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Date : 20000615

Dossier : 1999-3238-GST-I

ENTRE :

DOMENIC BATTISTA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelant a demandé, conformément à l'article 261 de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”), un remboursement de la taxe sur les produits et services (TPS) qu'il a versée pour la période commençant le 1er février 1993 et se terminant le 31 janvier 1997, d'un montant de 40 734,17 $, au motif qu'il a versé cette somme par erreur. L'appelant, qui est inscrit aux fins de la TPS en vertu de la partie IX de la Loi, a déclaré et versé, pour la période en question, le montant de TPS en question se rapportant à une fourniture taxable effectuée sous forme de locaux et de services administratifs et dont a bénéficié le docteur D. Buchanan, un associé. À la suite du dépôt d'un avis d'opposition par l'appelant, relativement à la cotisation no 140966 datée du 9 décembre 1997 pour la période allant du 2 janvier 1993 au 31 janvier 1997 et dans laquelle la demande de remboursement de l'appelant avait été refusée, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a délivré un avis de décision daté du 15 avril 1999 dont la partie pertinente est reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]

Votre opposition est rejetée et la cotisation est confirmée.

Vous estimez essentiellement avoir droit à un remboursement de la TPS que vous avez versée en fonction de votre part du chiffre d'affaires se rapportant aux services rendus par l'associé dans votre pratique dentaire. D'après vous, le montant en question n'est pas assujetti à la TPS et a été versé par erreur.

La preuve démontre que vous et votre associé établissiez vos factures conjointement, c'est-à-dire que les relevés de compte étaient émis aux patients au nom des deux dentistes. Si les services dentaires étaient rendus par votre associé, le relevé de compte indiquait au patient de “ payer à ” l'associé. Vous avez déclaré que tous les montants se rapportant aux services rendus par l'associé étaient d'abord déposés dans un compte bancaire détenu conjointement par vous et l'associé; ensuite, chacun de vous receviez un chèque tiré sur ce compte sur une base hebdomadaire, calculé en fonction d'un pourcentage de 60 p. 100 pour l'associé et de 40 p. 100 pour vous.

Nous estimons que le montant retenu (c'est-à-dire 40 p. 100 de la facturation reliée aux services rendus par l'associé) se rapporte aux services fournis par votre pratique dentaire établie, c'est-à-dire l'administration, le personnel de soutien, les locaux et les installations. En conséquence, nous sommes d'avis que le montant en question était à juste titre assujetti à la TPS comme contrepartie d'une fourniture taxable et qu'il n'est pas admissible à un remboursement.

[2] Il s'agit en l'espèce de savoir si le ministre a eu raison de refuser le remboursement à l'appelant.

