Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000108

Dossier: 98-954-UI; 98-979-UI

ENTRE :

RUTH LEGAL, MARCEL ALMEY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] Le 4 juin 1998, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a décidé que l'emploi que Ruth Legal (la “ travailleuse ”) avait exercé durant les périodes allant du 11 mai au 10 octobre 1992, du 14 juin au 30 octobre 1993, du 1er septembre au 29 octobre 1994 et du 1er octobre au 30 novembre 1996 n'était pas un emploi assurable, au motif que Marcel Almey (le “ payeur ”) et elle avaient un lien de dépendance au sens du sous-alinéa 3(2)c)(i) de la Loi sur l'assurance-chômage et des alinéas 5(2)i) et 5(3)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et, par conséquent, qu'il s'agissait d'un emploi exclu.

[2] Avis de la décision susmentionnée a également été envoyé à Marcel Almey en sa qualité d'employeur de l'appelante. Celle-ci et M. Almey ont, chacun de leur côté, interjeté appel de la décision du ministre; les avocats de l'intimé et de Mme Legal, ainsi que M. Almey, qui n'était pas représenté par avocat, ont convenu que la preuve produite vaudrait pour les deux appels.

[3] Le ministre faisait valoir une question de fait, à savoir que la travailleuse et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance durant les périodes pertinentes, même s'ils n'étaient pas des personnes liées au sens de l'alinéa 251(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu - tel que cette disposition s'applique à la Loi sur l'assurance-chômage et à la Loi sur l'assurance-emploi.

[4] L'avocate de l'appelante a reconnu l'exactitude des hypothèses de fait qui suivent, lesquelles figurent au paragraphe 3 de la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

a)                    Le payeur est polyculteur-éleveur, c'est-à-dire qu'il fait l'élevage des animaux de ferme et cultive les céréales;

[...]

e)                    le payeur possède approximativement 100 têtes de bétail;

f)                     le payeur et la travailleuse ont tous deux déclaré que cette dernière avait été embauchée sur une base saisonnière pour travailler comme ouvrière agricole;

[...]

k)                    durant la période allant de mai à décembre 1997, la travailleuse et le payeur s'échangeaient des services : elle faisait des travaux agricoles ainsi que le nettoyage et l'entretien pour le payeur, tandis que ce dernier lui offrait le gîte et le couvert;

l)                      depuis 1975, la travailleuse a toujours résidé dans les locaux du payeur, notamment au cours des périodes de l'année où elle ne travaillait pas pour lui comme ouvrière;

[...]

r)                     la travailleuse a déclaré que son salaire mensuel s'élevait à 700 $ en 1976, à 800 $ en 1988 et en 1989, et à 1000 $ en 1991 et dans les années subséquentes;

s)                    le payeur et la travailleuse ont tous deux déclaré que celle-ci était payée en espèces;

[...]

v)                    la travailleuse n'avait ni paye de vacances, ni vacances payées;

w)                   le payeur n'a engagé aucun autre travailleur au cours de la période allant de 1976 à 1996, pas même en 1990 et 1995, années au cours desquelles la travailleuse n'a fourni aucun service au payeur;

x)                     ni le payeur ni la travailleuse ne consignaient les heures de travail de cette dernière;

[...]

cc)                 en 1992, la travailleuse a par ailleurs commencé à travailler à temps

partiel comme pourvoyeuse de soins dans des maisons privées;

[...]

ee) le payeur autorisait la travailleuse à travailler à l'extérieur de la ferme comme pourvoyeuse de soins dans des maisons privées, et à établir son horaire de travail à la ferme en fonction de cet autre emploi;

