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Date: 20000203

Dossier: 98-2488-IT-I

ENTRE :

MAUREEN RYAN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario), le 13 janvier 2000.)

Le juge Mogan C.C.I.

[1] Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1996, l'appelante a déduit la somme de 9 534 $ à l'égard de montants versés à un avocat dont elle avait retenu les services relativement à une affaire matrimoniale. Au moyen d'un avis de cotisation, le ministre du Revenu national a refusé la déduction de cette somme. L'appelante a interjeté appel devant la Cour à l'encontre de cette cotisation et elle a choisi la procédure informelle.

[2] L'appelante s'est mariée dans les années 1970. Deux enfants, Patrick, en 1975, et Megan, en 1977, sont issus du mariage. Vers 1986 ou 1987, l'appelante et son mari se sont séparés et ont divorcé. Selon la preuve non contestée de l'appelante, après le divorce, elle avait le droit de recevoir de son ex-mari certains paiements pour l'entretien de leurs deux enfants, mais elle ne recevait pas d'aliments pour elle-même. Je présume qu'elle travaillait et qu'elle était en mesure de subvenir à ses propres besoins.

[3] De 1986 à 1996, l'appelante et son ex-mari sont revenus en cour à trois reprises. À deux occasions c'est l'appelante qui a introduit la procédure, une fois pour recouvrer l'arriéré des paiements pour l'entretien des enfants et la deuxième fois pour faire modifier une ordonnance ou une entente préexistante. La troisième fois, l'ex-mari a été traduit en justice par un organisme du gouvernement provincial qui s'occupait de la perception des versements d'aliments à la suite de l'échec d'un mariage.

[4] En l'espèce, il est question d'une instance qui s'est déroulée devant les tribunaux de l'Ontario durant les années civiles 1994, 1995 et 1996. L'intimée a déposé sous la cote R-1 une copie de la déclaration de revenu de l'appelante pour 1996 dans laquelle figure sa déduction du montant de 9 534 $. La pièce R-2 est une lettre datée du 23 mai 1995 adressée à l'appelante par Shamim Shivji, l'avocat qui l'a représentée dans l'instance qui l'opposait à son ex-mari. Cette lettre est rédigée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Vous trouverez ci-joint ma note d'honoraires provisoire dans l'affaire susvisée.

Veuillez prendre note que le document susmentionné vous est fourni seulement à titre d'information et pour vos dossiers. Ma note d'honoraires sera payée par le régime d'aide juridique de l'Ontario. Les frais relatifs à cette cause jusqu'à la date de la présente note d'honoraires sont les suivants :

Honoraires 8 252,68 $

Débours 1 281,35 $

TPS           653,00 $

Total 9 534,03 $

Je prévois consacrer une cinquantaine d'heures de travail à la préparation en vue du procès et au procès lui-même. Je ne crois pas que les honoraires et les débours additionnels dépassent 5 000 $ et c'est ce que j'ai indiqué au régime d'aide juridique de l'Ontario.

Trois notes d'honoraires, datées du 30 septembre 1994, du 19 mai 1995 et du 29 février 1996, respectivement, sont annexées à la lettre. La dernière note d'honoraires, portant une date en 1996, n'aurait pas pu être annexée à la lettre envoyée en mai 1995. Dans le calcul de son revenu pour 1996, l'appelante a déduit le montant de 9 534 $ dont parle la lettre qui fait partie de la pièce R-2. Je mentionne, en passant, qu'il y a une erreur d'addition dans la lettre, mais cela n'est pas pertinent, compte tenu de ma conclusion globale en l'espèce.

[5] L'avocate de l'intimée a contre-interrogé l'appelante sur la note d'honoraires de l'avocat datée du 29 février 1996. Cette note d'honoraires de sept pages est détaillée dans le sens qu'elle indique la date à laquelle chaque service juridique a été rendu et contient une courte description de chaque service. En examinant les sept pages, on constate que la note d'honoraires couvre la période du 4 mai 1995 au 19 février 1996, date à laquelle un jugement a, semble-t-il, été obtenu dans la procédure intentée contre l'ex-mari.

