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Date: 19991014

Dossier: 98-1768-IT-G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE FEU FREDERICK J. HAAS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] L'affaire dont il s'agit a été entendue sur la base d'un exposé conjoint des faits, tel qu'il figure à la pièce A-1, qui a été admis par consentement des parties. Cette pièce contenait un certain nombre d'autres documents, qui ont également été admis par consentement. L'exposé conjoint des faits se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Les parties conviennent par les présentes que, aux strictes fins du présent appel et de tout appel pouvant en être interjeté ou de toute autre procédure engagée dans cette affaire, les faits qui sont énoncés aux présentes sont véridiques. L'une ou l'autre des parties pourra présenter d'autres éléments de preuve, non incompatibles avec ces faits. Les parties conviennent aussi que les documents mentionnés aux présentes sont des copies conformes aux originaux, qu'ils ont été signés par les personnes qui disent les avoir signés et qu'ils ont été signés aux dates auxquelles ils ont censément été signés. L'une ou l'autre des parties pourra présenter d'autres documents, non incompatibles avec ces documents.

1. Durant toute la période pertinente, M. Frederick J. Haas (“ M. Haas ”) était résident des États-Unis aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), ch. 1, dans sa version modifiée (la “ Loi ”), et aux fins de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, dans sa version modifiée (la “ Convention ”).

2. M. Haas est décédé le 31 octobre 1991.

3. Durant toute la période pertinente, la John I. Haas Hop Company (Canada) Ltd. (la “ Compagnie ”) était une corporation canadienne.

4. Au 30 octobre 1991, le nombre d'actions ordinaires émises et en circulation de la Compagnie était de 1 397.

5. Avant son décès, M. Haas avait acquis au total 1 139 des actions émises et en circulation de la Compagnie (les “ Actions ”), aux dates et selon les quantités indiquées à la section 1. Toutes les Actions, sauf une, ont été acquises avant le 31 décembre 1971. M. Haas détenait les Actions à son décès.

6. Conformément à l'alinéa 70(5)a) de la Loi, M. Haas était réputé avoir disposé de ses Actions à leur juste valeur marchande (“ JVM ”) immédiatement avant son décès (la “ disposition présumée ”). Donc, la disposition présumée a eu lieu dans l'année d'imposition 1991 de M. Haas.

7. Dans la déclaration de revenu de M. Haas pour 1991 qu'elle a produite, la succession de M. Haas a calculé et indiqué le gain en capital sur la disposition présumée en se basant sur le fait que la JVM des Actions immédiatement avant le décès était de 12 077 307 $ (tous les chiffres sont en dollars canadiens).

8. Par un avis de cotisation en date du 27 avril 1995, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une cotisation à l'égard de la succession pour l'année d'imposition 1991 de M. Haas. Dans cette cotisation, le ministre a ajouté au revenu des gains en capital imposables provenant de la disposition présumée, soit le montant de 12 359 983 $, calculé comme suit :

JVM des Actions immédiatement avant le décès 19 712 958 $

Moins : prix de base rajusté (“ PBR ”) des Actions

le 31 décembre 1971 (le “ jour de l'évaluation ”) (3 232 979 $)

16 479 977 $

Multiplié par 75 % 75 %

12 359 983 $

9. La succession a en temps opportun déposé un avis d'opposition à la cotisation du 27 avril 1995.

10. Le 21 février 1997, la succession et le ministre sont arrivés à un accord (l'“ Accord ”) fondé sur le fait que la JVM des Actions immédiatement avant le décès était de 17 500 000 $ (section 2).

11. À l'égard de toutes les Actions, sauf une (laquelle a été acquise après 1984), le gain en capital provenant de la disposition présumée pouvait être réduit en vertu du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention.

12. Dans l'Accord, les parties ne s'entendaient pas sur le montant duquel le gain en capital provenant de la disposition présumée devait être réduit en vertu du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention. L'Accord préservait le droit de la succession de faire opposition au calcul du ministre quant au montant déterminé en vertu dudit paragraphe.

13. Par un avis de nouvelle cotisation en date du 20 mai 1997 (section 3), le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de la succession pour l'année d'imposition 1991 de M. Haas de manière à exécuter l'Accord. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre a ramené à 3 694 199 $ (section 1) le montant à inclure dans le revenu par suite de la disposition présumée compte tenu du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention, montant qu'il a calculé somme suit :

JVM des Actions immédiatement avant le décès 17 500 000 $

Moins : PBR = JVM des Actions au jour

de l'évaluation (3 232 979 $)

14 267 021 $

Moins : réduction selon le paragraphe 9 de

l'article XIII (9 341 423 $)

4 925 599 $

Multiplié par 75 % 75 %

3 694 199 $

14. Comme cela est indiqué directement ci-dessus, le ministre a calculé que la réduction du gain en capital selon le paragraphe 9 de l'article XIII était de 9 341 423 $, et ce, à partir de la formule suivante :

Réduction = Gain x nombre de mois après le jour de l'évaluation jusqu'en 1985

nombre de mois après le jour de l'évaluation jusqu'à la date du décès

Où “ Gain ” = JVM des Actions immédiatement avant le décès (17 500 000 $)

moins : PBR = JVM des Actions au jour de l'évaluation (3 232 979 $).

15. La succession a fait opposition à la nouvelle cotisation du 20 mai 1997 par un avis d'opposition en date du 3 juin 1997 (section 4). Aux fins de la présente espèce, le seul point pertinent faisant l'objet de l'opposition est la formule utilisée par le ministre pour calculer la réduction du gain en capital selon le paragraphe 9 de l'article XIII.

16. Par un avis de nouvelle cotisation en date du 22 septembre 1997 (section 5), le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de la succession pour l'année de M. Haas se terminant le 30 octobre 1991 au sujet d'une question non liée, mais il n'a pas modifié la réduction de 9 341 423 $ des gains en capital sur la disposition présumée selon le paragraphe 9 de l'article XIII.

17. La succession a fait opposition à la nouvelle cotisation du 22 septembre 1997 par un avis d'opposition en date du 5 décembre 1997 (section 6). Le ministre a ratifié la nouvelle cotisation par un avis de ratification en date du 3 avril 1998 (section 7).

18. Dans l'avis d'opposition en date du 5 décembre 1997 (section 6), la succession faisait valoir que le montant à inclure dans le revenu par suite de la disposition présumée, compte tenu du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention, devrait être de 2 359 007 $ (section 8), calculé comme suit :

JVM des Actions immédiatement

avant le décès 17 500 000 $

Moins : coût d'origine des Actions (654 386 $)

16 854 614 $

Moins : réduction selon le paragraphe 9

de l'article XIII (13 700 271 $)

3 145 343 $

Multiplié par 75 % 75 %

2 359 007 $

19. Comme cela est indiqué directement ci-dessus, la succession considérait que la réduction du gain en capital selon le paragraphe 9 de l'article XIII devrait être de 13 700 271 $, et ce, à partir de la formule suivante :

Réduction = Gain x nombre de mois depuis la date d'acquisition des Actions jusqu'en 1985

nombre de mois depuis la date d'acquisition des Actions jusqu'à la date du décès

Où “ Gain ” = JVM des Actions immédiatement avant le décès (17 500 000 $)

moins : coût d'origine des Actions (654 386 $).

20. La JVM des Actions au jour de l'évaluation (2 840,93 $ l'action) et le coût d'origine des Actions (654 386 $) ne sont pas en litige.

21. Avant l'édiction aux États-Unis de la loi appelée Foreign Investment in Real Property Act (la “ FIRPTA ”), loi d'intérêt public no 96-499, sous-titre C, édictée le 5 décembre 1980 et s'appliquant aux dispositions effectuées après le 18 juin 1980, les résidents canadiens n'étaient pas assujettis à de l'impôt aux États-Unis sur des gains en capital provenant de dispositions d'intérêts directs ou indirects dans des biens immeubles situés aux États-Unis, sauf si un tel gain était en fait lié à un commerce ou à une entreprise des États-Unis.

22. En vertu de la FIRPTA (sous réserve de la Convention), les résidents canadiens sont assujettis à de l'impôt aux États-Unis sur des gains en capital provenant de dispositions d'intérêts dans des biens immeubles situés aux États-Unis, soit des US Real Property Interests (“ USRPI ”) au sens de la FIRPTA.

