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Date: 20000221

Dossiers: 97-1983-UI; 97-208-CPP

ENTRE :

N.B. CRIMESTOPPERS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté par N.B. Crimestoppers Inc., ci-après appelée l'“ appelante ”, contre le règlement, en date de 21 août 1997, par lequel le ministre du Revenu national, ci-après appelé l'“ l'intimé ”, décidait qu'une certaine Josée Larocque, ci-après appelée la “ travailleuse ”, fournissait ses services à l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services au cours de la période allant du 1er octobre 1995 au 1er octobre 1996, ci-après désignée comme étant la “ période en cause ”, et que l'emploi n'était pas exclu en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, de la Loi sur l'assurance-emploi ou du Régime de pensions du Canada.

[2] L'intimé a fondé son règlement sur les hypothèses suivantes énoncées dans la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

a) l'appelante était une société dûment constituée en vertu des lois de la province du Nouveau-Brunswick;

b) la travailleuse avait été engagée par l'appelante pour exercer des fonctions de secrétariat;

c) les heures de travail de la travailleuse étaient fixées par un mandataire de l'appelante;

d) les fonctions de la travailleuse étaient déterminées par un mandataire de l'appelante;

e) la travailleuse touchait une rémunération horaire, versée par la ville de Fredericton pour le compte de l'appelante;

f) la travailleuse était rémunérée à l'égard des jours fériés;

g) la travailleuse recevait une paye de vacances;

h) la travailleuse était supervisée par un mandataire de l'appelante;

i) la travailleuse devait obtenir l'autorisation du mandataire de l'appelante pour s'absenter de ses fonctions;

j) la travailleuse n'était pas libre de faire appel à un substitut;

k) la travailleuse n'a fourni aucun matériel ni n'a payé aucune dépense associée à l'exercice de ses fonctions;

l) la travailleuse ne courait aucun risque de perte ni n'avait la possibilité de tirer profit de la prestation de ses services à l'appelante;

m) la travailleuse n'était pas une employée de la G.R.C. ni du coordonateur provincial de la police;

n) la travailleuse était liée à l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services durant la période en cause;

LES FAITS

[3] L'appelante a été constituée au Nouveau-Brunswick en 1985 ou vers cette date. Il s'agissait d'un organisme bénévole créé dans le but d'aider à recueillir des renseignements et de les transmettre aux forces policières de la province au sujet de crimes non élucidés.

[4] L'appelante se compose de sections disséminées dans la province du Nouveau-Brunswick et régies par un conseil d'administration composé de deux représentants de chaque section. L'association est dirigée par un président, actuellement M. Ronald Godin, le seul témoin cité dans le cadre de l'appel.

[5] L'appelante avait pour rôle d'annoncer dans divers médias que la police recherchait des éléments de preuve relativement à des crimes non élucidés. Les citoyens intéressés, qui fournissaient des renseignements de façon anonyme, étaient rémunérés en argent comptant. Ces paiements étaient rendus possibles grâce à des subventions de l'Association des chefs de police du Nouveau-Brunswick, au moyen de fonds recueillis par les sections locales et par l'apport financier de clubs philanthropiques.

[6] Au début, l'appelante a obtenu la collaboration de la G.R.C. et du corps de police de la ville de Fredericton, qui ont convenu de fournir à leurs frais tout le personnel nécessaire à l'application du programme. La G.R.C. a offert un bureau dans son quartier général de Fredericton, l'un de ses membres devant servir de coordonnateur de la police, alors que des agents du corps de police de Fredericton répondaient aux appels. Une compagnie de téléphone provinciale fournissait les appareils, leur installation et leur entretien étant gratuits. L'appelante n'avait aucun employé rémunéré.

[7] En 1991, en raison d'une augmentation du nombre d'appels et de l'impossibilité d'obtenir davantage de policiers pour assurer le fonctionnement du programme, l'appelante s'est adressée au ministère du Solliciteur général de la province du Nouveau-Brunswick pour trouver une solution. Le ministère a accepté de rémunérer deux civils chargés de prendre les appels.

[8] Le ministère du Solliciteur général du Nouveau-Brunswick a désigné la ville de Fredericton en qualité de mandataire, responsable de gérer l'embauchage et la rémunération des employés, et des subventions ont été faites à la ville à cette fin. Au cours des cinq années suivantes, des employés ont été engagés et rémunérés par la ville de Fredericton, avec l'apport du membre de la G.R.C. qui agissait comme coordonnateur de la police. L'appelante n'avait aucune autorité en matière d'embauchage. La ville de Fredericton n'a versé aucune cotisation ni fait aucune retenue en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, de la Loi sur l'assurance-emploi ni du Régime de pensions du Canada.