[5] L'appelante a témoigné qu'elle travaille comme aide-infirmière et qu'elle habite Glenboro (Manitoba). Elle est née à Winnipeg et a passé son enfance dans une ferme située près de la ville. Après avoir accompli huit années de scolarité, elle a déménagé à Winnipeg, elle s'est mariée et elle a eu des enfants. Lorsque l'appelante a cherché à être admise à un programme de recyclage professionnel, on l'a informé qu'on ne lui reconnaissait qu'une sixième année d'études. En 1975, par suite de la rupture du mariage, elle a quitté le foyer conjugal avec ses trois enfants âgés de 10, 9 et 7 ans. Connaissant Marcel Almey, elle est entrée en communication avec lui et a laissé entendre qu'il pourrait avoir besoin de quelqu'un pour l'aider dans les travaux agricoles, tout en lui laissant savoir qu'elle cherchait un logement pour ses enfants et elle. Au tout début, elle travaillait uniquement en échange du gîte et du couvert pour ses enfants et elle. En juin 1996, après que l'appelante eut discuté de cette question avec lui, M. Almey a commencé à lui verser un salaire pour le travail qu'elle accomplissait. Ses fonctions consistaient à travailler le sol, à réparer les clôtures, à aider M. Almey à s'occuper du bétail, à transporter les céréales et à mettre le foin en balles. Ce dernier lui assignait ses tâches et fixait les heures de travail en fonction des exigences de l'exploitation agricole et des conditions météorologiques. M. Almey et Mme Legal ont convenu que celle-ci toucherait un salaire mensuel de 700 $. L'appelante estimait à cette époque que ce salaire était convenable, et ses enfants et elle vivaient dans la partie supérieure de la maison de ferme appartenant à M. Almey. Elle versait à ce dernier un loyer mensuel de 100 $. Ses fonctions ne comprenaient ni la cuisine pour M. Almey ni le ménage ou l'entretien ou les services personnels tels que la lessive ou les emplettes. M. Almey était son locateur et son employeur, et telle était leur relation. Ils avaient conclu un accord qui faisait leur affaire à tous deux : à la fin de chaque mois, M. Almey versait à l'appelante son salaire en espèces et celle-ci, en contrepartie, lui remettait de l'argent pour le loyer. Les seules autres sources de revenu de l'appelante étaient une allocation familiale ainsi qu'une pension alimentaire de 25 $ que son ex-conjoint lui remettait chaque mois. L'appelante indiquait la date à laquelle elle commençait à travailler chaque année sur un bloc-notes où elle indiquait également le salaire qui lui était versé ainsi que les déductions retenues. Elle n'a pu produire les feuilles de son bloc-notes à l'audience, mais a déclaré qu'elle était certaine de les avoir rangées quelque part. Les déductions effectuées sur sa paye se rapportaient aux cotisations à l'assurance-chômage et au régime de pensions du Canada et à l'impôt sur le revenu. Ayant déjà travaillé à Winnipeg, l'appelante savait que ces déductions étaient obligatoires. Elle avait communiqué avec Revenu Canada, qui lui avait fait parvenir une brochure contenant des tableaux et des annexes lui permettant de savoir le montant exact des retenues que M. Almey devait, en sa qualité d'employeur, faire sur son salaire pour les remettre aux personnes concernées. M. Almey ne sachant ni lire ni écrire, l'appelante avait entrepris de se servir d'un numéro sans frais pour obtenir de l'aide et ainsi vérifier que les calculs qu'elle avait effectués étaient exacts. M. Almey préférait émettre un seul reçu annuel en reconnaissance du paiement du loyer par Mme Legal; les reçus des années 1988 à 1999 ont été déposés sur la cote A-1. M. Almey avait son propre livret de reçus, qu'il utilisait uniquement pour les paiements de loyer. La seule période au cours de laquelle l'appelante n'avait versé le loyer mensuel de façon régulière était arrivée en 1997, cette dernière n'ayant pas suffisamment d'argent; elle avait alors travaillé à la ferme pour compenser le loyer. On retrouve sous la cote A-2 des reçus relatifs au salaire versé à Mme Legal pour des périodes de travail qui ont eu lieu dans les années 1992 à 1996. Chaque année, l'appelante était mise à pied en raison du manque de travail à la ferme; un relevé d'emploi était alors établi, et M. Almey le signait. Dans les années en cause, l'appelante avait consigné les dates auxquelles elle avait commencé à travailler ainsi que les autres détails pertinents. Elle s'était occupée de la tenue de livres se rapportant à sa paye (pièce A-3). Cela ne lui prenait guère de temps puisque les calculs étaient plus ou moins les mêmes pour les longues périodes de travail. C'était également elle qui avait rempli et remis pour le compte de M. Almey les formulaires relatifs à la TPS. Au fil des ans, l'appelante avait appris à conduire un tracteur et une automobile. En 1993, elle avait travaillé deux ou trois semaines en juin et avait travaillé de nouveau au mois d'octobre. Si l'appelante travaillait moins souvent à la ferme, c'était parce qu'elle avait commencé à travailler comme pourvoyeuse de soins à domicile, à raison d'un ou deux jours par semaine, et qu'elle avait continué à offrir de tels services jusqu'en 1998. En juin 1993, M. Almey lui avait versé un salaire fondé sur un demi-mois de travail. Dans les années en cause, elle avait pendant d'autres périodes travaillé à la ferme tout en fournissant également des soins à domicile. M. Almey continuait à lui verser son plein salaire puisqu'elle travaillait à la ferme de 7 h à 9 h et, après avoir dispensé des soins à domicile, qu'elle revenait à la ferme à 16 h 30, se changeait et travaillait à la ferme jusqu'à la tombée de la nuit. En 1999, l'appelante a travaillé du mois de septembre jusqu'au 29 octobre, aidant à la récolte et s'occupant du bétail. En 1997, M. Almey avait de nouveau diminué ses activités agricoles et n'avait donc pas autant besoin d'aide que ce ne fut le cas au début de sa relation de travail avec l'appelante. Celle-ci a déclaré que tout au long de la période durant laquelle elle avait travaillé pour M. Almey, ce dernier lui assignait quotidiennement les tâches à accomplir et vérifiait également si son travail était satisfaisant. Elle n'a jamais eu de part des actifs ou des bénéfices de la ferme. Ses enfants appelaient M. Almey par son prénom - Marcel - à la demande de ce dernier. L'appelante connaît dans le secteur d'autres ouvriers agricoles qui vivent dans la maison de ferme principale de leur employeur. Elles s'estimait obligée de se chercher du travail soit comme ouvrière agricole soit dans le domaine des soins offerts dans des maisons privées, en raison de son niveau d'éducation peu élevé. Elle suit maintenant des cours à l'hôpital Misericordia, à Winnipeg, en vue d'obtenir les titres qui lui permettront de travailler dans des maisons privées, des hôpitaux ou des établissements de soins. En ce qui concerne l'hypothèse figurant à l'alinéa 3 l) de la réponse à l'avis d'appel, l'appelante a déclaré que les faits y mentionnés étaient fondamentalement exacts, sauf qu'elle avait moins travaillé en 1994 et en 1996, mais qu'elle avait surtout travaillé comme ouvrière pour M. Almey, et qu'elle vivait dans la maison de ferme de ce dernier depuis 1975. Pour ce qui est de l'hypothèse du ministre figurant à l'alinéa 3n), selon laquelle “ [TRADUCTION] ni la travailleuse ni le payeur n'ont pu indiquer exactement le montant de loyer - si tant est qu'il y eût un loyer - que la travailleuse avait réellement versé au payeur ”, l'appelante a déclaré qu'elle avait payé 100 $ par mois de 1976 à 1988, puis 150 $ par mois jusqu'en 1991 et, enfin, 200 $ par mois à la fin de 1997. Elle a toujours payé le loyer, sauf pendant quelques mois en 1997, alors qu'elle avait fourni ses services en échange du loyer. Selon l'alinéa 3t), le ministre a présumé que l'appelante avait travaillé uniquement en contrepartie du gîte et du couvert si la récolte avait été mauvaise et que M. Almey n'eût pas pu la payer. L'appelante a indiqué que cette assertion était inexacte et que la question n'avait jamais été soulevée, puisque M. Almey avait toujours payé le salaire qu'il lui devait pour son travail. Elle a convenu qu'elle avait reçu de ce dernier la somme de 1 674,34 $ - après déductions - dans l'année civile 1996 et qu'elle n'avait reçu aucune paye de vacances. D'après les renseignements que l'appelante avait obtenus dans le secteur, les commis de ferme ne recevaient aucune paye de vacances. Le ministre a présumé (alinéa 3y)) que les périodes d'emploi de la travailleuse ne coïncidaient pas avec les périodes qui auraient normalement dû être des périodes de pointe dans une ferme requérant les services d'un ouvrier agricole. L'appelante a répondu en soulignant que M. Almey faisait souvent des travaux sur commande pour d'autres agriculteurs dans le secteur (par exemple, le moissonnage-battage et la mise en balles) et qu'il la laissait alors s'occuper des travaux devant être faits à la ferme. En outre, il y avait toujours 100 têtes de bétail environ dans la ferme. L'appelante a déclaré qu'elle n'avait jamais eu l'intention d'établir un horaire de travail uniquement pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage. Elle travaillait uniquement deux ou trois jours par semaine comme pourvoyeuse de soins à domicile et non de trois à cinq jours comme l'a présumé le ministre (alinéa 3dd)). Mme Legal a expliqué que les enfants avaient quitté la maison en 1992; M. Almey et elle avaient maintenu la relation locateur-locataire et employeur-employée. Elle considérait que la prestation de soins à domicile était un travail enrichissant puisqu'elle était souvent traitée comme un membre de la famille et qu'elle était invitée aux anniversaires et à d'autres occasions spéciales. Elle a déclaré, en parlant de sa relation avec ses clients : “ [TRADUCTION] C'est comme si nous nous apprivoisions l'un et l'autre. ” La relation qu'elle avait avec M. Almey n'était pas aussi intime, quoiqu'elle considérait ce dernier comme un bon ami. Il y a bien longtemps, l'appelante avait rencontré des fonctionnaires du gouvernement au sujet de son emploi et de son admissibilité à des prestations d'assurance-chômage, mais on n'avait soulevé, et ce, jusqu'au 30 novembre 1996 - date à laquelle elle avait cessé de travailler pour lui - aucune autre question au sujet de sa relation de travail avec M. Almey.

