Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19990929

Dossier : 98-487-UI

ENTRE :

MARK FRANKE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] Le présent appel, interjeté en vertu de l’article 103 de la Loi sur l’assurance-emploi (la “ Loi ”), porte sur une décision rendue par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en vertu de l’article 91 de la Loi. Selon la décision du ministre, qui a été communiquée le 20 avril 1998, l’appelant avait accumulé un total de 343,28 heures d’emploi assurable au cours des périodes allant du 28 juillet au 20 août 1997 et du 1er septembre au 31 décembre 1997. Pendant ces périodes, l’appelant a travaillé pour l'Université de Victoria à titre d’enseignant de cours d’été et de chargé de cours à temps partiel respectivement.

[2] Il s’agit, en l’espèce, de savoir si le ministre a convenablement calculé le nombre d’heures d’emploi assurable de l’appelant. La difficulté à effectuer ce calcul réside dans la nature quelque peu inhabituelle du contrat de travail de l’appelant. Ce contrat ne constituait pas un échange conventionnel du temps de l’employé contre une rémunération à taux fixe. Le contrat, dont peu de clauses étaient par écrit, exigeait plutôt de l’appelant qu’il consacre le temps et les efforts nécessaires à la bonne exécution du travail. On ne s’était pas spécialement attaché à établir un lien direct entre la rétribution et le nombre d'heures de travail.

[3] La Loi repose essentiellement sur la notion d’heures d’emploi assurable. Aux termes de l’article 7 de la Loi, les prestations de chômage sont payables aux personnes qui remplissent les conditions requises pour les recevoir. Pour être admissible au bénéfice de ces prestations, un assuré doit avoir accumulé un nombre minimal d’heures d’emploi assurable au cours d’une période de référence. Il fallait à l’appelant un minimum de 910 heures d’emploi assurable pour avoir droit aux prestations de chômage. Le paragraphe 6(3) de la Loi porte que le nombre d’heures d’emploi assurable d’un prestataire pour une période donnée s’établit au titre de l’article 55 de la Loi; cet article autorise l’adoption d’une législation subordonnée, en l’occurrence la prise d’un règlement, pour l’établissement du nombre d’heures d’emploi assurable. Le Règlement sur l’assurance-emploi (le “ Règlement ”) sert à déterminer le nombre d’heures d’emploi assurable dans le cas d’arrangements non conventionnels, comme celui en l’espèce. L'objet du texte législatif ne peut être réalisé que si le Règlement est interprété et appliqué de façon à ce qu'on puisse calculer le temps pendant lequel l'employé a “ effectivement travaillé [...] ” et pour lequel il a été rétribué par l’employeur. Le Règlement ne doit pas être interprété d’une manière susceptible de produire des résultats arbitraires ou fantaisistes.

[4] Le paragraphe 10(1) du Règlement, qui est la disposition sur laquelle le ministre se serait fondé pour rendre la décision dont il est maintenant interjeté appel, se lit comme suit :

10. (1) Lorsque la rémunération d’une personne est versée sur une base autre que l’heure et que l’employeur fournit la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par elle au cours de la période d’emploi et pour lesquelles elle a été rétribuée, celle-ci est réputée avoir travaillé ce nombre d’heures d’emploi assurable.

[5] L’appelant a été engagé à titre d’enseignant par l'université susmentionnée pour donner deux cours de sciences politiques à des étudiants d’été. Les cours devaient avoir lieu du 28 juillet au 20 août 1997. L’université a rempli le relevé d’emploi de l’appelant (pièce R-1) et a inscrit 140 heures d’emploi assurable relativement à cette période. La pièce A-2, qui est la feuille de situation d'emploi que l’université a remise à l’appelant, indique que ce dernier a reçu 8 616 $, plus une paye de vacances de 4 pour cent, pour la période visée. Ultérieurement, l’appelant a été embauché par l’université à titre de chargé de cours à temps partiel, pour donner un cours de sciences politiques pendant la période allant du 1er septembre au 31 décembre 1997. Dans la pièce R-1, l’université a attribué 203,28 heures d’emploi assurable à l’appelant à l'égard de cette période. La feuille de situation d’emploi (pièce A-3) que l’université a remise à l’appelant, relativement à cette période d’emploi, indique qu'il devait toucher 1 144 $ par mois. À ce que je comprends, on a divisé le montant forfaitaire payable pour le cours par les quatre mois de la période d’enseignement pour arriver au taux mensuel.

[6] Il n’y avait aucun contrat écrit contenant un exposé détaillé des tâches de l’appelant. La preuve comprend néanmoins des feuillets de renseignements que l'Université de Victoria remettait aux chargés de cours à temps partiel. Les deux documents produits ne visaient pas la période pertinente, mais je crois comprendre qu’ils donnent des indications générales quant à la nature du contrat. L’un de ces feuillets (produit sous la cote A-5) indique, sous la rubrique “ responsabilités ”, que les responsabilités d’un chargé de cours spécial se limitent en temps normal à l’enseignement. Les feuilles de situation d’emploi donnent une idée d'une partie du contrat, mais il ressort du témoignage de l’appelant et de celui de Janice D. Bennett, directrice de la paie et des frais de scolarité à l'Université de Victoria, que les attentes de l’université à l’égard de l’enseignant sont normalement communiquées de vive voix par le directeur du département. Le directeur du département des sciences politiques de l’université n’a pas été appelé à témoigner, et l’appelant n’a pas fait de compte rendu détaillé de quelque discussion qu'il aurait eue sur la définition de ses tâches. Cependant, il ressort des témoignages de l’appelant et de Mme Bennett que les responsabilités de l’appelant étaient loin de se limiter à l’enseignement en classe.