[3] Domenic Battista (Battista) a témoigné qu'il est dentiste et qu'il exerce sa profession à Mississauga (Ontario), au même endroit, depuis 23 ans. En 1982, il a conclu une entente verbale avec le docteur Douglas Buchanan (Buchanan), un dentiste, selon laquelle Buchanan se joindrait à la pratique de Battista, fournirait des services dentaires aux patients et recevrait 50 p. 100 des recettes ainsi générées. Battista s'est engagé à s'occuper de toutes les fournitures, à verser un salaire au personnel de bureau et au personnel dentaire et à défrayer les autres coûts d'exploitation. L'entente s'est poursuivie au cours des années, à la seule différence que Buchanan reçoit maintenant 60 p. 100 du montant facturé pour le travail qu'il effectue, au lieu du taux de 50 p. 100 qui était en vigueur au début de leur association et qui a été par la suite haussé à 55 p. 100. Battista a déclaré que même si Buchanan possède sa propre clientèle, les patients qui se font traiter par ce dernier au bureau de Battista sont des patients de Battista. Tout l'équipement appartient à Battista et celui-ci est le propriétaire de l'édifice dans lequel la pratique est située. Tous les membres du personnel durant la période pertinente étaient des employés de Battista et étaient rémunérés par lui. La responsabilité lui revenait de gérer la pratique, y compris toutes les écritures, et Buchanan ne participait aucunement à l'administration de la pratique. L'appelant a expliqué que lorsqu'un patient subit un traitement et que le paiement parvient d'un tiers en vertu d'un régime d'assurance ou d'un autre régime, le montant exigible doit alors être facturé au nom du praticien qui a effectivement fait le travail. Battista a déclaré que lui-même et Buchanan ont ouvert un compte dans un établissement financier afin de déposer toutes les recettes provenant des services fournis par Buchanan au bureau de Battista. Il s'agissait d'un compte conjoint et l'un ou l'autre pouvait signer des chèques. La méthode utilisée par l'appelant et Buchanan consistait à déposer dans le compte conjoint spécial toutes les recettes attribuables aux efforts de Buchanan. Les patients recevaient leurs factures sur des relevés de compte où étaient inscrits les noms des deux praticiens; lorsque les services dentaires avaient été rendus par Buchanan, il y était indiqué que le patient devait “ payer à ” Buchanan. Il arrivait parfois qu'un patient qui avait été traité par Buchanan désire payer au moyen de la machine Interac, laquelle n'était liée qu'au compte bancaire de Battista. Dans un tel cas, le personnel de Battista relevait le montant ainsi payé par le patient et un chèque à l'ordre de Buchanan et signé par Battista, représentant le montant en question, était déposé dans le compte conjoint spécial à la fin de la journée. Parfois, un paiement pour services dentaires provenant d'un tiers ou d'un patient même était effectué, par erreur, à l'ordre de Battista, alors que les services avaient été fournis par Buchanan. L'appelant corrigeait l'erreur de la même façon, en faisant un chèque à l'ordre de Buchanan qui était ensuite déposé dans le compte spécial. Chaque semaine, le personnel de Battista calculait le montant qui était dû à Buchanan en totalisant les honoraires de ce dernier durant la période pertinente et en déduisant ensuite les frais de laboratoire directs attribuables à ces honoraires, puisque les frais avaient été portés au débit du compte de Battista par le laboratoire. La partie résiduelle était ensuite partagée en fonction d'un pourcentage de 60 p. 100 pour Buchanan et de 40 p. 100 pour Battista. Afin d'expliquer la méthode utilisée pour inscrire les recettes de Buchanan, Battista s'est référé à une feuille de temps qui a été produite comme pièce A-1. Il a également produit comme pièce A-2 un extrait du système comptable One-Rite utilisé à son bureau. En 1997, Buchanan a conclu une entente de partage des coûts avec un autre dentiste à un emplacement différent. En conséquence, Battista a déclaré qu'il a commencé à interviewer des dentistes en vue de combler un poste d'associé à son bureau. Durant les entrevues, les associés potentiels ont fait savoir à Battista qu'il n'y avait aucune TPS due à l'égard de la part des recettes (de 40 p. 100) retenue par lui, parce que les services dentaires étaient exempts de taxe; ils lui ont également précisé qu'ils connaissaient bien d'autres ententes semblables entre un propriétaire d'une pratique et un associé et qu'aucune TPS n'avait jamais été versée en pareilles circonstances. Battista a expliqué que lorsque la TPS est entrée en vigueur en 1991, avec le lancement d'une taxe due sur les fournitures taxables, le partage des recettes générées par Buchanan était de 55 à 45 en faveur de ce dernier. À l'époque, la question du versement de la TPS se rapportant à la part des recettes de l'associé retenue par le propriétaire de la pratique n'était pas encore réglée et aucune directive n'avait été émise, à l'égard de cette question, dans les documents publiés par la Ontario Dental Association (ODA). Toutes les factures envoyées à des tiers étaient sous le nom du dentiste ayant effectivement rendu le service et le numéro utilisé par le praticien était celui qui avait été attribué par la ODA et était inclus dans toute facture. L'assurance de responsabilité professionnelle est fournie automatiquement à tous les membres de la ODA et est incluse dans leur droit d'adhésion annuel. Battista a déclaré qu'après l'entrée en vigueur de la TPS, lui-même et Buchanan croyaient que la TPS devait être versée à l'égard de la part des recettes de 45 p. 100 retenue par Battista après que ce dernier eut versé à Buchanan 55 p. 100 de ses honoraires. Afin de compenser la perte découlant de la nouvelle taxe de 7 p. 100 due sur le montant résultant du calcul de la part de 45 p. 100 appartenant à Battista (et ensuite déduite de la part de 55 p. 100 appartenant à Buchanan), le partage des recettes a été révisé pour afficher, par la suite, un partage de 60 à 40 en faveur de Buchanan. L'hygiéniste dentaire était rémunéré par Battista et générait des recettes en traitant les patients de ce dernier, alors que c'était Buchanan même qui nettoyait les dents des patients auxquels il fournissait des services dentaires. En ce qui concerne la méthode de facturation, Battista s'est référé à un relevé (pièce A-3) utilisé aux fins de la facturation sur lequel son nom et celui de Buchanan étaient inscrits en haut de la page. Plus tard, un formulaire produit par ordinateur a été utilisé (pièce A-4) et le personnel de bureau de Battista inscrivait, après les mots [TRADUCTION] “ Payez à ”, le nom de Buchanan si celui-ci avait fourni le service indiqué sur la facture envoyée. Battista a précisé qu'il était propriétaire de tous les dossiers des patients et que la pratique qu'il avait établie sur une période de 25 ans lui appartenait. Il était devenu extrêmement occupé et n'était plus en mesure de s'occuper de sa clientèle de façon convenable; Buchanan a donc été engagé afin de fournir des services aux clients de Battista et, au cours des années, il s'est bâti une clientèle qui a continué de le consulter, même si tous les rendez-vous passaient encore par le personnel et la procédure administrative de Battista.