23. La FIRPTA s'applique aux résidents canadiens qui réalisent des gains en capital sur la disposition de USRPI, même si ces résidents ont acquis les USRPI avant la date d'édiction ou de prise d'effet de la FIRPTA.

24. Ni la FIRPTA ni aucune autre loi fiscale américaine (sous réserve d'une convention fiscale dont les États-Unis sont signataires) ne contiennent une règle qui serait semblable du point de vue de l'objet ou de l'effet à la règle canadienne du jour de l'évaluation énoncée au paragraphe 26(3) des RAIR et qui exonérerait de l'impôt américain la totalité ou une partie d'un gain en capital réalisé par un résident canadien sur la disposition d'un USRPI (le présent paragraphe ne doit pas être interprété comme laissant entendre qu'une telle exonération peut exister en vertu d'une loi américaine autre que la FIRPTA).

25. Sous réserve des règles de la FIRPTA, un USRPI inclut un intérêt direct dans un bien immeuble situé aux États-Unis, ainsi qu'une action de société américaine si, de façon générale, une proportion de 50 p. 100 ou plus de la valeur des actifs de cette société consiste en biens immeubles situés aux États-Unis.

Argumentation de l'appelante

[2] L'appelante a présenté une argumentation écrite détaillée, soit :

[TRADUCTION]

1. Au moment de son décès, soit le 31 octobre 1991, M. Haas détenait des actions (les “ Actions ”) dans une corporation privée canadienne (la “ Compagnie ”). Il est réputé avoir disposé des Actions immédiatement avant son décès à la juste valeur marchande[1], conformément à l'alinéa 70(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada) (la “ Loi ”).

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), ch. 1,

dans sa version modifiée, alinéa 70(5)a), section 1.

2. Dans la déclaration de revenu qu'elle a produite pour l'année terminale de M. Haas, la succession a considéré que les gains en capital réputés avoir été réalisés en vertu de l'alinéa 70(5)a) devaient être réduits selon le paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, qui est entrée en vigueur de façon générale le 1er janvier 1985.

3. Par une série de nouvelles cotisations se terminant par un avis de nouvelle cotisation en date du 22 septembre 1997, le ministre a reconnu que le paragraphe 9 de l'article XIII s'appliquait bel et bien de façon à réduire les gains en capital, mais il n'a pas admis le calcul de la succession quant à la réduction permise par ledit paragraphe, d'où le présent appel.

4. Le paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention de 1980 permet une réduction de gain basée sur une fraction du gain imputable sur une base mensuelle à la période se terminant le 1er janvier 1985 ou basée sur une évaluation effective à cette date-là. En l'espèce, la succession s'est servi de la méthode de calcul de la fraction du gain sur une base mensuelle.

Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les

États-Unis d'Amérique (avec notes historiques),

6 Canadian Tax Reporter (CCH), section 2.

5. Normalement, une disposition d'actions d'une compagnie canadienne appartenant à un résident américain ne serait pas imposable en vertu de la Convention. Toutefois, la valeur de la Compagnie était attribuable à des biens immeubles canadiens dans une proportion de plus de 50 p. 100 au 31 octobre 1991. Ainsi, la disposition présumée était imposable conformément au paragraphe 1 et au sous-alinéa (3)b)(ii) de l'article XIII de la Convention de 1980 tels qu'ils se lisaient pour l'année d'imposition 1991, sous réserve d'une réduction selon le paragraphe 9 de l'article XIII.

Convention de 1980, précitée, section 2, paragraphe 1

et sous-alinéa (3)b)(ii) de l'article XIII.

Deux interprétations possibles

6. Il y a deux façons dont on peut interpréter et appliquer le paragraphe 9 de l'article XIII. De son côté, le ministre a déterminé que la réduction de gain en capital selon le paragraphe 9 de l'article XIII était de 9 341 423 $, et ce, à partir de la formule suivante :

Réduction = Gain x nombre de mois après le jour de l'évaluation jusqu'à 1985

nombre de mois après le jour de l'évaluation jusqu'à la date du décès

Où “ Gain ” = JVM des Actions immédiatement avant le décès (17 500 000 $)

moins : PBR = JVM des Actions au jour de l'évaluation (3 232 979 $).

7. Le “ jour de l'évaluation ” mentionné dans cette formule est le 31 décembre 1971. Le paragraphe 26(3) des Règles concernant l'application de l'impôt sur le revenu (les “ RAIR ”), L.R.C. 1985 (5e supp.), ch. 2, dans sa version modifiée, dit que le prix de base rajusté d'un bien appartenant au contribuable avant 1972 est, sous réserve de certaines conditions, la juste valeur marchande du bien au 31 décembre 1971[2].

8. Pour sa part, la succession considérait que la réduction de gain en capital selon le paragraphe 9 de l'article XIII devrait être de 13 700 271 $, et ce, à partir de la formule suivante :

Réduction = Gain x nombre de mois depuis la date d'acquisition des Actions jusqu'à 1985

nombre de mois depuis la date d'acquisition des Actions jusqu'à la date du décès

Où “ Gain ” = JVM des Actions immédiatement avant le décès (17 500 000 $)

moins : coût d'origine des Actions (654 386 $)[3].

9. En comparant la formule du ministre et celle de la succession, on voit que les parties comprennent de façon fondamentalement différente l'interprétation qu'il convient de donner du paragraphe 9 de l'article XIII. Pour l'essentiel, le ministre dit que l'on part du montant du gain qui est imposable en vertu de la Loi, soit la JVM au moment du décès moins la valeur au jour de l'évaluation. En d'autres termes, le ministre considère que le mot “ gain ” figurant au paragraphe 9 de l'article XIII désigne le gain tel qu'il est déterminé en vertu de la Loi. On réduit ensuite ce montant d'une fraction du gain basée sur le nombre de mois allant du jour de l'évaluation jusqu'à la date du décès.

10. Pour sa part, la succession dit que le mot “ gain ” figurant au paragraphe 9 de l'article XIII n'a pas le sens que lui attribue la Loi. Il désigne plutôt l'augmentation totale de la valeur des Actions, depuis leur date d'acquisition jusqu'à la date du décès. On réduit ensuite ce montant d'une fraction basée sur l'ensemble de la période pendant laquelle M. Haas a détenu les Actions.

Point en litige

11. Donc, il s'agit essentiellement de savoir en l'espèce si le mot “ gain ” figurant au paragraphe 9 de l'article XIII désigne le gain déterminé en vertu de la Loi ou le gain normalement déterminé indépendamment de la Loi.

Paragraphe 2 de l'article III

12. Le mot “ gain ” n'est pas défini aux fins du paragraphe 9 de l'article XIII. En vertu du paragraphe 2 de l'article III de la Convention[4], le mot “ gain ” figurant au paragraphe 9 de l'article XIII a le sens que lui attribue la Loi, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente. La thèse de la succession est que le “ contexte ” du paragraphe 9 de l'article XIII exige que l'on attribue au mot “ gain ” figurant audit paragraphe le sens qu'il aurait tant au Canada qu'aux États-Unis. Le seul sens qui corresponde à cela est que le mot “ gain ” désigne l'augmentation totale de valeur depuis la date d'acquisition jusqu'à la date de disposition.

13. Dans l'arrêt Kubicek, la cour a statué que le mot “ gain ” figurant au paragraphe 9 de l'article XIII a le sens que lui attribuent la Loi ainsi que le paragraphe 26(3) des RAIR, conformément au paragraphe 2 de l'article III. Toutefois, un examen des mémoires déposés par les parties devant la Cour d'appel fédérale indique que celle-ci n'était pas au courant du contexte intégral dans lequel avait été rédigé le paragraphe 9 de l'article XIII. En particulier, la Cour n'avait pas été saisie des règles américaines relatives à la FIRPTA ni de l'interprétation que les États-Unis donneraient du paragraphe 9 de l'article XIII par suite de la FIRPTA. Dans ces circonstances, l'arrêt Kubicek représente une décision rendue per incuriam (par inadvertance), et la Cour canadienne de l'impôt n'est pas liée par cet arrêt.

The Attorney General of Canada v. William F. Kubicek III,

Executor for the Estate of the Late William F. Kubicek Jr.,

97 DTC 5454 (C.A.F.), section 3.

Mémoires du requérant et de l'intimé déposés dans l'affaire Kubicek, section 4.

R. c. Paul, (1984) 58 R.N.-B. (2e) 297 (C. prov.),

conf. par (1988) 90 R.N.-B. (2e) 332 (B.R.), section 5.