[7] À l’audience, l’appelant a produit un état détaillé du nombre d’heures consacrées à ce qu’il estimait être les tâches de son emploi. Ses calculs, exposés à la pièce A-1, étaient les suivants :

[TRADUCTION]

1. Sciences politiques 240 (Q01), Politique internationale (cours d’été) :

- enseignement théorique (exposer la matière et animer des séances de discussion collective) :

34 h

- surveillance de l’examen final :

3 h

- enseignement tutoriel hors cours (heures de disponibilité) :

5 h

- préparation du cours et rédaction des exposés :

240 h

16 jours de classe à raison de 5 heures de préparation et de rédaction par jour

160 heures de lecture et de recherche de nouveau matériel didactique

- conception et organisation du cours (trouver le matériel didactique pertinent et mettre au point un plan général d’études) :

80 h

- évaluation des travaux remis par les étudiants (huit dissertations de 6 à 10 pages chacune) :

10 h

- évaluation des examens finals :

2 h

- nombre total d’heures de travail :

374 h

2. Sciences politiques 300B, Pensée politique du début de l’ère moderne (cours d’été) :

- enseignement théorique (exposer la matière et animer des séances de discussion collective) :

34 h

- surveillance de l’examen final :

3 h

- enseignement tutoriel hors cours (heures de disponibilité) :

20 h

- préparation du cours et rédaction des exposés :

64 h

16 jours de classe à raison de 4 heures de préparation et de rédaction par jour

- conception et organisation du cours (revoir l’ancien matériel didactique et trouver du nouveau matériel) :

35 h

- évaluation des travaux remis par les étudiants (32 dissertations de 8 à 10 pages chacune) :

40 h

- évaluation des examens finals :

8 h

- nombre total d’heures de travail :

204 h

3. Sciences politiques 300C, Pensée politique postérieure au Siècle des lumières :

- enseignement théorique (exposer la matière) :

37,5 h

- surveillance de l’examen final :

4 h

- enseignement tutoriel hors cours (heures de disponibilité) :

50 h

- préparation du cours et rédaction des exposés :

138 h

23 jours de classe à raison de 6 heures de préparation et de rédaction par jour

- conception et organisation du cours (revoir l’ancien matériel didactique et trouver du nouveau matériel) :

25 h

- supervision de l’assistant à l’enseignement :

20 h

- évaluation des travaux remis par les étudiants (54 dissertations de 10 à 12 pages chacune) :

60 h

- évaluation des examens finals :

14 h

- nombre total d’heures de travail :

347,5 h

NOMBRE TOTAL D’HEURES DE TRAVAIL POUR LES TROIS COURS 925,5 h

Dans son témoignage, Mme Bennett a confirmé que l’emploi de l’appelant exigeait de lui qu’il effectue le genre de travail généralement décrit dans les calculs qui viennent d’être reproduits.

[8] Des observations s’imposent concernant deux aspects du calcul de l’appelant. Dans son témoignage, l’appelant a indiqué qu’il avait consacré 160 heures à la lecture et à la recherche du matériel didactique requis pour le cours Sciences politiques 240, donné à l'été. Du fait qu’il s’agissait d’un cours intensif, il fallait que cette lecture et cette recherche soient faites avant le début de la période d’enseignement. En outre, les calculs de l’appelant incluent le nombre d’heures passées à concevoir et à organiser le cours. D’après les feuilles de situation d’emploi, lues textuellement, la période d’emploi n'a commencé que le 28 juillet 1997, dans le cas des deux cours d’été, et le 1er septembre 1997, pour ce qui est du troisième cours. Néanmoins, je suis arrivé à la conclusion, d’après l’ensemble de la preuve, que la recherche de matériel didactique pouvant être utilisé dans le cadre des cours donnés, ainsi que le travail général de conception et d’organisation des cours, sont des services que l’appelant a fournis pour satisfaire aux exigences des contrats de travail et pour lesquels il a été payé, même si le travail a été accompli avant le début des deux périodes d’enseignement. Ce travail préparatoire n’a pas été effectué pour rendre l’appelant admissible à des prestations, de façon générale; il se rapportait plutôt aux cours que l’appelant devait précisément donner. Il est évident que, pour être utile, un travail de ce genre ne peut être accompli qu'avant le début des cours.

