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Date: 20000113

Dossier: 1999-1429-IT-G

ENTRE :

SAFETY BOSS LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels dont il s'agit concernent deux cotisations établies en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991 et 1992, ainsi qu'une cotisation établie en vertu de la partie XIII en matière de retenue d'impôt des non-résidents et où il est également question de pénalités.

[2] En 1991, l'appelante a versé une prime à son président et actionnaire à 99 p. 100, M. Michael Miller, qui, à l'époque, était un non-résident du Canada. En 1992, elle a versé des honoraires à la compagnie non résidante de M. Miller. Le ministre du Revenu national n'a pas admis une partie de la prime versée à M. Miller et des honoraires versés à sa compagnie, au motif que ces sommes étaient supérieures aux montants qui auraient été raisonnables si les parties n'avaient eu aucun lien de dépendance. De plus, le ministre a considéré la somme non admise comme un avantage conféré à M. Miller et a, en conséquence, fixé une retenue d'impôt de non-résident ainsi qu'une pénalité. Il s'agit de savoir si c'est à juste titre que le ministre a agi de la sorte.

[3] L'appelante exploite une entreprise consistant à éteindre des incendies de champs pétroliers et à obturer des puits de gaz et de pétrole en éruption. Son exercice se termine le 31 août.

[4] Michael Miller se spécialise dans la lutte contre les incendies de champs pétroliers. À l'époque du procès, il avait 55 ans. Au cours des années en cause, il était le président-directeur général de l'appelante, dont il détenait 99 p. 100 des actions. Il avait acheté la compagnie à son père en 1979. C'était une entreprise familiale depuis 1956. M. Miller compte de nombreuses années d'expérience dans le domaine du pétrole et du gaz et comme personne ayant lutté contre des incendies de puits pétroliers dans le monde entier. Il a par exemple participé à la lutte contre le gros incendie de Lodge Pole, qui a duré 67 jours. En 1983, il a pris part à la lutte contre deux incendies de tours de forage au large des côtes de l'Iran.

[5] Après que, en 1979, M. Miller eut acquis la Safety Boss, la compagnie a éprouvé de graves difficultés financières pendant environ 10 ans, probablement en raison du Programme énergétique national, qui a eu un effet dévastateur sur l'industrie pétrolière et gazière dans l'Ouest du Canada. M. Miller a été obligé de vendre toutes ses réserves pétrolières et gazières et d'emprunter de l'argent simplement pour que l'entreprise reste à flot.

[6] La lutte contre les incendies de puits pétroliers et gaziers est extrêmement dangereuse. Il faut énormément d'habileté, d'endurance et de courage. Le succès de la compagnie est essentiellement attribuable à M. Miller.

[7] L'intimée a admis les paragraphes suivants de l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

6. M. Miller avait plus de 30 ans d'expérience en matière de champs pétroliers, une bonne partie de cette expérience ayant été acquise hors du Canada, notamment au Moyen-Orient.

7. M. Miller avait acquis des compétences ainsi qu'une réputation personnelle mondiale comme personne capable de faire face aux pires incendies de champs pétroliers et gaziers. Il s'était bâti une réputation particulièrement solide au Moyen-Orient par suite des travaux qu'il avait accomplis dans cette région.

8. Durant toute la période pertinente, les fonctions de M. Miller concernant l'entreprise étaient notamment les suivantes : élaborer toute la planification stratégique, se charger directement de négocier tous les contrats avec les clients et de maintenir de bonnes relations avec les fournisseurs, veiller à ce que l'exécution des contrats de l'entreprise réponde à une norme appropriée, gérer toutes les opérations quotidiennes en matière de lutte contre les incendies de champs pétroliers, recruter tout le personnel, acheter tout le matériel nécessaire à l'exécution des contrats et s'occuper de l'ensemble des aspects financiers de l'entreprise.

9. Toute survaleur de l'appelante relative à l'entreprise était attribuable à la réputation et aux capacités personnelles de M. Miller.

[8] L'intimée a par ailleurs admis en grande partie les allégations qui suivent figurant à l'avis d'appel, et les aspects non admis de ces allégations ont été amplement établis par la preuve verbale :

[TRADUCTION]

10. À la fin de la guerre de 1991 entre l'Irak et le Koweït (la “ guerre du Golfe ”), les troupes irakiennes ont, en se retirant, fait exploser 731 puits pétroliers du Koweït, causant la pire catastrophe écologique dans toute l'histoire de l'humanité.