[6] En contre-interrogatoire, l'appelante a déclaré que M. Almey et elle vivaient toujours dans la même maison, 24 ans plus tard. Aucun de ses enfants n'a vécu avec elle depuis la fin de 1991. M. Almey occupe l'étage du bas tandis qu'elle vit toujours à l'étage supérieur où il y a quatre chambres à coucher. Dans les dernières années, M. Almey l'avait occasionnellement invitée à partager son déjeuner avec lui lorsqu'il avait fait du gruau. Depuis 1992, ils font leurs emplettes ensemble par souci de commodité, étant donné que l'épicerie est située à 20 milles de la ferme, et M. Almey permettait à l'appelante d'utiliser l'un de ses véhicules à la condition qu'elle paye l'essence et qu'elle fasse les réparations nécessaires. En hiver, il lui arrivait d'aller jouer au bingo avec sa fille ou d'aller au casino de Regina, histoire de changer d'environnement pendant quelques heures. M. Almey était allé au bingo avec elle à quelques reprises, mais cela ne lui avait guère plu, et l'appelante et lui n'ont pas eu d'autres activités sociales et culturelles ensemble. M. Almey la mettait à pied après que le travail qui devait être fait pour une année donnée eut été terminé et, le printemps suivant, elle recommençait habituellement à travailler en mai ou en juin selon les conditions climatiques et le type de graines semées. La récolte commençait généralement en septembre, et M. Almey exécutait les travaux sur commande. Celui-ci avait retenu les services d'un comptable pour préparer ses déclarations de revenus, mais c'était l'appelante qui avait établi son relevé d'emploi de 1996, qu'elle avait fait signer par M. Almey. Elle avait également reçu un relevé d'emploi (pièce R-1) pour son emploi de pourvoyeuse de soins à domicile. Il a été mis fin à cet emploi le 9 octobre 1996, après que la femme dont elle s'était occupée eut été placée dans un foyer de soins (après avoir longtemps été sur une liste d'attente). Elle avait alors travaillé pendant 16 semaines seulement. Vers le 1er octobre 1996, elle avait commencé à aider M. Almey, qui terminait les travaux de moissonnage-battage et les travaux culturaux; elle l'avait en outre aidé à s'occuper des animaux de ferme; elle avait ainsi travaillé pendant huit semaines. Après que les travaux eurent été terminés, l'appelante avait rempli un formulaire de demande de prestations d'assurance-chômage, l'avait mis à la poste et avait reçu des prestations. Avant 1996, l'appelante avait reçu de telles prestations en temps opportun et elle n'avait jamais eu quelque raison que ce soit de se préoccuper du nombre particulier de semaines d'emploi nécessaires pour être admissible aux prestations, étant donné que ce nombre semblait changer d'une année à l'autre. Le relevé d'emploi de 1996 (pièce R-2) visait la période allant du 1er octobre au 30 novembre. Le relevé d'emploi de 1995 (pièce R-3) indiquait qu'elle avait travaillé 28 semaines au cours de cette année pour Doreen McMillan en qualité de préposée aux soins à domicile. Les relevés d'emploi de 1994 (pièces R-4 et R-5) indiquaient qu'elle avait travaillé pendant 14 semaines pour Mme McMillan et huit semaines et deux tiers pour M. Almey. Selon les relevés d'emploi de 1993 (pièces R-6 et R-7), elle avait travaillé pendant 13 semaines pour Mme McMillan et 12 semaines pour M. Almey. En 1992, elle avait travaillé pendant environ 12 semaines pour Mme McMillan et 22 semaines pour M. Almey (pièces R-8 et R-9). Mme Legal a déclaré que Revenu Canada envoyait chaque année à M. Almey une brochure fournissant divers renseignements, notamment en ce qui concerne les déductions. Revenu Canada avait expédié une lettre (pièce R-10) à l'appelante, qui avait fourni les renseignements qu'on lui demandait. En 1998, alors qu'elle partageait avec M. Almey la boîte postale que ce dernier avait à Baldur (Manitoba), l'appelante avait changé son adresse postale de façon à ce que sa correspondance lui fût expédiée à Glenboro. Elle avait présenté une demande pour obtenir un casier postal à Glenboro, mais elle est toujours sur une liste d'attente. Lorsqu'elle avait présenté une demande de prestations en 1995 (pièce R-11), elle avait indiqué le numéro du casier postal de Baldur. Les fonctionnaires responsables de l'administration du régime de prestations d'assurance-chômage savaient depuis 1976 ou 1977 que l'appelante résidait dans la maison de Marcel Almey. Celle-ci a expliqué qu'un autre pourvoyeur de soins à domicile s'occupait de Mme McMillan et qu'elle prendrait la relève lorsque cet autre employé prendrait congé ou qu'il ne serait pas libre pour toute autre raison. L'appelante s'est souvenue qu'une personne de Revenu Canada - vraisemblablement un enquêteur - s'était présenté à la ferme de M. Almey, tenant des documents dans la main. Pour ce qui est de la date à laquelle les reçus avaient été remis à Revenu Canada, Mme Legal a déclaré qu'elle ne se rappelait trop si cela avait été fait à ce moment-là ou par la suite. Elle a catégoriquement nié avoir établi des reçus après la visite de l'enquêteur. Par exemple, les inscriptions figurant à la pièce A-3 avaient été faites par elle mois après mois et non plus tard. Elle avait toujours conservé ses fiches de temps avec ses déclarations d'impôt sur le revenu, et l'enquêteur ne lui avait pas demandé de quelle manière elle consignait le salaire qu'elle recevait ni comment elle calculait les déductions. Son avocate a joint des copies des reçus relatifs au loyer dans une lettre datée du 13 mai 1998 (pièce R-12) ainsi qu'une déclaration, sous forme de lettre manuscrite, qui avait été signée, mais non établie, par M. Almey ou par Mme Legal, dans laquelle figuraient des précisions sur leur contrat de location, lequel avait été en vigueur depuis 1978. Le document en question n'était qu'une photocopie, de piètre qualité par surcroît puisque l'encre s'était au fil des ans répandue sur le papier ligné. Le contrat de location avait été rédigé en 1978 à la demande de fonctionnaires de Revenu Canada qui avaient indiqué qu'ils préféraient un tel contrat à l'entente verbale que les parties avaient précédemment conclue, soit en 1975. Pour être sûr que le contrat écrit fût en lieu sûr, on l'avait ensuite rangé dans un contenant en acier. L'appelante a indiqué qu'elle avait apporté l'entente initiale à la Cour et qu'elle pouvait la produire pour fins d'examen. Elle a nié avec véhémence avoir fait établir ce document uniquement après la visite à la ferme de l'enquêteur de Revenu Canada le 15 avril 1997.

