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Date: 19990225

Dossier: 97-1901-UI; 97-1902-UI

ENTRE :

CHRISTIAN LAVERDIÈRE, RENÉE BLAIS,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels portant sur l'assurabilité du travail exécuté par l'appelant Christian Laverdière, lors des périodes allant du 5 janvier au 26 décembre 1992, du 3 janvier au 25 décembre 1993, du 2 janvier au 24 décembre 1994, du 1er janvier au 23 décembre 1995, du 31 décembre 1995 au 12 octobre 1996 et du 13 octobre 1996 au 17 janvier 1997 et de l'appelante, Renée Blais, lors des périodes allant du 13 avril au 23 octobre 1992, du 15 février au 7 mai 1993 et du 31 mai au 3 décembre 1993.

[2] Le travail litigieux a été exécuté pour le compte et bénéfice de la compagnie École de conduite Salbi Inc. ( « École de conduite » ).

[3] Les appels ont fait l'objet d'une preuve commune.

[4] La preuve a établi que le payeur exploitait deux écoles de conduite automobile. Le siège social de l'entreprise était à Montmagny; la principale École de conduite y était également localisée. La deuxième École était située à St-Pamphile ( « École » ) et sa création découlait d'une obligation administrative voulant qu'il y ait là une École de conduite permanente dans cette Municipalité Régionale de Comté ( « M.R.C. » ), jusqu'alors desservie par une simple place d'affaires satellite.

[5] Lors de la décision d'y aménager une école permanente, la responsabilité en fut confiée aux appelants. Pour ce faire, tout le sous-sol de leur résidence y fut aménagé, et ce, en conformité avec les exigences relatives aux bâtiments publics. Ainsi, le local fut divisé en salle de cours, bureau, chambre de toilette, rampe d'accès pour les handicapés et entrée indépendante aux locaux donnant accès à l'École.

[6] La compagnie École de conduite Salbi Inc. versait aux appelants un loyer mensuel de 500 $, le tout conformément à un bail d'une durée de cinq ans, prévoyant des ajustements relatifs à l'augmentation du coût de la vie et des taxes et assurances (pièce A-1).

[7] Les appelants ont témoigné à l'effet que les opérations étaient plus intenses de mai à octobre; la saison hivernale, selon eux, était une période plutôt tranquille.

[8] Les appelants assumaient la responsabilité de la totalité des activités à St-Pamphile, à l'exception de l'administration ayant trait à la comptabilité, à la préparation des payes, etc.; les appelants devaient, par contre, voir à la signature des contrats et à la perception des argents découlant de la signature desdits contrats. L'École de St-Pamphile était dotée d'une ligne téléphonique commerciale que les appelants utilisaient à leurs fins personnelles.

[9] Bien qu'une enseigne extérieure affichait les heures d'affaires comme étant de 8 h à 5 h, les appelants qui résidaient au rez-de-chaussée au-dessus de l'École devaient répondre aux clients en dehors des périodes indiquées sur le panneau extérieur.

[10] La très grande majorité des cours offerts par l'École visait des personnes en quête d'un premier permis de conduire émis par la Société d'assurance automobile du Québec (la « S.A.A.Q. » ). L'École donnait également des cours spéciaux, des cours de perfectionnement de conduite sur glace, etc.

[11] De façon générale, les cours offerts comprenaient deux volets : l'un pratique et l'autre théorique. Lors des années en litige, seuls les cours pratiques étaient obligatoires pour obtenir un permis de conduire. Comme les prix pour les cours incluaient les deux volets, la plupart des étudiants profitaient aussi des cours théoriques. Les appelants ne gardaient pas de registre sur l'assiduité des élèves quant aux cours théoriques, ceux-ci n'étant pas obligatoires à l'examen d'obtention du permis de conduire. Par contre, un tel registre existait pour les cours pratiques, étant donné que l'École devait fournir la preuve que tous les cours pratiques avaient été suivis.

[12] Seule l'appelante, Renée Blais, était qualifiée pour enseigner la théorie; elle était aussi qualifiée pour donner les cours pratiques, tout comme son conjoint, Christian Laverdière.