[4] En contre-interrogatoire, Battista a déclaré que les paiements effectués à l'ordre de Buchanan n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque retenue au titre de l'impôt sur le revenu ou d'autres retenues à la source habituelles. Durant la période pertinente aux fins de l'appel, Buchanan a conservé 60 p. 100 de ses honoraires (moins les frais de laboratoire directs) et n'a eu droit à aucune part des honoraires de Battista. Puisque la plupart des polices d'assurance, des régimes du gouvernement et des autres régimes collectifs ne fournissent pas une couverture de 100 p. 100, il fallait envoyer au patient une facture séparée pour le solde de 15 à 20 p. 100. En expliquant la méthode utilisée par lui et Buchanan, Battista a donné l'exemple suivant : si Buchanan générait la somme de 11 000 $ durant une période de facturation, la somme résiduelle (c'est-à-dire déduction faite des frais de laboratoire de 1 000 $) de 10 000 $ était assujettie au partage 60 à 40. Par conséquent, la part de Buchanan était de 6 000 $ et Battista retenait 4 000 $. Toutefois, la TPS de 7 p. 100 était calculée sur cette somme retenue de 4 000 $ et le montant ainsi obtenu (soit 280 $) était versé en temps opportun au Receveur général. La somme de 280 $ représentant la TPS était ensuite déduite de la part de Buchanan s'élevant à 6 000 $, de sorte que le montant net qui lui était versé en bout de ligne, au moyen d'un chèque tiré sur le compte conjoint, était de 5 720 $. Battista a précisé qu'il n'a jamais supervisé Buchanan, lequel était libre de fixer ses propres heures de travail et d'exercer sa profession ailleurs, et qu'il ne lui a jamais imposé de restrictions.

[5] L'avocat de l'intimée a appelé à témoigner Douglas Buchanan. Buchanan a témoigné qu'il était dentiste depuis 1982 et qu'il exerçait cette profession à Oakville (Ontario). En 1982, il a conclu une entente avec Battista selon laquelle il était rémunéré en fonction des recettes qu'il générait et pour lesquelles des paiements étaient déposés dans un compte conjoint. Il a déclaré qu'il ne s'est jamais considéré comme un employé de Battista. Ses heures de travail ne faisaient l'objet d'aucun contrôle mais il les faisait correspondre à celles de Battista pour utiliser les services du personnel de ce dernier. Il n'a reçu aucune formation de la part de Battista et n'était pas supervisé. Il ne partageait pas les profits ou les pertes découlant de la pratique de Battista. Buchanan a déclaré qu'en 1991, après l'entrée en vigueur de la TPS, la question du versement de la taxe l'a préoccupé, mais qu'il n'y avait pas de réponse précise quant au statut des praticiens qui, comme lui, travaillaient dans des conditions semblables et étaient, au sein de la profession dentaire, désignés sous le nom d'“ associés ”. Il savait qu'il n'y aurait aucune TPS due à l'égard des services dentaires qu'il fournissait (soit la part des recettes de 60 p. 100 retenue par lui) mais il a demandé que la TPS soit calculée en fonction de la part des recettes de 40 p. 100 retenue par Battista. Buchanan a précisé qu'il travaillait deux jours et demi par semaine au bureau de Battista tout en conservant sa propre pratique entre 1982 et 1987. En 1997, il a acquis un intérêt dans une autre pratique. Il savait que les tiers débiteurs insistaient pour que le fournisseur du service dentaire émette le relevé de compte mais qu'il ne s'agissait pas d'une exigence de la ODA. Il a précisé que l'utilisation du compte conjoint et du système comptable connexe (en vigueur pendant 18 ans) fonctionnait de façon satisfaisante à ses yeux et à ceux de Battista.