[7] En réinterrogatoire, l'appelante a produit sous la cote A-4 le contrat de location initial. Il avait été conclu par suite de la suggestion faite par les fonctionnaires qui examinaient en 1978 le droit de l'appelante de toucher des prestations d'assurance-chômage, notamment au regard de la capacité de cette dernière d'effectuer du travail agricole. Mme Legal a déclaré qu'une fois la question éclaircie, elle n'avait jamais eu aucun autre problème à recevoir des prestations d'assurance-chômage. Elle a expliqué que M. Almey et elle mangeaient ensemble plus fréquemment depuis 1997, ajoutant cependant qu'elle ne pouvait se rappeler avoir fait des emplettes avec ce dernier au cours des périodes visées par l'appel. Ils procédaient de la façon suivante : il lui remettait une liste des articles dont il avait besoin, elle les achetait en les payant de sa poche et il la remboursait. Avant 1992, elle demandait à M. Almey l'autorisation d'utiliser sa camionnette d'une demi-tonne chaque fois qu'elle en avait besoin, mais ce dernier avait ensuite acheté une voiture et elle s'en servait pour dispenser des soins à domicile dans le cadre de son autre emploi. Elle travaillait le plus qu'elle pouvait comme pourvoyeuse de soins et demandait souvent à son employeur d'augmenter ses heures de travail, mais d'autres employés avaient la priorité. Elle touchait un salaire horaire de 6 $.