[13] Les appelants se partageaient la responsabilité des cours pratiques mais l'appelant, Christian Laverdière, était plus occupé à ce chapitre, puisqu'il ne participait pas à la formation théorique des élèves. En outre, l'appelant s'occupait seul de l'entretien des lieux utilisés par l'École et de l'entretien du véhicule automobile. Les appelants s'occupaient, ensemble, de fournir différents renseignements relatifs à la conduite automobile, prenaient toutes sortes d'initiatives pour attirer de nouveaux clients, suivaient eux-mêmes divers cours de perfectionnement leur permettant de garder leurs connaissances à jour et de fournir à leur clientèle la formation répondant au plus haut standard possible. Le Club Automobile du Québec ( « C.A.A. » ) accréditait l'École de conduite dirigée par les appelants.

[14] Dans le cadre de leur travail, les appelants devaient souvent se déplacer et parcourir de longs trajets, dont ceux requis pour que leurs élèves passent leurs examens de la S.A.A.Q.; ils offraient aussi des services à différents autres endroits et louaient leur véhicule lorsque leurs élèves leur en faisaient la demande.

[15] Pour leur travail, ils étaient rémunérés selon un tarif horaire qui variait entre 8 $ et 10 $, établi selon les témoignages, en fonction de leur expérience et ancienneté pour la compagnie. Il n'y avait cependant pas de comptabilité pour le calcul des heures travaillées, contrairement aux tiers qui travaillaient pour l'École de Montmagny, lesquels étaient rétribués essentiellement en fonction des heures travaillées et enregistrées.

[16] Dans les faits, les appelants ont reçu des rétributions de deux ordres : soit des semaines dont le nombre d'heures étaient de 40 ou 44 heures et à d'autres occasions, dont le nombre d'heures était inférieur à 10 heures par semaine. Ces constats proviennent de la copie du livre des salaires (pièce I-3). Les payes étaient préparées à partir de Montmagny.

[17] Madame Francine Blais, mère de l'appelant, communiquait à raison de deux ou trois fois par semaine avec l'École dirigée par les appelants pour vérifier si tout allait bien et, particulièrement, quant à la perception des créances.

[18] Pour justifier l'assurabilité de leur emploi, les appelants ont soumis à l'intimé des tableaux démontrant la ventilation des heures travaillées au cours des différentes périodes. L'intimé ayant accordé une importance déterminante à ces tableaux, les appelants ont beaucoup insisté sur le fait que le contenu desdits tableaux était incomplet en ce qu'ils reflétaient seulement une partie du travail exécuté. Ils ont expliqué que les tableaux avaient été complétés à partir des formulaires fournis par la S.A.A.Q. pour le contrôle des heures pratiques; conséquemment, il n'était aucunement tenu compte des nombreuses heures consacrées, dans le cas de l'appelante, à l'enseignement de la théorie et, dans le cas de l'appelant, à ses autres responsabilités tels l'entretien des lieux et de l'auto, et des différentes vacations au bureau des licences. Tous deux ont affirmé avec grande fermeté avoir travaillé durant les périodes entre mi-avril, début mai et fin septembre, plus de 40 heures par semaine contredisant ainsi radicalement les conclusions retenues par l'intimé à l'origine de certains allégués aux Réponses aux avis d'appel. Ainsi, dans le dossier 97-1901(UI), il est allégué :

l) le journal des salaires du payeur ne reflète pas la réalité, quant aux heures réellement travaillées de l'appelant;

m) durant l'année 1992, l'appelant apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 9 781 $, alors que, selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelant aurait dû s'établir à 4 329 $;

n) durant l'année 1993, l'appelant apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 11 545 $, alors que, selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelant aurait dû s'établir à 6 630 $;

o) durant l'année 1994, l'appelant apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 12 551 $, alors que, selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelant aurait dû s'établir à 6 469 $;

p) durant l'année 1995, l'appelant apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 14 814 $, alors que, selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelant aurait dû s'établir à 6 910 $;

q) durant l'année 1996, l'appelant apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 15 275 $, alors que, selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelant aurait dû s'établir à 6 649 $;

et dans le dossier 97-1902(UI), il est allégué :

j) l'appelante apparaissait au journal des salaires du payeur pour des semaines de travail prétendues de 4 heures, 5 heures ou 40 heures;