[6] En contre-interrogatoire, Buchanan a admis que sa part des recettes avait augmenté de 55 p. 100 à 60 p. 100 afin de prendre en compte l'effet du versement de la TPS. Il a également admis que depuis 1982, le personnel de bureau de l'appelant était entièrement responsable de la facturation, de l'administration et du recouvrement de créances.

[7] L'appellant a fait valoir qu'il a droit au remboursement d'un montant de 40 734,17 $, tel que demandé, au motif que la TPS a été versée par erreur durant la période pertinente. À son avis, il n'existe aucune différence entre l'entente qu'il a conclue avec Buchanan et celle d'un professionnel qui agit à titre suppléant, auquel cas le praticien établi facture au patient les services fournis par le praticien suppléant et verse à ce dernier un pourcentage des honoraires qui n'est pas assujetti à la TPS. Bien que l'entente ait duré 18 ans et que Buchanan ait travaillé au bureau de Battista deux jours et demi par semaine, cela ne change pas la nature du paiement des honoraires, notamment étant donné que Buchanan a conservé sa propre pratique pendant cinq ans et qu'il a acheté un intérêt dans une pratique en 1997. L'appelant soutient que la preuve a clairement démontré que Buchanan était employé comme associé ayant droit à une part des recettes qu'il générait mais que ce dernier n'a jamais exploité sa propre pratique. L'appelant est d'avis que la pratique, y compris l'équipement et l'ameublement, lui appartenait et qu'il était responsable de verser un salaire aux membres du personnel de bureau, lesquels étaient ses employés.

[8] L'avocat de l'intimée a soutenu que la TPS n'a pas été versée par erreur puisque la taxe a été imposée à juste titre à l'égard d'une fourniture taxable, sous forme de locaux et de services administratifs, effectuée par Battista et dont a bénéficié Buchanan, un dentiste exploitant sa propre pratique dentaire au sein du bureau appartenant à Battista. À titre subsidiaire, l'avocat a soutenu que si je jugeais que Battista n'avait pas effectué une fourniture taxable sous forme de locaux et de services administratifs à l'intention de Buchanan, ce serait alors Buchanan (et non Battista) qui pourrait demander le remboursement en vertu du paragraphe 261(1) de la Loi au motif que le versement a été fait par erreur, parce que l'argent versé pour la TPS aurait en fait été déduit de sa rémunération. Malheureusement, le délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 261(3) est expiré, de sorte que le ministre ne pourrait pas faire droit à une demande de remboursement présentée par Buchanan.

[9] Il s'agit de savoir si le ministre doit effectuer un remboursement au motif que la TPS a été versée par erreur et, dans l'affirmative, si l'appelant est la personne ayant le droit de présenter la demande en vertu du paragraphe 261(1) de la Loi. L'intimée prétend tout d'abord que la TPS a été versée à juste titre puisque Buchanan exploitait sa propre pratique et parce que les frais (représentés par la part des recettes de 40 p. 100 versée à l'appelant) constituaient de façon évidente un paiement pour l'utilisation des installations, de l'équipement et du personnel. Il est nécessaire d'analyser la preuve afin de se prononcer sur le statut de Buchanan.