[6] L'appelante a déduit le montant en question en se fondant sur le fait qu'elle avait cherché à contraindre son ex-mari à payer les sommes dues pour l'entretien de leurs deux enfants. Il semble qu'aux termes d'une ordonnance pertinente d'un tribunal ou en vertu d'une entente intervenue entre l'appelante et son ex-mari, ce dernier était tenu de subvenir aux besoins des enfants tant qu'ils poursuivaient leurs études, et que les aliments ne cessaient pas nécessairement d'être versés dès qu'ils avaient atteint l'âge de dix-huit ans. C'est la raison pour laquelle ces paiements ont continué d'être faits jusqu'au milieu des années 1990. Lors de son contre-interrogatoire, l'appelante a reconnu que certains éléments figurant dans la dernière note d'honoraires, datée du 29 février 1996, qu'elle avait reçue de son avocat étaient liés à la modification des stipulations en vertu desquelles l'ex-mari était tenu de subvenir aux besoins des enfants. L'appelante a dit qu'il existait des circonstances particulières vers 1994, 1995 et 1996 puisque sa fille, Megan, avait dû suivre un traitement orthodontique. La question de savoir si ce type de frais était couvert par les conventions ou par l'ordonnance du tribunal s'est peut-être donc posée.

[7] D'après le libellé de la note d'honoraires, l'appelante a reconnu que dans deux cas en particulier les services juridiques visaient en partie à faire modifier les conditions relatives aux aliments. L'inscription pour le 17 janvier 1996 est la suivante :

[TRADUCTION]

Préparation de trois annexes sur les dépenses effectuées pour les enfants; modification de la pension alimentaire – calculs faits; finalisation et dépôt du mémoire en vue de la conférence préparatoire; examen du dossier en préparation de la conférence préparatoire.

L'appelante a reconnu que les calculs relatifs à la “ modification de la pension alimentaire ” concernaient la modification des stipulations alimentaires à l'égard des deux enfants. Pour le 1er février 1996, l'avocat indique avoir rendu les services suivants :

[TRADUCTION]

Appel téléphonique de Beth Beattie, avocate du mari; bref examen des conditions énoncées au procès-verbal de transaction et des modifications apportées.

Là encore, l'appelante a reconnu que cela se rapportait probablement aux tentatives en vue de faire modifier les stipulations alimentaires. En l'absence d'une preuve plus précise, je conclus qu'une partie des frais judiciaires engagés par l'appelante à l'égard de l'action intentée à son ex-mari se rapportaient à la modification des stipulations alimentaires. Je conclus également qu'une partie des frais judiciaires ont été engagés pour obtenir le paiement de tout arriéré d'aliments. Donc, les services juridiques ont été rendus dans deux buts distincts.

[8] Dans la décision The Queen v. Burgess, 81 DTC 5192, le juge Cattanach énonce la distinction entre une dépense imputable au capital engagée pour créer un droit et une dépense imputable au revenu engagée pour obtenir le paiement après que le droit a été créé. Dans l'affaire Burgess, devant la Commission de révision de l'impôt la contribuable avait obtenu gain de cause, de sorte que c'était le ministre du Revenu national qui était le demandeur et Mme Burgess la défenderesse devant la Division de première instance de la Cour fédérale. Le juge Cattanach a dit :

Il échet donc d'examiner si la défenderesse a subi les frais judiciaires dont s'agit pour gagner un revenu qui lui appartenait de droit. En d'autres termes, il échet d'examiner si elle a subi ces frais judiciaires pour recevoir un revenu auquel elle avait droit. Si l'on répond à cette question par l'affirmative, ces frais sont dès lors proprement déductibles.

Il ne fait aucun doute que la défenderesse avait droit aux paiements, mais il s'agit de déterminer les faits générateurs de ce droit. Ce droit est celui en vertu duquel la défenderesse reçoit la pension; c'est un “ bien ” au sens large de la définition susmentionnée du paragraphe 248 (1).

Il s'agit ensuite de déterminer les faits générateurs du droit de la défenderesse à une pension alimentaire. S'agit-il (1) d'un droit né lors du mariage de la défenderesse, comme le prétend son avocat? Ou (2) d'un droit né du jugement irrévocable de divorce qu'à prononcé la Haute Cour de l'Ontario, comme le soutiennent les avocats de la demanderesse?

