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Date: 19971017

Dossier: 96-1402-UI

ENTRE :

DEIRDRE FORD,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1] L'appel en instance a été entendu à Corner Brook (Terre-Neuve), le 15 septembre 1997.

[2] L'appelante porte en appel une décision par laquelle, le 15 mai 1996, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que l'emploi qu'elle occupait chez Ford’s Funeral Home Limited, le payeur, au cours de la période en cause, soit du 1er avril au 2 septembre 1995, était exclu au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”) puisqu'elle et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance.

[3] Le paragraphe 3(1) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit :

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

[...]

[4] Le paragraphe 3(2) est libellé en partie comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance; [...]

[5] L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

Article 251. Lien de dépendance

(1) Pour l'application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(2) Définitions de “ personnes liées ”. Pour l'application de la présente loi, sont des “ personnes liées ” ou des personnes liées entre elles :

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b) une société et :

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii); [...]

[6] La charge de la preuve incombe à l'appelante. Elle doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision du ministre est entachée d'une erreur de fait et de droit. Chaque affaire doit être réglée selon les faits qui lui sont propres.

[7] Pour arriver à sa décision, le ministre s'est fondé sur les allégations de fait suivantes, que l'appelante a soit admises, soit niées :

[TRADUCTION]

a) le payeur était une société dûment constituée en société sous le régime des lois de Terre-Neuve; (admise)

b) Glen Ford était le président du payeur, dont il détenait 98 p. 100 des actions émises au cours de la période en cause; (admise)

c) Glen Ford est le père de l'appelante; (admise)

d) le payeur exploitait un salon funéraire à longueur d'année à Port aux Basques (Terre-Neuve); (admise)

e) l'appelante a été engagée par le payeur pour répondre au téléphone, laver les véhicules, aller chercher les corps et aider à la préparation de l'inhumation ainsi qu'à la célébration des obsèques; (niée)

f) la rétribution de l'appelante était basée sur un salaire de 8 $ l'heure pour une semaine de travail de 40 heures; (admise)

g) toutes les deux semaines, l'appelante touchait 640 $, pour 80 heures de travail; (admise)

h) l'appelante n'avait pas d'heures de travail fixes et elle était payée pour 80 heures de travail même lorsqu'elle ne travaillait pas 80 heures; (niée)

i) l'appelante a été payée pour des heures qu'elle n'avait pas travaillées; (niée)

j) l'appelante a été payée pour 22 semaines de travail, à raison de 40 heures par semaine, alors qu'elle n'a travaillé que 21 semaines pour le payeur; (niée)

k) la durée de l'emploi de l'appelante était excessive; (niée)

l) l'appelante avait besoin de 20 semaines d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage; (niée)

m) l'appelante a reçu du payeur un relevé d'emploi indiquant qu'elle avait occupé un emploi assurable pendant 21 semaines; (niée)

n) l'appelante a cessé de travailler pour le payeur le 25 août 1995 car elle avait été acceptée au collège; (niée)

o) après avoir été mise à pied, l'appelante a présenté une demande de prestations d'assurance-chômage et elle a demandé le statut d'étudiant indépendant pour la période pendant laquelle elle fréquenterait le collège communautaire Kingstec à Kentville (Nouvelle-Écosse), dont l'année scolaire devait commencer le 4 septembre 1995; (admise)

p) en 1994, l'appelante a travaillé pour le payeur moyennant la rétribution suivante : janvier à avril, 50 $ par semaine; mai, 5 $ l'heure; juin à août, 200 $ par semaine; (admise)

q) du mois de septembre 1994 au mois de mars 1995, l'appelante a fourni des services en grande partie semblables, sans toucher de rétribution; (niée)

r) la rétribution de l'appelante était excessive au cours de la période en cause; (niée)

s) du 1er avril au 21 juin 1995, l'appelante a fréquenté l'école secondaire à temps plein en vue de terminer sa douzième année; (admise)

t) l'appelante ne pouvait travailler pendant les heures de classe à l'école secondaire; (admise)

u) le payeur s'est occupé de 23 obsèques entre le 1er avril et le 21 juin 1995, dont 15 en semaine, pendant les heures de classe; (niée)

v) l'appelante n'a remplacé aucun travailleur au cours de la période en cause et elle n'a pas été remplacée après avoir quitté son emploi pour fréquenter le collège; (niée)

w) les tâches de l'appelante étaient accomplies par les autres travailleurs à temps plein ou à temps partiel du payeur avant et après la période en cause; (niée)

x) l'emploi de l'appelante était une entente factice destinée à permettre à cette dernière d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage pendant qu'elle fréquentait le collège; (niée)

y) l'appelante est liée au payeur au sens de l'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu; (admise)

z) l'appelante avait un lien de dépendance avec le payeur; (niée)

aa) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance. (niée)

[8] Le payeur était une société dûment constituée, dont le président, Glen Ford, le père de l'appelante, détenait 98 p. 100 des actions émises. Le payeur exploitait un salon funéraire à longueur d'année à Port aux Basques (Terre-Neuve).