11. Le gouvernement du Koweït s'attendait à ce que les troupes irakiennes causent une telle dévastation en se retirant. Comme M. Miller avait déjà eu des contacts personnels avec des représentants de la Kuwait Oil Company, et vu sa réputation ainsi que les travaux qu'il avait déjà réalisés, le gouvernement du Koweït avait, le 28 février 1991, passé un contrat avec la compagnie de M. Miller, soit l'appelante, pour faire éteindre les incendies de puits pétroliers qu'il s'attendait à ce que les troupes irakiennes provoquent en se retirant. Peu après la fin de la guerre du Golfe, l'appelante a entrepris de remplir ses fonctions contractuelles au Koweït.

12. Le travail accompli par l'appelante et son personnel au Koweït était incroyablement difficile et dangereux. M. Miller a fait preuve d'un leadership motivant extraordinaire qui a soutenu les employés de l'appelante et a permis à celle-ci d'exécuter son contrat au Koweït.

13. Dans ces circonstances exceptionnelles et dangereuses, M. Miller a eu l'occasion d'appliquer certains concepts originaux qu'il avait élaborés pour la lutte contre les incendies de puits pétroliers. Ainsi, l'appelante a pu éteindre un plus grand nombre d'incendies que toute autre équipe participant à l'opération du Koweït.

[9] Des photographies et des vidéocassettes ont été déposées comme preuve de la dévastation que les troupes irakiennes battant en retraite avaient causée en faisant exploser des puits de pétrole. Il est difficile de décrire l'ampleur de la catastrophe ou l'ampleur de la tâche accomplie par l'appelante sous la direction de M. Miller.

[10] Trois autres compagnies se spécialisant dans ce domaine, soit des compagnies dont le centre d'opérations est le Texas, prenaient part à la lutte contre ces incendies : la célèbre compagnie Red Adair, la Boots & Coots et la Wild Well Control. En plus de toutes les autres difficultés qui se posaient à lui, M. Miller devait composer avec l'arrogance et les brimades des Texans, qui étaient contrariés par l'intrusion d'une compagnie canadienne dans ce qu'ils considéraient comme leur chasse gardée.

[11] Il est indubitable que le contrat avec le Koweït a été obtenu grâce à l'initiative et aux relations de M. Miller et grâce à la réputation et à la compétence de ce dernier. Il est également indubitable que les innovations de M. Miller ont contribué énormément au succès de la compagnie. Parmi ces innovations, mentionnons les suivantes : abris mobiles de surveillance, énormes camions à incendie, utilisation de mousse ou d'eau plutôt que d'explosifs, grue montée sur véhicules et servant à insérer un “ stinger ” dans un puits de pétrole en feu, dans le but d'extraire le pétrole en feu et d'éteindre l'incendie, et conception d'un gros véhicule à chenilles devant être utilisé dans l'opération consistant à séparer les puits en feu des puits ayant été éteints. C'est en partie grâce aux innovations de M. Miller que l'appelante a obturé 180 puits, soit plus que quiconque, y compris les trois compagnies texanes, bien que l'appelante soit arrivée sur les lieux plusieurs semaines après les Texans. L'approche de M. Miller était fondamentalement différente de celle des compagnies texanes, ce qui peut expliquer son succès, ainsi que le fait que, après l'extinction de tous les incendies, on a demandé à l'appelante de rester au Koweït pour les travaux de nettoiement, mais pas aux Texans. Les incendies ont en fait été éteints en quelques mois, plutôt qu'en quelques années comme on l'avait prévu à l'origine.

[12] Sur la foi des faits, il est clair que les gains importants que l'appelante a tirés de ce travail au Koweït étaient directement attribuables au leadership, à l'initiative, à l'intelligence et au sens des affaires de M. Miller. Cela dit, je ne veux nullement minimiser la compétence et le courage des hommes que M. Miller avait engagés pour qu'ils travaillent sous ses ordres. La chaleur, le danger et les conditions exténuantes caractérisant leur travail étaient indescriptibles. C'est toutefois M. Miller qui les motivait. C'est pour cette raison que M. Miller a été décoré de l'Ordre du Canada et a été nommé pétrolier de l'année par le magazine Oilweek.

[13] Voilà donc le contexte quelque peu dramatique dans lequel s'inscrit le présent appel en matière d'impôt sur le revenu.

[14] Le 28 juin 1991, la Safety Boss International Limited (“ SBIL ”) a été constituée sous le régime des lois des Bermudes. M. Miller a acquis 11 996 des 12 000 actions émises. Le 2 août 1991, il est allé habiter aux Bermudes. Il est admis qu'il est devenu non-résident du Canada et résident des Bermudes.