14. Le “ contexte ” mentionné au paragraphe 2 de l'article III désigne le contexte et l'objet de la disposition où figure le mot.

Communiqué no 84-128 du ministère des Finances, 16 août 1984,

et explication technique de 1984 du

département américain du Trésor, section 6.

Quel est le contexte du paragraphe 9 de l'article XIII?

15. Le contexte du paragraphe 9 de l'article XIII doit être considéré des points de vue canadien et américain. Dans les deux cas, on arrive à la même conclusion : le mot “ gain ” figurant audit paragraphe désigne le gain réalisé sur l'ensemble de la période pendant laquelle le bien a été détenu.

Le contexte canadien du paragraphe 9 de l'article XIII

16. Avant le 1er janvier 1985, le Canada et les États-Unis avaient conclu une autre convention, soit la convention fiscale Canada-États-Unis de 1942 (la “ Convention de 1942 ”). En vertu de l'article VIII de la Convention de 1942, le Canada et les États-Unis accordaient une exonération réciproque complète à l'égard des gains en capital réalisés dans leur pays respectif. Autrement dit, si l'on avait disposé des Actions lorsque la Convention de 1942 était en vigueur (c.-à-d. avant le 1er janvier 1985), le gain total aurait été exonéré d'impôt au Canada.

Convention fiscale Canada-États-Unis de 1942, section 7.

17. En vertu de l'article XIII de la Convention de 1980, les deux pays ont convenu de réduire (et non de supprimer complètement) la protection antérieurement accordée par l'article VIII de la Convention de 1942. Cependant, il a été convenu qu'il serait injuste de supprimer la protection de l'article VIII sans établir une règle transitoire pour les personnes ayant acquis des actifs en se fondant sur l'article VIII. Ainsi, le Canada a accepté d'insérer le paragraphe 9 de l'article XIII, pour protéger de tels actifs acquis antérieurement.

Explication technique américaine du paragraphe 9 de l'article XIII,

précitée, section 6.

Hansard, Chambre des communes, 22 juin 1984, 5097,

à la p. 5098, section 8.

Hansard, Sénat, 30 mai 1984, 625, section 9.

Délibérations du Comité sénatorial permanent des banques

et du commerce, 31 mai 1984, fascicule no 7, p. 16, section 10

(document ci-après appelé le

“ Rapport du comité du Sénat du Canada ”).

Rapport du comité du Sénat du Canada, 5 juin 1984,

fascicule no 8, p. 13, section 11.

Communiqué no 83-84 du ministère des Finances,

14 juin 1983, section 12.

18. D'après ces documents, le paragraphe 9 de l'article XIII devait être une règle transitoire par rapport à l'article VIII de la Convention de 1942, lequel s'appliquait au gain total, c'est-à-dire même à la fraction du gain réalisée avant 1972. C'est ce que dit expressément le Rapport du comité du Sénat du Canada, 7:16, précité, section 10. Ainsi, le “ contexte ” canadien du paragraphe 9 de l'article XIII est une mesure transitoire par rapport à l'article VIII de la Convention de 1942 et non par rapport au paragraphe 26(3) des RAIR.

Ruchelman et Webb, “ Highlights of the New U.S.-Canada

Tax Treaty ”, TMIJ 80-12, 3, à la p. 11, section 13[5].

19. De plus, aux fins du sous-alinéa XIII(3)b)(i), l'expression “ biens immeubles ” a le sens qu'elle a en vertu de l'article VI. L'article VI dit que cette expression a le sens que lui attribue le droit interne canadien. Si l'article XIII fait référence au droit interne canadien pour l'interprétation de l'expression “ biens immeubles ”, les principes ordinaires d'interprétation indiquent que le mot “ gain ” figurant à l'article XIII ne doit pas être interprété selon le droit interne. Sinon, pourquoi aurait-on besoin de la référence au droit interne à l'article VI? Autrement dit, le “ contexte ” de l'article XIII suggère une interprétation non interne du mot “ gain ”, car d'autres mots et expressions sont expressément interprétés selon le droit interne. Ce point n'avait pas été soumis à la cour dans l'affaire Kubicek.

Contexte américain du paragraphe 9 de l'article XIII

20. Avant 1980, un résident non américain qui était propriétaire de biens immeubles aux États-Unis (directement ou au moyen d'actions) n'était pas imposable aux États-Unis en vertu du droit interne américain lorsqu'il disposait de ces biens[6].

21. En vertu de la loi américaine intitulée Foreign Investment in Real Property Act (“ FIRPTA ”), loi d'intérêt public no 96-499, sous-titre C, édictée le 5 décembre 1980 et s'appliquant à des dispositions effectuées après le 18 juin 1980, cette règle a été changée de manière qu'un résident canadien qui était propriétaire de biens immeubles au États-Unis, directement ou au moyen d'actions, soit imposable aux États-Unis sur une disposition de ces biens. La FIRPTA s'applique à des dispositions effectuées après le 18 juin 1980, indépendamment de la date d'acquisition des biens. En d'autres termes, la FIRPTA ne renferme aucune règle en matière de jour d'évaluation semblable à celle du paragraphe 26(3) des RAIR, ce qui signifie que le gain total, depuis la date d'acquisition jusqu'à la date de disposition, est assujetti à la FIRPTA, même si le bien a été acquis longtemps avant l'édiction de la FIRPTA.

Exposé conjoint des faits, paragraphes 21 à 25.

Rapport du comité du Sénat du Canada, précité,

section 10, à la p. 7:16.

Kaplan, “ Taxation of Sales of Foreign-Owned Real Estate ”,

Intertax, 1981, vol. 3, 88, aux pp. 89 et 95, section 14.

22. La première version de la Convention de 1980 a été signée le 26 septembre 1980. La première version de l'article XIII n'était pas entièrement conforme à la FIRPTA. Ainsi, le Sénat américain a refusé de la ratifier et a demandé des révisions supplémentaires.

Rapport du comité du Sénat du Canada, précité,

section 11, à la p. 8:13.

Melnick, “ Protocol to US-Canadian Treaty Will Conform

Treaty Rules to US FIRPTA ”,

Tax Planning International Review, vol. 11, no 1,

janvier 1984, 16, section 15.

23. Le premier protocole afférent à la Convention de 1980 a été signé le 14 juin 1983[7]. En vertu du premier protocole, l'article XIII a été reformulé de manière qu'il soit conforme à la FIRPTA.

Communiqué du département américain du Trésor,

24 juin 1983, section 16.

Communiqué du 14 juin 1983 du ministère des Finances,

précité, section 12.

24. Il est manifeste que l'article III a été profondément influencé par l'édiction de la FIRPTA et qu'il a fini par être formulé de manière qu'il soit conforme à la FIRPTA. “ L'interprétation d'un traité vise d'abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties. ”

The Queen v. Crown Forest Industries Ltd.,

95 DTC 5389 (C.S.C.), à la p. 5393, section 17.

25. Comme l'indique le paragraphe 21 ci-dessus, en vertu de la FIRPTA, un Canadien qui est propriétaire de biens immeubles aux États-Unis (directement ou au moyen d'actions d'une compagnie américaine) sera imposé sur la disposition des biens indépendamment de la date à laquelle il les a acquis. Autrement dit, la FIRPTA n'a pas de règle en matière de jour d'évaluation semblable à celle du paragraphe 26(3) des RAIR. Cela signifie que, en vertu de la FIRPTA, le gain total est imposé, soit le gain réalisé depuis la date d'acquisition des biens jusqu'à la date de disposition. Le paragraphe 9 de l'article XIII visait à assurer le maintien de l'exonération de 1942 jusqu'au 1er janvier 1985. Toutefois, cela signifie que le paragraphe 9 de l'article XIII visait à exonérer le gain total, soit le gain réalisé depuis la date d'acquisition jusqu'au 1er janvier 1985, car tel est le montant du gain qui aurait été exonéré en vertu de la Convention de 1942.

Rapport du comité du Sénat du Canada, précité,

section 10, à la p. 7:16.

Ruchelman et Webb, précité, section 13.

Alpert, “ The Co-Ordination Between The New Canada-US Treaty

and the US Foreign Investment in Real Property Tax Act ” (1981),

29 Revue fiscale canadienne 558, section 18.

Bissell et collaborateurs, “ The Canadian Departure Tax:

U.S.-Canada Tax Treaty Implications ”, TMIJ 82-8, 3,

à la p. 7, section 19.

