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Date: 19990624

Dossier: 98-827-IT-G

ENTRE :

JABS CONSTRUCTION LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels dont il s'agit ont été interjetés à l'encontre de cotisations pour les années d'imposition de l'appelante se terminant les 31 mai 1993, 1994 et 1995. La principale question est de savoir si le transfert de 13 biens que l'appelante a fait le 31 octobre 1992 à une fondation de bienfaisance, soit la Felsen Foundation (“ Felsen ”), était juridiquement valide.

[2] L'appelante soutient :

qu'elle a, dans son année d'imposition 1993, transféré 13 biens à la Felsen par voie de donation et qu'elle a indiqué comme produit de cette disposition le prix de base rajusté (“ PBR ”) des biens;

b) que la vente subséquente des biens, par la Felsen à la Callahan Construction Company Ltd. (“ Callahan ”), a donné lieu à la réalisation, par la Felsen, d'un gain en capital qui n'était pas imposable entre les mains de la Felsen parce que cette dernière était une fondation de bienfaisance;

c) que la Felsen a prêté une partie du produit de cette disposition à l'appelante et que les intérêts que l'appelante a payés sur le prêt sont déductibles dans le calcul de son revenu.

[3] L'intimée soutient pour sa part que le transfert des 13 biens à la Felsen n'était pas juridiquement valide, que la Callahan a donc eu la propriété bénéficiaire des biens avant le prétendu transfert à la Felsen, que le produit de la vente des biens appartenait à l'appelante et que le gain en capital a par conséquent été réalisé par l'appelante. Ainsi, la Felsen n'avait rien à prêter à l'appelante, et cette dernière est privée de la déduction des intérêts payés à la Felsen, car elle cherchait à déduire des intérêts sur son propre argent.

[4] Subsidiairement, l'intimée allègue que, si le transfert à la Felsen était juridiquement valide, il s'agissait d'une opération d'évitement au sens de l'article 245, ce qui permet au ministre du Revenu national de réattribuer le gain en capital, c'est-à-dire de l'attribuer à l'appelante plutôt qu'à la Felsen.

[5] Les faits établis en preuve sont les suivants. L'appelante est un propriétaire prospère de biens immobiliers commerciaux. Elle est contrôlée par M. Eric Jabs. M. Jabs et son épouse, Mme Toni Alwine F. Jabs, sont de fervents chrétiens. Ils ont accordé beaucoup de temps et d'argent à de bonnes oeuvres; ils ont versé des contributions importantes à des organismes de bienfaisance exerçant des activités au Canada et dans le monde entier.

[6] En 1991, ils ont constitué la Felsen, enregistrant celle-ci comme fondation de bienfaisance privée. Le but de la création de la Felsen était de permettre une accumulation de capital dans la fondation à titre de fonds de dotation de manière que des sommes puissent être distribuées à des fins charitables sans que le capital ne s'érode. L'objectif de M. Jabs était de 1 000 000 $ par année, ce qui exigeait un fonds d'investissement de 10 000 000 $. M. et Mme Jabs et leurs deux enfants adultes sont les administrateurs de la Felsen.

[7] En 1967, l'appelante s'était lancée en affaires avec la Callahan. Leur relation a été décrite comme correspondant à une coentreprise. Cette association a été couronnée de succès et, au fil des ans, la coentreprise a prospéré et a acquis un vaste portefeuille d'investissements immobiliers, y compris des immeubles d'appartements, des sites de développement et des immeubles commerciaux.

[8] Des divergences de vue se sont posées entre l'appelante et la Callahan en 1988, et un conflit acrimonieux s'en est suivi, ce qui a conduit à la décision de mettre fin à la coentreprise et de diviser les biens. Les parties ne parvenaient pas à s'entendre sur la façon de procéder à cet égard, d'où un litige devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Ce litige s'est réglé en 1992 conformément à un accord de règlement, dont une copie a été annexée par l'intimée à la réponse à l'avis d'appel.

[9] Au moment de l'accord de règlement, conclu “ au ” 30 avril 1992, le litige, qui avait atteint un certain stade, comprenait des ordonnances de dépôt d'offres scellées, une action en partage et une ordonnance relative aux actions de la Argus Industries Ltd.

[10] L'accord de règlement visait évidemment à mettre un terme au litige et à remplacer toute ordonnance rendue au cours de celui-ci.

[11] L'accord de règlement était complexe (“ inutilement complexe ”, d'après M. Jabs, en raison de l'acrimonie entre les parties). Il prévoyait un processus quant à la division des biens. Les biens devaient être divisés en quatre groupes, et M. Jabs et M. Callahan devaient déterminer leur juste valeur marchande. Un processus d'adjudication avait été établi, soit un processus en vertu duquel chacune des parties pouvait présenter une offre à l'égard des biens. Si une offre ainsi présentée n'était pas acceptée, l'autre partie achetait le bien à ce prix. En termes simples, l'accord de règlement représentait une clause ultimatum peu maniable.

