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Date: 20000811

Dossier: 1999-5013-EI

ENTRE :

ABRAM'S TOWING SERVICES (WINDSOR) LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant MacLatchy, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu le 21 juillet 2000 à Toronto (Ontario).

[2] Giulio Tersigni (le “ travailleur ”) a porté en appel devant l'intimé une décision portant sur la question à savoir si le travailleur exerçait un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi ”), lorsqu'il était au service de l'appelante du 14 janvier au 1er octobre 1998.

[3] Dans une lettre du 22 septembre 1999, l'intimé a informé l'appelante et le travailleur de la décision à l'effet que l'emploi du travailleur chez l'appelante au cours de la période en question était un emploi assurable au motif qu'il avait été exercé en vertu d'un contrat de louage de services.

[4] Les parties ont convenu que l'appelante exploitait une entreprise de remorquage d'automobiles et que le travailleur avait été embauché pour conduire une dépanneuse afin de servir les clients de l'appelante (les “ clients ”) dans la région de Windsor. Les tâches du travailleur consistaient, entre autres, à remorquer des voitures, à remplacer des pneus, à livrer de l'essence et à s'occuper de clients qui avaient fermé leur voiture en laissant les clefs à l'intérieur. Le travailleur se présentait tous les jours au bureau de l'appelante pour prendre une dépanneuse, dont l'appelante était propriétaire, et il se rendait à l'endroit où l'appelante l'envoyait afin de servir les clients de cette dernière. On exigeait du travailleur qu'il porte un uniforme propre, qu'il soit rasé et qu'il ait une allure soignée. L'uniforme arborait un logo de la CAA, cliente de l'appelante. De plus, le camion était peint aux couleurs de la CAA, dont le logo était clairement identifiable grâce à ses blasons sur les côtés du véhicule. On exigeait du travailleur qu'il soit en disponibilité durant des quarts de travail de douze heures, soit de 7 h à 19 h, six jours par semaine, ainsi que, chaque semaine, durant deux quarts de nuit de douze heures chacun, soit de 19 h à 7 h. Le travailleur a reçu une formation en accompagnant un conducteur expérimenté durant deux semaines, sans rémunération. Par la suite, il a dû fournir un résumé à jour des licences et des certificats de police exigés et signer un contrat préparé et présenté par l'appelante avant qu'on lui permette de conduire la dépanneuse de la compagnie. Le travailleur n'a négocié aucune des conditions du contrat et s'est fait dire qu'il recevrait 40 % des revenus provenant des opérations qu'il effectuerait avec son véhicule durant un quart. On lui a dit également qu'il serait un sous-traitant, terme dont la signification n'était pas claire dans son esprit. Il croyait être un employé, en dépit de l'entente, mais il comprenait qu'il n'y aurait aucune déduction à la source à partir de son pourcentage de revenus tirés grâce au véhicule. L'essence, les contributions à l'assurance-maladie, les frais liés à l'uniforme et tout dommage au véhicule seraient déduits bimensuellement de son pourcentage.

[5] L'appelante était la propriétaire de la dépanneuse qui arborait le logo de la CAA, sa cliente. Le véhicule était équipé de roues servantes, de chaînes, de feuilles de route et d'un livret de reçus, d'une radio bidirectionnelle pour les services de répartition ainsi que d'un ordinateur pour afficher les renseignements sur les clients à chaque appel. Le conducteur/travailleur devait fournir un cric, une bonbonne à air, des sandows, la trousse nécessaire pour aider les clients qui avaient fermé leur voiture en laissant les clefs à l'intérieur, et l'essence pour le véhicule. Le travailleur devait remettre une feuille de route quotidienne à la fin de son quart ainsi que tout argent, chèque ou bordereau ou reçu de carte de crédit qu'il aurait pu recevoir, durant son quart, d'automobilistes qui lui auraient demandé de fournir ses services sans passer par les services de répartition. Lorsque le travailleur s'arrêtait pour aider un automobiliste de ce genre, il en informait le répartiteur, qui inscrivait les renseignements, disait au conducteur quel montant charger pour les services rendus et approuvait la méthode de paiement, et facturait l'automobiliste.

[6] Le travailleur devait retourner la dépanneuse à la fin de chaque quart, la nettoyer et faire le plein d'essence afin qu'un autre conducteur puisse s'en servir, au besoin. Si le travailleur avait travaillé durant un quart de nuit, il conservait le véhicule et ne le retournait pas avant la fin de l'autre quart. Il s'agissait de la seule circonstance où il pouvait conserver le véhicule à la fin de son quart de jour. Le véhicule était soi-disant loué au travailleur, mais seulement durant les quarts où il était en disponibilité. Il ne pouvait prêter le véhicule à personne d'autre ni ne pouvait laisser une autre personne le conduire, à moins que cette dernière n'ait des liens avec l'appelante qui aurait préalablement approuvé ce changement de conducteur. Le travailleur pouvait échanger des quarts, mais seulement avec un autre conducteur approuvé par l'appelante. L'appelante a précisé que cette exigence se justifiait par les conditions imposées par ses assureurs et par le fait que les véhicules devaient offrir un niveau adéquat de service.