Rhoades et Langer, Income Taxation of Foreign Related

Transactions (Matthew Bender, feuilles mobiles), § 25.13, section 20.

L'historique législatif américain

26. L'historique législatif américain de la Convention de 1980 peut être une aide importante à l'interprétation de cette convention. Voir l'arrêt Crown Forest, précité, section 17, p. 5396. L'historique législatif américain du paragraphe 9 de l'article XIII établit la conclusion selon laquelle ledit paragraphe visait à assurer une règle transitoire touchant le gain total, car la FIRPTA ne renfermait aucune règle transitoire et, ce qui est plus important, cette compréhension du paragraphe 9 de l'article XIII était censée être réciproque.

Explanation of Proposed Income Tax Treaty Between

the United States and Canada, personnel du comité mixte sur la

fiscalité, 22 septembre 1981, reproduit dans Roberts & Holland,

3 Legislative History of United States Tax Conventions

(“ LHUSTC ”), Canada 340, à 370-371,

section 21[8].

Explanation of Proposed Income Tax Treaty

Between the United States and Canada, personnel du comité mixte

sur la fiscalité, 25 avril 1984, 4 LHUSTC, Canada, 925,

à la p. 965, section 22[9].

Rapport de la commission des relations étrangères

du Sénat américain, 21 mai 1984,

4 LHUSTC Canada 1092, à la p. 1126, section 23..

Procès-verbal de la commission des relations étrangères du

Sénat américain, 24 septembre 1981,

3 LHUSTC Canada 386, à la p. 424, section 24.

27. Il n'y a aucune ambiguïté dans la déclaration de M. Chapoton figurant à la section 24. Cette déclaration indique clairement que les résidents américains investissant dans des biens immeubles au Canada ont droit à la même protection que les investisseurs canadiens dans des biens immeubles aux États-Unis. En d'autres termes, le paragraphe 9 de l'article XIII se veut une disposition réciproque.

Déclaration de Steven Lainoff devant la commission

des relations étrangères du Sénat américain, 26 avril 1984,

document sur microfiche d'analystes fiscaux 84-3263,

section 25, aux pp. 2 et 3.

L'explication technique américaine

28. Le département américain du Trésor a pour pratique de publier une explication technique sur toute nouvelle convention fiscale. Dans le cas de la Convention de 1980, il a publié trois explications techniques. La première a été rendue publique le 19 janvier 1981[10], la deuxième le 24 septembre 1981[11] et la troisième le 26 avril 1984[12].

29. Le ministre des Finances a entériné les trois versions de l'explication technique[13]. Il est particulièrement à noter que le Canada a examiné et commenté les trois versions de l'explication technique avant leur publication et qu'il en a approuvé le contenu final. En approuvant la convention fiscale, le Sénat du Canada comprenait que l'explication technique devait être utilisée pour interpréter la convention fiscale.

Communiqué no 81-16 du ministère des Finances,

4 février 1981, section 26[14].

Communiqué no 84-128 du ministère des Finances, 16 août 1984,

précité, section 6.

Rapport du comité du Sénat du Canada, précité, section 10,

aux pp. 7:13-14.

Rapport du comité du Sénat du Canada, précité,

section 11, aux pp. 8:11-12.

30. Dans l'arrêt Kubicek, précité, section 3, p. 5456, la cour disait :

Il n'y a pas de tradition ou de procédure internationale qui statue que l'échange de documents négociés ultérieurement soit déterminant pour l'interprétation d'un traité. L'explication technique est un document de source américaine. Il est vrai qu'elle a été sanctionnée par le ministre des Finances du Canada, mais pour que le Canada soit lié par ce document, il faudrait qu'il soit l'équivalent d'une autre convention, ce qu'il n'est pas. D'un point de vue canadien, il a à peu près la même valeur qu'un bulletin d'interprétation de Revenu Canada, c'est-à-dire qu'il peut présenter un intérêt pour la Cour, sans nécessairement régler une question en litige.

31. Ces propos ont été tenus per incuriam (par inadvertance), car on n'avait pas dit à la cour que le Canada avait examiné et commenté les trois versions de l'explication technique américaine avant leur publication. On n'avait pas dit non plus à la cour que, avant d'approuver la convention fiscale, le Sénat du Canada était au courant de l'explication technique et comprenait qu'elle serait pertinente aux fins de l'interprétation de la convention fiscale. Enfin, on n'avait pas dit à la cour que la commission des relations étrangères du Sénat américain avait pris en compte l'approbation canadienne de l'explication technique en approuvant la version finale de la Convention de 1980.

32. Il est clair que l'acceptation canadienne de l'explication technique américaine était plus qu'une simple reconnaissance de l'existence de l'explication. C'était plutôt une sanction du libellé effectif de l'explication. Donc, on doit accorder à l'explication technique beaucoup de poids dans la détermination de l'objet et du sens du paragraphe 9 de l'article XIII. Dans l'arrêt Kubicek, la cour a dit que le Canada serait lié par l'explication technique si celle-ci était l'équivalent d'une autre convention, mais telle est exactement la conclusion à laquelle est arrivé l'ALI.

The North West Life Assurance Company of Canada v.

Commissioner of Internal Revenue, 107 T.C. 363, 385 (1996),

section 27.

American Law Institute,

International Aspects of United States Taxation II:

Proposals on United States Income Tax Treaties,

(Philadelphie, American Law Institute, 1992), 18-19, 35-36, 45,

48-49, section 28.

33. L'importance de l'explication technique est étayée par la réponse à une question posée lors de la table ronde de Revenu Canada tenue le 14 mai 1985, peu après l'entrée en vigueur de la Convention de 1980. Cela n'a pas été porté à l'attention de la cour dans l'affaire Kubicek.

Muirhead et Harding, “ Problems in Tax Treaty Interpretation ”,

Special Seminar on Recent Developments in Tax Treaties and

International Taxation (De Boo, Association fiscale internationale,

section canadienne, 14 mai 1985), 41, à la p. 45, section 29.

Que dit l'explication technique?

34. L'explication technique concernant le paragraphe 9 de l'article XIII étaye l'interprétation de l'appelante quant audit paragraphe. À la lumière de l'historique dudit paragraphe fait précédemment, les termes [TRADUCTION] “ la période au cours de laquelle le bien immeuble était détenu jusqu'au 31 décembre de l'année au cours de laquelle les documents de ratification ont été échangés[15] ne peuvent que désigner la période complète de détention du bien, depuis la date d'acquisition jusqu'au 1er janvier 1985. De même, les termes “ gain total ” et [TRADUCTION] “ le nombre de mois civils complets pendant lesquels le bien a été détenu par une telle personne ”[16] ne peuvent que renvoyer au gain total réalisé depuis la date d'acquisition jusqu'à la date de disposition. Aucune autre signification n'est possible, étant donné que le paragraphe 9 de l'article XIII se voulait une disposition transitoire par rapport à l'article VIII de la Convention de 1942 (et non par rapport au paragraphe 26(3) des RAIR), de sorte que tout le gain réalisé en vertu de l'article VIII continuerait d'être exonéré jusqu'au 1er janvier 1985.

35. Dans l'arrêt Kubicek, précité, section 3, p. 5456, la cour disait :

Quoi qu'il en soit, le document [l'explication technique] ne devrait pas être interprété comme s'il s'agissait d'un traité ou d'une loi traitant en détail de toutes les applications possibles à des faits particuliers. Le terme “détenu” serait littéralement exact d'un point de vue général, mais il ne peut être utilisé pour traiter de la situation particulière d'un bien détenu au Canada par un résident américain avant 1992 [sic, 1972].

36. Toutefois, le témoignage de M. Lainoff contredit cela. À la section 25, p. 2, M. Lainoff dit que tous les changements apportés par le premier protocole sont évidemment décrits dans l'explication technique.

