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Date: 19990302

Dossier: 98-1373-GST-I

ENTRE :

A.M.E. AEROWORKS SERVICES LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l’audience à Edmonton (Alberta), le 22 janvier 1999)

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (aux fins de la taxe sur les produits et services) pour la période allant du 1er novembre 1994 au 31 octobre 1995. Il s’agit de savoir si l’appelante était tenue de percevoir le montant de 37 125,55 $ aux fins de la TPS sur les loyers prévus dans un bail conclu avec Shell Canada, lorsque ces loyers devaient être payés et l’ont été directement à RoyNat conformément à une cession de loyers et de baux. Les parties ont reconnu les faits pertinents et ont simplement présenté leurs arguments. L’exposé conjoint des faits (pièce A-1) se lit comme suit :

[traduction]

1. L’appelante, A.M.E. Aeroworks Services Ltd. (“ AME ”), exerçait des activités commerciales et fournissait des biens et services soumis à une taxe de 7 p. 100 au cours de la période pertinente allant du 1er août 1992 au 31 octobre 1995;

2. Depuis le 1er janvier 1991, AME est inscrite aux fins de la Loi et son numéro d’inscription est le 100184704RT;

3. Aux termes d’un contrat de location daté du 18 août 1989, AME a loué de la Ville d’Edmonton, pour une période de 35 ans, le bien-fonds désigné comme le secteur 21 et situé à l’aéroport municipal d’Edmonton;

4. AME a construit une aérogare terminale réservée à l’aviation générale sur le secteur 21 (l’aérogare et le bien-fonds du secteur 21 sont appelés collectivement les “ lieux ”), pour laquelle RoyNat Inc. (“ RoyNat ”) a fourni des fonds de 3 730 000 $;

5. Pour garantir ce montant, AME a émis, en faveur de RoyNat, une débenture datée du 20 mars 1990 et garantie par l’ensemble de ses biens, et a consenti à RoyNat une hypothèque sur son intérêt à bail sur les lieux;

6. Aux termes d’un contrat de location daté du 1er avril 1990 (le “ bail ”), AME a loué les lieux à Shell Canada Products Limited (“ Shell ”) pour une période de 15 ans;

7. Aux termes d’un contrat de sous-location daté du 1er avril 1990, Shell a sous-loué les lieux à Skyharbour Aviation Ltd.;

8. Skyharbour Aviation Ltd. est une société associée à AME;

9. Aux termes d’un contrat daté du 8 mai 1990, AME a cédé à RoyNat les loyers et les baux (la “ cession ”) se rapportant aux lieux, à titre de garantie supplémentaire pour le financement;

10. Par avis d’opposition, daté du 28 janvier 1991, RoyNat a enregistré la cession à la circonscription d’enregistrement immobilier de North Alberta;

11. Acceptant une débenture supplémentaire datée du 25 février 1992, RoyNat a avancé la somme additionnelle de 400 000 $ à AME, et a obtenu de celle-ci, à titre de garantie supplémentaire, une deuxième cession des loyers et des baux relatifs aux lieux, datée du 25 février 1992;

12. En septembre 1994, AME a fait défaut d’effectuer, en faveur de RoyNat, les paiements en remboursement de son prêt;

13. Dans une lettre datée du 15 septembre 1994, RoyNat a remis une copie de la cession à Shell, rendant ainsi la cession exécutoire et absolue;

14. À toutes les périodes pertinentes, et conformément aux modalités de la cession, RoyNat et AME ont convenu qu’AME serait responsable envers Shell relativement aux obligations, aux responsabilités et aux engagements prévus par le bail;

15. RoyNat a affecté les montants qu’elle a perçus de Shell, conformément à la cession, à la réduction de la dette d’AME résultant du prêt consenti par RoyNat;