...

m) durant l'année 1992, l'appelante apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 8 541 $, alors que selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelante aurait dû s'établir à 2 533 $;

n) durant l'année 1993, l'appelante apparaissait au journal des salaires pour un revenu total de 19 855 $, alors que selon les fiches d'élèves, le revenu de l'appelante aurait dû s'établir à 4 563 $;

o) l'appelante était payée davantage que pour ses heures réellement travaillées;

[19] Monsieur Bruno Arguin, agent d'appel pour Revenu Canada, responsable du dossier des appelants, a témoigné à l'effet qu'il avait travaillé dans le dossier des appelants, à la suite d'une enquête ayant trait à une pratique de la compagnie École de conduite Salbi Inc. portant sur le cumul d'heures fait à l'avantage des travailleurs non liés à l'emploi de la compagnie.

[20] Suite à sa première analyse, de concert avec le procureur de la famille Blais, le ministère du Revenu national avait convenu de refaire la comptabilité des heures en fonction des heures travaillées pour les bonnes périodes. Pour y arriver, il fut convenu de préparer des tableaux descriptifs des jours et semaines de l'exécution du travail.

[21] Dans un premier temps, les tableaux relatifs aux employés sans lien de dépendance furent produits. Après vérification, il s'est avéré que le contenu des tableaux était conforme à la réalité et surtout balançait avec le livre des salaires d'où il fut déterminé que ces travailleurs occupaient pour les différentes périodes des emplois assurables.

[22] Dans un deuxième temps, des tableaux ayant trait au travail exécuté par les appelants furent également produits. Or après vérification, il s'est avéré que les données, cette fois, ne balançaient aucunement avec les chèques de paye et le livre des salaires, créant ainsi une suspicion chez le responsable de l'enquête.

[23] La prépondérance de la preuve a effectivement établi que les tableaux relatifs aux appelants avaient été préparés à partir des dossiers des élèves et tenaient compte exclusivement des heures consacrées à la pratique. En d'autres termes, les tableaux ne faisaient aucunement état du temps consacré par l'appelante à la théorie, aux cours spéciaux, au travail clérical, aux différents voyages, à l'entretien, etc. Selon les appelants, la non-comptabilité du temps consacré à toutes les autres tâches autres que les cours pratiques expliquaient et justifiaient l'écart constaté par monsieur Arguin.

[24] D'ailleurs, monsieur Arguin a admis et reconnu que la preuve soumise par les appelants lors de l'audience, débordait largement l'information dégagée par les tableaux. Il a de plus admis que les tableaux avaient constitué l'élément déterminant à l'origine de ses recommandations.

[25] Le travail exécuté par les appelants fut exclu des emplois assurables en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ). Comme l'exclusion ne pouvait être opposée à l'appelant pour l'année 1992, l'intimé a voulu y remédier en alléguant qu'un lien de dépendance de facto avait existé pour cette même année.

[26] Lorsqu'une détermination résulte du pouvoir discrétionnaire édicté par cet article, la Cour canadienne de l'impôt voit alors sa juridiction restreinte à un contrôle judiciaire; ainsi, la Cour doit vérifier la légalité de la décision dans un premier temps. Lorsque la preuve n'établit pas, selon une prépondérance de la preuve, que le Ministre a fait une erreur fondamentale, ce Tribunal ne peut intervenir, ce qui a pour effet de confirmer la décision.

[27] L'intervention du Tribunal est donc assujetti à la démonstration d'un grave manquement lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[28] Les paramètres de cette juridiction limitée et restreinte ont été clairement définis et expliqués par la Cour d'appel fédérale dans les décisions suivantes :

Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., C.F.A. A-599-96;

Procureur général du Canada c. Jolyn Sport Inc., C.F.A. A-96-96;

Sa Majesté La Reine et Bayside Drive-In Ltd., C.F.A. A-627-96;

Ferme Émile Richard & Fils Inc. et Le Ministre du Revenu national, C.F.A. A-172-94;

Tignish Auto Parts Inc. et Le Ministre du Revenu national, C.F.A. A-555-93.