Conclusion

37. Normalement, la Cour de l'impôt est évidemment liée par une décision de la Cour d'appel fédérale. Toutefois, dans la présente espèce, l'appelante a présenté d'importants éléments de preuve factuels et législatifs qui n'avaient pas été soumis à la cour dans l'affaire Kubicek. En fait, la déclaration de M. Lainoff n'a jamais été publiée où que ce soit auparavant. Ces nouveaux éléments de preuve étayent les conclusions suivantes :

1) le Canada entendait que l'explication technique soit bien plus qu'un simple bulletin d'interprétation; il entendait qu'elle soit exactement ce qu'elle dit qu'elle est, soit un guide officiel de la convention;

2) l'explication technique se voulait une explication complète de la convention; rien n'indique qu'on y a simplement négligé ou ignoré le paragraphe 26(3) des RAIR;

3) le paragraphe 9 de l'article XIII était destiné à être réciproque;

4) la “ période ” mentionnée dans l'explication technique et au paragraphe 9 de l'article XIII ne peut que désigner la période pour laquelle le gain aurait été exonéré en vertu de l'article VIII de la Convention de 1942 jusqu'au 1er janvier 1985, car le paragraphe 9 de l'article XIII était destiné à maintenir les avantages de l'article VIII jusqu'au 1er janvier 1985.

38. Donc, dans ces circonstances, la Cour est fondée à ne pas suivre l'arrêt Kubicek. Ainsi, dans la présente espèce, l'interprétation du paragraphe 9 de l'article XIII donnée par la succession est plus conforme au libellé ordinaire dudit paragraphe, au libellé ordinaire de l'interprétation technique concernant ledit paragraphe et aux historiques législatifs canadien et américain dudit paragraphe.

Le tout respectueusement soumis par :

l'avocat de l'appelante.

[3] L'avocat de l'appelante a présenté une argumentation verbale en plus de son argumentation écrite, soutenant pour l'essentiel que la formule qu'il proposait pour le calcul du gain en capital provenant de la disposition présumée était la bonne et que celle du ministre était inexacte. La différence fondamentale tenait au fait que le ministre a choisi le jour de l'évaluation comme date pour déterminer le prix de base rajusté des actions et comme date pour calculer la période pour laquelle les gains étaient exonérés d'impôt, tandis que, pour calculer cette dernière période, l'appelante a utilisé la date d'acquisition des actions. L'avocat s'est attaqué de front aux problèmes que pose relativement à sa thèse la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Attorney General of Canada v. William F. Kubicek III, Executor for the Estate of the Late William F. Kubicek Jr., 97 DTC 5454 (C.A.F.). De façon générale, l'argument de l'avocat était que les faits de l'affaire Kubicek, précitée, n'étaient pas semblables à ceux de la présente espèce. Les mémoires présentés par le requérant et par l'intimé dans cette affaire-là ne faisaient état d'aucun des faits maintenant soumis à la Cour canadienne de l'impôt, qui n'est donc pas liée par la décision défavorable rendue dans l'affaire Kubicek, cette décision ayant été rendue per incuriam (par inadvertance).

[4] À l'appui de cette thèse, l'avocat faisait référence à l'affaire R. c. Paul, (1984) 58 R.N.-B. (2e) 297 (C. prov.), conf. par (1988) 90 R.N.-B. (2e) 332 (B.R.). L'idée maîtresse de son argumentation était que l'affaire Kubicek était régie par la procédure informelle et que l'appelant dans cette affaire-là n'avait pas présenté à la Cour d'appel fédérale les documents nécessaires pour faire état de l'historique de la convention entre le Canada et les États-Unis, de sorte qu'une interprétation raisonnable de l'intention du législateur ne pouvait être établie. Dans la présente espèce, l'appelante soutient qu'elle a présenté une preuve abondante qui devrait avoir pour effet d'établir que l'interprétation donnée par la succession du paragraphe 9 de l'article XIII est plus conforme au libellé ordinaire dudit paragraphe, au libellé ordinaire de l'interprétation technique dudit paragraphe et aux historiques législatifs canadien et américain dudit paragraphe. Donc, la Cour canadienne de l'impôt est fondée à ne pas suivre l'arrêt Kubicek.

[5] En contrepreuve, l'avocat arguait que la décision rendue dans l'affaire Kubicek, précitée, était basée sur certains faits qui n'existent pas dans la présente espèce. Donc, les conclusions rendues dans l'affaire Kubicek ne sauraient empêcher une conclusion différente dans la présente espèce. Dans l'affaire Kubicek, la cour n'avait pas été saisie des faits qui lui auraient permis de rendre la conclusion que vise l'appelante dans la présente espèce.

[6] L'argument de l'intimée voulant que cette disposition de la convention ne soit pas réciproque et qu'un citoyen américain propriétaire de biens immeubles au Canada puisse donc être imposé différemment d'un citoyen canadien propriétaire de biens immeubles aux États-Unis, n'est pas acceptable. L'avocat de l'appelante soutient que cette disposition de la convention est réciproque.

[7] Le véritable problème quant aux causes citées par l'intimée est que, selon les faits exposés dans ces causes, la cour n'était pas au courant du communiqué de 1981 que l'avocat de l'appelante a cité dans son argumentation.

[8] Enfin, l'avocat de l'appelante fait valoir que la Cour doit se tourner vers le droit interne pour trancher le point en litige, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente. Dans la présente espèce, le contexte exige une interprétation différente.

[9] L'appel devrait être accueilli, avec dépens.

Argumentation de l'intimée

[10] Du point de vue de l'intimée, la seule question était de savoir si le ministre avait correctement calculé la partie des gains en capital qui est exonérée selon le paragraphe 9 de l'article XIII. Cela signifie simplement que la Cour doit déterminer si la date appropriée aux fins du calcul est la date d'acquisition des actifs ou la date à laquelle les gains en capital sont devenus imposables par le Canada, soit le 31 décembre 1971. En ce qui concerne l'avocate de l'intimée, le point en litige dans la présente espèce a déjà été tranché par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kubicek, précitée. Il a été conclu dans cette affaire-là que le droit à appliquer est le droit du Canada et que la période d'exonération commence au jour de l'évaluation et va jusqu'à la date de la convention, c'est-à-dire jusqu'en 1985. Le ministre a utilisé la formule établie dans l'arrêt Kubicek, précité, et il avait raison de le faire.

[11] Dans son argumentation verbale, l'avocate a fait référence à l'affaire Leroux v. Co-operators General Insurance Co.; Superintendent of Insurance, Intervener, 4 O.P. (3d), 609, dans laquelle il a été conclu que, si l'article 15 de la Charte avait été en vigueur et que la Cour d'appel n'en avait pas tenu compte, la décision de la Cour d'appel aurait été rendue per incuriam (par inadvertance). Néanmoins, un tribunal de première instance serait tenu de suivre la décision de la Cour d'appel.

[12] La Cour de l'impôt est liée par l'arrêt Kubicek, précité, et ne doit pas suivre le jugement R. c. Paul, précité. Cela devrait mettre un terme au point litigieux en l'espèce, mais, si la Cour n'en convient pas, elle doit prendre en considération le fait que, dans l'interprétation des conventions internationales, on ne suit pas le même processus que dans l'interprétation des lois. Cela est étayé par la position que la Cour d'appel fédérale a adoptée dans l'arrêt Kubicek, précité, en faisant référence à d'autres jugements sur cette question, dont l'arrêt Coblentz v. The Queen, (1996) 96 DTC 6531, dans lequel le juge d'appel Robertson a fait observer que :

“ l'interprétation littérale n'a aucun rôle à jouer en matière d'interprétation des traités ”.

De plus, dans l'arrêt Kubicek, précité, la cour a fait remarquer, à la page 5456 :

“ Il n'y a pas de tradition ou de procédure internationale qui statue que l'échange de documents négociés ultérieurement soit déterminant pour l'interprétation d'un traité. L'explication technique est un document de source américaine. Il est vrai qu'elle a été sanctionnée par le ministre des Finances du Canada, mais pour que le Canada soit lié par ce document, il faudrait qu'il soit l'équivalent d'une autre convention, ce qu'il n'est pas. D'un point de vue canadien, il a à peu près la même valeur qu'un bulletin d'interprétation de Revenu Canada, c'est-à-dire qu'il peut présenter un intérêt pour la Cour, sans nécessairement régler une question en litige. ”

[13] À l'appui de ces propositions, l'avocate de l'intimée a également fait référence aux affaires Saunders v. M.N.R., 54 DTC 524 (C.A.I.R.), Gladden Estate v. The Queen, 85 DTC 5188 (C.F., 1re inst.), et The Queen v. Crown Forest Industries Ltd., 95 DTC 5389 (C.S.C.).

[14] Pour l'essentiel, dans l'arrêt Kubicek, précité, la cour a déterminé que tout l'historique législatif n'a pas à être considéré comme faisant partie du contexte. Cela ne conduit pas à un résultat absurde. L'interprétation du mot “ gain ” dans l'arrêt Kubicek, précité, n'est pas manifestement déraisonnable.