En d'autres termes, il échet d'examiner si le jugement de la Haute Cour de l'Ontario a créé le droit à la pension alimentaire ou s'il n'a fait que confirmer et quantifier le droit acquis de la défenderesse aux aliments.

[...]

En conséquence, les frais judiciaires dont s'agit représentent une dépense en immobilisations visant à constituer un droit, et non une dépense effectuée dans le but de forcer le paiement d'un revenu qui est le produit d'un droit préexistant.

Dans l'affaire Burgess, l'appel du ministre a été accueilli. Cette décision m'a été citée parce que l'avocate de l'intimée s'appuie sur la distinction susmentionnée et prétend qu'une partie des frais judiciaires en question ont été engagés pour faire modifier l'entente ou l'ordonnance du tribunal en vertu de laquelle l'ex-mari versait des aliments pour les enfants. L'appelante peut avoir acquis un nouveau droit à un revenu plus élevé dans la mesure où le montant à payer à titre d'aliments a été augmenté.

[9] Le deuxième argument, très différent, avancé au nom de l'intimée est celui selon lequel le montant en cause n'est pas déductible parce que l'appelante ne l'a pas payé en 1995 ou en 1996. Il a été payé par le régime d'aide juridique de l'Ontario (le “ RAJO ”). L'appelante déclare, cependant, qu'en vertu des conditions de son entente avec le RAJO, bien que ses frais judiciaires aient été payés par le régime, il est prévu que, si une personne obtient l'aide juridique et qu'elle possède un bien-fonds en Ontario, le RAJO peut grever ce bien-fonds d'un privilège pour le montant déboursé pour la personne. Apparemment, le montant déboursé par le RAJO est recouvrable de cette personne si le bien-fonds est vendu ou si le prêt hypothécaire relatif au bien-fonds fait l'objet d'un refinancement. L'appelante a dit que sa maison est grevée d'un privilège en faveur du RAJO et qu'elle prévoit conserver sa maison, mais que son prêt hypothécaire échoit en 2000. Elle s'attend à ce qu'elle ait à rembourser le régime dans le courant de cette année, lorsqu'elle renégociera son prêt hypothécaire.

[10] Je dois examiner deux questions. La première est de savoir si la déduction d'une partie des frais d'avocat doit être refusée parce qu'elle représente une dépense imputable au capital en ce sens qu'elle a créé un nouveau droit. La deuxième est de savoir s'il est possible de déduire quelque partie que ce soit des frais judiciaires s'ils ont été payés par le régime d'aide juridique de l'Ontario en vertu de l'entente décrite par l'appelante. L'appelante n'a produit aucun document en preuve. Je lui ai signalé jusqu'à quel point il était important de fournir à la Cour des documents tels que les actes de procédure déposés devant la Cour de l'Ontario où elle avait intenté une action contre son ex-mari, afin que la présente Cour puisse déterminer quel droit elle tentait d'obtenir ou de faire respecter, ainsi que toute entente avec le RAJO concernant le privilège grevant sa maison et la manière dont il serait radié. Malheureusement, aucun document de ce type ne m'a été présenté.

[11] J'estime que l'appelante est tout à fait crédible, et je n'ai aucune raison de douter de sa parole. Dans les circonstances en l'espèce, cependant, il existe de nombreux documents qui n'ont pas été déposés et qui nous auraient fourni plus de détails sur ce que l'appelante tentait d'obtenir de son mari et sur ses obligations envers le RAJO.

[12] L'appelante n'était pas représentée par un avocat, mais a plaidé sa propre cause. Toutefois l'avocate de l'intimée, comme le veut une longue tradition parmi les avocats, a attiré mon attention sur certaines décisions qui vont à l'encontre de la position de l'intimée. Je vais me référer à ces décisions parce qu'elles portent sur les deux questions soulevées, soit celle de savoir si un nouveau droit a été créé et celle de savoir si un montant payé par un régime d'aide juridique est déductible.