[29] En l'espèce, il a été démontré que le ministre du Revenu national avait accordé une importance non justifiée et démesurée aux tableaux très incomplets, qui, au surcroît, ne représentaient qu'une partie du travail exécuté. De plus, il est ressorti que monsieur Arguin avait orienté son analyse à partir des différents constats effectués dans les autres dossiers pour le même employeur; il présumait ainsi, à tort, que la même recette s'appliquait. Ces griefs sont en soi largement suffisants pour conclure que le pouvoir discrétionnaire a été mal utilisé au point que l'ensemble de l'exercice doit être disqualifié. Monsieur Arguin a certes effectué un travail important mais à partir de données fondamentales incomplètes et, cela, en plus d'être biaisé par l'enquête précédente. Pour éviter toute équivoque sur la nature de l'appréciation et pour me conformer à la lettre au jugement dans l'affaire Procureur Général du Canada et Christian Thibault, A-278-97, je conclus que la détermination était illégale pour les raisons ci-avant mentionnées.

[30] Le fait de ne pas avoir pris en considération la totalité des heures travaillées constituait un oubli de taille. À qui incombait la responsabilité de fournir les renseignements manquants? À cet égard, les appelants, alors représentés par procureur, devaient assumer une partie de cette responsabilité; mais à la lumière du témoignage de monsieur Arguin, il y a lieu de croire que ce dernier a sans doute cru qu'il avait en mains tout ce dont il avait besoin pour conclure son enquête, puisque des tableaux semblables avaient permis de disposer des autres dossiers et ce, à la satisfaction de tous. Il n'a, de toute évidence, pas cru bon s'enquérir auprès des appelants s'ils avaient d'autres renseignements ou éléments à ajouter, d'autant plus qu'il a indiqué qu'il avait aussi obtenu les livres de salaire, les chèques de paye et un document relatif à la comptabilité des heures (pièce I-4).

[31] Parmi les documents soumis, la comptabilité manuscrite des heures travaillées pour l'année 1993 s'avérait être une indication qui aurait dû susciter une investigation plus poussée. Or, monsieur Arguin a affirmé ne pas avoir tenu compte de ce document renfermant de précieuses informations relatives au partage des heures; cette annexe relative aux heures travaillées démontrait d'une façon assez éloquente que les tableaux étaient très incomplets.

[32] La Cour, à la lumière de la preuve, doit donc intervenir et analyser le dossier des appelants sous l'angle d'un procès de novo.

[33] L'article 3(2)c) stipule ce qui suit :

3.(2) Les emplois exclus sont les suivants :

...

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[34] Les ententes de travail étaient-elles semblables à celles que des personnes non liées auraient convenu dans des circonstances comparables?

[35] Les appelants, à qui incombait le fardeau de faire cette démonstration par une prépondérance de la preuve, n'ont effectivement pas relevé ce fardeau de la preuve. Il a certes été établi que tous les employés de la compagnie dont les appelants recevaient une rétribution en fonction de leur expérience et qualification exclusivement.

[36] Madame Francine Blais a mentionné qu'elle arrondissait souvent la rétribution pour compenser le travail de secrétariat que l'appelante et son conjoint exécutaient. Cette preuve n'a pas été soumise pour les travailleurs non liés. D'autre part, il était nécessaire d'établir que la comparaison rencontrait les autres facettes dont notamment les modalités, la durée, la nature et l'importance du travail exécuté.

[37] Les appelants bénéficiaient d'un statut particulier rendant possiblement la comparaison difficile. Ce statut spécial s'expliquait du fait qu'ils devaient voir seuls à la bonne marche de l'École de St-Pamphile. Ils pouvaient mériter un traitement spécial ou une bonification pour compenser les nombreux inconvénients de l'exploitation d'une entreprise de services en milieu rural, où la clientèle est particulièrement exigeante et non habituée à la discipline commandée par le même genre d'entreprise dans les centres urbains. Encore là, la preuve n'a pas établi un minimum de faits qui puissent permettre de faire une telle analyse.