[15] L'objet de la convention était d'éviter la double imposition et non de veiller à ce que le montant de l'impôt dans les deux pays soit le même.

[16] Dans l'arrêt Coblentz, précité, la cour a conclu qu'il faut d'abord examiner le sens ordinaire pour voir s'il est nécessaire d'aller plus loin. Le but est d'éviter une double imposition.

[17] Dans l'interprétation de la convention, il faut examiner l'objet de la convention. Le mot “ gain ” n'est pas défini dans la convention de 1980, de sorte que l'on doit se tourner vers la législation interne du Canada pour le définir.

[18] De plus, il faut se tourner vers la législation canadienne quant à la façon d'interpréter des conventions. Le contexte législatif ne se pose qu'en cas d'ambiguïté. En l'absence d'ambiguïté, on se tourne vers la législation fiscale du Canada.

[19] Il n'est pas nécessaire en l'espèce de se tourner vers les explications techniques pour interpréter le mot “ gain ”. En accordant à l'interprétation technique aussi peu de poids qu'elle l'a fait dans l'arrêt Coblentz, précité, la Cour d'appel fédérale se trouvait à conclure que cette interprétation ne faisait pas partie du contexte prévu au paragraphe 31(2) de la Convention de Vienne et qu'elle était plus susceptible d'entrer dans le cadre de ce qui est prévu au paragraphe 31(3).

[20] L'avocate de l'intimée faisait également valoir que, en vertu de la convention type de l'OCDE, on peut conclure que, si le mot “ gain ” n'est pas expressément défini, il faut se tourner vers le droit interne pour le définir.

[21] Dans son argumentation écrite expresse, l'intimée soutenait ce qui suit :

[TRADUCTION]

POINT EN LITIGE

1. La question générale dans le présent appel est de savoir si le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a correctement calculé le montant des gains en capital qui est exonéré d'impôt en vertu du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis d'Amérique (la “ Convention ”).

2. La question particulière est de savoir si, en calculant la fraction de laquelle le gain doit être réduit, la date de départ du calcul de la période d'exonération est la date d'acquisition de l'actif par le contribuable ou la date à laquelle les gains en capital sont devenus imposables au Canada (soit le jour de l'évaluation, c'est-à-dire le 31 décembre 1971).

3. La question se règle par l'interprétation du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention, et notamment par la détermination du sens du mot “ gain ”. Si le mot “ gain ” doit être déterminé par rapport au sens qui lui est attribué dans l'État qui procède à l'imposition, soit en l'espèce le Canada, les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui déterminent les gains en capital sont applicables. Cette interprétation a pour conséquence que la période d'exonération commence au jour de l'évaluation, soit le 31 décembre 1971, et va jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la Convention (soit le 31 décembre 1984). Le ministre a donc correctement calculé la fraction du gain qui est exonérée d'impôt, et l'appel de l'appelante doit être rejeté.

THÈSE DE L'INTIMÉE

4. L'intimée soutient que la question de l'interprétation appropriée du paragraphe 9 de l'article XIII de la Convention et du sens du mot “ gain ” dans le contexte dudit paragraphe a déjà été déterminée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt A. G. of Canada v. Kubicek, 97 DTC 5454.

A. G. of Canada v. Kubicek, 97 DTC 5454,

section 1, recueil supplémentaire de jurisprudence de l'intimée.

5. L'affaire Kubicek était une demande de contrôle judiciaire selon l'article 28 des Règles de la Cour fédérale d'une décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt sous le régime de la procédure informelle. Les faits sont résumés dans le sommaire.

6. La question était exactement la même que dans la présente espèce, à savoir quelle est la date exacte en vertu de la Convention pour commencer le calcul de la fraction du gain qui est exonérée d'impôt.

Arrêt Kubicek, précité, page 5455.

7. La Cour d'appel fédérale a statué que :

le mot “ gain ” n'est pas défini dans la Convention, de sorte que, conformément au paragraphe 2 de l'article III de la Convention, le sens doit être déterminé selon le droit fiscal du Canada. La Convention n'exige pas que le terme soit défini dans le droit fiscal interne, mais seulement que le sens du terme puisse en être dégagé. Donc, le sens du terme “ gain ” peut être déduit du paragraphe 40(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui énonce la méthode à utiliser pour calculer un gain en capital aux fins de l'impôt sur le revenu au Canada. Ainsi, le calcul de la réduction du gain en capital assujetti à l'impôt part de la date à laquelle le gain a commencé à être réalisé, soit le 31 décembre 1971.

Arrêt Kubicek, précité, page 5456.

8. Dans sa décision, la C.A.F. a appliqué les principes suivants quant à l'interprétation des traités :

il s'agit d'abord et avant tout de trouver le sens des termes en question, et il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties; de plus, l'interprétation littérale n'a aucun rôle à jouer en matière d'interprétation des traités.

The Queen v. Crown Forest Industries Limited

(1995) 95 DTC 5389, section 21

Coblentz v. The Queen, (1996) 96 DTC 6531,

p. 6534, section 16.

9. L'intimée soutient que ce mode d'interprétation est conforme aux règles d'interprétation internationales énoncées aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Convention de Vienne sur le droit des traités,

section 12

Arrêt Coblentz, précité, page 6533, section 16.

10. L'intimée soutient également que ce mode d'interprétation a toujours par exemple été utilisé par les tribunaux canadiens dans l'interprétation de conventions en matière de double imposition. Voir par exemple :

Saunders v. M.N.R., 54 DTC 524 (C.A.I.R.),

à la p. 526, section 19

Gladden Estate v. The Queen, 85 DTC 5188

(C.F., 1re inst.) à la p. 5191, juge Addy, section 17

The Queen v. Crown Forest Industries Ltd.,

95 DTC 5389 (C.S.C.), juge Iacobucci,

aux pp. 5393 et 5396, section 21.

11. La C.A.F. a examiné la formulation des paragraphes III(2), XIII(l) et XIII(9) de la Convention et du paragraphe 3(2) de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu (“ LICIR ”) et elle a conclu que les dispositions du paragraphe III(2) de la Convention et du paragraphe 3(2) de la LICIR disaient clairement que, lorsqu'un terme n'est pas défini dans la Convention, on doit lui attribuer le sens qu'il a dans la législation fiscale de l'État qui procède à l'imposition.

12. La C.A.F. a accepté l'argument de la Couronne voulant que le mot “ sens ” ne soit pas l'équivalent du mot “ définition ”. Le paragraphe 2 de l'article III n'exige pas que la législation interne définisse le mot en question, mais seulement que le sens du mot puisse en être dégagé. La cour a conclu que le sens du mot “ gain ” peut être déduit du paragraphe 40(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui énonce la méthode que doit utiliser un contribuable pour calculer un gain en capital aux fins de l'impôt sur le revenu au Canada.

Voir les sections 1 à 6 concernant l'esprit de la LIR.

13. En tirant cette conclusion, la C.A.F. a clairement rejeté l'analyse dans laquelle le juge de la Cour de l'impôt concluait que, pour que la législation interne s'applique, il fallait qu'elle définisse le mot en question.

Kubicek v. The Queen, 97 DTC 1552 (C.C.I.),

à la p. 1553

Section 1a) du recueil supplémentaire de jurisprudence de l'intimée.

14. En adoptant cette méthodologie, la C.A.F. a utilisé la même approche que celle que la communauté internationale a adoptée au paragraphe 3(2) de la convention type de l'OCDE.

Paragraphe 3(2) de la convention type de l'OCDE

(septembre 1995), section 14.

15. Les raisons de l'adoption de cette méthodologie peuvent être résumées comme suit :

a) cela empêche que les conventions en matière de double imposition ne soient surchargées de définitions qui en rendent l'application difficile;

b) cela accroît le degré de certitude juridique, car, au sujet du sens d'un terme, les contribuables, les autorités administratives et les tribunaux peuvent s'en tenir au sens qu'ils connaissent, soit le sens dégagé du droit interne;

c) comme la convention prévoit une exonération d'impôt, les dispositions d'exonération doivent correspondre aux dispositions d'assujettissement du droit interne.

Voir les sections 26, 27, 28 et 32 pour des observations

sur le paragraphe 3(2) de la convention type de l'OCDE.