[9] En 1996, la travailleuse, qui était employée depuis un an, a été congédiée. Le coordonnateur de la police a avisé l'appelante de la décision, et celle-ci a convenu qu'il existait de bonnes raisons et un motif valable de congédier la travailleuse.

[10] Lors de son congédiement, la travailleuse a fait une demande de prestations. Développement des ressources humaines Canada a avisé l'appelante que la travailleuse était son employée et qu'elle était tenue de verser les cotisations et d'effectuer les retenues à son égard et à celui de tous ses autres employés.

[11] L'appelante a demandé à l'intimé de déterminer si l'emploi de la travailleuse au cours de la période en cause était assurable aux fins de l'assurance-chômage et de l'assurance-emploi et s'il donnait droit à pension aux fins du Régime de pensions du Canada. L'intimé a confirmé la décision du ministère, et l'appelante a interjeté appel auprès de notre cour.

[12] Tout d'abord, il est clair que l'employée en cause a été engagée aux termes d'un contrat de louage de services et non d'un contrat d'entreprise, et que son emploi était assurable et donnait droit à pension en vertu des lois respectives régissant l'emploi en question. Toutefois, la question qui se pose est de savoir qui est l'employeur. L'appelante soutient qu'elle n'était pas l'employeur.

[13] L'appelante a établi en preuve qu'elle n'avait pas le droit d'embaucher, de congédier ni de licencier aucun employé, y compris le coordonnateur de la police, et qu'elle n'avait pas la responsabilité de rémunérer la travailleuse.

[14] L'intimé affirme que l'appelante était l'employeur pour les raisons suivantes :

1) La rémunération de l'employée provenait de deniers avancés à l'appelante par le ministère du Solliciteur général du Nouveau-Brunswick, par l'entremise de la ville de Fredericton, pour assurer la poursuite du programme de l'appelante, et le fait qu'elle est un organisme bénévole et sans but lucratif ne l'exempte pas de verser des cotisations lorsqu'un contrat de louage de services existe.

2) La ville de Fredericton, le coordonnateur de la police et le cadre de l'appelante ont engagé la travailleuse.

3) Grâce notamment au coordonnateur de la police, au bureau fourni par la G.R.C. et au service téléphonique gratuit, l'appelante a formé la travailleuse et assuré le succès de son programme. Le personnel et les services fournis sont devenus une partie intégrante de l'entreprise de l'appelante.

4) Conformément à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et à l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, un emploi est assurable même si les gains qui en découlent proviennent de quelqu'un d'autre que l'employeur.

5) Si l'appelante prétend que la ville de Fredericton était l'employeur, elle aurait dû citer la ville en qualité de témoin, et son défaut de le faire devrait amener la Cour à tirer une inférence défavorable.

[15] En ce qui concerne le premier argument, selon la preuve, l'appelante n'avait aucun contrôle sur l'argent fourni par le ministère du Solliciteur général à la ville de Fredericton.

[16] Pour ce qui est du second argument, la preuve montre clairement que le cadre de l'appelante n'avait rien à voir avec l'embauchage de la travailleuse.

[17] Quant au cinquième argument, l'appelante est tenue de démolir les hypothèses de l'intimé par une prépondérance de preuves qu'elle n'est pas l'employeur; elle n'a pas à prouver qui est l'employeur.

[18] Dès le départ, j'ai estimé que la question litigieuse consistait à savoir s'il existait une relation employeur-employée entre l'appelante et la travailleuse, ou si le fait que cette dernière ait été fournie représentait simplement une autre forme d'aide et de soutien financiers gratuits grâce auxquels l'appelante mettait en oeuvre son programme. La distinction est difficile à faire, particulièrement parce que la description des mêmes faits, avec quelques légères variantes, peut appuyer des conclusions radicalement différentes. Il y avait certainement un employeur, mais je suis convaincu que l'hypothèse que cet employeur était l'appelante a été démolie par la preuve faite par cette dernière, qui n'est pas tenue de prouver qui est l'employeur. Son obligation consiste simplement à démolir l'hypothèse de l'intimé qu'elle était l'employeur. Les arguments 3 et 4 ne s'appliquent pas à l'espèce.

