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Date: 19990909

Dossier: 97-3398-IT-G

ENTRE :

ALLAN M. FOSTEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance porte sur l'année d'imposition 1992. L'appelant a été un employé de B. L. Fostey Customs Brokers Ltd. (“ B. L. Fostey ”) jusqu'au 31 octobre 1991. Son emploi a pris fin ce jour-là parce que B. L. Fostey a vendu son fonds commercial à Cole McCubbin Ltd. (aujourd'hui appelée Cole International Inc.) (“ Cole Inc. ”). Selon le contrat de vente conclu entre les deux compagnies, Cole Inc. devait engager l'appelant aux termes d'un “ contrat individuel de travail de quarante mois ”, qui est entré en vigueur le 1er novembre 1991.

[2] L'appelant a reçu de B. L. Fostey une allocation de retraite de 30 000 $ qu'il a investie dans un régime enregistré d'épargne-retraite.

[3] Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1992 et a refusé la déduction du montant de 30 000 $ à titre d'allocation de retraite.

LES FAITS

[4] Un exposé conjoint et partiel des faits a été déposé. En voici le texte :

[TRADUCTION]

B. L. Fostey Customs Brokers Ltd. (la “ société ”) était une société constituée sous le régime des lois du Manitoba.

La société exerçait des activités de courtage en douane à Sprague (Manitoba).

En 1991, Allan Fostey (“ M. Fostey ”) détenait 51 p. 100 des actions de la société et Helen Fostey, 49 p. 100.

M. Fostey était le président de la société et il en était un employé.

La société a employé M. Fostey pour exercer ses activités de courtage en douane de 1978 au mois d'octobre 1991.

M. Fostey touchait 3 000 $ par mois dans le cadre de son emploi au sein de la société.

Le 29 octobre 1991, la société, M. Fostey et Cole McCubbin Limited (“ Cole ”) ont conclu un contrat d'achat d'éléments d'actif (le “ contrat ”) aux termes duquel, notamment, Cole convenait d'acheter le fonds de commerce de la société, que celle-ci convenait de vendre. Le contrat fixait le prix d'achat à 92 000 $, répartis comme suit entre les différents éléments d'actif :

Mobilier 2 000 $

Fonds commercial le solde du prix

M. Fostey ne détenait aucun droit de propriété sur Cole.

Cole n'a pas poursuivi les activités de B. L. Fostey.

Conformément au contrat, Cole, la société et M. Fostey ont convenu notamment de ce qui suit :

M. Fostey aidera Cole à conserver les clients que la société aura au moment de la vente;

Cole et M. Fostey concluront un contrat de travail contenant notamment les dispositions suivantes :

Cole louera de la société les locaux commerciaux actuels de celle-ci en contrepartie d'un loyer de 500 $ par mois;

M. Fostey sera un employé de Cole pendant 40 mois à compter du 1er novembre 1991;

M. Fostey sera le gérant du bureau de Sprague;

M. Fostey touchera 3 000 $ par mois comme gérant;

M. Fostey aura droit à une allocation d'automobile de 1 000 $ par mois, payable à la société;

M. Fostey aura droit à 12 semaines de vacances par année;

M. Fostey acceptera une clause de non-concurrence aux termes de laquelle il s'engagera à ne pas faire concurrence à Cole dans une entreprise semblable, directement ou indirectement, dans un rayon de 100 milles de la ville de Sprague, pendant une période de 3 ans à compter de l'expiration de son contrat de travail ou de la cessation de son emploi.

M. Fostey et Cole ont effectivement conclu un contrat de travail (le “ contrat de travail ”) contenant les dispositions prévues dans le contrat.

Cole a effectivement loué, à compter du 1er novembre 1991, les locaux commerciaux de la société, où elle a continué d'exercer et exerce encore aujourd'hui des activités de courtage en douane.

Cole a employé M. Fostey à titre de gérant du bureau de Sprague à compter du 1er novembre 1991. En fait, M. Fostey a exécuté les fonctions de gérant du bureau de Sprague dès qu'il a commencé à travailler pour Cole et continue de les exécuter.

Dès qu'il a commencé à travailler pour Cole, M. Fostey a touché 3 000 $ par mois, conformément au contrat de travail.

Lorsque l'emploi de M. Fostey pour la société a pris fin, la société lui a versé le montant de 30 000 $ (le “ paiement ”). La question en litige entre les parties est celle de savoir si le paiement représentait une allocation de retraite.

M. Fostey a investi le montant du paiement dans un régime enregistré d'épargne-retraite (“ REER ”) et il a demandé une déduction à cet égard dans sa déclaration de revenus de 1992.

Dans un avis de nouvelle cotisation daté du 28 mai 1996, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard de M. Fostey une nouvelle cotisation dans laquelle il a déduit le montant admis à titre de déduction relativement au REER, pour le motif que le paiement ne constituait pas une allocation de retraite.

M. Fostey s'est opposé à la nouvelle cotisation dans un avis d'opposition daté du 16 août 1996.

Le ministre a ratifié la nouvelle cotisation dans un avis de ratification daté du 20 août 1997.