16. Enfin, la C.A.F. a conclu que l'explication technique produite par le département américain du Trésor et entérinée par le ministre des Finances du Canada a à peu près la même valeur qu'un bulletin d'interprétation de Revenu Canada pour l'interprétation du libellé d'une disposition : elle peut présenter un intérêt pour un tribunal, sans nécessairement régler une question en litige.

Explication technique, sections 35 et 36.

17. En tirant cette conclusion, la C.A.F. a dit qu'il n'y a pas de tradition ou de procédure internationale qui statue que l'échange de documents négociés ultérieurement soit déterminant pour l'interprétation d'un traité. Pour que le Canada soit lié par l'explication technique, il faudrait que celle-ci soit l'équivalent d'une autre convention, ce qu'elle n'est pas, a statué la C.A.F.

Kubicek, page 5456.

18. Le raisonnement de la Cour est étayé par l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Le paragraphe 31(2) dispose que, pour l'interprétation d'un traité, le contexte est formé des éléments suivants : le texte du traité — y compris le préambule et les annexes —, toute convention relative au traité qui a été établie relativement à la conclusion du traité et tout instrument qui a été établi par une ou plusieurs parties relativement à la conclusion du traité. Il est clair que l'explication technique n'entre dans aucune de ces catégories, car elle a été établie après la conclusion du traité.

Voir la section 13.

19. Le paragraphe 31(3) dispose qu'il faut prendre en compte, en plus du contexte, toute convention subséquente entre les parties concernant l'interprétation du traité ou l'application des dispositions du traité. Le paragraphe 2 de l'article III de la Convention renvoie expressément à l'article XXVI (Procédure amiable) pour l'interprétation de termes non définis.

Voir les sections 8 et 13.

20. Un examen de l'article XXVI de la Convention montre qu'une explication technique entérinée par le ministre des Finances du Canada ne répond pas aux exigences auxquelles un document doit répondre pour constituer une convention entre le Canada et les États-Unis.

21. L'intimée soutient que la Cour canadienne de l'impôt est liée par la décision de la C.A.F. en vertu de la doctrine du stare decisis (s'en tenir au choses décidées).

22. La C.A.F. est le tribunal d'appel concernant les décisions de la Cour canadienne de l'impôt, laquelle est liée par la décision de la C.A.F.

Contonis v. The Queen, 95 DTC 511, à la p. 516

Section 2, recueil supplémentaire de jurisprudence

Canadian Wildlife Federation et al. v. Canada

and Saskatchewan Water Corp., 134 N.R. 57,

à la p. 64, par. 19

Section 3, recueil supplémentaire de jurisprudence.

23. L'intimée soutient qu'il n'y a entre l'affaire Kubicek et la présente espèce aucune différence qui justifierait que l'on s'écarte de la décision de la C.A.F.

24. Par conséquent, l'intimée demande que l'appel de l'appelante soit rejeté, avec frais.

Analyse et décision

[22] La Cour est très impressionnée par la nature des recherches effectuées en l'espèce par l'avocat de l'appelante. Elle est impressionnée par l'abondance des documents que l'avocat a pu réunir à l'appui de sa proposition. Il semble indéniable que, du point de vue de la qualité et de la quantité, on n'avait pas présenté de tels documents ni de tels arguments à la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kubicek, précitée.

[23] Cela dit, notre cour ne peut accepter la proposition de l'avocat de l'appelante selon laquelle la ratio decidendi (raison de la décision) dans l'affaire Kubicek, précitée, ne peut être considérée comme empêchant notre cour de rendre une décision différente parce que les faits de l'affaire Kubicek diffèrent de ceux de la présente espèce.

[24] Notre cour considère que cet argument est fallacieux, car l'idée maîtresse de la preuve de l'appelante en l'espèce concernait non pas la situation factuelle existante, mais plutôt le soi-disant “ historique législatif ” du paragraphe en litige dans la présente espèce. Les faits de l'espèce ne sont pas en litige. Tout ce qui est en litige, c'est la proposition voulant que, dans l'affaire Kubicek, précitée, la Cour n'ait pas été saisie des nombreux documents qui lui auraient permis d'interpréter le paragraphe 9 de l'article XIII conformément à la prétention de l'appelante, soit des documents qui ont été habilement présentés à notre cour et que l'avocat de l'appelante a fait valoir habilement dans ses conclusions finales. Par conséquent, l'argument de l'avocat de l'appelante selon lequel notre cour ne peut appliquer le résultat auquel on est parvenu dans l'affaire Kubicek, précitée, à cause d'une situation factuelle différente, doit nécessairement être rejeté.

[25] Il est évident que la présente espèce est une affaire très importante, qu'une quantité considérable d'argent est en cause et que, quelle que soit la décision de notre cour, cette décision va être examinée de nouveau. Toutefois, telle n'est pas la préoccupation de notre cour. Notre cour doit déterminer, sur la foi de la preuve et conformément au droit, si l'argument juridique avancé par l'avocat de l'appelante doit être accepté ou si, comme le soutient l'avocate de l'intimée, la décision a déjà été rendue dans l'affaire Kubicek, précitée. Notre cour est liée par la doctrine du stare decisis (s'en tenir aux choses décidées) et doit suivre cette décision.

[26] En fait, ce que l'avocat de l'appelante demande à notre cour de faire, c'est de conclure que, en dépit de la décision évidente de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kubicek, précitée, si la Cour d'appel fédérale avait été saisie de la preuve qui a été présentée dans la présente espèce, elle serait arrivée à une décision différente.

[27] Notre cour est incapable d'accéder à la demande de l'appelante, n'ayant aucune idée de ce que la Cour d'appel fédérale aurait fait si elle avait été saisie des informations et recherches approfondies qui ont été présentées dans la présente espèce. Elle pourrait avoir souscrit à l'interprétation de l'appelante quant au paragraphe pertinent, mais elle pourrait très bien avoir rendu la décision qu'elle a rendue. Notre cour n'a pas de boule de cristal lui permettant de déterminer ce que la Cour d'appel fédérale aurait fait si on lui avait présenté la même preuve que dans la présente espèce, mais on ne peut avoir de doute quant à savoir ce qu'a été cette décision sur la foi des faits de cette affaire-là.

[28] Pour l'essentiel, la Cour d'appel fédérale a décidé ce qui suit dans l'affaire Kubicek, précitée :

L'arrêt de principe concernant l'interprétation des traités est la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans La Reine c. Crown Forest Industries Limited [1995], 2 R.C.S. 802 [95 DTC 5389] dans lequel le juge Iacobbucci exprime l'avis de la Cour :

L'interprétation d'un traité vise d'abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties.

[29] Dans cette affaire-là, la cour a examiné le sens ordinaire du texte de la disposition en question, ainsi que les buts de la Convention.

[30] La Cour d'appel fédérale a fait remarquer ceci :

Il n'y a pas de tradition ou de procédure internationale qui statue que l'échange de documents négociés ultérieurement soit déterminant pour l'interprétation d'un traité. L'explication technique est un document de source américaine. Il est vrai qu'elle a été sanctionnée par le ministre des Finances du Canada, mais pour que le Canada soit lié par ce document, il faudrait qu'il soit l'équivalent d'une autre convention, ce qu'il n'est pas. D'un point de vue canadien, il a à peu près la même valeur qu'un bulletin d'interprétation de Revenu Canada, c'est-à-dire qu'il peut présenter un intérêt pour la Cour, sans nécessairement régler une question en litige.

[31] Elle a ensuite statué comme suit :

Le sens ordinaire du terme “gain” pour les fins de l'article XIII de la Convention est le gain qui est assujetti à l'impôt. Compte tenu de ce libellé et de l'intention apparente des parties, la Cour doit conclure que le calcul de la réduction de l'impôt sur le gain en capital commence au moment où le gain a commencé de s'accumuler pour les fins de l'impôt sur le revenu au Canada. En l'espèce, la date de départ est le 31 décembre 1971, et non la date à laquelle l'intimé a acquis le chalet. Cette interprétation est plus conforme aux fins visées par la Convention, c'est-à-dire éviter la double imposition et favoriser une répartition appropriée de l'impôt entre le Canada et les États-Unis, que ne le serait le sens littéral proposé par le juge de la Cour de l'impôt. À ce sujet, nous sommes tout à fait d'accord avec les propos du professeur Brian Arnold[...] :

[TRADUCTION]

La Cour canadienne de l'impôt a rejeté les arguments [du requérant] parce que, selon elle, l'article 40 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne donne pas une définition du terme “gain”, mais fournit plutôt une façon de déterminer le gain en capital. Cette distinction n'est pas justifiée. La Cour de l'impôt ne semble pas comprendre le but et l'effet de l'article 3 de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu ou du paragraphe III(2) du traité [...] Bien entendu, l'objet fondamental des traités en matière fiscale est d'éliminer la double imposition. Étant donné que le Canada n'impose pas les gains en capital sur la partie qui a été accumulée avant 1972, il n'est pas justifié de tenir compte de la propriété de l'immeuble avant cette date aux fins des dispositions transitoires énoncées au paragraphe XIII(9).

