en question indique qu'il s'agit de biens remis en “ échange ”. Ce terme semble signifier ce qu'il dit, c'est-à-dire que le travail a été effectué par Farm World sur les biens remis en échange par M. Whyte.

[10] S25923 - 10 décembre 1993

Cette facture mentionne la TR96, numéro de série 554446, “ démonstrateur ”, et indique 213 heures. Le travail a été effectué le 26 novembre 1993 et se rapporte donc aux factures des Hounsell. La facture S25923 est un document produit par ordinateur et non pas un document écrit à la main dans l'atelier ou dans un champ. Par conséquent, il reprend les erreurs antérieures et en ajoute lui-même. Cette inscription est également considérée comme ayant été faite par erreur.

[11] Cependant, la véritable question est celle de savoir s'il y a eu une vente le 30 octobre, lorsque l'appelant et Farm World ont signé leur contrat, formulaire A (pièce A-1, onglet 1). Il y a eu une vente complète ce jour-là. Les deux séries de machines étaient livrables. Cependant, M. Whyte n'a pas voulu prendre livraison de la TR96 554446 au début du mois de novembre en raison d'une très forte chute de neige. Il savait que sa TR96 avait été essayée par d'autres clients et que, le 30 octobre, elle avait été utilisée pendant le nombre d'heures en question. Il n'a jamais consigné ces heures. Il s'est fié au contrat contenu dans le formulaire A.

[12] La Cour conclut que le moteur de la TR96 554446 avait 67 heures de fonctionnement lorsque la machine a été vendue le 30 octobre 1993. Selon la preuve, c'est le nombre d'heures normal d'essai par d'autres agriculteurs qui envisagent d'acheter la machine. Pour ce motif, la Cour conclut que la moissonneuse-batteuse de M. Whyte était neuve à l'achat le 30 octobre 1993. Les 67 heures relevées à ce moment-là équivalaient aux heures d'essai effectuées par des acheteurs potentiels d'automobiles. La Cour accepte également le témoignage de Mlle Cook selon lequel 67 heures de fonctionnement du moteur représentent de 20 à 25 heures environ de moissonnage-battage et tiennent compte du déplacement sur la route, de la marche à vide et de la durée de marche normale du moteur et de la moissonneuse-batteuse aux fins de l'installation de cette dernière dans l'atelier de Farm World ou d'un essai dans un champ. Pour ces motifs, la TR96 était une moissonneuse-batteuse neuve au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu lorsque M. Whyte l'a achetée le 30 octobre 1993. L'utilisation d'un formulaire A à titre de contrat écrit lui a conféré également le statut de bien “ neuf ” aux termes de la Agricultural Implements Act.

[13] Il reste la question de savoir si les essais par des acheteurs potentiels de la TR96 — soit 67 heures de fonctionnement du moteur avant que la TR96 soit achetée par M. Whyte — signifient qu'elle n'était pas un “ bien admissible ”. Aux termes du paragraphe 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, la TR96 doit être un bien

[...] qui, avant l'acquisition, n'a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit [...]

[14] David Cook a témoigné que les essais de moissonneuses-batteuses à vendre sont effectués dans les champs dans des conditions idéales et sous la supervision d'un vendeur de Farm World (qui livre la moissonneuse-batteuse à l'acheteur potentiel qui effectue l'essai) et consistent en quatre heures environ de moissonnage-battage dans le champ de l'agriculteur en question. Donc, il s'agit de savoir si les essais de la TR96 par des acheteurs potentiels de Farm World avant le 30 octobre étaient tels que la TR96 a été “ utilisée [...] à quelque fin que ce soit ” avant que M. Whyte l'achète.

[15] Le Shorter Oxford Dictionary définit ainsi le terme “ test ” (“ essai ”) : [TRADUCTION] “ moyen par lequel l'existence, la qualité ou l'authenticité d'une chose est ou peut être déterminée ”. Il définit “ used ” (“ utilisé ”) de la façon suivante : [TRADUCTION] “ ce dont il est fait usage ”. Sous la rubrique “ use ” (“ usage ”), faire usage est considéré comme un synonyme de [TRADUCTION] “ employer à une fin ”. Le terme “ employ ” (“ employer ”) signifie [TRADUCTION] “ appliquer à une fin ”.

[16] Faire l'essai d'une moissonneuse-batteuse veut dire conduire la machine pour en déterminer la qualité. En revanche, l'utiliser veut dire l'employer à la fin pour laquelle elle a été construite. La Cour estime que, au sens du terme “ utilisé ” dans le contexte du paragraphe 127(9), la moissonneuse-batteuse TR96 n'avait pas été utilisée, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas été employée à la fin pour laquelle elle avait été construite. Pour qu'il y ait emploi, il faudrait qu'il y ait moissonnage-battage d'un champ de céréales; de simples essais par quelques acheteurs potentiels ne sauraient suffire.

[17] David Cook a témoigné que Farm World essayait d'établir un calendrier des essais de façon que les conditions dans les champs soient idéales et que la moissonneuse-batteuse soit dans un état optimal. L'objet de l'essai est de vendre cette moissonneuse-batteuse, non pas de faire le moissonnage-battage d'un champ de céréales dans des conditions idéales. Par opposition, la moissonneuse-batteuse qui sert de démonstrateur est prêtée par le concessionnaire à l'agriculteur pour montrer à ce dernier les qualités de ce type de moissonneuse-batteuse sur une période plus longue, sans supervision et dans un champ dont les conditions sont normales, et non simplement pour faire essayer une moissonneuse-batteuse dans le but de vendre celle-là précisément. Donc, un concessionnaire pourrait “ utiliser ” une moissonneuse-batteuse pour ses propres activités agricoles, ou l'“ utiliser ” comme démonstrateur, ou la “ louer ” à une autre personne, pour reprendre le libellé du paragraphe 127(9). À des fins de démonstration, Ford New Holland a mis sur pied un programme d'achat du démonstrateur pour ses concessionnaires. La moissonneuse-batteuse en question n'était pas visée par un programme d'achat du démonstrateur chez Farm World.

[18] Compte tenu des réalités du monde du travail et du passage tiré du paragraphe 127(9), c'est-à-dire le bien “ qui [la moissonneuse-batteuse], avant l'acquisition, n'a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit ... ”, le législateur devait avoir l'intention d'établir une distinction entre les termes “ présenté ” ou “ essayé ” et le terme “ utilisé ” puisque cette disposition est censée s'appliquer au monde commercial. Donc, la question consiste à se demander si le fabricant ou le concessionnaire a utilisé la moissonneuse-batteuse à quelque fin que ce soit ou si celle-ci a été acquise pour être utilisée ou louée (c.-à-d. à titre onéreux) à quelque fin que ce soit. Cela ne signifie pas qu'elle n'a pas été présentée ou essayée à quelque fin que ce soit par le fabricant ou le concessionnaire.

[19] La Cour conclut que la moissonneuse-batteuse, l'écimeuse et la ramasseuse ont été acquises par l'appelant le 30 octobre 1993. Elles n'avaient pas été utilisées ni acquises pour être utilisées ou louées à quelque autre fin que ce soit avant leur acquisition par l'appelant.

[20] La cotisation établie pour 1993 était une cotisation néant. Par conséquent, la Cour n'a pas compétence pour trancher l'appel portant sur l'année 1993.

[21] Cependant, l'appel est admis pour 1994 pour les motifs qui précèdent et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1994.

[22] Compte tenu des circonstances, l'appelant a droit aux dépens entre parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 1999.

“ D. W. Beaubier ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mai 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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