LA PREUVE AU PROCÈS

[5] L'appelant a déclaré qu'il était chef de la direction de B. L. Fostey et que, à ce titre, il gérait l'entreprise, ce qui voulait dire, notamment, trouver de nouveaux clients, assurer le service aux clients et exécuter toutes les tâches liées à l'exploitation de l'entreprise de courtage en douane. Il se déplaçait dans le sud-est du Manitoba, où il représentait la société.

[6] L'entreprise était modeste (deux employés à temps plein et un employé à temps partiel). En ce qui concerne les fonctions d'employé, l'appelant en exécutait certaines et en supervisait d'autres. Il s'occupait personnellement de représenter la plupart des clients auprès du gouvernement et d'effectuer les recherches nécessaires dans les dossiers des clients. Dans le cadre de son emploi dans l'entreprise, il ne rendait de compte à personne et les quelques employés relevaient de lui.

[7] Lorsque les éléments d'actif de la compagnie ont été vendus conformément au contrat, une partie des négociations a porté sur le fait que l'acheteur s'engageait à employer l'appelant à titre de “ gérant ” du bureau de Sprague.

[8] L'acheteur a insisté sur cette disposition pour assurer la continuité de l'entreprise de courtage en douane au bureau de Sprague et pour y garantir la présence d'un courtier en douane compétent.

[9] Après la vente, B. L. Fostey a abandonné son permis de courtier en douane et la société est devenue inactive.

[10] Après la vente, le rôle de l'appelant a changé. Il n'avait plus aucun contact avec les clients ou avec les importateurs. En outre, il n'assumait plus aucune responsabilité financière (auparavant, il avait dû à l'occasion avancer personnellement des fonds pour le compte de B. L. Fostey aux fins d'effectuer des transactions pour certains clients). Un bon nombre des tâches de bureau auparavant accomplies par l'appelant étaient dorénavant effectuées par d'autres personnes, et l'appelant ne faisait plus aucune représentation extérieure, ni aucune recherche. Qui plus est, il n'exerçait plus de contrôle sur l'entreprise de courtage en douane, comme c'était le cas lorsque B. L. Fostey existait. Essentiellement, il était devenu un employé de Cole Inc., s'acquittant principalement de tâches de bureau.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[11] Le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) définit l'expression “ allocation de retraite ” dans les termes suivants :

“ allocation de retraite ” Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d'un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d'une charge ou d'un emploi ou par la suite;

soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

(Je souligne.)

LA JURISPRUDENCE

[12] Dans l'affaire Lorenzen v. The Queen, 81 DTC 5251, le juge suppléant Grant, de la Section de première instance de la Cour fédérale, devait déterminer si la somme reçue par le contribuable était une allocation de retraite. Dans cette affaire, le contribuable était président et administrateur de International Tax Services, qui avait décidé de vendre la totalité de ses éléments d'actif à Lorenzen Associates Ltd., une société dont le contribuable était également président et administrateur. International Tax Services avait versé au contribuable une somme que ce dernier considérait comme une allocation de retraite. Le juge suppléant Grant a fait la déclaration suivante à la page 5253 :

On ne saurait dire que cette somme lui a été versée pour perte de charge ou emploi, puisqu'il a provoqué lui-même le transfert d'actifs à Lorenzen Associates Ltd. On ne saurait non plus prétendre qu'il s'agit d'une perte, particulièrement en raison du fait qu'il a continué d'exploiter la même entreprise dans les mêmes locaux, et que le changement ne lui a causé aucune perte. [...] La retraite implique un abandon complet de sa profession ou de son commerce. En réalité, le demandeur a continué à exercer les mêmes activités commerciales, avec cette seule différence qu'il a été effectué un transfert d'actifs à une société par actions portant le même nom que celui sous lequel il a exploité cette entreprise jusqu'au 31 décembre 1971.

(Je souligne.)

[13] Dans l'affaire Doyle v. The Queen, 83 DTC 5383, le juge en chef adjoint Jerome, de la Section de première instance de la Cour d'appel, a lui aussi été appelé à déterminer si la somme reçue par le contribuable était une allocation de retraite. Le contribuable était actionnaire majoritaire et administrateur de Butress Investments Limited, qui avait vendu ses éléments d'actif à Weram, une société dont le contribuable était aussi actionnaire et administrateur. Le contribuable y occupait les mêmes fonctions et assumait les mêmes responsabilités qu'avant la conclusion de la vente. Le juge en chef adjoint Jerome a fait la déclaration suivante à la page 5384 :

Il incombe bien sûr au contribuable [...] d'établir que la somme de 15 500 $ a été correctement classée comme allocation de retraite selon les termes de la Loi [...]

[14] Il a poursuivi à la page 5385 :

Cependant, chaque fois qu'un employé continue d'occuper les mêmes fonctions et d'assumer les mêmes responsabilités mais au sein d'une société différente, et surtout lorsqu'il existe certains liens entre les actionnaires de ces sociétés, les Cours concluent invariablement qu'il n'y a pas eu retraite et qu'en conséquence toute somme versée n'est pas visée par les termes du paragraphe 248(1).