Par conséquent, le requérant était justifié d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'intimé.

[32] Notre cour ne voit pas de grande différence entre la situation factuelle existant en l'espèce et celle qui a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kubicek, précitée.

[33] Notre cour accepte l'argument de l'intimée selon lequel il n'y a entre l'affaire Kubicek et la présente espèce aucune différence qui justifierait que l'on s'écarte de la décision de la Cour d'appel fédérale.

[34] Notre cour n'est pas convaincue que les propos de la Cour d'appel fédérale figurant à la page 5456 de l'arrêt Kubicek, précité, ont été tenus per incuriam (par inadvertance) parce qu'on n'aurait pas dit à cette cour : que le Canada avait examiné et commenté les trois versions de l'explication technique américaine avant leur publication; que le Sénat du Canada, avant d'approuver la convention fiscale, était au courant de l'explication technique et comprenait qu'elle serait pertinente pour l'interprétation de la convention fiscale; que la commission des relations étrangères du Sénat américain avait pris en compte l'approbation canadienne de l'explication technique en approuvant la version finale de la convention fiscale de 1980.

[35] L'avocat de l'appelante a dit :

[TRADUCTION]

Il est clair que l'acceptation canadienne de l'explication technique américaine était plus qu'une simple reconnaissance de l'existence de l'explication. C'était plutôt une sanction du libellé effectif de l'explication. Donc, on doit accorder à l'explication technique beaucoup de poids dans la détermination de l'objet et du sens du paragraphe 9 de l'article XIII.

Telle n'est pas, semble-t-il, la position de la Cour d'appel fédérale, comme en fait foi le libellé de l'arrêt Kubicek, précité.

[36] Notre cour est convaincue que l'on n'a pas conclu dans l'affaire Kubicek, précitée, que l'explication technique était l'équivalent d'une autre convention et, en fait, notre cour a déjà commenté le fait que la Cour d'appel fédérale avait accordé très peu de poids aux explications techniques mentionnées précédemment dans les présents motifs du jugement.

[37] Il n'incombe pas à notre cour de chercher à renverser une décision de la Cour d'appel fédérale. Notre cour est convaincue qu'elle est liée par la doctrine du stare decisis et elle n'est pas impressionnée par l'argument de l'avocat de l'appelante selon lequel la Cour d'appel fédérale a rendu une décision per incuriam, si habilement qu'ait été présenté cet argument de l'avocat et si qualitatives qu'aient été les recherches et la présentation de l'avocat quant à l'historique législatif du paragraphe en question.

[38] L'affaire Leroux v. Co-operators General Insurance Co.; Superintendent of Insurance, Intervener, précitée, aide la Cour à cet égard. Dans cette affaire-là, on a essentiellement déterminé que, même face à une décision rendue per incuriam, le tribunal de première instance serait tenu de suivre la décision de la cour d'appel. La Cour canadienne de l'impôt est un tribunal de première instance et elle est convaincue qu'elle est tenue de suivre la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kubicek, précitée.

[39] La Cour n'est pas disposée à rendre une décision différente sur la foi du jugement R. c. Paul et Polchies, 58 R.N.-B. (2e) 297 (C. prov.) et de la décision ensuite rendue dans cette affaire par le juge Dickson, de la division de première instance de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, soit une décision rapportée dans 90 R.N.-B. (2e) 332 (B.R.). Une lecture de l'ensemble de la cause n'indique pas que la question de propos tenus per incuriam a été la ratio decidendi dans cette affaire. En fait, la Cour du Banc de la Reine semblait se fonder sur le fait que le juge du procès n'avait commis aucune erreur en déterminant que la Couronne n'avait pas établi au procès que les traités de 1725, 1726 et 1749 avaient été abrogés par des hostilités subséquentes. Elle a également conclu ceci : “ Le fait que les traités doivent en prémisse être considérés comme toujours valides, lié à la disposition que prévoit l'article 88 de la Loi sur les Indiens, offre aux accusés l'immunité contre toute poursuite pour les infractions reprochées à la loi provinciale sur la chasse ”. Telle semble avoir été la considération primordiale de cette cour-là.

[40] Bien que cette décision n'ait pas été portée en appel, notre cour n'est pas convaincue que cela conforte l'avocat de l'appelante dans sa position en l'espèce.

[41] En définitive, la Cour est convaincue que la cotisation du ministre était bien fondée. L'appel est rejeté et la cotisation du ministre est confirmée.

[42] L'intimée a droit à ses frais dans cet appel, qui devront être taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'octobre 1999.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de juin 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]       La juste valeur marchande convenue était de 17 500 000 $. Voir le paragraphe 10 de l'exposé conjoint des faits.

[2]       Il n'y a aucun différend quant à la valeur des Actions au jour de l'évaluation.

[3]       Il n'y a aucun différend quant au coût d'origine des Actions.

[4]      L'article 3 de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. I-4, dit :

Par dérogation à toute convention ou à la loi lui donnant effet au Canada, le droit au Canada est tel que les expressions appartenant aux catégories ci-dessous s'entendent, sauf indication contraire du contexte, au sens qu'elles ont pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu compte tenu de ses modifications, et non au sens qu'elles avaient pour cette application à la date de la conclusion de la convention ou de sa prise d'effet au Canada si, depuis lors, leur sens pour la même application a changé. Les catégories en question sont :

a) les expressions non définies dans la convention;

b) les expressions non définies exhaustivement dans la convention;

c) les expressions à définir d'après les lois fédérales.

      Il ne semble pas y avoir de différence importante entre l'article 3 de cette loi et le paragraphe (2) de l'article III de la Convention.

[5]       Le paragraphe 9 de l'article XIII a été modifié le 14 juin 1983 par le paragraphe 3 de l'article VI du premier protocole. L'article de Ruchelman et Webb a été écrit avant que ne soit rédigé le premier protocole. Cependant, à l'époque où cet article a été écrit, la partie du paragraphe 9 de l'article XIII pertinente aux fins de l'espèce était identique à ce qu'elle est en vertu du premier protocole. Voir la note historique afférente au paragraphe 9 de l'article XIII, section 2, p. 27, 207-35.

[6]        Certaines exceptions s'appliquaient dans le cas de personnes exploitant une entreprise aux États-Unis.

[7]       Il y a eu ensuite trois autres protocoles, dont un avant l'entrée en vigueur de la Convention et deux après. Ils ne sont pas pertinents aux fins de la présente espèce.

[8]     Cette explication a été rédigée avant la signature du premier protocole, mais elle est identique à celle qui a été rédigée après. Voir la section 22.

[9]       Cette explication a été rédigée après la signature du premier protocole.

[10]    Il n'y avait pas de date sur cette version de l'explication technique, mais voir le communiqué no 81-16 du ministère des Finances, 4 février 1981, section 26.

[11]    Il n'y a pas de date sur cette version de l'explication technique. Cependant, la déclaration de M. Chapoton figurant à la section 24, p. 393 (note de bas de page I et texte) indique que cette version a été rendue publique à la date de l'audience de la commission du Sénat, soit le 24 septembre 1981.

[12]    Il n'y a pas de date sur la version finale de l'explication technique, mais voir le communiqué no 84-128 du ministère des Finances, 16 août 1984, section 6.

[13]    Le ministre n'a pas publié de communiqué conjointement avec l'interprétation technique révisée de septembre 1981. Toutefois, la déclaration de M. Chapoton figurant à la section 24, p. 401, note de bas de page 1, indique clairement que le Canada a également examiné cette version de l'explication technique. Voir aussi l'explication du comité mixte, précitée, section 21, p. 369, note de bas de page I et texte.

[14]    Il est à noter que la version du 19 janvier 1981 de l'explication technique concernant le paragraphe 9 de l'article XIII qui figure à la section 26 est à peu près identique à l'explication technique finale figurant à la section 6, p. 2441.

[15]     Section 6, explication technique, p. 2441.

[16]     Id.

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