[7] Une copie de la formule de contrat a été présentée à titre de pièce A-1 : nous discuterons ultérieurement dans ce jugement des conditions de ce contrat.

[8] La question devant être jugée par cette Cour consiste à déterminer si le travailleur exerçait son emploi chez l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services ou à titre de fournisseur de services. L'arrêt-clé dans la détermination de cette relation est l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Le critère en quatre parties permet d'étudier les conditions d'embauche entre l'appelante et le travailleur. Or, à la lumière de cette étude, il faut examiner la totalité de la relation afin de prendre une décision. Les critères auxquels il est fait référence sont les suivants :

1. Le critère du contrôle :

[9] L'appelante exerçait-elle un contrôle sur le travailleur quand il effectuait ses tâches quotidiennes? La preuve a dévoilé que, sauf quand le travailleur effectuait un quart de nuit, il devait se présenter au bureau de l'appelante chaque jour pour prendre et retourner le véhicule et pour remplir ses feuilles de route quotidiennes. Le travailleur n'avait pas le contrôle exclusif du véhicule, sauf lorsqu'il effectuait un quart. Lorsqu'il retournait le véhicule, ce dernier était alors mis à la disposition d'un autre conducteur, si besoin était. Le travailleur ne pouvait utiliser le camion à des fins personnelles ou pour augmenter ses revenus quand il ne travaillait pas pour l'appelante. Quand il était de service, le travailleur pouvait servir des clients autres que ceux qui lui avaient été attribués par l'appelante, mais il devait immédiatement informer le bureau du nom de chaque client, des autres renseignements nécessaires à son sujet et de la nature du service à fournir. Ensuite, l'appelante indiquait au travailleur la somme que le client devait débourser et approuvait la méthode de paiement. L'appelante conservait 60 % de cette somme et allouait le reste au travailleur. L'entente signée par le travailleur présentait d'innombrables éléments de contrôle, tels que les mots [TRADUCTION] “ de préserver l'image dont jouit la COMPAGNIE à savoir de fournir des services efficaces et courtois, et qui respectent des normes élevées de service à la clientèle et de satisfaction du client ”. Il s'agit là d'un élément clair de direction et de contrôle que nous n'aurions pas trouvé chez un sous-traitant dont la réputation dans la communauté était connue de l'appelante.

[10] Le travailleur devait toujours être à la disposition de l'appelante ou du répartiteur quand il exécutait un quart. Il possédait dans son camion une radio bidirectionnelle, l'ordinateur de la cliente, un cellulaire et une pagette fournis par l'appelante. Il devait informer l'appelante dans les cas où il s'absentait du camion pour quelque raison que ce soit, y compris pour se soulager ou acheter de quoi boire ou manger.

[11] Le travailleur sentait qu'il ne pouvait refuser de répondre à un appel particulier, car son contrat serait résilié. D'après le travailleur, si l'appelante considérait qu'il n'était pas coopératif, il devait se contenter de rester assis dans son camion durant son quart sans se voir assigner de travail. Cette circonstance constitue un fort élément de contrôle que l'appelante pouvait exercer. Selon la preuve de l'appelante, ce type de sanction n'avait jamais été et n'aurait jamais été pratiqué. La preuve du travailleur était différente.

[12] L'exigence de présenter un compte rendu journalier, prévue au sous-paragraphe 6(e) de l'entente, constituait un contrôle direct du travailleur. Aucun sous-traitant ne serait soumis à de telles directives.

[13] De plus, au sous-paragraphe 6(f) de l'entente, on ordonnait au travailleur [TRADUCTION] “ de maintenir et garder en bon état en tout temps le véhicule de la compagnie et de se présenter tous les jours dans un uniforme propre, d'être rasé de frais et d'avoir une allure soignée ”. Le travailleur a mentionné qu'on lui avait ordonné à deux reprises de retourner à la maison pour se raser. Direction et contrôle? Le travailleur portait un uniforme arborant le logo de la cliente de l'appelante. Il ne s'agissait pas de son propre logo pour sa propre entreprise, mais de celle de l'appelante ou de la cliente de l'appelante. Le véhicule que l'appelante lui avait assigné affichait le logo de la cliente de l'appelante. Il ne faisait aucune publicité pour son entreprise personnelle, tant sur le véhicule que sur sa propre personne, mais uniquement pour celle de l'appelante ou de sa cliente. L'entente pouvait être résiliée au gré de l'appelante : [TRADUCTION] “ La compagnie peut résilier cette entente en tout temps si elle le juge nécessaire pour le bien-être global de la compagnie ”. Il s'agit là d'un droit illimité autorisant l'appelante à résilier l'entente pour n'importe quelle raison. Cette condition n'est pas dans l'intérêt véritable du travailleur quels qu'aient été ses désirs. Les dispositions du paragraphe 10 portant sur les retenues sont également au profit de l'appelante et non du travailleur. De telles dispositions ne se trouveraient pas normalement dans une entente entre égaux, mais plutôt dans une relation employeur-employé. Il est clair que l'appelante exerçait le contrôle et la direction.