[10] Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a permis que la preuve soit soumise aux critères ci-dessous, tout en faisant remarquer que ces critères devraient être considérés comme un seul critère composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments entrant dans le cadre des opérations. Les critères sont les suivants :

1. Le degré de contrôle

2. La propriété des instruments de travail

3. Les chances de bénéfice ou les risques de perte

4. L'intégration

Le contrôle :

[11] Puisque Buchanan était un dentiste attitré, il n'a eu besoin d'aucune formation ou supervision de la part de Battista. Le contrôle de son travail, au début de leurs relations, découlait de l'attribution qui lui était faite de certains patients qu'il devait traiter car Battista était trop occupé. Parce que le bureau appartenait à Battista et était exploité par ce dernier et puisque le personnel de Battista s'occupait entièrement de la prise des rendez-vous, des réponses aux questions et de la facturation, Buchanan trouvait qu'il était pratique de se conformer aux heures normales de travail. De plus, Buchanan ne participait ni à la gestion ni à la procédure de bureau.

Les instruments de travail :

[12] Tous les instruments appartenaient à Battista, y compris l'équipement dentaire, les machines de bureau, les meubles, les accessoires fixes, les fournitures et l'édifice dans lequel se trouvait la pratique. Buchanan ne fournissait que ses habiletés personnelles.

Les chances de bénéfice et les risques de perte :

[13] Buchanan n'avait ni chance de bénéfice ni risque de perte, tel qu'on l'entend lorsqu'il s'agit d'établir le statut d'un particulier dans le cadre des relations de travail. Il recevait 60 p. 100 des recettes qu'il générait, après déduction des frais de laboratoire attribuables aux patients qu'il avait traités. Le compte était au nom de l'appelant et ce dernier était responsable des paiements dans le cas où les honoraires ne lui parvenaient pas ou accusaient un retard. Le personnel de Battista se chargeait entièrement de la procédure de facturation et de recouvrement de créances. Si Buchanan ne travaillait pas, il n'avait alors ni revenu ni dépense. S'il générait plus de recettes, il recevait alors des sommes additionnelles mais le partage des recettes était toujours de 60 à 40 en sa faveur. Il n'avait pas droit aux recettes générées par Battista ou son hygiéniste. En pareilles circonstances, on ne pense pas d'habitude à du travail à la pièce ou à un salaire par commission, mais il s'agissait en fait d'une telle entente et les relations ont duré pendant 18 ans.

Intégration :

[14] Entre 1982 et 1987, Buchanan possédait sa propre pratique tout en travaillant deux jours et demi par semaine au bureau de Battista. En 1997, il a acquis un intérêt dans une autre pratique et a continué à travailler (comme avant) au bureau de Battista. Il est évident qu'il séparait sa propre pratique de celle de Battista. Pendant les années où il n'avait pas sa propre pratique, il ne semble pas logique de considérer qu'il exploitait sa propre entreprise en travaillant davantage au bureau de Battista alors que sa seule rémunération était fondée sur un pourcentage fixe des recettes qu'il pouvait générer et ce, en traitant les patients de Battista. Toute l'infrastructure autour de laquelle la pratique était établie appartenait à Battista. Aux pages 563 et 564 (C.T.C. à la page 206) de son jugement dans Wiebe, précité, le juge MacGuigan a dit :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'“ employé ” et non de celui de l'“ employeur ”. En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question “ À qui appartient l'entreprise ”.