[19] Je ne vois rien dans la Loi surl'assurance-chômage ni dans la Loi sur l'assurance-emploi qui empêche une personne d'engager un travailleur, de le rémunérer et de mettre gratuitement ses services à la disposition de quelqu'un d'autre. Je conclus que c'est exactement ce qu'ont fait le ministère du Solliciteur général et la G.R.C. en l'espèce.

[20] Il ne faut pas oublier que le rôle du coordonnateur de la police ne consistait pas uniquement à former et à superviser la travailleuse. Dès que celle-ci avait reçu des renseignements utiles à une enquête criminelle, le coordonnateur de la police amenait soit son corps de police, soit un autre à agir en fonction des renseignements, tâche qui n'appartenait pas à l'appelante et qu'elle n'était pas autorisée à accomplir. L'appelante n'avait été constituée que pour aider à recueillir des renseignements utiles à l'intention des corps policiers.

[21] J'ai étudié la thèse voulant que l'argent était en fait fourni à l'appelante et, qu'indépendamment des activités connexes de la ville de Fredericton et du coordonnateur de la police, l'appelante était la bénéficiaire éventuelle des fonds. J'ai rejeté cette thèse pour les motifs susmentionnés.

[22] La question de l'employeur par délégation de pouvoirs à été étudiée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Minacori c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.), [1994] A.C.F. no 584, no d'appel A-966-92 (Voir [1992] A.C.I. no 377, no du greffe 91-128 (UI) le jugement de première instance de la Cour canadienne de l'impôt).

[23] Dans l'affaire Minacori, A avait engagé la compagnie B pour gérer et administrer les placements de certains de ses clients. La compagnie B a engagé une employée qui avait travaillé pour A pendant plusieurs années. La compagnie B rémunérait l'employée, mais le travail quotidien de cette dernière était supervisé par A. Subséquemment, l'employée a interjeté appel contre la décision du ministre du Revenu national qu'elle n'était pas employée par la compagnie B et qu'en conséquence, elle n'avait pas droit à des prestations.

[24] La Cour canadienne de l'impôt a conclu qu'il n'y avait pas de relation employeur-employée entre la compagnie B et l'employée puisque la compagnie B n'exerçait aucun contrôle sur l'employée. La Cour canadienne de l'impôt a refusé de conclure qui était l'employeur.

[25] La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel et conclu que la compagnie B était l'employeur par délégation. Le juge Décary a rédigé la décision pour la majorité et il a dit dans le premier paragraphe du jugement :

Il importe peu, à notre avis, que l'employeur, au sens de l'alinéa 3(1)(a) de la Loi sur l'assurance-chômage, soit l'employeur proprement dit ou la société de gestion à laquelle cet employeur a confié la gestion de son entreprise. Cette société peut fort bien être considérée comme l'employeur par délégation relativement à un emploi donné.

[26] Cette affaire se distingue de l'espèce puisque l'appelante n'a jamais exercé le moindre contrôle sur la travailleuse. Elle n'a en aucune façon contribué à la rémunération de la travailleuse. Elle n'a pas engagé la ville de Fredericton ni le coordonnateur de la police pour qu'ils fournissent des services pour son compte. Les services de tout le personnel, dont la travailleuse, ont été fournis gratuitement par la province du Nouveau-Brunswick par l'entremise du ministère du Solliciteur général et la G.R.C.

[27] Il n'incombe pas à l'appelante de soumettre des preuves pour établir l'identité de l'employeur. Si l'intimé prétend à bon droit que l'appelante était l'employeur, on peut soutenir, en appliquant l'arrêt Minacori aux faits de l'espèce, que la ville de Fredericton était l'employeur de la travailleuse par délégation et, par conséquent, l'employeur tenu de verser les cotisations et de faire les retenues exigées par la loi.

[28] Je suis convaincu que l'appelante a, selon la prépondérance de la preuve, démoli l'hypothèse de l'intimé qu'elle était l'employeur de la travailleuse.

[29] L'appel est accueilli. La Cour conclut qu'au cours de la période en cause, la travailleuse n'était pas une employée de l'appelante. Le règlement de l'intimé est modifié en conséquence.

Signé à Rothesay (Nouveau Brunswick), ce 21e jour de février 2000.

“ Murray F. Cain ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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