[15] Le 30 août 1991, l'appelante a déclaré une prime de 3 000 000 $ en faveur de M. Miller, prime qu'elle a déduite dans le calcul de son revenu.

[16] La résolution adoptée à cet égard par le seul administrateur de l'appelante se lit comme suit :

[TRADUCTION]

ATTENDU que les efforts déployés par le président de la compagnie, Michael J. Miller, dans la négociation, l'obtention et l'exécution du contrat avec le gouvernement du Koweït ont profité grandement à la compagnie;

ATTENDU que, sans l'expertise et les efforts de son président, la compagnie n'aurait pas obtenu le contrat ou n'aurait pas été en mesure d'en bénéficier;

ATTENDU que la compagnie désire reconnaître de façon tangible la contribution importante de son président;

IL EST RÉSOLU qu'une prime de 3 000 000 $ en faveur de Michael J. Miller est déclarée en date du 30 août 1991;

IL EST ÉGALEMENT RÉSOLU que la prime sera versée dans les 180 jours suivant la fin de l'exercice de la société;

IL EST EN OUTRE RÉSOLU que la prime est réputée avoir été gagnée par M. Miller au prorata au cours de la période allant du 28 février au 30 août 1991;

ENFIN, IL EST RÉSOLU que les dirigeants et administrateurs de la société sont par la présente autorisés à signer et à livrer tous les accords et autres documents pouvant être requis ou nécessaires pour la réalisation intégrale de l'objet de la présente résolution.

Daté à Al Ahmadi, Koweït, ce 30e jour d'août 1991.

[17] Les attendus de cette résolution sont pleinement étayés par les faits.

[18] La prime a été versée à M. Miller avant la fin de décembre 1991. M. Miller a déclaré 2 513 513 $ comme revenu gagné au Canada et assujetti à l'impôt canadien et il a exclu 486 487 $. La partie de la prime qu'il a déclarée a été calculée comme suit :

155 x 3 000 000 $ = 2 513 513 $

185

[19] Le raisonnement précis à la base de ce mode particulier de répartition n'a pas été exposé d'une manière particulièrement claire. Le dénominateur (185) correspond à peu près au nombre de jours entre le 28 février et le 30 août. Le numérateur (155) correspond à peu près au nombre de jours en 1991 entre le 28 février et le 2 août, jour où M. Miller est devenu non-résident. La base exacte du montant n'est pas particulièrement pertinente aux fins de l'espèce, mais il est à noter que le président de l'appelante, suivant l'avis de son comptable, M. Duncan Moodie, a adopté une position très modérée et a, malgré le fait qu'il était résident des Bermudes lorsque la prime a été reçue, déclaré 84 p. 100 de la prime comme proportion assujettie à l'impôt canadien.

[20] Le ministre n'a pas cherché à imposer M. Miller sur le montant de 486 487 $. Il en a plutôt refusé une partie, soit 418 987 $, affirmant que seule la somme de 67 500 $ constituait un montant raisonnable au sens du paragraphe 69(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[21] Le deuxième point en litige a trait à des honoraires de 800 000 $ par mois versés par l'appelante à la SBIL. Le 30 août 1991, M. Miller avait démissionné de son poste de président et administrateur de l'appelante et avait commencé à travailler exclusivement pour la SBIL, aux termes d'un contrat de travail stipulant que la SBIL lui verserait 800 000 $ par mois. Le 1er septembre 1991, l'appelante et la SBIL ont passé un contrat prévoyant que la SBIL rendrait des services à l'appelante en contrepartie de 800 000 $ par mois. Conformément à l'une des modalités de ce contrat, la SBIL a accepté de mettre à la disposition de l'appelante les services de M. Miller.

[22] Au 14 novembre 1991, les incendies du Koweït avaient été éteints, le contrat de l'appelante avec le Koweït avait pris fin, et l'appelante avait cessé de verser à la SBIL les sommes précisées au contrat. L'appelante a versé à la SBIL 800 000 $ pour chacun des mois de septembre et d'octobre 1991 et 373 333 $ pour les 14 jours de novembre, soit au total 1 973 333 $.

[23] De cette somme, le ministre n'a admis qu'un montant de 126 000 $ comme déduction dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition se terminant le 31 août 1992, au motif que toute somme excédentaire versée pour les services de M. Miller était déraisonnable.

