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Date: 19971028

Dossier: 96-1628-UI

ENTRE :

OMER RIOUX,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 16 août 1996. En vertu de cette détermination, l'emploi occupé par l'appelant fut qualifié non-assurable pour les périodes suivantes : 6 avril au 15 août 1992, 22 mars au 16 octobre 1993, 14 mars au 29 octobre 1994 et du 15 mai au 21 octobre 1995.

[2] La détermination a résulté de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par l'article 3(2)c) de la Loi sur l'assurance chômage; l'intimé s'est également appuyé sur les paragraphes 61(3) de la Loi et sur les articles 251 et 252 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[3] Quant aux faits à l'origine de la détermination, l'intimé les a exprimés comme suit :

a) le payeur exploite une tourbière;

b) durant les années en litige, les actions avec droit de vote du payeur étaient réparties comme suit :

l'appelant 37,4%

Gaétan Rioux, fils de l'appelant, 28%

Yves Rioux, fils de l'appelant 28%

Alain Rioux 6,6%;

c) l'appelant était le président du conseil d'administration et le gestionnaire des 16 ou 17 employés affectés aux opérations du payeur;

d) l'appelant n'avait pas de superviseur durant les opérations journalières de l'entreprise du payeur;

e) en 1992 et 1993, la rémunération hebdomadaire de l'appelant équivalait environ au maximum de la rémunération assurable;

f) en 1994 la rémunération hebdomadaire de l'appelant était égale au maximum de la rémunération assurable;

g) l'appelant a investi 4 000 $ pour acquérir ses actions avec droit de vote, et a investi 32 500 $ en biens en contrepartie de 3 250 actions catégorie B, sans droit de vote;

h) durant les périodes en cause, l'appelant garantissait personnellement une dette de 30 000 $ du payeur;

i) l'appelant a prêté au payeur les sommes suivantes :

en décembre 1993, 32 000 $,

en février 1995, 4 000 $,

en avril 1995, 6 000 $,

en août 1995, 40 000 $,

en octobre 1995, 20 000 $;

j) entre ses périodes rémunérées, l'appelant travaillait pour le payeur sans rémunération apparente;

k) les périodes prétendues de travail ne correspondent pas avec les périodes d'activités du payeur;

l) l'appelant était le pilier du payeur;

m) l'appelant n'était pas subordonné au payeur;

n) il n'est pas raisonnable de conclure dans ces circonstances, que le contrat de travail de l'appelant aurait été à peu près semblable s'il n'avait pas eu de lien de dépendance avec le payeur.

[4] Lors de l'enquête et audition, seul l'appelant a témoigné; il n'a produit aucune preuve documentaire à l'exception d'une lettre de la Caisse Populaire de St-Fabien (Pièce A-1) relative à son cautionnement en faveur de la compagnie Tourbière Rio-Val Inc., payeure dans le dossier faisant l'objet du présent appel.

[5] Il est ressorti du témoignage de l'appelant qu'il connaissait très bien la démarcation entre son statut d'individu employé et son deuxième statut d'actionnaire; au cours de son témoignage, il a fait constamment la distinction entre les deux statuts, quant aux faits et gestes qu'il posait dans le cadre des opérations et de l'exploitation de l'entreprise et ceux en sa qualité d'administrateur.

[6] Bien que le contenu des paragraphes 5c), 5d), 5e), 5f), 5g), 5h), 5i), 5j), 5k) et 5l) ait été nié tel que libellé, la preuve a démontré que le contenu de ces allégués était bien fondé.

[7] Quant au paragraphe 5m), le contenu de ce paragraphe n'était pas justifié, selon l'appelant, puisque le conseil d'administration se réunissait régulièrement; d'autre part, les actionnaires participaient à des réunions de chantiers tous les lundis. Il eut été utile de faire confirmer cette autorité du conseil d'administration sur le travail exécuté par l'appelant, puisqu'il s'agissait là d'un point fondamental. L'appelant n'a pas jugé approprié de produire le livre des procès-verbaux de la compagnie et aucun actionnaire ou administrateur n'est venu témoigner. La preuve disponible découle essentiellement du témoignage de l'appelant qui s'est exprimé es-qualité d'appelant travailleur et de représentant de la compagnie payeure. Conséquemment, il y a lieu d'apprécier la description du lien de subordination dans ce contexte particulier.

[8] À la lumière de l'implication financière de l'appelant dans les affaires de la compagnie ou encore là, aucune preuve documentaire n'a étoffé son témoignage, il appert que ce dernier devait avoir une emprise considérable. Telle emprise était d'ailleurs consolidée du fait que le bureau d'affaires de la compagnie était situé à la résidence privée de l'appelant; finalement, les deux seules personnes autorisées à signer les chèques étaient l'appelant et son épouse. Bien que l'épouse ne soit ni actionnaire ni administratrice, elle assistait à toutes les assemblées réunissant le père et ses trois fils, en sa qualité de secrétaire.

[9] L'appelant a indiqué que les salaires avaient été fixés en fonction des rétributions que les actionnaires recevaient dans le cadre de leurs anciennes fonctions. Encore là, il n'a pas été possible de vérifier, puisque le registre des salaires n'a pas été déposé. Il s'agissait, selon l'appelant, d'une rémunération basée sur un tarif horaire pour des semaines de 50 heures.

[10] Le nombre d'heures pouvait varier d'une semaine à l'autre; la température faisait souvent en sorte qu'il ne pouvait pas travailler 50 heures ou, dans certaines situations, devait travailler beaucoup plus que 50 heures. La secrétaire administrait le système de comptabilité des heures en réserve ou en déficit; le tribunal n'a pas pu examiner le registre, lequel n'a pas été déposé.