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All. E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[15] Compte tenu de la preuve, je conclus que Buchanan (pendant la période pertinente) n'était pas un entrepreneur indépendant au sens d'une personne qui exploite sa propre pratique. Pour avoir traité des patients au bureau de Battista tout en utilisant l'équipement, les locaux et les services du personnel de l'appelant, il avait le droit de recevoir 60 p. 100 des honoraires qu'il avait facturés. Le pourcentage de 40 p. 100 retenu par Battista n'était pas un montant qui lui était versé par Buchanan en échange des installations, des services publics, de l'équipement, des services de secrétariat et de réceptionniste, des fournitures ou de l'administration. Lors de l'accomplissement de son travail, Buchanan n'avait aucune chance de bénéfice attribuable à une saine gestion quelconque et n'était pas responsable de la gestion ou de l'administration des patients à qui il fournissait des services dentaires, ni n'a-t-il fait d'investissement à cet égard. Bien que le présent appel ne traite pas de l'exactitude d'une décision du ministre concernant le statut d'un travailleur, je suis d'avis que Buchanan était, aux fins de cet appel et de façon évidente, un employé de l'appelant qui était payé à la commission. À ce titre, l'argent versé pour la TPS n'aurait pu être le sien car il était un employé. L'avocat de l'intimée a fait valoir que la discussion entre l'appelant et Battista lors de l'entrée en vigueur de la TPS, laquelle a mené à l'augmentation du pourcentage des honoraires de Buchanan de 55 p. 100 à 60 p. 100, a démontré que cette augmentation a eu lieu afin de permettre de déduire la TPS de 7 p. 100 comme fourniture taxable sur la part de 40 p. 100 appartenant à Battista sans réduire sensiblement le revenu de Buchanan. En effet, il s'agit là de la raison pour laquelle le pourcentage attribuable à Buchanan a été augmenté, mais c'était Battista qui recevait moins d'argent par la suite, puisqu'il versait désormais à Buchanan une rémunération en fonction d'un pourcentage de 60 p. 100 (au lieu de 55 p. 100) des honoraires facturés, réduisant ainsi son rendement net. Les parties ont entretenu des relations pendant 18 ans et ont inventé un mécanisme réalisable (en utilisant le compte conjoint spécial) pour suivre de façon précise les recettes générées par Buchanan qui lui permettaient d'en recevoir un pourcentage comme salaire par commission. Je reconnais que les parties n'ont jamais eu besoin de caractériser leurs relations de travail en s'attribuant un statut quelconque puisqu'il s'agissait de deux professionnels exerçant la même profession et se conformant à leur propre code de déontologie ainsi qu'aux règlements de la ODA. Au sein de la profession dentaire, ces types de relations semblent être inclus dans le terme “ associé ” sans que des caractéristiques particulières ne soient attribuées au processus selon lequel les recettes sont partagées entre un associé et le propriétaire de la pratique. Puisqu'il est fort probable que la plupart des dentistes ne passent pas beaucoup de temps à songer au jour où ils feraient la queue pour demander des prestations d'assurance-emploi d'un programme national, on peut comprendre que l'appelant et Buchanan se soient associés l'un à l'autre en tenant compte de leur statut de collègues professionnels dans le cadre d'une collaboration de longue durée, sans consacrer de temps à établir la nature exacte de leur entente de travail et certainement sans se préoccuper de définir des relations employeur-employé formelles. Ce que les parties pensaient de leurs relations ne changera pas les faits. Dans l'affaire Le Ministre du Revenu National c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, septembre 1992 (147 N.R. 238), le juge Stone a dit, à la page 2 (N.R. : aux pages 239 et 240) :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

[16] Au cas où j'aurais tort de conclure que Buchanan était un employé de Battista et que, pour d'autres raisons, l'argent versé comme TPS pourrait en quelque sorte être considéré comme ayant appartenu à Buchanan, je permettrais quand même à l'appelant de recevoir le remboursement, tel que demandé. Le libellé des paragraphes 261(1) et 261(3) de la Loi se lit comme suit :

261.(1) Remboursement d'un montant payé par erreur. - (1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.

[...]

(3) Demande de remboursement. - Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