[24] Les sommes de 418 987 $ et de 1 847 333 $ non admises pour 1991 et 1992 ont été considérées par le ministre comme des avantages qui avaient été conférés à M. Miller par l'appelante et qui étaient assujettis à une retenue d'impôt. Le ministre a également imposé une pénalité en vertu de la partie XIII de la Loi.

[25] La principale disposition de la Loi à la base de la thèse de la Couronne est le paragraphe 69(2), qui se lit comme suit :

(2) Contrepartie déraisonnable. — Lorsqu'un contribuable a payé ou est convenu de payer à une personne non résidante avec qui il avait un lien de dépendance, soit à titre de prix, loyer, redevance ou autre paiement pour un bien ou pour l'usage ou la reproduction d'un bien, soit en contrepartie du transport de marchandises ou de voyageurs ou d'autres services, une somme supérieure au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non résidante et le contribuable n'avaient eu aucun lien de dépendance, ce montant raisonnable est réputé, aux fins du calcul du revenu du contribuable en vertu de la présente partie, correspondre à la somme ainsi payée ou payable.

[26] Fait intéressant, quoique peut-être sans importance, le ministre invoquait le paragraphe 69(2), mais pas l'article 67. L'article 67 ne permet de déduire un débours ou une dépense que “ dans la mesure où ce débours ou cette dépense était raisonnable eu égard aux circonstances ”.

[27] Le mot “ raisonnable ” figurant à l'article 67 véhicule un concept un peu vague faisant appel au jugement et au bon sens d'un observateur objectif et bien informé. Le “ montant raisonnable ” mentionné au paragraphe 69(2) est essentiellement défini comme étant un montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non résidante et le contribuable n'avaient eu aucun lien de dépendance.

[28] S'il y a une différence entre les concepts exprimés dans les deux dispositions, elle n'est pas évidente.

[29] Si les sommes versées par l'appelante à M. Miller et à la SBIL ne sont pas des “ montants raisonnables ” au sens du paragraphe 69(2), les paiements excédentaires doivent nécessairement être refusés.

[30] Les deux autres conséquences — la retenue d'impôt et les pénalités — sont moins claires. Vu la conclusion à laquelle je suis parvenu sur la question principale, il n'est pas nécessaire que je traite de ces questions secondaires, mais, par respect pour les deux avocats, qui ont abordé ces questions dans leurs plaidoiries, j'en traiterai brièvement.

[31] Si les sommes versées sont déraisonnables, l'excédent, selon le ministre, représente un avantage conféré par l'appelante à M. Miller, un actionnaire, aux termes du paragraphe 15(1). Il serait à mon avis difficile de s'opposer à cet argument dans le cas de la prime, si celle-ci est déraisonnable. S'il s'agit d'un avantage aux termes du paragraphe 15(1), cet avantage serait, en application du paragraphe 214(3), réputé un dividende versé par une société résidant au Canada et serait, s'il était conféré à un actionnaire non résidant, imposable en application du paragraphe 212(2) et assujetti à une retenue d'impôt, par le payeur résidant, en application du paragraphe 215(1).

[32] Toutefois, pour ce qui est des honoraires de 1 847 333 $ qui avaient été versés à la SBIL dans l'année d'imposition 1992 et qui n'ont pas été admis, l'avocat de l'appelante soutient que, si un avantage a été conféré, il l'a été non pas à l'actionnaire, M. Miller, mais à la compagnie de M. Miller, la SBIL. L'avocat de l'appelante soutient qu'il serait injustifié de faire abstraction de la personnalité morale et de traiter un paiement déraisonnable ou excessif à la SBIL comme un avantage conféré au seul actionnaire de la SBIL. Bien que je n'exprime pas une opinion décisive à cet égard, car je n'ai pas à le faire, il me semble que le simple bon sens indique qu'un avantage conféré à une société dont toutes les actions sont détenues par un contribuable représente un avantage accordé au contribuable. Cela augmente la valeur des actions du contribuable dans la société recevant l'avantage et permet à la société de faire des paiements à l'actionnaire, paiements qu'elle n'aurait autrement pu faire.

[33] La deuxième question secondaire abordée par l'avocat de l'appelante est la question de la pénalité. Le paragraphe 227(8) se lit comme suit :

(8) Sous réserve du paragraphe (8.5), toute personne qui ne déduit pas ou ne retient pas un montant au cours d'une année civile conformément au paragraphe 153(1) ou à l'article 215 est passible d'une pénalité :

a) soit de 10 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu;

b) soit de 20 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu si la personne a, au moment du défaut, déjà eu une cotisation pour pénalité en application du présent paragraphe sur un montant qui aurait dû être déduit ou retenu au cours de l'année.