[8] Marcel Almey a témoigné qu'il est agriculteur et qu'il réside à Baldur (Manitoba). Il avait quitté l'école à l'âge de 14 ans, après quatre années d'études seulement, car il ne pouvait fréquenter l'école qu'une partie de l'année seulement en raison des dures conditions climatiques hivernales. Il avait travaillé comme aide-charpentier et, à la fin des années 60, il avait été en mesure de prendre en charge la ferme familiale. Sa langue maternelle est le flamand et, bien qu'il ait appris l'anglais à l'école, il n'a jamais été capable de lire ou d'écrire correctement dans cette langue. En 1973, après le décès de son père, il a engagé quelqu'un pour l'aider dans les travaux à la ferme. Des amis lui avaient présenté Ruth Legal; celle-ci lui avait dit qu'elle avait besoin d'un emploi et qu'elle se cherchait un gîte. Il l'avait engagée pour travailler à la ferme. Disposant ainsi de plus de temps, il pouvait effectuer des travaux sur commande; c'est ainsi qu'il avait gagné suffisamment d'argent pour s'acheter un autre tracteur. En 1975, il avait dû montrer à l'appelante comment s'y prendre pour la plupart des travaux. En 1976 et au cours des années subséquentes, elle avait appris à faire fonctionner diverses machines, dont le tracteur et la ramasseuse-botteleuse. Elle utilisait le vieux tracteur pour les récoltes, tandis que M. Almey utilisait le nouveau tracteur pour les travaux sur commande. De temps à autre, il lui demandait de passer de nouveau le tracteur à certains endroits qu'elle avait manqués, puisqu'elle était son employée et qu'elle travaillait pour lui. Il n'avait jamais eu l'intention de lui faire faire la lessive ou la cuisine et le nettoyage, s'étant toujours occupé de ses tâches et pour lui-même, et pour son père. Il décidait quel travail devait être effectué et à quel moment il fallait le commencer, étant donné que les activités agricoles ne commençaient pas à la même date chaque année. Il avait engagé l'appelante au mois, ne voulant pas être obligé de consigner les heures de travail. Cette entente le satisfaisait, puisque son employée savait quelles tâches devaient être accomplies autour de la ferme. Il a déclaré qu'il s'était même habitué à la présence d'enfants autour de lui. Il effectuait ses paiements surtout en espèces, puisqu'il était incapable de rédiger des chèques. À l'occasion, d'autres personnes rédigeaient les chèques, qu'il n'avait qu'à signer. Ruth Legal et lui avaient convenu du salaire qu'il lui verserait. Au début des années 90, il avait diminué la production de céréales et augmenté le nombre de têtes de bétail, ce qui avait eu une incidence sur le travail à effectuer : il fallait faire plus de mise en balles et réparer plus souvent les clôtures. Il avait à certains moments songé à engager un employé n'ayant pas d'enfants, mais il se rendait alors compte que Mme Legal connaissait le travail à effectuer et qu'elle le faisait très bien. Pour ce qui est de l'hypothèse du ministre qui est énoncé à l'alinéa 3y) de la réponse, M. Almey a nié que les périodes d'emploi de l'appelante ne coïncidaient pas avec les périodes où l'on se serait attendu à ce que les services d'un ouvrier agricole fussent requis. Il a déclaré qu'il avait plutôt engagé l'appelante lorsqu'il y avait du travail à faire. Lorsque l'appelante avait l'occasion de travailler comme préposée aux soins à domicile, M. Almey lui donnait volontiers le feu vert étant donné que cet autre travail était moins harassant et que cela “ [TRADUCTION] était bon pour elle ”. Elle demeurait cependant capable d'accomplir ses tâches à la ferme de manière satisfaisante lorsqu'elle n'exerçait pas son autre emploi. Le ministre a présumé (alinéa 3z)) qu'il n'était pas raisonnable que M. Almey engage l'appelante, compte tenu de l'importance de ses activités agricoles. Ce dernier a expliqué que son équipement agricole était léger et que cela lui prenait une semaine pour effectuer le travail qu'un agriculteur disposant d'un équipement lourd pourrait faire en une journée. En outre, il faisait des travaux culturaux sur commande, ce qui lui rapportait 65 $ l'heure, ainsi que de la mise en balles sur commande à 6 $ la balle ronde. À l'alinéa 3aa), le ministre présumait qu'il n'y avait pas de corrélation entre les périodes d'embauchage et la quantité de travail à effectuer. M. Almey a expliqué que la mise en balles du foin est effectuée aux mois de juin et juillet. En août, la paille est mise en balles, opération qui se poursuit au mois de septembre et même jusqu'en octobre, particulièrement dans le cas du lin, qui est le dernier produit récolté avant d'être vendu aux usines de traitement. Pendant que M. Almey faisait ce travail, Ruth Legal s'occupait de sa ferme. Le ministre a laissé entendre à l'alinéa 3bb) que l'appelante avait travaillé pour M. Almey à différentes époques sans être rémunérée. Ce dernier a déclaré que les seuls services que l'appelante avait fournis alors qu'elle ne figurait pas réellement sur sa liste de paye avaient été de surveiller les animaux pour lui ainsi que les corrals et les clôtures. Elle ne nourrissait pas les bêtes au cours de ces périodes. En 1992, il avait eu moins besoin d'aide étant donné qu'il avait fait pousser du foin sur une partie du terrain. Depuis le début, soit 1975, Ruth Legal avait uniquement été engagée en qualité de commis de ferme puisque leur relation était purement une “ relation d'affaires ” et qu'elle et lui n'avaient pas eu de relation sentimentale au cours des années en cause. En 1997, comme l'appelante n'avait pas suffisamment d'argent pour payer le loyer, il lui a permis de continuer à occuper l'étage supérieur de sa ferme. Il lui avait toujours versé son salaire, peu importe que la récolte eût été bonne ou non, contrairement à l'hypothèse faite par le ministre (alinéa 3t)). Il lui versait son salaire à la fin de chaque mois. Aujourd'hui, Mme Legal vit toujours dans sa maison et fréquente un établissement scolaire en vue d'obtenir le titre de préposée aux soins à domicile. En 1997 et en 1998, elle l'avait aidé autour de la cour. Dans l'ensemble, elle était une bonne employée et le contrat de travail qu'ils avaient conclu avait toujours été satisfaisant.

