Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 20000214

Dossier : 98-2823-IT-I

ENTRE :

JAYANT RADIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Dans sa déclaration produite en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) pour l'année d'imposition 1996, l'appelant a réclamé des crédits d'impôt non remboursables pour personnes handicapées à l'égard de son épouse et de son fils. Lors de l'audition qui s'est déroulée devant moi, l'appelant a abandonné la réclamation relative à son fils mais a maintenu celle relative à son épouse. L'intimée ne conteste pas le fait que l'appelant aurait le droit de se faire transférer le plein montant du crédit relatif à son épouse en vertu de l'article 118.8,puisque celle-ci ne doit aucun impôt sur le revenu pour l'année d'imposition visée.

[2] Aux termes de l'article 118.3 de la Loi, on n'a droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées prévu par cet article que si, entre autres, il y a production d'une attestation satisfaisante de la déficience, sur un formulaire prescrit rempli par un médecin. La pratique du ministre du Revenu national veut néanmoins que, lorsqu'une déficience permanente a été établie une première fois, le contribuable n'ait plus à produire le formulaire prescrit chaque année, à moins qu'il n'y ait un changement dans la situation du particulier visé ou que le ministre ne demande expressément la production de ce formulaire[1]. L'épouse de l'appelant souffre de schizophrénie depuis au moins 1988. Un certificat médical satisfaisant produit pour l'année d'imposition 1988 établissait que sa déficience mentale répondait aux exigences des articles 118.3 et 118.4. Conformément à la pratique établie, l'appelant a bénéficié du crédit d'impôt pour l'année d'imposition 1988, et annuellement par la suite jusqu'en 1995, sans avoir à produire un nouveau certificat chaque année. Le ministre lui a toutefois demandé de produire un nouveau certificat pour l'année d'imposition 1996 et, comme il ne l'a pas fait, le crédit d'impôt lui a été refusé.

[3] L'appelant a témoigné que l'état de son épouse ne s'était pas amélioré depuis 1988. Il ressort clairement de son témoignage que celle-ci n'a aucunement le sens des réalités et qu'elle répond effectivement aux exigences de la Loi puisqu'elle a une déficience sur le plan de la réflexion, de la perception et de la mémoire. Elle souffre d'une déficience permanente qui limite de façon marquée sa capacité d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne, selon la définition que donne à cette expression à l'article 118.4 de la Loi. L'appelant a également témoigné que, malgré ses efforts, il a été incapable de la convaincre de rencontrer un médecin, que ce soit pour se faire soigner ou pour permettre au médecin de l'examiner afin qu'il puisse remplir le formulaire prescrit que le ministre demande maintenant à l'appelant de produire. À une occasion, alors que l'appelant essayait d'amener son épouse à un rendez-vous chez le médecin, celle-ci a tenté de se jeter hors de la voiture en mouvement. À une autre occasion, lorsqu'il lui a proposé de l'amener chez le médecin, elle a menacé de se jeter du balcon de leur appartement. L'appelant n'a pas non plus réussi à faire examiner son épouse par un médecin à leur domicile afin de faire remplir le formulaire prescrit.

[4] J'ai trouvé l'appelant sincère et crédible. Je ne crois pas qu'il ait exagéré la gravité de l'état de son épouse ni jusqu'où elle était prête à aller pour éviter de rencontrer un médecin. J'accepte son assertion que, dans les faits, il lui est impossible d'obtenir l'attestation médicale exigée, même si l'état de son épouse entre dans le cadre de la définition d'une “ déficience mentale ou physique grave et prolongée ”.

[5] L'avocate de l'intimée n'a pas contesté la version des faits qu'a présentée l'appelant; elle s'est simplement appuyée sur la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans les affaires MacIsaac c. Canada et Morrison c. Canada[2]. Ladite cour y a conclu que, pour qu'un contribuable ait droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées :

... selon le libellé de ces dispositions [articles 118.3(1) et 118.4(1)], il doit y avoir une attestation faite par un médecin qui indique que l'individu souffre de déficiences.

Dans ces affaires, la Cour d'appel fédérale s'était considérée comme liée par une décision antérieure[3] d'une autre formation de la même cour, qui avait confirmé la conclusion de la juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l'impôt, selon laquelle “ [...] un contribuable devait produire un certificat signé par un médecin pour obtenir un crédit d'impôt pour handicapés en vertu de l'article 118.3 [...] ”. Le paragraphe pertinent se lit comme suit :

118.3(1) Le produit [...] est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) l'une des personnes suivantes atteste, sur formulaire prescrit, qu'il s'agit d'une déficience physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

(i) un médecin en titre,

(ii) s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste,

(iii) s'il s'agit d'une déficience auditive, un médecin en titre ou un audiologiste;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

[6] Dans des décisions récentes[4], la Cour d'appel fédérale a approuvé, en ce qui a trait à l'interprétation des articles 118.3 et 118.4, l'approche humanitaire et humaine élaborée par le juge Bowman, notamment dans les affaires Noseworthy[5], Cotterell[6], Radage[7] et Lawlor[8]. Toutefois, bien qu'il ne constitue pas un modèle de simplicité et de clarté, le libellé de l'article ne présente toutefois pas d'ambiguïté quant à l'exigence selon laquelle chacune des cinq conditions y énoncées doivent être remplies pour que le contribuable ait droit au crédit d'impôt. Les faits particuliers de la présente cause appellent l'application d'une mesure de redressement. Ce n'est cependant pas aux tribunaux d'accorder un tel redressement, compte tenu des exigences de la Loi, auxquelles l'appelant en l'espèce ne peut tout simplement pas répondre. La Loi sur la gestion des finances publiques[9] confère au gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre compétent, des pouvoirs très étendus en ce qui a trait à la remise de l'impôt dans des circonstances où il serait déraisonnable, injuste ou contraire à l'intérêt public de le percevoir. Je ne peux m'arroger ce pouvoir.

[7] C'est à regret que je rejette l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de février 2000.

“ E.A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de septembre 2000.

Erich Klein, réviseur



[1]               Bulletin d’interprétation IT-519R2.

[2]               [1999] A.C.F. no 1898 (QL) (non publié ailleurs); le 3 décembre 1999.

[3]               Partanen v. The Queen, 99 DTC 5436.

[4]               Johnston v.The Queen, 98 DTC 6169; Friis v. The Queen, 98 DTC 6419.

[5]               [1996] 2 A.T.I. 2006.

[6]               [1996] A.C.F. no 1781 (QL).

[7]               96 DTC 1615.

[8]               [1996] 2 C.T.C. 2005.

[9]               S.R., chap. F-11, art. 23.

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