L'alinéa b) modifié en 1994, soit une modification applicable après 1992, se lit comme suit :

b) soit de 20 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu au cours de l'année si, au moment du défaut, une pénalité en application du présent paragraphe était payable par la personne sur ce montant et si le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[34] L'avocat de l'appelante soutient que la pénalité de 10 p. 100 imposée en l'espèce en vertu de l'alinéa 227(8)a) correspond à une responsabilité stricte plutôt qu'absolue et il invoque à cet égard les jugements Consolidated Canadian Contractors Inc. v. Canada,[1998] G.S.T.C. 91, et Pillar Oilfield Projects Ltd. v. Canada,[1993] G.S.T.C. 49.

[35] L'avocate de l'intimée soutient que, à la lumière de l'alinéa 227(8)b), qui impose une pénalité supérieure lorsque le défaut d'effectuer une retenue d'impôt a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, il faut conclure que la pénalité prévue à l'alinéa 227(8)a) est automatique et absolue et qu'aucune défense de diligence raisonnable n'est possible. Bien que je n'aie pas à trancher ce point en l'espèce, je mets en doute l'exactitude de cette proposition, même si la version modifiée de l'alinéa 227(8)b) s'appliquait. Je ne pense pas que cette proposition soit étayée par le jugement Consolidated Canadian Contractors. L'article 285 de la Loi sur la taxe d'accise prévoit une pénalité plus sévère lorsque de faux énoncés sont faits sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, et cela n'empêche pas la production d'une défense de diligence raisonnable en vertu de l'article 280.

[36] Je passe maintenant à la question principale, soit celle de savoir si la prime versée à M. Miller ou les honoraires versés à la SBIL représentent une somme “ supérieure au montant qui aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non résidante et le contribuable n'avaient eu aucun lien de dépendance ”, pour reprendre les termes du paragraphe 69(2).

[37] Je commencerai par faire remarquer qu'il est extrêmement curieux que, tant que M. Miller a été résident du Canada, le ministre n'ait pas mis en question le caractère raisonnable de la rémunération versée à M. Miller. Les 84 p. 100 de la prime attribués par M. Miller et son comptable au revenu de M. Miller imposable au Canada avaient manifestement été jugés bien raisonnables par le ministre. Ce sont seulement les 16 p. 100 (soit 486 487 $) attribués à M. Miller comme résident des Bermudes qui ont attiré l'attention du ministre. Nul doute qu'il y a un raisonnement pratique à la base de ce qui doit être considéré comme une approche un peu anormale et incohérente de la part du ministre. La justification tient probablement au fait que, tant que la rémunération était pleinement imposable entre les mains de M. Miller, la déduction, par la compagnie, ne donnait lieu à aucune perte pour le fisc. Cette position est compréhensible, mais il convient de souligner que le caractère raisonnable d'une dépense n'a rien à voir avec la question de savoir si la somme est imposable entre les mains du bénéficiaire.

[38] Le ministre fondait la cotisation sur le fait que la rémunération de M. Miller, que ce soit la prime versée à ce dernier en 1991 ou les honoraires versés à la SBIL en 1992, ne devrait pas dépasser 2 250 $ par jour pour la période où M. Miller était au Koweït et 750 $ par jour pour la période où il n'y était pas. Le montant de 2 250 $ correspondait simplement aux 1 500 $ par jour versés à un autre employé, soit un chef d'équipe, plus 750 $ par jour pour toutes fonctions de gestion remplies par M. Miller.

[39] Les principes à la base des cotisations sont défectueux, ainsi que les cotisations elles-mêmes, et ce, pour un certain nombre de raisons :

a) On n'a pas tenu compte du fait que l'existence du contrat avec le Koweït et l'exécution de ce contrat étaient attribuables à M. Miller. Si compétent que l'autre employé puisse avoir été, il était néanmoins un employé de la compagnie de M. Miller, il avait été embauché par celui-ci et était dirigé par lui. Ce n'était pas cet employé qui décrochait les contrats, pour employer une expression familière. Cet employé participait à l'accomplissement du travail obtenu par M. Miller. Reléguer M. Miller au simple rang d'employé — alors qu'il était l'élément moteur de la compagnie sans lequel ni la compagnie ni son contrat avec le Koweït n'auraient existé —, c'est déprécier M. Miller et, d'un point de vue commercial, ce n'est pas réaliste.

