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Date: 19980326

Dossier: 97-1012-IT-I

ENTRE :

MARVIN FLEISHMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] En 1992, l'appelant avait reçu 10 000 $ de Thomas A. Winiker relativement à un billet en date du 31 décembre 1990. En 1993, il avait reçu un montant supplémentaire de 25 000 $ de M. Winiker relativement au même billet. L'appelant soutient que ces deux montants sont des paiements de principal à l'égard d'un certain prêt, mais le ministre du Revenu national soutient que ce sont des paiements d'intérêts à l'égard de ce prêt. Dans ces appels interjetés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour 1992 et 1993, la seule question est de savoir si les deux montants reçus par l'appelant étaient des paiements de principal ou d'intérêts ou une combinaison des deux. L'appelant a demandé que la procédure informelle régisse ses appels.

[2] L'appelant a été le seul témoin à l'audience. Il connaît Thomas A. Winiker depuis plus de 35 ans, c'est-à-dire depuis les années 60. À un moment donné en 1989 ou en 1990, M. Winiker avait communiqué avec l'appelant et lui avait demandé un prêt d'environ 500 000 $. Un ou plusieurs prêts d'un montant total de 525 000 $ avaient été consentis et étaient attestés par un billet (pièce A-1) en date du 31 décembre 1990. Ce billet est un document important; il se lit comme suit :

[TRADUCTION]

CONTRE VALEUR REÇUE, le soussigné s'engage par les présentes à ce que, sur demande, lui ou ses héritiers, exécuteurs testamentaires ou ayants droit paient à l'ordre de la RENVIEW ESTATES INC. une ou des sommes ne dépassant pas au total CINQ CENT VINGT-CINQ MILLE DOLLARS (525 000 $), en argent canadien ayant cours légal.

Le présent billet portera intérêt au taux annuel de TREIZE ET DEMI POUR CENT (13 1/2 %) la première année et sera annuellement ajusté par consentement mutuel s'il n'est pas intégralement remboursé d'ici la date anniversaire de la présente convention.

Le présent billet atteste toute dette consécutive à des prêts consentis à Thomas A. Winiker par Marvin Fleishman, de la Renview Estates Inc.

« Thomas A. Winiker »

[3] L'appelant a expliqué que la Renview Estates Inc. (ci-après appelée la « Renview » ) était une société dans laquelle lui et son épouse, Katherine Fleishman, détenaient une participation de 50 p. 100 chacun. Le billet était le bien de la Renview. D'après l'appelant, M. Winiker n'avait effectué que des paiements mensuels d'intérêts au titre du billet durant presque toute l'année 1991, mais il semble que ces paiements mensuels aient cessé vers la fin de 1991. L'appelant et M. Winiker songeaient à acheter un immeuble à Branson, dans le Missouri, à un moment donné au cours de l'hiver 1991-1992. L'épouse de l'appelant était fortement opposée à ce que l'appelant s'implique davantage dans les projets d'affaires de M. Winiker. Ainsi, l'appelant et son épouse avaient, en janvier 1992, conclu une entente en vertu de laquelle celle-ci achetait la participation de 50 p. 100 que l'appelant détenait dans la Renview.

[4] À cette époque, l'appelant et son épouse convenaient du fait que la Renview avait une valeur d'environ 960 000 $; donc, la participation de 50 p. 100 que l'appelant détenait dans la Renview aurait eu une valeur de 480 000 $. Conformément à l'entente entre l'appelant et son épouse, l'appelant avait transféré à son épouse la participation de 50 p. 100 qu'il détenait dans la Renview, en échange de quoi son épouse avait fait en sorte que la Renview remette à l'appelant le billet de 525 000 $ de M. Winiker. Dans cette opération, il était présumé que le billet avait une valeur égale à son montant nominal, soit 525 000 $. Sur la foi du témoignage de l'appelant, je suis toutefois convaincu que la capacité de M. Winiker de rembourser le billet était déjà douteuse dans les premiers mois de 1992. Je m'interroge donc quant à savoir si l'on pouvait réalistement attribuer au billet une valeur de 525 000 $. Quoi qu'il en soit, il ressort du témoignage de l'appelant que ce dernier et son épouse convenaient qu'il serait reconnu qu'elle avait fait en sorte que la compagnie remette à l'appelant une valeur de 525 000 $ à la cession du billet.