[13] Dans l'affaire Donald v. The Queen, [1999] 1 C.T.C. 2025, mon collègue le juge Bonner se trouvait devant des circonstances semblables à celles de l'espèce. La contribuable dans l'affaire Donald a témoigné qu'elle avait payé 32 564 $ en frais d'avocat pour obtenir un décision sur l'entretien des enfants. Bien qu'aucun document n'ait été déposé pour appuyer la cause de la contribuable, le juge Bonner a dit qu'il croyait son témoignage (comme il avait le droit de le faire) et s'est exprimé de la manière suivante aux pages 2027 et 2028 :

[...] À mon sens, l'arrêt Burgess ne s'applique pas en l'espèce. Dans la mesure où une partie des dépenses de l'appelante visent l'obtention de l'ordonnance du tribunal, cette ordonnance ne peut être considérée comme étant un bien immobilisé. Ce qui est en cause en l'espèce est le droit au paiement d'une allocation que l'ordonnance appelle une “ ordonnance alimentaire provisoire temporaire ”. L'ordonnance a été remplacée en février 1994. Elle n'avait aucune des qualités durables qui caractérisent un bien immobilisé. L'ordonnance du 2 octobre 1990 ne créait pas un droit; elle ne faisait que quantifier l'obligation préexistante du conjoint de l'appelante d'entretenir ses enfants et elle ordonnait le respect de cette obligation. En outre, il faut maintenant considérer que l'arrêt Burgess est erroné.

Le juge Bonner s'est appuyé sur la décision récente de notre collègue le juge Bowman dans l'affaire Nissim v. The Queen, [1999] 1 C.T.C. 2119, rendue au mois d'août 1998, juste un mois avant la décision Donald.

[14] Dans l'affaire Nissim, qui présente également une certaine analogie avec la présente espèce, une épouse devait recouvrer certains montants du mari dont elle était séparée ou divorcée, et elle avait obtenu de l'aide du RAJO. La contribuable dans l'affaire Nissim avait, semble-t-il, accepté que sa maison soit grevée d'un privilège qui allait permettre au régime d'aide juridique de recouvrer, tôt ou tard, le montant des frais judiciaires payés en son nom. Dans sa décision, le juge Bowman a examiné la question relative au régime d'aide juridique et il a dit à la page 2123 :

Me fondant sur la crédibilité évidente de l'appelante, je suis convaincu que les sommes déduites ont été engagées et effectivement payées. Une part importante des sommes déduites pour 1994 et 1995 avait été payée par le Régime d'aide juridique de l'Ontario, et l'appelante doit cet argent au régime, qui a fait enregistrer un privilège sur la maison de l'appelante au titre de cette dette.

Il était argué que l'appelante n'avait pas payé ces sommes. Je ne puis accepter cette prétention. L'appelante était tenue de payer les frais judiciaires. Le Régime d'aide juridique de l'Ontario les a payés pour elle et continue à en exiger le remboursement de l'appelante. La situation n'est pas très différence de ce qu'il en serait si l'appelante avait emprunté à la banque l'argent nécessaire pour payer les frais.

[15] J'ai de la difficulté à suivre le raisonnement de mon collègue le juge Bowman sur ce point. L'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet de déduire les dépenses engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. S'il existait déjà un droit qui permettait à la contribuable dans l'affaire Nissim de recouvrer un montant de son ex-mari, ce droit pourrait être un “ bien ” au sens de l'alinéa 18(1)a). La question que je me pose est celle de savoir si cette contribuable avait “ engagé ” une dépense en ce qui concerne les frais payés par le régime d'aide juridique.

[16] L'appelante admet qu'elle n'a pas payé les frais judiciaires de 9 534 $. Ses frais judiciaires ont été payés par le RAJO. Il est clair qu'elle n'a payé aucun montant au sens de l'alinéa 18(1)a). La question qui se pose est celle de savoir si elle a contracté une dette. L'accès que l'appelante a pu avoir au régime d'aide juridique de l'Ontario fait partie de ce que les Canadiens décrivent parfois comme le “ filet social ”. Le privilège enregistré contre la maison de l'appelante par le RAJO ne représente peut-être pas la preuve d'une dette absolue. Il représente peut-être seulement la preuve d'une créance conditionnelle qui dépend de la valeur de la maison au moment de sa vente.