b) Les cotisations ne tiennent pas compte des années de vaches maigres, durant lesquelles M. Miller luttait pour que la compagnie reste à flot et acceptait soit une rémunération réduite soit de ne pas être rémunéré. Le ministre a en fait cherché à justifier les cotisations de 1991 et 1992 en soutenant que la rémunération reçue par M. Miller dans les années précédentes, soit de mauvaises années, l'avait amené à la conclusion à laquelle il était parvenu, alors qu'à mon avis cela aurait dû l'amener à la conclusion contraire.

c) La justification avancée quant au fait qu'on n'a pas tenu compte de ce que M. Miller était la seule personne à décrocher les contrats est la suivante : lorsque, en 1991, la prime a été versée à M. Miller et que, en 1992, des honoraires de 800 000 $ par mois pour environ deux mois et demi ont été versés à la compagnie de M. Miller, le contrat était déjà en cours d'exécution; donc, ce que M. Miller avait fait antérieurement pour que la compagnie réalise des bénéfices était simplement de l'histoire ancienne et ne pouvait avoir de rapport avec ce qui lui serait versé lorsque, grâce à ses efforts, la compagnie serait en mesure de lui verser des sommes proportionnelles à ses contributions à la réalisation des bénéfices de la compagnie. Cette thèse est intenable, que ce soit du point de vue des usages commerciaux ou du point de vue du simple bon sens. Il est tout à fait fréquent que de précieux employés soient récompensés au cours d'années de rentabilité en reconnaissance de services rendus dans des années antérieures. Quoi qu'il en soit, le contrat avec le Koweït a été passé en 1991.

d) Ce qui m'apparaît évident — et qui ne l'était manifestement pas pour les fonctionnaires du ministère —, c'est que les sommes importantes qui ont été versées à l'appelante par le Koweït l'ont été grâce à M. Miller. C'est lui qui a principalement contribué à la réalisation des profits de l'appelante. C'est lui qui faisait la pluie et le beau temps.

[40] Il est à noter que, dans une note de service en date du 12 décembre 1994, rédigée par l'administration centrale de Revenu Canada à l'intention de l'administration de Calgary, il était reconnu qu'une retenue d'impôt sur les honoraires visés à l'alinéa 212(1)a) (honoraires ou frais de gestion ou d'administration) était indéfendable en raison du paragraphe 212(4).

[41] La note de service du 12 décembre 1994 se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Vous nous avez demandé nos commentaires sur deux approches possibles. Votre première approche consisterait à fixer une retenue d'impôt de 25 p. 100 à l'égard des honoraires de gestion versés par la SBL à la Safety Boss International Ltd. (SBIL). Vous estimez que l'alinéa 212(4)b) n'est pas applicable vu le raisonnement tenu dans la cause de Peter Cundill & Associates Ltd. J'ai examiné cette cause, qui traite d'une exclusion visée à l'alinéa 212(4)a) et non d'une exclusion visée à l'alinéa 212(4)b). Ainsi, nous sommes d'avis que l'affaire Peter Cundill et votre cas ne traitent pas de la même question. Il semble que le contribuable ait clairement démontré que l'exclusion visée à l'alinéa 212(4)b) s'applique et qu'aucun impôt de la partie XIII ne devrait par conséquent être fixé. L'alinéa 212(4)b) ne s'appliquerait pas seulement si les honoraires de gestion n'étaient pas raisonnables vu les circonstances, auquel cas la retenue d'impôt de 25 p. 100 s'appliquerait. Pour ce qui est de votre deuxième approche, voici nos commentaires.

Les faits sont bien énoncés dans les lettres de Felesky Flynn en date du 18 juillet et du 24 octobre 1994. La SBL a effectué deux types distincts de paiements pour des services qui lui avaient été rendus à l'égard du travail accompli dans le cadre du contrat de lutte contre les incendies du Koweït. Je traiterai séparément de chacun de ces deux types de paiements.

1. La SBL a déclaré pour son exercice se terminant le 31 août 1991 une prime de 3 000 000 $ en faveur de M. Miller. Cette prime se rapportait aux efforts déployés par M. Miller dans le cadre du projet du Koweït. M. Miller a été résident du Canada au cours de la majeure partie de la période pertinente et a indiqué la presque totalité de cette somme, sauf 486 587 $, dans sa déclaration T1 de 1991. Pour cette raison, je ne pense pas qu'il soit utile de mettre en doute le caractère raisonnable de ce paiement.