[38] Les appelants croyaient sans doute que le simple fait de démontrer que le responsable de l'enquête avait manqué de rigueur dans le traitement de leur dossier respectif suffisait pour avoir gain de cause. Certes, ils ont réussi à établir que l'intimé avait omis dans son étude et analyse, des éléments très importants donnant ainsi ouverture à l'intervention de ce Tribunal pour appréciation de l'ensemble de la preuve.

[39] Ayant investi leurs efforts et énergies à établir que les déterminations ne tenaient pas compte de la totalité du temps consacré à leur travail, cela a eu pour effet de soulever plusieurs questions relatives aux données consignées au livre des salaires; en effet, l'uniformité des heures travaillées décrites au livre des salaires et les changements radicaux d'une période à l'autre nécessitaient des explications qui ne sont jamais venues.

[40] Or, comme je l'ai précédemment indiqué, les appelants devaient, par une prépondérance de la preuve, établir que leurs relevés d'emploi pour les périodes en litige correspondaient et balançaient avec le travail exécuté mais aussi avec le salaire horaire indiqué.

[41] L'audience a plutôt révélé que les relevés d'emploi émis à partir des registres des salaires étaient façonnés par des considérations diverses, telles les prestations d'assurance-chômage, des compensations pour éloignement et isolement de l'École de conduite à St-Pamphile et, aussi, par des primes d'encouragement découlant de la responsabilité du bureau. Le livre des salaires ne reflétait pas la rigueur mathématique devant résulter essentiellement de l'addition des heures réellement travaillées au salaire horaire convenu.

[42] Conséquemment, il ne s'agissait pas de contrats de travail à peu près semblables à ceux qui auraient existé n'eût été du lien de dépendance entre les parties, en ce qu'ils étaient largement influencés par une complaisance et générosité dont aucun tiers n'a bénéficié, du moins d'après la preuve soumise.

[43] Par conséquent, les appels doivent être rejetés sur la base de l'exclusion prévue à l'alinéa 3(2)c) de la Loi et ce, pour toutes les périodes à l'exception de la période en litige pour l'année 1992 où l'intimé a essentiellement allégué que l'appelant avait, pour cette période, un lien de dépendance de fait.

[44] Un lien de dépendance de fait ne se présume pas, la preuve doit en être faite. Il n'y a eu aucune preuve à cet effet; conséquemment, l'exclusion prévue par les dispositions de l'alinéa 3(2)c) de la Loi ne peut être soulevée à l'encontre de l'appelant pour cette période en 1992.

[45] Par contre, je crois que le travail exécuté par l'appelant durant cette même période en 1992 ne constitue pas pour autant un véritable contrat de louage de services et ce, notamment, pour les raisons suivantes. Tout d'abord, seul un véritable contrat de travail peut rencontrer les exigences pour être qualifié de contrat de louage de services; un véritable contrat de louage de services doit regrouper certaines composantes essentielles dont une prestation de travail; son exécution doit être subordonnée à l'autorité du payeur de la rétribution. La rémunération doit être fonction de la quantité et qualité du travail exécuté.

[46] Toute entente ou arrangement prévoyant des modalités de paiement de la rétribution non pas en fonction du temps ou de la période d'exécution du travail rémunéré, mais en fonction de d'autres objectifs tel tirer avantage des dispositions de la Loi, vicie la qualité du contrat de louage de services.

[47] Cette appréciation est d'ailleurs valable pour toutes les périodes en litige ayant trait aux deux appelants. Les modalités d'un véritable contrat de louage de services doivent s'articuler autour de la prestation de travail à accomplir, d'un mécanisme permettant de contrôler l'exécution du travail et finalement, d'une rétribution correspondant essentiellement à la qualité et la quantité du travail exécuté.

[48] Certes, un contrat de travail peut prévoir, tout en étant légal et légitime, toutes sortes d'autres conditions dont une rémunération beaucoup supérieure à la valeur du travail exécuté ou inversement; certains contrats peuvent même être à titre gratuit. Une prestation de travail peut être exécutée dans le cadre d'une opération de bénévolat. Il est possible d'imaginer toutes sortes d'hypothèses et de scénarios.

[49] Tout contrat de travail prévoyant des particularités est généralement opposable aux seules parties contractantes et ne lie en rien les tiers, dont l'intimé.