16. Shell n’a pas payé de TPS pour la période allant du 1er novembre 1994 au 31 octobre 1995;

17. Ni RoyNat ni AME n’ont perçu ou versé le montant de 36 125,55 $ au titre de la TPS pour la période allant du 1er novembre 1994 au 31 octobre 1995, comme il est indiqué ci-dessous :

Période se terminant le TPS non déclarée

31 janvier 1995 9 629,62 $

30 avril 1995 9 527,63 $

31 juillet 1995 9 308,46 $

31 octobre 1995 8 659,84 $

18. Au moyen de l’avis de cotisation portant le numéro 00000000117, daté du 11 juillet 1997 et visant la période allant du 1er août 1992 au 31 octobre 1995, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi, à l’égard d’AME, une cotisation de 86 083,19 $ au titre de la taxe nette, a demandé des intérêts de 3 389,86 $ et a imposé une pénalité de 3 439,84 $. Une partie de cette cotisation était constituée du montant de 37 125,55 $ au titre de la TPS se rapportant aux lieux loués à Shell Canada Products Limited, pour la période allant du 1er novembre 1994 au 31 octobre 1995;

19. AME s’est opposée à l’avis de cotisation numéro 00000000117 par un avis d’opposition daté du 30 septembre 1997;

20. Le ministre a confirmé la cotisation par l’avis de décision portant le numéro 115480014 et daté du 15 avril 1998;

21. Au moyen d’un avis d’appel déposé le 22 mai 1998, AME a porté en appel l’avis de décision portant le numéro 115480014 et daté du 15 avril 1998.

[2] La position de l’appelante exposée dans l’avis d’appel est la suivante :

[traduction]

[L’appelante] n’était pas tenue de percevoir et de verser la TPS sur les loyers pour la période en question, car le bail avait fait l’objet d’une cession absolue au prêteur hypothécaire d’A.M.E., soit RoyNat, pour cette période; subsidiairement, RoyNat était réputée avoir saisi le bien et en avoir repris possession en vertu de l’article 183 de la Loi sur la taxe d’accise et, par conséquent, RoyNat était tenue de percevoir la TPS.

La position de l’intimée est la suivante :

[traduction]

[...] puisque, en tout temps, l’appelante était propriétaire des lieux et que la cession visait simplement à intercepter les loyers payables à l’appelante, il est par conséquent soutenu que celle-ci fournissait les lieux à Shell Canada, et que, en vertu des paragraphes 165(1) et 221(1) de la Loi, l’appelante était tenue de percevoir, de déclarer et de verser la TPS sur cette fourniture.

La question consiste donc à savoir qui était responsable de la perception et du versement de la TPS.

Analyse

[4] En contrepartie du montant de 3 730 000 $ que lui a avancé RoyNat, le 8 mai 1990, l’appelante a conclu une cession des loyers et des baux dans laquelle, à titre de cédant, elle a cédé tous ses droits, titres et intérêts sur le bail conclu avec Shell Canada, y compris les loyers payables en vertu de celui-ci. Aux termes d’un contrat daté du 29 janvier 1992, l’appelante a convenu d’accorder à RoyNat, en contrepartie de la somme additionnelle de 400 000 $, une prorogation de son intérêt à bail. Dans une lettre datée du 15 septembre 1994 (pièce A-1, onglet J), les avocats de RoyNat ont donné l’avis suivant à Shell Canada :

[traduction]

[...] Aux termes de la cession, l’intérêt d’A.M.E. Aeroworks Services Ltd., à titre de bailleur du bail principal, a maintenant été cédé à RoyNat Inc.; par conséquent, nous demandons que tous les paiements qui sont exigibles actuellement et qui le deviendront ultérieurement aux termes du bail principal soient faits directement à notre client à l’adresse suivante : [...]

Je souscris à l’allégation de l’appelante selon laquelle RoyNat a pris sa place en ce qui concerne son bail avec Shell Canada. À tout le moins, après le 15 septembre 1994, RoyNat était la personne effectuant la fourniture et, par conséquent, le fournisseur.