[5] L'entente entre l'appelant et son épouse avait été mise sur papier, soit la « convention de règlement » en date du 7 juillet 1992 (pièce R-1). L'appelant a dit que, avant que le billet lui soit cédé par la Renview, les paiements mensuels d'intérêts qui avaient été faits par M. Winiker en 1991 avaient été versés à la Renview et reçus par elle. Après que le billet fut cédé à l'appelant par la Renview, il n'y a pas eu de paiements de quelque sorte à l'égard du billet si ce n'est les deux paiements de 10 000 $ et de 25 000 $ que je décrirai ci-dessous.

[6] L'appelant a dit qu'il avait eu un entretien avec M. Winiker dans un restaurant de Toronto à un moment donné au cours de l'été 1992. L’appelant était alors pessimiste sur ses chances d'obtenir le remboursement du billet et avait donc dit à M. Winiker que, si ce dernier lui payait 100 000 $ comptant au titre du principal dû sur le billet, M. Winiker pourrait avoir un sursis de paiement indéfini à l'égard du solde du principal et des intérêts y afférents. L'appelant soutient que M. Winiker a accepté cette proposition, mais il n'y a aucune preuve écrite de quelque sorte qui indique qu'une telle proposition a été faite ou acceptée ou que les modalités du billet avaient été modifiées. À un moment donné dans la dernière partie de 1992, M. Winiker avait payé 10 000 $, et ce, à l'appelant, car ce dernier était alors cessionnaire du billet qui avait été fait à la Renview. Puis, en 1993, M. Winiker avait versé une somme supplémentaire de 25 000 $ à l'appelant en tant que cessionnaire du billet. Il s'agit des deux sommes dont le ministre a présumé que c'était des paiements d'intérêts à l'égard du billet (pièce A-1) et que le ministre a ajoutées au revenu déclaré de l'appelant pour 1992 et 1993 respectivement. Selon l'appelant, ces deux paiements avaient été faits comptant. J'entends par là qu'ils avaient vraiment été faits en espèces et non par chèque certifié, mandat bancaire ou autre effet de commerce. Interrogé quant à savoir pourquoi M. Winiker aurait fait de tels paiements comptant, l'appelant a simplement dit que c'est ainsi que M. Winiker était. L'appelant a dit en outre qu'aucun reçu à l'égard de ces paiements comptant n'avait été donné et qu'on n'avait établi aucun autre document étayant le fait que deux sommes d'argent importantes étaient passées de M. Winiker à l'appelant.

[7] L'appelant a toutefois dit clairement qu'il avait transféré ces sommes directement à la Renview, dont son épouse avait alors la propriété exclusive, et que ces sommes avaient été déposées dans le compte bancaire de la Renview. L'appelant a en outre expliqué d'une manière un peu indirecte que ces deux paiements d'un montant total de 35 000 $ avaient été faits à la Renview parce que, dans la mesure ou l'on attribuait au billet une valeur nominale de 525 000 $ à l'époque ou la Renview l'a cédé à l'appelant, l'épouse de l'appelant aurait fait en sorte que la Renview transfère à l'appelant un bien représentant une valeur d'environ 45 000 $ de plus que la valeur de la participation de 50 p. 100 que l'appelant détenait dans la Renview et qu'il a transférée à son épouse. Autrement dit, l'appelant estimait qu'il devait à son épouse environ 45 000 $ parce que celle-ci lui avait transféré le billet, soit une valeur d'environ 525 000 $, alors qu'il n'avait transféré à son épouse qu'une valeur de 480 000 $ en lui transférant la participation de 50 p. 100 qu'il détenait dans la Renview. Ainsi, le transfert à la Renview, par l'appelant, des deux paiements comptant de 10 000 $ et de 25 000 $ (plus le transfert de la participation de 50 % qu'il détenait dans la Renview) était sa façon d'essayer de payer à son épouse ou à la Renview (soit la compagnie de son épouse) une somme à peu près égale à la valeur nominale du billet.