[17] Comme je l'ai mentionné dans l'affaire GKO Engineering (A Partnership) c. La Reine, 1999-2503(GST)I, le libellé ordinaire du paragraphe 261(1) indique que ce dernier se réfère à un montant qui a été payé au titre de la taxe et par la suite exigible de la personne l'ayant perçu. À mon avis, Battista est une personne qui a versé un montant payé au titre de la taxe en vertu de la partie pertinente de la Loi alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, de sorte que le montant a été payé par erreur. Une fois la TPS perçue (selon la méthode utilisée par les parties) et désignée à ce titre (quoique par erreur), Battista avait l'obligation, en vertu du paragraphe 225(1) de la Loi, de verser le montant. Bien que le montant ait été déduit de l'argent versé à Buchanan en fonction de la somme calculée en utilisant la formule de 60 p. 100, cela ne veut pas dire qu'il s'agit de son argent qui a été envoyé au titre de la TPS. L'entrée en vigueur de la TPS en 1991 a constitué un facteur important menant à une nouvelle négociation du partage des recettes générées par le travail de Buchanan, mais elle ne signifie pas que le paiement subséquent de certains montants de TPS a été effectué avec son argent, pas plus qu'une augmentation du loyer, des taxes ou d'autres frais généraux menant à une révision du salaire d'un employé (lequel salaire serait en fonction d'un pourcentage des recettes générées) puisse être considérée par la suite comme étant payée par l'employé à la suite d'une modification de la structure salariale. Tel qu'il a été mentionné ci-dessus, la part des recettes de Buchanan a effectivement été augmentée de 5 p. 100. Je ne vois pas pourquoi la TPS versée ne serait pas assujettie à un remboursement du paiement effectué par erreur. L'appelant a certainement versé une somme beaucoup plus importante que le montant de 40 734,17 $ faisant maintenant l'objet de la demande de remboursement, puisque cette dernière ne couvre que la période allant du 2 janvier 1993 au 31 janvier 1997. Il a effectué des paiements de TPS depuis 1991 et, dans cette mesure (à cause du délai de prescription imposé par la loi), le fisc a reçu une somme fortuite d'un montant sans doute égal à celui en litige dans le présent appel. Lorsque la Loi impose l'obligation à une personne ayant perçu une taxe de la verser conformément aux dispositions de la loi comme mandataire de Sa Majesté, la personne ayant versé la taxe devrait alors, à mon avis, être en mesure de demander un remboursement si le versement a été effectué par erreur. Comme l'a exprimé en appel l'avocat de l'intimée dans l'affaire GKO Engineering, précitée, le ministre semble craindre que des gens perçoivent une taxe sur des fournitures non taxables, versent l'argent, demandent ensuite un remboursement de la taxe payée par erreur et gardent l'argent pour eux-mêmes au lieu de le rembourser au consommateur duquel la taxe a été perçue à l'origine. La solution à cette conduite se retrouve dans le Code criminel du Canada, lequel contient certaines interdictions contre la fraude et le vol par tromperie ou par des personnes tenues de rendre compte. De plus, les personnes ayant payé par erreur un montant au titre de la taxe auraient le droit de revendiquer une fiducie par détermination de la loi en leur faveur de la personne ayant reçu le remboursement. Dans un régime d'autocotisation qui se fonde sur un pays possédant une grande majorité de contribuables honnêtes, il ne serait pas logique que la personne ayant obtenu un remboursement ne rembourse pas à son tour l'argent perçu par erreur aux particuliers desquels cet argent a été obtenu. Dans le présent appel, même si l'argent payé au titre de la TPS avait appartenu à Buchanan en ce sens que ce dernier l'avait payé, la personne ayant versé la TPS par erreur est Battista et celui-ci devrait quand même avoir le droit d'obtenir le remboursement et de s'arranger avec Buchanan par la suite. Toutefois, je ne mentionne cela qu'à titre subsidiaire au cas où le statut de Buchanan serait considéré autrement que comme celui d'un employé. Au vu des éléments de preuve qui m'ont été présentés, il existe peut-être, bien qu'elle m'échappe, une notion selon laquelle ces deux personnes seraient des entrepreneurs se livrant, de façon conjointe, à la production de recettes provenant d'un groupe de patients dissociable et distinct de la pratique ordinaire et bien établie de Battista et qui pourrait sembler plausible dans le cadre des arguments présentés lors d'un examen quelconque de la décision en l'instance.

[18] La décision du ministre, selon laquelle l'appelant fournissait à Buchanan un service sous forme “ d'administration, de personnel de soutien, de locaux et d'installations ” et constituant une fourniture taxable, est erronée. L'appel est accueilli et la cotisation dans laquelle l'appelant s'est vu refuser un remboursement de la taxe payée par erreur, d'un montant de 40 734,17 $, est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit au remboursement, tel que demandé.

[19] Puisque le montant en litige aux fins de l'article 18.3009 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt n'est pas inférieur à 7 000 $, aucuns frais ne peuvent être adjugés à l'appelant.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 15e jour de juin 2000.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour d'octobre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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