[9] Le relevé d’emploi de l’appelant, daté du 2 janvier 1998, a été rempli par un commis du service de la paie de l’université, qui travaillait sous la supervision de Mme Bennett. Celle-ci a produit le calcul du nombre d’heures d’emploi assurable indiqué sur le relevé. Le voici :

ENSEIGNEMENT DE 1,5 UNITÉ = 0,33 ETP

MOIS JOURS HEURES X 0,33

Sept. 23 161 53,13

Oct. 20 140 46,20

Nov. 23 161 53,13

Déc. 22 154 50,82

TOTAL 203,28

Du 28 juillet au 20 août 1997

140 heures pour les cours d’été

140 + 203,28 = 343,28 HEURES

À l'audience, l’intimé a prétendu que ce calcul, fourni par l’université, était “ [...] la preuve du nombre d’heures effectivement travaillées par [la personne] au cours de la période d’emploi et pour lesquelles [cette personne] a été rétribuée [...] ”, pour reprendre les termes du paragraphe 10(1) du Règlement.

[10] La preuve produite à l'audience montre clairement que le calcul sur lequel l’intimé s’est fondé ne correspond pas au genre de preuve visé au paragraphe 10(1) du Règlement. Le calcul des 203,28 heures pour les mois de septembre à décembre s'appuie sur une formule négociée entre l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université et les agents de l’assurance-emploi aux fins de l’établissement des heures d’emploi assurable des chargés de cours dans les universités. Si je comprends bien le témoignage de Mme Bennett, selon cette formule, un nombre prédéterminé d’heures d’enseignement en classe et d’enseignement hors classe est attribué à l'enseignant. Le nombre d’heures attribué par cours varie selon le nombre d’unités de valeur accordés à l'étudiant qui réussit le cours. Le cours donné par l’appelant a été, sur cette base, considéré comme équivalant à 0,33 cours à temps plein. Selon la politique générale de l’université, il faut prévoir trois heures de temps de préparation par heure de cours. Dans son témoignage, Mme Bennett a précisé que ce temps de préparation est censé englober, entre autres choses, les heures de disponibilité, la définition des sujets de dissertation, la préparation des examens finals, la notation des travaux, la notation des examens finals, l’organisation générale du cours et la préparation des exposés quotidiens. Mme Bennett a admis que le nombre d’heures de travail que les chargés de cours devaient effectuer pour s’acquitter des tâches prévues au contrat de travail variait selon le cours donné, la structure du cours et le style de l’enseignant lui-même. Il n'a pas été question de l’existence d’un lien entre le temps réellement consacré à ces tâches par un enseignant et le nombre d'heures calculé selon la formule. Par conséquent, le paragraphe 10(1) du Règlement ne s’applique pas pour déterminer le nombre d’heures de travail effectué par l’appelant pendant l’une ou l’autre des deux périodes d’enseignement.

[11] Mme Bennett a expliqué que le total de 140 heures attribué aux cours d’été correspond à quatre semaines multipliées par 35 heures par semaine. Cette partie du calcul visait, je crois, à satisfaire aux exigences du paragraphe 10(5) du Règlement, qui est ainsi libellé :

10. (5) En l’absence de preuve des heures travaillées en temps supplémentaire ou en surplus de l’horaire régulier, le nombre maximum d’heures d’emploi assurable qu’une personne est réputée avoir travaillées d’après le calcul prévu au paragraphe (4) est de 7 heures par jour sans dépasser 35 heures par semaine.

Mme Bennett a expliqué que 35 heures par semaine était le chiffre que l’université utilisait pour calculer le nombre d’heures d’emploi assurable des employés à temps plein occupant le même poste que celui de l’appelant. À mon avis, ce dernier était un témoin digne de foi. Je retiens la preuve résumée dans les deux premières parties de la pièce A-1, selon laquelle le nombre d’heures de travail que l’appelant a effectuées pour satisfaire aux exigences du contrat de travail — donner deux cours d’été — était de 578. Au regard de cette preuve et du passage commençant le paragraphe 10(5) du Règlement, la disposition ne s’applique pas.

[12] L’université n’a produit aucune preuve quant au nombre d'heures de travail réellement effectuées par l’appelant pendant l’une ou l’autre des deux périodes d’enseignement. La personne qui a établi le relevé d’emploi ne s’est tout simplement pas penchée sur cette question. En remplissant le relevé d’emploi, l’université s’est basée sur le maximum de 35 heures par semaine, pour les cours d’été, et sur la formule, pour le cours d’automne. Dans les deux cas, l’université a omis d’étudier la question qui, à mon sens, est pertinente aux termes du texte législatif, à savoir le temps que l'employé a réellement consacré à l’exécution des tâches que lui imposait le contrat de travail. En bout de ligne, je conclus que, si on avait dûment tenu compte des faits pour établir le relevé d’emploi, celui-ci aurait fait état des 925,5 heures de travail telles qu'elles avaient été calculées par l’appelant.

[13] L’appel est accueilli et la décision est modifiée en application de l’alinéa 103(3)a) de la Loi en tenant compte du fait que le nombre d’heures d’emploi assurable de travail par l’appelant — pour lesquelles il a été rétribué —était de 925,5.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de septembre 1999.

“ Michael J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.