(Je souligne.)

[15] Dans l'affaire Serafini v. M.N.R., 89 DTC 653, le contribuable avait produit ses déclarations de revenus en tenant compte du fait qu'il devait prendre sa retraite le 30 octobre 1985. Il devait recevoir chaque mois, jusqu'au 30 octobre 1986, des paiements totalisant quelque 40 000 $, à titre d'allocation de retraite. Cependant, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard du contribuable en tenant compte du fait que la somme en question n'était pas une allocation de retraite au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. Le juge Sarchuk, de la Cour canadienne de l'impôt, a déclaré à la page 656 :

Or, il appert de la convention conclue en l'espèce (pièce A-2) que la relation de travail ne devait pas se terminer avant le 31 octobre 1986. À mon avis, interpréter autrement les termes de cette entente serait abusif. L'avocat de l'appelant prétend que les conditions qui y sont énoncées (comme à son avis dans d'autres documents) ne constituaient pas un contrat de travail. Je ne partage pas cette opinion.

[16] Par conséquent, estimant que l'appelant avait occupé un emploi jusqu'au 30 octobre 1986, le juge Sarchuk a conclu que la somme en question ne pouvait pas être une allocation de retraite puisque l'appelant n'avait pas pris sa retraite.

[17] Dans l'affaire Shell et al. M.N.R., 82 DTC 1369, le commissaire F. J. Dubrule, c.r., de la Commission d'appel de l'impôt, devait décider si les paiements faits aux appelants étaient des allocations de retraite. Dans cette affaire, les appelants avaient déclaré qu'ils prenaient leur retraite à la fin du mois, mais ils avaient accepté d'achever les contrats non terminés.

[18] La Commission a conclu qu'il était impossible de déterminer avec certitude ce qui s'était passé après la prétendue date de retraite. À la fin, la Commission a conclu que les appelants n'avaient pas pris leur retraite.

[19] Dans l'affaire Specht v. The Queen, 75 DTC 5069, le juge Collier, de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, devait déterminer si le montant de 40 000 $ que l'appelant devait toucher annuellement pendant cinq ans après sa démission était une allocation de retraite. Président de MacMillan Bloedel and Powell River Limited, M. Specht avait refusé le poste de directeur des finances qu'on lui avait offert dans le cadre d'une restructuration. Le juge Collier a déclaré à la page 5073 :

À mon avis, le paiement en l'espèce n'a pas été fait à l'occasion ou à la suite de la retraite du demandeur. Le demandeur n'a pas pris sa retraite de ses fonctions à la MacMillan Bloedel au sens ordinaire du mot “retraite”. C'est-à-dire qu'il n'a pas quitté son emploi parce qu'il avait l'âge convenu ni abandonné complètement ses occupations ou ses activités commerciales. Sur ce point, en m'efforçant de vérifier le sens courant du mot “retraite”, je me suis servi des définitions de dictionnaires :

The Shorter Oxford English Dictionary (3e édition rév.): [TRADUCTION] “abandon de l'activité professionnelle ou commerciale”

The Living Webster (1ère éd.) [TRADUCTION] “prendre sa retraite”, “se retirer de la vie commerciale ou active”.

[...]

En l'espèce, le demandeur s'est borné à démissionner avec l'accord de l'employeur. Il n'a pas, à mon avis, pris sa retraite.

L'ANALYSE

[20] L'appelant était, comme il l'a expliqué, chef de la direction de B. L. Fostey. Dans le cadre de son emploi, il gérait et dirigeait toutes les activités de l'entreprise de B. L. Fostey. Sa cessation d'emploi chez B. L. Fostey était finale et complète. B. L. Fostey a abandonné son permis de courtier et elle est devenue inactive.

[21] L'appelant n'était pas un actionnaire, ni un administrateur ou un dirigeant de Cole Inc., et il n'exerçait pas non plus quelque contrôle que ce soit sur Cole Inc. dans le cadre de son nouvel emploi. De plus, il n'effectuait pas des tâches identiques à celles qu'il avait accomplies pour B. L. Fostey.

[22] Plus précisément, dans ses nouvelles fonctions de gestionnaire et d'employé de bureau chez Cole Inc., l'appelant n'assumait pas le même rôle de direction, avec les responsabilités, fonctions ou pouvoirs que cela suppose, que chez B. L. Fostey. Je conclus que l'appelant a quitté son poste de chef de la direction chez B. L. Fostey pour prendre sa retraite et que, lorsqu'il a mis fin à son emploi à ce titre, il a reçu une allocation de retraite de B. L. Fostey en reconnaissance de ses longs états de service.

LA DÉCISION

[23] L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1992 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 30 000 $ que l'appelant a reçu est une allocation de retraite au sens du paragraphe 248(1) de la Loi.

[24] L'appelant a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de septembre 1999.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mai 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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