[17] Je pense que la situation diffère effectivement, et d'une façon importante, de celle qui existerait si l'appelante avait emprunté à la banque de l'argent pour payer ses frais judiciaires. Elle aurait alors une dette très concrète et immédiate envers la banque. Dans le cadre du filet social, le RAJO fournit des services juridiques à des personnes qui, sans le régime, pourraient ne pas être en mesure de se permettre un avocat. Lorsque le régime paye les services juridiques fournis à une personne propriétaire d'un bien immeuble et qu'il fait enregistrer un privilège contre ce bien pour le montant ainsi payé, nous n'avons aucune preuve concernant les conditions de l'entente conclue entre le régime et ledit propriétaire. Qu'arrive-t-il si la juste valeur marchande du bien baisse et que, au moment de la vente ou du refinancement, elle soit inférieure aux charges dont il est grevé, y compris le privilège du régime d'aide juridique? La personne a-t-elle une dette absolue envers le régime d'aide juridique? Si tel est le cas, alors cette dette irait à l'encontre du concept du filet social. La dette est-elle limitée à la valeur du privilège par rapport à celle du bien-fonds? Si tel est le cas, alors la dette ne peut être quantifiée tant que le privilège ne sera pas radié, car la personne pourrait bénéficier d'une remise de la totalité ou d'une partie du montant du privilège.

[18] Compte tenu du texte de l'alinéa 18(1)a), le droit immatériel et domestique de l'appelante aux aliments pour les enfants, considéré comme un bien, est différent d'un bien corporel comme un terrain et un bâtiment ou un droit commercial à des intérêts ou à des redevances. À mon avis, l'appelante fonctionnait selon la méthode de la comptabilité de caisse (et non la méthode de la comptabilité d'exercice) en ce qui a trait au coût des poursuites judiciaires intentées contre son ex-mari. Elle n'a pas payé le montant de 9 534 $ en 1996 ni dans aucune autre année d'imposition. En conséquence, elle ne peut rien déduire tant qu'elle n'aura pas effectivement payé un montant. Si j'ai tort sur cette question et si l'appelante fonctionnait selon la méthode de la comptabilité d'exercice, il ne ressort pas de la preuve que l'appelante ait contracté une dette inconditionnelle à l'égard de ses frais judiciaires. Les conditions de l'entente entre l'appelante et le RAJO n'ont pas été déposées en preuve. Je ne peux, sans examiner ces conditions, déterminer si l'appelante a une dette absolue ou éventuelle et si une telle dette pouvait être quantifiée en 1996.

[19] Si le RAJO exerce son privilège et recouvre un montant de l'appelante lors de la vente ou du refinancement de sa maison, c'est là le moment (l'année) où l'appelante devrait déduire un montant dans le calcul de son revenu parce que, selon la méthode de la comptabilité de caisse, ce sera l'année où elle aura payé les frais judiciaires. Cela peut se produire bien après les années 1995 ou 1996, où le RAJO a en fait payé son avocat, mais l'année où cela arrivera sera celle où l'appelante payera effectivement un montant à l'égard des frais judiciaires. Dans la mesure où une partie ou la totalité de ces frais est déductible parce qu'il s'agit de frais engagés pour tenter de percevoir les aliments, ils seront déductibles cette année-là.

[20] D'après les faits qui m'ont été présentés, la dissolution du mariage a eu lieu il y a treize ans. La séparation et le divorce ont eu lieu vers 1986 ou 1987. En 1994, en 1995 puis, pour la troisième fois, en 1996, des poursuites judiciaires ont été intentées contre le mari de l'appelante pour le forcer à payer un arriéré d'aliments. La partie des frais judiciaires liée à cet aspect des poursuites devrait donc être déductible. Le mari a également fait l'objet de poursuites visant à faire modifier les stipulations alimentaires, ce qui, suivant le raisonnement exprimé dans la décision Burgess, crée peut-être un nouveau droit. Dans la mesure où il y avait eu octroi d'un droit plus étendu et où l'appelante a tenté de faire augmenter le montant des aliments, il y aurait eu création d'un nouveau droit, et la partie des frais judiciaires liée à cette demande serait peut-être imputable au capital et, partant, non déductible.

[21] En ce qui concerne la question de savoir si la décision Burgess devrait maintenant être considérée comme erronée, je pense que le juge Bonner s'appuyait sur le commentaire suivant qu'a fait le juge Bowman dans la décision Nissim :

[...] Quelle que puisse être la valeur de la distinction entre les frais engagés pour assurer le respect d'un droit existant à un revenu et les frais engagés pour établir un tel droit, je ne pense pas que les tribunaux doivent s'efforcer de trouver des raisons juridiques de refuser que ces dépenses très nécessaires soient déduites. [...]