2. La propriété des instruments de travail :

[14] Pour effectuer ses tâches quotidiennes, le travailleur se servait des outils suivants appartenant à l'appelante : son camion, sa roue servante, ses coulisses, ses chaînes et sa trousse de dépannage pour les clients qui avaient fermé leur voiture en laissant les clés à l'intérieur. Jusqu'à un certain point, on pourrait dire qu'il louait le véhicule; toutefois, il n'existait aucun contrat de location, aucune location n'a été spécifiée et le travailleur n'avait aucun droit sur le véhicule une fois son quart terminé. Ces faits n'indiquent pas l'existence d'une véritable entente de location. Le travailleur utilisait la radio bidirectionnelle de l'appelante qui se trouvait dans le véhicule pour assurer sa disponibilité quand le répartiteur de l'appelante l'appellerait. Il était indispensable à l'entreprise de l'appelante que son répartiteur soit en communication constante avec le travailleur. Ce dernier avait également un cellulaire et une pagette afin que l'appelante puisse le convoquer immédiatement. Le travailleur devait avoir son propre cric, une clé en croix, des sandows, une bonbonne à air et des réservoirs d'essence. Ces instruments sont de moindre valeur que celle du camion et de son équipement.

3. Les chances de bénéfice et les risques de perte

[15] Le travailleur recevait un certain pourcentage des gains effectués durant son quart grâce au véhicule. L'appelante établissait un taux de 40 % et déduisait de cette somme l'essence que le travailleur avait utilisée, ses contributions à l'assurance-maladie et tout dommage fait au véhicule ou à celui d'un client. En principe, le travailleur pouvait augmenter son revenu en faisant preuve de dynamisme et en recherchant des clients supplémentaires. Il recevrait uniquement le même 40 % des revenus reçus de ces clients, et le montant de ces revenus ne serait pas important. Il pouvait travailler davantage et augmenter ses revenus tout en ne partageant pas tout bénéfice intéressant provenant de l'entreprise. L'appelante jouissait de tout bénéfice qu'elle retirait de l'exploitation de l'entreprise. Le travailleur ne pouvait partager les bénéfices de l'entreprise parce qu'il n'était ni copropriétaire ni investisseur de la compagnie. Il aurait subi des dommages s'il avait été négligent en utilisant la propriété de l'appelante ou de ses clients, mais cette situation n'était pas liée à l'entreprise. Si l'entreprise de remorquage avait fonctionné à perte, il n'y aurait eu aucune incidence sur le travailleur, sauf le risque de perdre son travail si l'appelante avait fermé boutique. Le travailleur faisait son travail et n'exploitait pas sa propre entreprise dont il aurait pu contrôler le bénéfice ou subir une perte.

4. Le critère de l'intégration :

[16] Il s'agit là d'un critère plus difficile à appliquer aujourd'hui dans une société plus complexe. À qui appartient l'entreprise? L'appelante avait besoin de conducteurs afin d'exploiter son entreprise, ces derniers faisant partie intégrale de l'entreprise, mais il s'agit aujourd'hui d'un critère difficile à appliquer. Quelle est la démarcation entre le fait d'être nécessaire pour exploiter l'entreprise et celui d'en être une partie intégrale?

[17] L'appelante et le travailleur peuvent appeler leur relation de n'importe quel nom selon leur désir, mais cela ne crée pas nécessairement cette relation. Dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Standing, C.A.F., A-857-90, 29 septembre 1992, à la page 2 (147 N.R. 238, aux pages 239 et 240), la Cour d'appel fédérale a affirmé :

“ ...Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. ”

[18] Cette Cour doit considérer l'ensemble de la situation à la lumière de la preuve déposée devant elle et non à la lumière d'une partie de cette preuve. En l'espèce, l'entreprise appartenait à l'appelante. Le travailleur était simplement une partie de cette entreprise. Il n'exploitait pas sa propre entreprise : il n'avait aucune clientèle lui appartenant; il n'avait pas d'autres clients; il ne faisait aucune publicité pour sa propre entreprise; et il ne cherchait pas d'emploi auprès d'autres employeurs. Aussi astucieuse qu'elle ait tenté de l'être dans son entente avec son conducteur, l'appelante n'a pas fait du travailleur un sous-traitant. Ceci s'applique uniquement à ce travailleur. Il est possible que d'autres travailleurs soient des sous-traitants. Chaque appel doit être décidé en fonction de la preuve présentée. Cette Cour, dans les circonstances présentes, avec ces personnes, a décidé que l'emploi du travailleur était exercé en vertu d'un contrat de louage de services et que son emploi était assurable.

[19] L'appel est rejeté et la décision de l'intimé est confirmée.

Signé à Toronto (Ontario) ce 11e jour d'août 2000.

“ W.E. MacLatchy ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour d'octobre 2000.

Stephen Balogh, réviseur

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