[9] En contre-interrogatoire, M. Almey a déclaré que l'appelante et lui étaient aujourd'hui de bons amis, et que cette amitié avait commencé en 1992. Initialement, il l'avait embauchée “ un peu pour faire plaisir à [ses] amis ”, mais il s'était habitué à elle ainsi qu'à la présence de ses enfants autour de la ferme. Il ne se rappelait pas que l'autre employeur de l'appelante l'avait mise à pied en 1996. Il ne se rappelait pas précisément avoir engagé l'appelante le 1er octobre 1996; il se rappelait uniquement l'avoir engagée lorsqu'il y avait du travail à faire. Par exemple, lorsqu'il avait acheté d'autres têtes de bétail, il lui avait fallu mettre davantage de foin en balles. Une autre fois, son neveu et lui avaient échangé certains services, mais comme Mme Legal n'était pas libre pour faire certains types de travaux, il avait simplement travaillé lui-même davantage et n'avait jamais engagé qui que ce soit d'autre pour la remplacer. En 1997, il avait gagné un revenu agricole brut de 73 000 $, sans qu'il eût à engager quelqu'un pour l'aider. En 1992, son revenu agricole brut s'élevait à 48 000 $ et, en 1993, à 79 000 $. M. Almey a toutefois déclaré que le revenu variait en fonction du prix du bétail et des céréales et n'avait rien à voir avec le temps où les efforts réellement consacrés au travail dans une année donnée. Mme Legal faisait tous les travaux d'écriture se rapportant à l'emploi qu'elle exerçait auprès de M. Almey, étant donné que celui-ci ne savait ni lire ni écrire et qu'il devait compter sur l'honnêteté des autres envers lui. Il a déclaré qu'il trouvait de plus en plus difficile de faire affaire en espèces, les choses étant devenues si dispendieuses, et qu'il devait avoir avec lui une quantité d'argent considérable, à un point tel que cela était devenu malcommode. Le témoin ne se souvenait d'aucune visite d'un inspecteur de Revenu Canada à la ferme en avril 1997. À son avis, toutefois, tous les reçus étaient en ordre, et lorsqu'il payait l'appelante, celle-ci signait un reçu. Habituellement, M. Almey se rendait à la banque et encaissait un chèque reçu à la suite de la vente de céréales ou de bétail. Il vendait des céréales tout au long de l'année étant donné qu'il avait besoin d'une certaine quantité d'argent chaque mois pour payer les factures. Il lui était rarement arrivé de payer le salaire de Mme Legal en retard, mais au plus tard à la fin du mois, il lui remettait ce qu'il lui devait et, à son tour, elle lui payait le loyer. M. Almey ne s'était jamais occupé des heures réelles de travail puisque l'appelante et lui savaient tous deux ce qu'il y avait à faire et qu'il lui versait un salaire mensuel en contrepartie de ses services. Il faisait montre de souplesse dans la mesure où les travaux étaient exécutés correctement, permettant alors à l'appelante d'exercer un emploi à titre de préposée aux soins à domicile. De toutes les années où il s'était livré à l'agriculture, l'année 1999 avait été celle qui avait exigé le moins d'efforts en raison des problèmes causés par les conditions climatiques; il n'avait alors pu procéder suivant sa pratique habituelle.

[10] Marcel Almey n'a appelé aucun témoin à la barre à l'appui de son propre appel.

[11] L'avocate de l'appelante a soutenu que la preuve démontrait clairement que Mme Legal et M. Almey avaient conclu un marché raisonnable, compte tenu de leur situation particulière respective. La ferme, qui est située à 120 milles au sud-ouest de Winnipeg, ne peut être assimilée au marché traditionnel, et le ministre n'avait aucun contact personnel avec les parties; il avait par conséquent été démontré que plusieurs des hypothèses sur lesquelles le ministre s'était fondé étaient erronées.

[12] L'avocat de l'intimé a convenu que les parties n'étaient pas liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu et, par conséquent, que la disposition déterminative ne s'appliquait pas. Le ministre avait plutôt tiré la conclusion de fait selon laquelle, durant les périodes pertinentes, les parties avaient entre elles un lien de dépendance. L'avocat s'est reporté à l'année 1995, au cours de laquelle Mme Legal avait travaillé pendant 22 semaines comme préposée aux soins à domicile mais n'avait à aucun moment été engagée par Marcel Almey. L'avocat a soutenu que la preuve étayait la conclusion selon laquelle les périodes d'emploi variaient en fonction du nombre de semaines d'emploi dont avait dans l'ensemble besoin l'appelante pour être admissible à des prestations et que celle-ci connaissait les exigences auxquelles elle devait satisfaire pour pouvoir avoir droit aux prestations. L'avocat prétendait en outre que la preuve étayait l'allégation selon laquelle les divers reçus avaient été établis après coup et qu'on ne pouvait donc s'y fier, particulièrement à la lumière du fait que M. Almey n'avait jamais engagé d'autre employé, que ce soit avant, pendant ou après les périodes d'emploi en cause dans les présents appels. L'avocat a admis que certaines périodes d'emploi pouvaient être distinguées des autres, ce qui aurait donné un résultat différent, selon les circonstances existant à une époque particulière.