[5] Le paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoit ce qui suit :

[...] l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada doit payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe [...]

Dans la présente affaire, Shell était l’acquéreur. Le paragraphe 136(1) prévoit que la fourniture, par bail, du droit d’utilisation d’un immeuble est réputée une fourniture d’un tel bien. L’appelante a effectué une fourniture taxable, soit la location de l’immeuble, à Shell Canada. Après avoir exercé son droit aux termes de la cession, RoyNat est devenue le fournisseur au sens de l’article 123 de la Loi et la fourniture inclut un bail selon la définition de cet article. Une fourniture taxable est définie comme une fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale et, par conséquent, la fourniture était une fourniture taxable.

[6] Le paragraphe 221(1) énonce que la personne qui effectue une fourniture taxable doit percevoir et verser la TPS. Comme il a été dit, en exerçant ses droits en vertu de la cession du bail, RoyNat est devenue la personne effectuant la fourniture du bail d’un bien à Shell Canada. RoyNat est devenue responsable de la perception et du versement de la TPS. Il est sûrement sensé de conclure que RoyNat, qui a profité de tous les avantages du bail de l’appelante en percevant les loyers, a également pris en charge la perception et le versement de la TPS. L’imposition de cette responsabilité à l’appelante serait déraisonnable et frôlerait l’absurde.

[7] L’avocate de l’intimée a en outre soutenu que, dans le cadre de la cession faite par l'appelante en faveur de RoyNat, certains droits, intérêts et obligations sont demeurés ceux de l’appelante. Encore une fois, je suis d’accord avec la position de l’appelante selon laquelle elle n’a retenu aucun droit ni intérêt, même si elle a d’autres obligations envers RoyNat. Il est clair que RoyNat a pris la majeure partie des droits que l’appelante avait dans le bail qu’elle a conclu avec Shell. RoyNat a exercé ces droits et en a avisé Shell Canada. RoyNat est actuellement le bailleur et le fournisseur et a perçu les loyers. Shell Canada, à titre d’acquéreur de la fourniture taxable, doit payer une taxe aux termes du paragraphe 165(1).

[8] Je n’accepte pas l’argument de l’intimée portant que la clause 7 de la cession du bail restreint la portée de la cession. La totalité du bail a été cédée à RoyNat et ce, absolument. La clause 7 laisse une responsabilité ou obligation à l’appelante. Pour exécuter les obligations prévues au bail, Shell s’adresserait à RoyNat et celle-ci pourrait, à son tour, détenir un droit de réclamation contre l’appelante. La clause 7 n’a pas pour effet de restreindre la cession absolue.

[9] Conformément à l’avis du 15 septembre 1994, Shell a été avisée par RoyNat que celle-ci était en fait le bailleur. L’intention de RoyNat était claire. Il est certain qu’elle ne peut pas avoir les avantages sans les obligations. La cession a porté sur la totalité du bail et non seulement sur les loyers. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner la position subsidiaire de l’appelante, je suis convaincu que RoyNat était réputée effectuer une fourniture taxable aux termes des paragraphes 183(9) et (10) et avait l’obligation prévue au paragraphe 221(1) de percevoir la TPS de Shell Canada.

[10] En appliquant le paragraphe 183(10) aux faits actuels, je conclus qu’aux fins d’honorer la dette due par l’appelante, le créancier RoyNat a exercé, en vertu d’un titre de créance, son droit de faire fournir un bien. Le titre de créance signifie le droit de recevoir de l’argent. L’avocate de l’intimée a affirmé que la définition de l’expression “ titre de créance ” à l’article 123 n’inclut pas un bail. Je conclus que la cession faite par l’appelante en faveur de Roynat constituait la cession d’un droit de recevoir de l’argent et est un titre de créance.

[11] L’appel est accueilli et, comme le présent litige porte sur un montant supérieur à 7 000 $, aucuns dépens ne sont accordés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mars 1999.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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