2. Le 1er septembre 1991, la SBL et la SBIL ont passé un contrat aux termes duquel la SBIL acceptait de fournir des services à la SBL, y compris les services de M. Miller, relativement au contrat de la SBL avec le gouvernement du Koweït. La SBL acceptait de verser à la SBIL des honoraires fixes de 800 000 $ par mois vu l'obligation de la SBIL de verser à M. Miller une rémunération de 800 000 $ par mois. La SBL a passé en charges 1 973 333 $, ce qui couvrait la période de deux mois et demi se terminant le 14 novembre 1991. La SBL ayant un lien de dépendance avec la SBIL, il faut que les honoraires de gestion correspondent au montant raisonnable mentionné au paragraphe 69(2). Pour déterminer ce que sont des honoraires de gestion raisonnables, nous suggérons de prendre les mesures suivantes.

[42] Je ne reproduirai pas le reste de la note de service. Y sont émises un certain nombre de suggestions, dont le bureau de Calgary a totalement fait fi.

[43] Le paragraphe 212(4) se lit comme suit :

(4) Aux fins de l'alinéa (1)a), les “ honoraires ou frais de gestion ou d'administration ” ne comprennent pas une somme versée ou créditée, ou réputée, en vertu de la Partie I, avoir été versée à une personne non résidante, ou avoir été portée à son crédit au titre ou en paiement intégral ou partiel,

a) d'un service fourni par la personne non résidante si, au moment où elle l'a fourni,

(i) ce service a été fourni dans le cadre de l'exploitation normale d'une entreprise qu'elle exploitait, qui comportait la fourniture d'un tel service contre versement d'un honoraire, et si

(ii) cette personne non résidante et le payeur n'avaient aucun lien de dépendance, ou

b) d'une dépense engagée expressément par la personne non résidante pour la fourniture d'un service à l'intention du payeur,

dans la mesure où la somme ainsi versée ou créditée était raisonnable, vu les circonstances.

[44] L'alinéa 212(4)b) ne vise pas uniquement des opérations sans lien de dépendance. Tout ce qui est exigé pour que des honoraires versés à des non-résidents soient exclus du cadre de l'alinéa 212(1)a), c'est qu'il s'agisse d'une somme au titre d'une dépense engagée expressément par la personne non résidante pour la fourniture d'un service à l'intention du payeur et que cette somme soit “ raisonnable, vu les circonstances ”.

[45] L'avocat de l'appelante pose en fait la question suivante : si le ministre reconnaît que les honoraires versés à la SBIL sont raisonnables pour l'application du paragraphe 212(4), pourquoi les honoraires deviennent-ils déraisonnables pour l'application du paragraphe 69(2)? Je reconnais qu'il y a là une incohérence. Toutefois, ce n'est pas simplement en démontrant l'existence d'incohérences dans le raisonnement de fonctionnaires du ministère que l'on a gain de cause dans un appel en matière d'impôt sur le revenu. Il faut démontrer qu'une cotisation est objectivement erronée, que ce soit en fait ou en droit.

[46] L'avocat de l'appelante soutient en outre que le paragraphe 212(4), étant plus particulier que le paragraphe 69(2), exclurait l'application du paragraphe 69(2) en raison du principe selon lequel les dispositions générales de dérogent pas aux dispositions spéciales (generalia specialibus non derogant), et que, si le ministère reconnaît que le paragraphe 212(4) ne s'applique pas, il ne peut ensuite appliquer le paragraphe 69(2). Vu la conclusion à laquelle je suis parvenu, je n'ai pas à me prononcer décisivement sur ce point, mais je pense que cet argument pousse le principe précité bien au-delà de son objet comme guide d'interprétation.

[47] Le paragraphe 69(2) permet au fisc de refuser, pour ce qui est de la partie I, la déduction de paiements déraisonnables à des non-résidents avec lien de dépendance. Le paragraphe 212(4) vise à exclure certains paiements du cadre de l'alinéa 212(1)a). L'objet des deux dispositions est essentiellement si différent qu'il serait inutile d'essayer de faire valoir la prédominance d'une disposition sur l'autre. De plus, le principe énoncé dans la maxime latine veut simplement dire que les termes généraux d'une loi ultérieure ne doivent pas être interprétés comme abrogeant les dispositions particulières de lois antérieures.