[13] La disposition pertinente de la Loi sur l'assurance-chômage est l'alinéa 3(2)c). La même disposition se retrouve aujourd'hui à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi. Puisque Ruth Legal (la travailleuse) n'est pas liée à Marcel Almey (le payeur), le ministre n'a pas procédé à l'analyse exigée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage. Par conséquent, le ministre ne jouit pas du pouvoir discrétionnaire qui se rattache à l'accomplissement de ses fonctions lorsque cette disposition s'applique. Le ministre exercerait alors un pouvoir quasi-judiciaire en vertu de cette disposition particulière et serait de ce fait assujetti au critère énoncé par les tribunaux (voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, et Her Majesty The Queen and Bayside Drive-in Ltd., (1997) 218 N.R. 150). Ces décisions et de nombreuses autres ont confirmé que l'intervention de la Cour de l'impôt devait être circonscrite en conformité avec l'analyse qui devait être faite. Je n'ai pas à tirer dans les présents appels de conclusion sur le fait qu'il y avait dans l'ensemble suffisamment ou non d'éléments de preuve pour justifier la conclusion à laquelle le ministre est arrivée, malgré les erreurs qu'il a pu commettre dans le cadre de cette analyse. En l'espèce, il s'agit d'un appel - soit ce qu'on appelle un appel de novo -, comme si cet appel touchait l'application de l'alinéa 3(1)a) ou 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et de la Loi sur l'assurance-emploi respectivement, la question à trancher étant celle de savoir s'il y avait un contrat de louage de services créant une véritable relation d'emploi entre la travailleuse et le payeur. Au paragraphe 7 de la réponse, le ministre soutenait que la travailleuse n'avait pas exercé un emploi assurable durant les périodes en cause parce que l'emploi correspondait plutôt à un échange de travail ou de services au sens des deux lois susmentionnées. Au paragraphe 8 de la réponse, le ministre prétendait que la travailleuse n'exerçait pas un emploi assurable au motif qu'elle n'avait pas été embauchée aux termes d'un contrat de louage de services visé par les dispositions pertinentes des deux lois. Étant donné que le pouvoir du ministre d'adopter l'approche coercitive - à la fois au moment où il prend sa décision et par la suite dans les actes de procédure -, lorsqu'il refuse de reconnaître l'assurabilité d'un emploi, a obtenu la reconnaissance judiciaire et que je ne puis donc intervenir à cet égard, je ne ferai aucun commentaire additionnel.