[50] Il en est ainsi au niveau de toute entente ou arrangement dont le but et objectif est d'étaler ou cumuler la rémunération due ou être due de manière à tirer avantage des dispositions de la Loi. Toute planification ou entente qui maquille ou altère les faits relatifs à la rétribution, dans le but de maximiser les bénéfices de la Loi, disqualifie le contrat de louage de services.

[51] La Loi n'assure que les véritables contrats de louage de services; un contrat de travail dont la rétribution n'est pas fonction de la période d'exécution du travail ne peut être définie comme un véritable contrat de louage de services. Il s'agit d'une entente ou d'un arrangement qui discrédite la qualité d'un véritable contrat de louage à ce qu'il associe des éléments étrangers à la réalité contractuelle exigée par la Loi.

[52] En l'espèce, à quelques reprises au cours de l'audience, j'ai souligné les incohérences de la preuve relative à la comptabilité des heures travaillées.

[53] J'ai notamment indiqué que l'appelant non qualifié pour l'enseignement théorique décernait pendant de longues périodes des cours pratiques, laissant ainsi croire que durant ces périodes, les élèves n'avaient droit qu'à des cours pratiques. L'explication voulant que les élèves reçoivent l'enseignement théorique par anticipation ou en retard est peu vraisemblable.

[54] J'ai aussi souligné que l'appelante recevait de petites rétributions et cela sans avoir exécuté, selon son propre témoignage, quelque travail que ce soit.

[55] Pour tenter de corriger certaines déficiences de la preuve, l'appelante a été mise à contribution pour apporter certaines précisions; elle a alors modifié sa version et soutenu qu'elle effectuait du travail lorsqu'elle était en promenade, à Montmagny, chez ses parents pour justifier la rémunération décrite au livre des salaires. Elle avait, dans un premier temps, témoigné à l'effet qu'elle ne travaillait pas lors de ces séjours chez ses parents.

[56] Il a de plus été clairement démontré que les appelants recevaient souvent des rémunérations arrondies pour tenir compte de la responsabilité mais le hasard a toujours voulu que, dans la grande majorité des cas, le montant soit toujours inférieur au montant susceptible d'affecter à la baisse leurs prestations d'assurance-chômage.

[57] Bien qu'il ait été mentionné à plusieurs reprises que les appelants étaient rémunérés non pas à la semaine mais sur une base horaire, il est assez étonnant de constater comment il y avait peu de variation dans le total des heures travaillées. La régularité des payes est d'autant plus surprenante que tous les témoins ont mentionné qu'il s'agissait d'une entreprise dont les activités économiques avaient des hauts et des bas nécessitant régulièrement des ajustements.

[58] D'ailleurs, le témoignage de madame Blais à l'effet que l'entreprise avait pratiqué la politique du cumul d'heures pour avantager les tiers à l'emploi de la compagnie, confirme bien qu'il s'agissait d'une entreprise dont les activités économiques n'étaient pas stables.

[59] Madame Blais, à une question directe, à savoir si les appelants avaient eux aussi bénéficié de la politique du cumul d'heures, a donné une réponse très peu convainquante en affirmant qu'elle ne s'en souvenait pas mais qu'elle ne le croyait pas.

[60] La preuve est en tout point conforme et cohérente avec le contenu de la déclaration statutaire de l'appelante. Bien que la déclaration n'ait pas été écrite par cette dernière, je crois qu'elle représente et confirme la réalité prépondérante dégagée par la preuve :