[48] Bien que les pratiques du ministère ne soient pas déterminantes, il est parfois utile de les examiner, notamment lorsque la cotisation en cause s'écarte d'une pratique bénéfique et sensée. Lors de la table ronde de Revenu Canada de 1981, on a répondu ce qui suit à une question concernant le caractère raisonnable de salaires et de primes :

[TRADUCTION]

En général, le ministère ne contestera pas le caractère raisonnable de primes et de salaires versés aux principaux actionnaires-dirigeants d'une société lorsque :

a) soit la pratique générale de la société est de distribuer les profits de la compagnie à ses actionnaires-dirigeants sous la forme de primes ou de salaires supplémentaires;

b) soit la compagnie a adopté une politique consistant à déclarer des primes en faveur des actionnaires pour les rémunérer à l'égard des profits de la compagnie qui sont en fait attribuables au savoir-faire particulier, aux relations ou aux qualités d'entrepreneur des actionnaires.

[49] Comme je l'ai indiqué précédemment, M. Miller est carrément visé à l'alinéa b) de la réponse.

[50] La détermination du montant de la prime, l'attribution de 84 p. 100 de la prime comme proportion assujettie à l'impôt canadien et la détermination du montant des honoraires n'étaient pas des décisions arbitraires. M. Moodie, soit le comptable, a fait un effort conscient pour laisser de l'argent dans la compagnie aux fins de besoins futurs et pour indemniser M. Miller à l'égard de sa contribution à la réalisation des bénéfices.

[51] Je reviens à la question de savoir s'il aurait été déraisonnable qu'une personne sans lien de dépendance verse à M. Miller ou à la SBIL les sommes que l'appelante leur a en fait versées. Il ne faut pas oublier que le Koweït — qui n'avait clairement aucun lien de dépendance avec l'appelante — a en fait payé beaucoup plus pour ce qui était essentiellement les services de M. Miller, y compris son expertise, son expérience, son savoir-faire, sa réputation et ses compétences de gestion. La compagnie appelante représente pour l'essentiel une entreprise unipersonnelle; bien qu'elle ait eu des employés et du matériel, elle correspond à bien des égards à une entreprise unipersonnelle. Si M. Miller avait effectivement exploité une entreprise individuelle et reçu du Koweït des honoraires sur lesquels il aurait versé des salaires et payé des frais, son revenu provenant de la source sans lien de dépendance, le Koweït, aurait été nettement supérieur. Pourtant, on n'aurait pu affirmer que le Koweït lui versait des honoraires déraisonnables à l'égard de ses services.

[52] Il y a eu de nombreux jugements sur la question du caractère raisonnable des dépenses. Il s'agit essentiellement d'une détermination de fait. Je citerai seulement un jugement qui énonce le principe et qui a fréquemment été cité : Gabco Ltd. v. M.N.R., 68 DTC 5210. À la page 5216, le juge Cattanach disait :

[TRADUCTION]

Il s'agit non pas que le ministre ou notre cour substitue son jugement à celui du contribuable lorsqu'il s'agit de déterminer ce qu'est un paiement raisonnable, mais plutôt que le ministre ou la Cour arrive à la conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable ne se serait engagé par contrat à verser une telle somme en n'ayant à l'esprit que les intérêts commerciaux de l'appelante. Je ne pense pas que Jules, en concluant l'arrangement qu'il a conclu avec son frère Robert, considérait seulement le fait que le service rendu par Robert à l'appelante dans ses trois premiers mois d'emploi correspondrait strictement à la paye qu'il recevrait. Je pense que Jules pouvait légitimement à l'époque de l'embauchage de Robert prendre en considération d'autres aspects comme des avantages futurs pour l'appelante, ce qu'il a manifestement fait.

[53] À mon avis, il a été abondamment établi que la prime versée à M. Miller en 1991 et les honoraires versés à sa compagnie, SBIL, en 1992 étaient tout à fait proportionnels aux services rendus par M. Miller et n'excédaient pas les paiements qui auraient été raisonnables si les parties n'avaient eu aucun lien de dépendance[1].

[54] Les appels pour les années d'imposition 1991 et 1992 sont admis et les cotisations établies en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation de manière que l'appelante puisse déduire, dans le calcul de son revenu, la prime versée à M. Miller et les honoraires versés à la Safety Boss International Ltd.

[55] L'appel de la cotisation du 1er octobre 1998 en matière de retenue d'impôt des non-résidents en vertu de la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu est admis, et la cotisation d'impôt, d'intérêts et de pénalités est annulée.

[56] L'appelante a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               J'ai, avec quelque difficulté, résisté à la tentation de formuler des commentaires sur ce que M. Miller avait reçu en comparaison de ce que l'on paie aux présidents de grandes entreprises publiques ou encore aux joueurs de baseball ou de basket-ball.

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