[14] Plusieurs des hypothèses faites par le ministre ont manifestement été réfutées par la preuve produite par Ruth Legal ou Marcel Almey. Il est évident que le ministre a tenu compte de l'entente par laquelle M. Almey permettait depuis de nombreuses années à l'appelante d'habiter chez lui, pour conclure que leur relation était davantage qu'une simple relation employeur-employé. Par conséquent, les hypothèses du ministre reflétaient la thèse selon laquelle la travailleuse, si tant est qu'elle eût travaillé, l'avait uniquement fait pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage, qu'il s'agissait en fait d'un échange de services et qu'elle n'avait jamais réellement reçu de salaire. Toutefois, Ruth Legal n'a jamais fourni de services d'entretien ménager à M. Almey, et elle a résidé dans la maison durant 24 ans, notamment durant les périodes au cours desquelles elle n'était pas l'employée de M. Almey. Le ministre soutenait que l'appelante n'avait jamais payé quoi que ce soit à M. Almey au titre du gîte et du couvert. Le paiement ne se rapportait pas au couvert, puisqu'elle faisait sa propre cuisine, mais plutôt au loyer relativement à l'étage supérieur de la maison. La seule année au cours de laquelle elle n'a pas payé certains loyers mensuels était l'année 1997, soit après les périodes en cause, et ceci était attribuable au fait qu'elle fréquentait l'école et manquait d'argent. La preuve n'étaye pas la conclusion du ministre selon laquelle le salaire de l'appelante dépendait de quelque manière que ce soit de l'importance des récoltes ou de la situation financière de M. Almey. Pour ce qui est du fait que M. Almey faisait ses paiements en espèces et que l'appelante s'occupait de la tenue de livres et de la préparation des formulaires nécessaires aux fins de la remise des cotisations, de l'impôt et de la TPS, il y avait une raison valable et raisonnable. À mon avis, il faut féliciter Mme Legal : pour pouvoir se conformer à la loi, fort complexe, touchant les employeurs et les employés, elle a composé un numéro de téléphone sans frais en vue d'obtenir des renseignements et a par ailleurs demandé l'aide de Revenu Canada. Elle n'avait qu'une sixième année d'études, et savait qu'il lui était ardu de faire la tenue de livres et les travaux d'écriture soigneusement et correctement. Après 1992, l'appelante n'avait pas travaillé de trois à cinq jours par semaine comme préposée aux soins à domicile. Elle travaillait deux ou trois jours par semaine selon qu'on faisait appel à elle pour remplacer les préposés qui avaient plus d'expérience ou dont l'emploi était plus stable lorsque ceux-ci n'étaient pas libres. Elle ne pouvait connaître à l'avance le nombre d'heures de travail qu'elle aurait à effectuer au cours d'une période donnée, ce nombre dépendant par ailleurs du fait que la personne dont elle s'occupait pouvait déménager dans un établissement de soins. Il était légitime que M. Almey lui permette d'exercer cet autre emploi tout en lui faisant faire le travail nécessaire à la ferme. Le ministre ignorait la quantité de travaux culturaux que M. Almey effectuait sur commande, ce travail l'obligeant à s'absenter de la ferme et pouvant lui procurer un salaire horaire neuf ou dix fois plus élevé que celui qu'il versait à l'appelante. Le ministre ignorait aussi la capacité de l'équipement agricole utilisé par M. Almey lorsqu'il a présumé qu'il n'était pas raisonnable pour ce dernier d'embaucher quelque commis que ce soit, compte tenu de la taille de la ferme. Les parties avaient une relation de travail qui existait depuis plus de 20 ans, et ils ont encore une relation d'amitié qui a évolué au fils des ans, puisqu'ils se connaissent depuis près de 25 ans. Il n'est pas nécessaire que les gens se rappellent exactement la raison pour laquelle ils ont engagé quelqu'un pour accomplir une tâche particulière à un moment précis, particulièrement dans le cas d'une ferme lorsque les saisons se chevauchent et que plusieurs activités dépendent des conditions atmosphériques. Il n'appartient pas au ministre de chercher à savoir pourquoi on n'a pas embauché quelqu'un à une époque particulière lorsque la preuve établit que l'embauchage correspondait toujours à un besoin particulier compte tenu de l'époque et des circonstances. De la même façon, rien n'empêche un employeur, plutôt que d'engager un étranger, d'attendre le retour de son employé habituel en travaillant davantage dans l'intervalle, ou d'obtenir l'aide d'un ami ou d'un parent à titre gracieux. À d'autres occasions, certains travaux peuvent être mis de côté jusqu'à ce que l'employé habituel soit de nouveau en mesure de s'en occuper. Les activités agricoles du payeur avaient évolué au fil des ans, tout comme les travaux que Ruth Legal accomplissait. Les appelants pouvaient établir leurs horaires de façon à s'accorder l'un avec l'autre et à s'accommoder aux besoins de l'exploitation agricole. Dans des affaires de ce genre, l'issue du litige dépend en grande partie de la crédibilité des témoins et du contexte global dans lequel les témoignages s'inscrivent. Je retiens le témoignage des deux appelants, et je conclus que l'ensemble de la preuve leur a permis de réfuter un nombre suffisant des hypothèses du ministre pour anéantir la base sur laquelle ce dernier a pris sa décision. Je trouve choquant que le ministre a laissé entendre que les appelants avaient fabriqué des éléments de preuve (soit les reçus) ou que l'entente (pièce A-4) avait été rédigée seulement après la visite de l'enquêteur de Revenu Canada le 15 avril 1997. Mme Legal a indiqué à l'avocat de l'intimé qu'elle avait apporté le document initial à la Cour, et elle avait offert de le produire, mais on ne lui avait pas demandé de le faire, et c'est son avocate qui l'a produit en preuve lors du réinterrogatoire de sa cliente. Il n'est pas nécessaire d'être un expert en écritures pour conclure - compte tenu des circonstances telles qu'elles ont été révélées par le témoignage de Mme Legal - que le contrat de location avait été établi plusieurs années avant 1997, en fait probablement vers 1978, soit après que les responsables de l'administration du régime de prestations d'assurance-chômage qui enquêtaient sur sa demande de prestations lui eurent demandé de fournir certaines explications au sujet de sa cohabitation avec M. Almey. Je dois également tenir compte de la mesure dans laquelle la relation des appelants a évolué après 1992, et il est possible de conclure, d'après la preuve, que la toute dernière période d'emploi, soit celle du 1er octobre 30 novembre 1996, était fondée sur le désir de M. Almey de fournir à l'appelante du travail supplémentaire après que son autre employeur l'eut mise à pied. M. Almey ne se rappelait pas précisément l'événement en question ni la nature du travail effectué à l'époque, mais il a déclaré qu'il n'avait pas l'habitude d'engager l'appelante s'il n'y avait pas de travail à faire. Toutefois, selon le témoignage de l'appelante, M. Almey faisait du moissonnage-battage, s'occupait des récoltes à l'automne, et qu'elle l'aidait aussi avec le bétail. Il faut se rappeler que l'appelante gagnait 6 $ l'heure comme travailleuse sociale. Il ne serait pas déraisonnable - pendant qu'il faisait encore beau - qu'elle cherche à obtenir du travail supplémentaire à la ferme en vue d'augmenter ses revenus. M. Almey était l'employeur, et il lui appartenait de décider s'il devait ou non embaucher quelqu'un. Contrairement à ce qui arrive dans le cas des programmes de création d'emplois artificiels qui sont sanctionnés par une province ou par une municipalité, M. Almey n'était pas tenu d'obtenir au préalable quelque autorisation que ce soit de fonctionnaires gouvernementaux. Encore là, lorsqu'il y a allégation d'opération fictive, de mauvaise foi ou de fabrication de documents à l'appui, et que cette allégation émane soit du ministre soit pour le compte de ce dernier dans le cadre de la décision par laquelle il refuse de reconnaître l'assurabilité d'un emploi, il vaut mieux que la preuve soit solide, sinon le tribunal ne tiendra aucun compte de pareille attaque, en tout cas certainement pas lorsque des éléments de preuve convaincants réfutent ces allégations ou insinuations. La preuve démontre que les travaux ont durant les périodes pertinentes été effectués lorsqu'ils étaient nécessaires, et que la travailleuse avait été rémunérée pour ses services, lesquels avaient été rendus dans des circonstances qui permettent de les assimiler à des services rendus dans le cadre d'une relation sans lien de dépendance.

[15] Les deux appels sont admis et la décision est dans chaque cas modifiée pour qu'il soit tenu compte de ce qui suit :

- L'appelante a exercé auprès de Marcel Almey (le payeur) un emploi assurable durant les périodes du 11 mai au 10 octobre 1992, du 14 juin au 30 octobre 1993, du 1er septembre au 29 octobre 1994 et du 1er octobre au 30 novembre 1996.

Signé à Edmonton (Alberta) ce 8e jour de février 2000.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de septembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.