Je travaille pour l'École de conduite Salbi de Montmagny depuis environ 12 ans. C'est moi qui opère la Succursale de St-Pamphile avec mon conjoint, Christian Laverdière depuis environ 10 ans. L'École est située à même mon domicile et le numéro de téléphone de l'école est le même que le mien. Je suis instructeur-moniteur depuis 5 ans. Avant j'étais seulement moniteur, je ne pouvais donc pas donner de cours théoriques. En plus de donner des cours, je fais le secrétariat, je fais passer des examens de reprises, je fais l'entretien de l'école, je ne lave pas les autos. Je reconnais qu'il y a des fois où je n'ai pas déclaré mon travail sur mes cartes de prestation, on s'était entendu, ma mère et moi sur une moyenne de salaire. Notre système fonctionnait comme suit; du début de l'hiver où lorsque c'était plus tranquille, ma mère Francine Blais me donnait une cessation d'emploi, je déposais par la suite une demande de prestations. Durant les deux semaines d'attente, je ne recevais pas de salaire et je ne déclarais pas de travail sur mes cartes. Après mes deux semaines d'attente, ma mère me versait un salaire qui correspondait à environ le quart de mon taux de chômage, c'est à dire le montant que j'avais droit de gagner sans être coupé sur mon chômage. Depuis le 6 octobre 1991, la seule recherche d'emploi que j'ai fait est de donner mon nom au Salon de quilles de Montmagny comme barmaid les fins de semaines. J'ai aussi donné mon nom à la Caisse populaire de St-Pamphile, je ne me souviens pas si ça fait 1 an, 2 ans ou 3 ans. Je mettais toutes mes énergies pour faire progresser l'École de conduite de St-Pamphile, je ne comptais pas mon temps, d'ailleurs je n'ai pas de registre de temps qui consigne mes heures travaillées. C'est toujours moi qui complétais mes cartes de chômage et je reconnais ma signature sur ma demande déposée le 26 octobre 1992. Lorsque je déclare au début de cette page que ma mère me faisait une paie qui correspondait à ce que j'avais droit de gagner sans être coupé sur le chômage, je tiens à préciser que ce n'était pas calculé, c'est arrivé comme ça.

[61] La comptabilité parallèle des heures travaillées par les appelants annexée au livre des salaires pour l'année 1993, est aussi révélatrice sur l'absence totale de cohérence entre le livre des salaires et l'exécution du travail.

[62] Cette incohérence découle également des tableaux préparés par les appelants lesquels illustrent exclusivement le travail exécuté dans le cadre du volet pratique compilé à partir des fichiers d'élèves fournis par la S.A.A.Q.

[63] Il ressort clairement de ces tableaux que la Succursale de St-Pamphile était opérationnelle toute l'année; l'appelant n'était pas habilité à donner des cours théoriques, ce qui avait pour effet d'obliger l'appelante à assumer cette obligation d'enseigner la théorie.

[64] D'autre part, si des cours pratiques étaient offerts aux élèves, il y a lieu de croire que des cours théoriques étaient aussi disponibles, que le bureau était ouvert et que le téléphone était opérationnel.

[65] Comment concilier tous ces faits avec le livre des salaires indiquant que l'appelante avait reçu pour les mois de janvier, février, mars et mi-avril une rémunération pour quatre heures de travail par semaine seulement et pour les mois de novembre et décembre, cinq heures par semaine seulement?

[66] L'information dégagée par les registres des salaires confirme les nombreux soupçons découlant tant de la preuve documentaire que testimoniale, à savoir que les rétributions versées aux appelants n'étaient pas en corrélation avec les heures et semaines d'exécution du travail.

[67] Ce constat est en soi suffisant pour qualifier le contrat qui existait entre les parties d'arrangement, dérogeant ainsi aux conditions fondamentales d'un contrat de louage de services qui ne permet pas une telle flexibilité.

[68] Le salarié, partie à un véritable contrat de louage de services, où il existe un réel lien de subordination et dont la prestation est assujettie au pouvoir de contrôle du payeur doit recevoir sa rémunération en fonction exclusivement du travail exécuté au taux convenu; il n'y a pas de place pour d'autres considérations telles la générosité ou complaisance. J'ai souvent indiqué que l'assurance-chômage est une mesure sociale pour venir en aide à ceux qui perdent vraiment leur emploi et non un programme de subventions pour venir en aide à l'entreprise, ou pour avantager des bénéficiaires qui déforment ou modifient la structure et les modalités de paiement de la rétribution que commande leur prestation de travail.

[69] Toute entente ou arrangement relatif au cumul ou à l'étalement a pour effet de vicier le contrat de louage de services, d'autant plus que cela crée une relation contractuelle peu ou pas propice à l'existence d'un lien de subordination, composante essentielle d'un contrat de louage de services.

[70] Pour toutes ces raisons, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada ce 25e jour de février 1999.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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