[8] On n'a déposé en preuve aucun document portant la signature de l'appelant et de M. Winiker ou la signature d'un des deux et indiquant la nature des deux paiements en espèces. Aucune preuve écrite n'indique si ces deux paiements en espèces étaient exclusivement des paiements d'arriérés d'intérêts sur le principal du billet, si c'était des remboursements partiels du principal du billet ou si c'était de quelque manière une combinaison de paiements de principal et d'intérêts. D'après l'appelant, il n'existe aucune preuve écrite semblable.

[9] L'appelant soutient que M. Winiker avait accepté la proposition qui lui avait été faite à l'été 1992 d'effectuer un paiement comptant immédiat de 100 000 $ au titre du principal seulement et que les deux paiements comptant de 10 000 $ et de 25 000 $ étaient des versements sur ce paiement de principal de 100 000 $. Le ministre du Revenu national prend en considération le montant du principal impayé (525 000 $) et tient compte du fait qu'aucun versement d'intérêt mensuel régulier n'a été fait après le début de 1992; le ministre présume que les paiements comptant faits à l'appelant étaient des paiements d'arriérés d'intérêts. À partir de la preuve et de toute règle de droit commercial pertinente, il me faut déterminer si ces deux paiements comptant étaient des paiements de principal ou d'intérêts ou une combinaison des deux.

[10] La règle de droit régissant la répartition d'une somme entre le principal et les intérêts est établie depuis longtemps. Dans l'affaire Atlas Acceptance Corporation Ltd. v. Lamm et al., (1991) 75 Man. R. (2d) 25, le juge Philp, qui a rendu le jugement de la Cour d'appel du Manitoba, disait à la page 32 :

[TRADUCTION]

En matière de répartition de paiements, le droit est clair :

[TRADUCTION]

« Il est bien établi en droit qu'une personne qui doit à son créancier des sommes différentes et distinctes peut exiger que ses paiements s'appliquent comme elle le désire. Il est également bien établi que, en l'absence d'une répartition déterminée par le débiteur, le créancier peut affecter l'argent comme bon lui semble. » McArthur v. McMillan, (1886) Man. L. R. 377, juge Dubuc.

Cent cinq ans plus tard, cela demeure un énoncé succinct et exact de l'état du droit.

Un principe juridique semblable est énoncé dans Chitty on Contracts, (27d) 1994, à la page 1058 (21-054) :

[TRADUCTION]

En droit, en l'absence d'une répartition déterminée par le débiteur ou le créancier à l'égard d'une dette ou créance portant intérêt, le paiement sera (sauf intention contraire manifeste) d'abord appliqué aux intérêts dus, puis au principal.

Le même principe est énoncé dans Creditor-Debtor Law in Canada, C. R. B. Dunlop, 2e édition, 1994, à la page 26.

[11] Les seuls éléments de preuve pertinents sur cette question sont le billet lui-même (pièce A-1) et le témoignage, non contredit, de l'appelant, qui a décrit la proposition qu'il avait faite à M. Winiker au cours de l'été 1992. Cette proposition impliquait le paiement immédiat d'un montant de 100 000 $ au titre du principal seulement, et l'appelant soutient que les deux paiements de 10 000 $ et de 25 000 $ font partie de ce paiement de principal. Sur la foi de la preuve, il y a deux paiements effectifs non répartis par le débiteur. J'appliquerai le principe énoncé dans l'arrêt Atlas Acceptance, précité, à savoir que, « en l'absence d'une répartition déterminée par le débiteur, le créancier peut affecter l'argent comme bon lui semble » . Aucune preuve n'indique que M. Winiker ait déterminé une répartition entre le principal et les intérêts. Il est clair que, comme créancier, l'appelant a appliqué les deux paiements au principal. Sur la foi du témoignage de l'appelant, témoignage qui n'a pas été contredit, les appels sont admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mars 1998.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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