Il y a beaucoup à dire en faveur de ce commentaire, mais la Cour d'appel fédérale, en septembre 1994, seulement quatre ans avant que les décisions Nissim et Donald soient rendues, semble avoir renforcé l'importance précisément de cette distinction-là. Dans l'affaire Attorney General of Canada v. Sembinelli, 94 DTC 6636, la contribuable avait engagé des frais judiciaires pour s'opposer à la contestation d'une ordonnance alimentaire qu'elle avait obtenue au moment de son divorce. Dans cette affaire-la, la Cour canadienne de l'impôt avait accueilli l'appel de la contribuable, et lorsque la Couronne a interjeté appel devant la Cour d'appel fédérale, la contribuable était l'intimée. S'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, le juge Hugessen a dit :

L'intimée a engagé des frais judiciaires pour s'opposer avec succès à la contestation introduite par son ex-conjoint relativement à une ordonnance alimentaire qu'elle avait antérieurement obtenue conformément à la Loi sur le divorce au moment de son divorce. Le résultat qu'elle a obtenu n'a créé aucun droit à son égard. Le jugement s'est limité à rejeter la demande du conjoint. Les droits de l'intimée ont été maintenus en application de l'ordonnance alimentaire préexistante et n'ont pas été modifiés. Rien de nouveau ne s'est produit. Aucun actif n'a été créé ou protégé. [...]

[22] Dans l'affaire Sembinelli, l'appel de la Couronne a été rejeté. À mon avis, la Cour d'appel fédérale a estimé dans l'affaire Sembinelli que la distinction entre les dépenses engagées pour créer un nouveau droit et les dépenses engagées pour faire respecter ou pour préserver un droit existant était importante. Compte tenu de ce que la Cour d'appel fédérale a décidé dans l'affaire Sembinelli, j'hésite à conclure que la décision Burgess est erronée.

[23] J'ai examiné la décision que la Cour canadienne de l'impôt a rendue récemment dans l'affaire Bergeron v. The Queen, 99 DTC 1265. Dans cette affaire, mon collègue le juge Archambault a conclu que les aliments reçus par un ex-conjoint après l'échec du mariage ne représentaient pas un revenu provenant d'une entreprise ou d'un bien suivant la sous-section b (articles 9 à 37) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais constituaient plutôt un revenu provenant d'une autre source suivant la sous-section d (articles 56 à 59). Par conséquent, le juge Archambault a conclu que les frais judiciaires engagés par un demandeur pour percevoir les aliments ou par un défendeur pour s'opposer au paiement des aliments ne peuvent pas être déduits en vertu de l'exception énoncée à l'alinéa 18 (1)a) de la Loi. La décision Bergeron a une grande portée compte tenu (i) des nombreux appels interjetés devant cette Cour sur la question de la déductibilité des dépenses engagées pour percevoir des montants visés aux alinéas 56(1)b) et c) de la Loi ou pour s'opposer à leur paiement, et (ii) de la politique de Revenu Canada consistant à permettre la déduction d'un bon nombre de ces dépenses. Puisque j'ai décidé pour d'autres motifs de rejeter le présent appel, il n'est pas nécessaire que j'examine l'effet de la décision Bergeron.

[24] Me fondant sur le peu de faits qui m'ont été présentés, je suis porté à penser (sans toutefois que je me prononce sur ce point) qu'une partie des frais judiciaires a servi à créer un nouveau droit et ne serait pas déductible et que le reste des frais judiciaires le serait. Si je me proposais d'accueillir le présent appel, je demanderais aux parties de se représenter devant la Cour avec plus de documents pour que je puisse déterminer ce qui était demandé dans l'action intentée devant la Cour de l'Ontario à l'égard de laquelle les frais judiciaires de 9 534 $ ici en cause ont été engagés. Je n'accueillerai pas l'appel, cependant, parce que l'appelante n'a pas payé de frais judiciaires en 1996 et qu'elle n'a pas

prouvé qu'elle avait contracté une dette inconditionnelle durant cette année à l'égard de tels frais. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2000.

“ M.A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d'octobre 2000.

Erich Klein, réviseur

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