[11] Seul le livre des salaires aurait permis de vérifier les variations décrites par l'appelant. Il semble que la comptabilité des heures travaillées ait toujours balancé, puisque les actionnaires et l'appelant auraient toujours reçu le même salaire, en dépit des aléas de la nature.

[12] Le contre-interrogatoire a permis d'apprendre que l'appelant, bien qu'il ait minimisé l'importance de ce travail, avait participé à plusieurs reprises au chargement de la production, en dehors de ses périodes de travail.

[13] L'enquête et l'analyse des dossiers de l'appelant par l'intimé ont été réalisées au moyen d'un questionnaire très détaillé qu'il a complété. Cette façon de procéder avait été requise par l'appelant et son procureur.

[14] L'appelant a indiqué avoir trouvé l'exercice pénible et difficile, ajoutant que les espaces réservées pour les réponses étaient souvent trop restreintes et que certaines questions étaient ambiguëes et complexes. Par contre, à la question no. 29, libellée comme suit :

29) AUTRE(S) FAITS À SOULIGNER?,

l'appelant a choisi de ne rien y ajouter. D'autre part, le questionnaire, une fois complété, a été acheminé au ministère par l'intermédiaire du procureur de l'appelant. Il y a lieu de penser qu'il a été vérifié. L'appelant a témoigné de façon très articulée et il ressort de son témoignage qu'il possédait une vaste expérience et des connaissances multiples dans le monde des affaires. Je ne retiens pas son grief ou ses reproches quant aux difficultés soulevées par le questionnaire. D'une part, il pouvait compter sur les conseils de son avocat et d'autre part, il pouvait simplement joindre des annexes, si l'espace réservée aux réponses était trop limitée.

[15] Lorsqu'une détermination résulte de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par l'article 3(2)c) de la Loi, ce tribunal voit sa juridiction réduite à un contrôle judiciaire. Les paramètres de cette juridiction ont été exprimés lors des décisions de la Cour d'appel fédérale dans les dossiers suivants :

1) La Ferme Émile Richard et Fils Inc. et le Ministre du Revenu national (1er décembre 1994, 178 N.R. 361)

2) Tignish Auto Parts Inc. c. le Ministre du Revenu national (25 juillet 1994, 185 N.R. 73)

3) Attorney General of Canada and Jencan Ltd. 24 juin 1997, A-599-96)

4) Her Majesty the Queen and Bayside Drive-In Ltd. et al. (25 juillet 1997, A-626-96)

5) Raymonde Bérard c M.R.N., [1997] A.C.F. no. 88, A-487-96,

[16] En l'espèce, l'intimé a-t-il agi d'une manière arbitraire ou capricieuse? A-t-il ignoré certains faits déterminants? A-t-il donné une importance démesurée à des éléments sans pertinence? A-t-il débordé les limites que son pouvoir discrétionnaire commandait?

[17] La preuve, dont le fardeau incombait à l'appelant, commande une réponse négative à ces questions; en effet les quelques éléments ou faits sur lesquels l'appelant s'est appuyé pour soutenir avoir relevé ce fardeau de preuve ne sont nullement convainquants et encore moins déterminants.

[18] L'appelant a eu la possibilité, par le biais d'une procédure qu'il a lui-même choisie (questionnaire écrit), de fournir et soumettre tous les faits, documents et informations utiles à l'évaluation de son dossier. Suite à la décision défavorable, il se présente devant ce tribunal seul et sans aucun document, à l'exception d'une lettre émise par la Caisse Populaire pour plaider que le pouvoir discrétionnaire n'a pas été exercé correctement; il conclut que l'intimé a agi d'une manière déraisonnable.

[19] Cela n'est pas suffisant pour conclure à l'arbitraire du cheminement suivi par l'intimé. Certes l'intimé a pu interpréter certains faits de façon différente que ne l'aurait fait ce tribunal; est-ce en soi suffisant pour vicier l'exercice discrétionnaire? Je ne crois pas. Il eût fallu qu'il s'agisse d'éléments fondamentaux.

[20] L'ensemble de la preuve a démontré, en dépit de la réalité corporative, que l'appelant avait un ascendant considérable sur les affaires de la compagnie; cette perception aurait pu être diluée ou contredite par l'intervention de d'autres témoins ou par la production des procès-verbaux pertinents. L'appelant était seul maître de ce qu'il croyait devoir soumettre au tribunal, qui doit rendre une décision à partir de la preuve soumise.

[21] La prépondérance de la preuve permettait, voire même commandait, la détermination retenue. Cette même preuve n'a, par contre, jamais fait ressortir que l'intimé avait fait une ou des erreurs grossières lors de l'évaluation du dossier que lui a transmis l'appelant. Il n'y a rien dans la preuve qui puisse discréditer ou disqualifier la qualité de l'exercice discrétionnaire.

[22] Cette preuve, tout à fait essentielle à l'intervention de ce tribunal, m'interdit de faire l'analyse du dossier ou d'en faire la révision sous l'angle d'un procès de novo. En d'autres termes, l'appelant devait démontrer que l'intimé avait failli à ses obligations, lors de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[23] Cette preuve n'a pas été faite d'où je ne peux intervenir; j'ajoute cependant que le fait d'intervenir n'aurait pas nécessairement fait en sorte que l'appel aurait été accueilli puisqu'encore là, je crois la preuve déficiente.

[24] Pour ces raisons, l'appel est rejeté.

"Tardif"

J.C.C.I.

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