[9] Au cours de la période en cause, l'appelante a été engagée pour répondre au téléphone, laver les véhicules, aller chercher les corps et aider à la préparation de l'inhumation ainsi qu'à la célébration des obsèques. L'appelante a déclaré qu'elle s'était occupée des écritures, qu'elle avait aidé les familles des personnes disparues à remplir les documents à envoyer au Régime de pensions du Canada, et qu'elle avait rempli des certificats de décès et rédigé des avis de décès. Lorsqu'elle fréquentait l'école secondaire en 1995, elle travaillait de 14 h 30 à 22 h, tout en faisant ses travaux scolaires. Elle a également déclaré qu'elle n'avait pas d'horaire de travail fixe et qu'elle travaillait également les fins de semaine pour répondre au téléphone jour et nuit.

[10] L'appelante a été engagée à temps plein en 1995 parce que son père éprouvait de graves problèmes aux reins et au foie et qu'il a été hospitalisé à Port aux Basques, puis à Corner Brook pendant environ deux semaines le 22 juin 1995.

[11] Le père de l'appelante a déclaré dans son témoignage qu'il ne pouvait effectuer que de menus travaux et que les autres employés s'occupaient du salon funéraire. L'un d'eux, un embaumeur autorisé, touchait entre 10 $ et 12,50 $ l'heure.

[12] L'appelante a travaillé en 1994; elle a effectué à peu près le même genre de travail, à l'exception du travail administratif. Du mois de janvier au mois d'avril 1994, elle a touché 50 $ par semaine et, de juin à août, 200 $ par semaine. Du mois de septembre 1994 au mois de mars 1995, elle a accompli certaines tâches, comme le nettoyage et l’époussetage, sans rétribution. Elle a expliqué ainsi la raison pour laquelle elle n'avait pas été payée : “ J'imagine que mon père n'avait pas suffisamment de travail. ”

[13] L'appelante a déclaré qu'elle était intéressée par ce genre de travail puisqu'elle voulait obtenir un permis de directeur funéraire, permis qu'elle a effectivement obtenu après une année d'études en 1996. Bien qu'elle ait obtenu son permis de conduire en mai 1995, elle a déclaré qu'il lui arrivait parfois d'aller chercher des corps à l'aéroport ou ailleurs.

[14] Au cours de sa dernière semaine de travail, elle est allée s'inscrire dans une école à Kentville (Nouvelle-Écosse), et elle est demeurée absente pendant trois ou quatre jours. D'après le père de l'appelante, celle-ci a été mise à pied parce qu'elle devait retourner à l'école et qu'il était en mesure de reprendre ses fonctions, bien qu'il ait déclaré qu'en juillet 1995, après son opération, il ne pouvait effectuer que des menus travaux, et que l'appelante avait continué à travailler en août 1995 parce qu'elle avait besoin de la formation.

[15] Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a déclaré dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R. (178 N.R. 361), rendu le 1er décembre 1994, dans des affaires qui mettent en cause l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage, la Cour doit se demander si la décision du ministre “ résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire ”. La Cour doit d'abord demander à l'appelante de “ [faire] la preuve d'un comportement capricieux ou arbitraire du Ministre ”.

[16] Dans l'arrêt Procureur général du Canada et Jencan Ltd. (A-599-96), daté du 24 juin 1997, la Cour d'appel fédérale a réitéré le principe qui avait été énoncé dans l'arrêt Ferme Émile Richard, précité. Le juge en chef Isaac s'est exprimé dans les termes suivants (aux pages 22 et 23) :

[...] S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. [...]

[17] La preuve soumise par l'appelante et par son père indique que l'appelante dirigeait à toutes fins pratiques l'entreprise pendant la période où son père, malade, était incapable de travailler; cependant, le père a admis qu'il effectuait de menus travaux et qu'il avait été en mesure de reprendre ses fonctions lorsque l'appelante était retournée à l'école. En 1994, il était parfois arrivé à l'appelante d'effectuer certaines tâches, comme l'époussetage, sans être rétribuée. Il est déraisonnable de conclure que des fonctions administratives ont été ajoutées en 1995, certaines obsèques ayant eu lieu en semaine, pendant que l'appelante était à l'école.

[18] L'appelante a travaillé le nombre nécessaire de semaines pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage. Elle n'a pas travaillé un nombre régulier d'heures au cours de la dernière semaine du mois d'août 1995. Elle a été mise à pied parce qu'elle s'en allait étudier en Nouvelle-Écosse.

[19] Il est raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. Compte tenu de toutes les circonstances, je suis convaincu que l'appelante ne s'est pas acquittée de la charge qu'elle avait d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que le ministre avait agi de façon capricieuse ou arbitraire dans la présente affaire. L'emploi est par conséquent exclu conformément à l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[20] L'appel est rejeté et la décision du ministre en date du 15 mai 1996 est confirmée.

« J. Somers »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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