[12] Néanmoins, le processus d'adjudication a eu lieu, entre mai et octobre 1992, processus à la conclusion duquel il a été déterminé que l'intérêt de 50 p. 100 de l'appelante dans les 13 biens en cause dans la présente espèce serait vendu par l'appelante à la Callahan. Il a en outre été déterminé que ces biens avaient une juste valeur marchande totale de 17 745 000 $ et un PBR de 8 335 751 $ et qu'ils étaient grevés d'hypothèques totalisant 4 833 709 $.

[13] Vu la décision de M. et Mme Jabs d'assurer à la Felsen une dotation en capital de 10 000 000 $, la solution était évidente : transférer les 13 biens à la Felsen, pour une contrepartie “ indiquée ” en vertu du paragraphe 110.1(3) comme étant égale au PBR de ces biens, et laisser la Felsen vendre ceux-ci à la Callahan et réaliser le gain en capital, en franchise d'impôt. Avec les sommes qui lui avaient été données par M. et Mme Jabs, cela devait porter le capital de la Felsen au montant prévu, soit environ 10 000 000 $. L'autre solution aurait été que l'appelante vende les biens à la Callahan, qu'elle réalise le gain en capital d'environ 9 000 000 $, qu'elle paie environ 3 100 000 $ d'impôt et qu'elle se retrouve avec environ 5 900 000 $ comptant, soit une somme qu'elle aurait pu conserver ou qu'elle aurait pu donner à un organisme de bienfaisance, y compris la Felsen, ce qui lui aurait permis d'obtenir une déduction, compte tenu des limites autorisées par la Loi de l'impôt sur le revenu. Il aurait fallu que les prêts bancaires hypothécaires de 4 833 709 $ soient remboursés, et l'appelante aurait également eu à payer de l'impôt au titre de la récupération d'une déduction pour amortissement d'environ 3 000 000 $. Ces conséquences étaient inévitables, quelle que soit la solution choisie. Toutefois, il ressort que, du point de vue de l'appelante, la seconde solution, dans laquelle les biens auraient été vendus par l'appelante plutôt que par la Felsen, était financièrement avantageuse pour l'appelante, tandis que la première était beaucoup plus profitable à la Felsen.

[14] Au bout du compte, l'appelante a signé le 31 octobre 1992 un acte de donation pour chacun des 13 biens qu'elle donnait à la Felsen et elle a, en vertu du paragraphe 110.1(3), indiqué que le produit de disposition correspondait au PBR de chaque bien[1].

[15] Le paragraphe 1 de l'acte de donation se lit comme suit :

[TRADUCTION]

1. Par les présentes, la compagnie, sous réserve du paragraphe 2 des présentes, cède par voie de donation à la fondation tous ses droits, titres et intérêts à l'égard du bien-fonds au profit exclusif et absolu de la fondation à compter de la date susmentionnée, sous réserve que la fondation délivre ensuite un reçu contenant les renseignements prescrits et faisant état du montant “ indiqué ” et sous réserve que le ministre du Revenu national accepte le reçu comme attestant qu'un don de bienfaisance au sens de l'alinéa 110.1(1)a) de la Loi a été fait à la date mentionnée dans le reçu et que le ministre accepte le montant “ indiqué ” comme étant le produit de disposition réputé du bien-fonds, pour la compagnie, en vertu du paragraphe 110.1(3).

[16] Le même jour, l'appelante a signé une déclaration de statut de propriétaire nominal, soit un acte par lequel elle reconnaissait qu'elle détenait le titre légal et enregistré sur le bien comme simple fiduciaire et propriétaire nominal, au profit de la Felsen.

[17] Comme je l'ai mentionné ci-dessus, ce transfert donnait lieu à la récupération d'une déduction pour amortissement entre les mains de l'appelante.

[18] Voici une liste des mesures qui avaient été prévues et qui ont de fait été prises les 29, 30 et 31 octobre 1992 sur les conseils de Nicholas P. Smith, du cabinet d'avocats Douglas, Symes & Brissenden (ce sommaire est tiré du paragraphe 15 des observations écrites de l'appelante) :

[TRADUCTION]

15. Les mesures qui suivent ont été prises conjointement par la Jabs Construction et la fondation Felsen aux fins de la réalisation de l'objectif de la Jabs Construction :

a) la fondation Felsen emprunterait 3 000 000 $ à la Banque de Montréal, soit un emprunt garanti personnellement par M. Jabs;

la fondation Felsen prêterait ensuite à la Jabs Construction les 3 000 000 $, plus une somme supplémentaire [de 293 000 $]; ce prêt serait garanti par des hypothèques reconnues en equity[[2]] à l'égard de chacun des 13 biens; les hypothèques rapportaient un taux d'intérêt de 10 p. 100 par année;

la Jabs Construction donnerait ensuite à la fondation Felsen son intérêt de 50 p. 100 dans chacun des 13 biens en signant et en livrant 13 actes de donation transférant la propriété de chacun des 13 biens à la fondation Felsen; la fondation Felsen [erreur évidente : il s'agit en fait de la Jabs Construction] signerait une déclaration de statut de propriétaire nominal en vertu de laquelle la Jabs Construction consentirait à détenir l'intérêt de 50 p. 100 dans les 13 biens en fiducie, à titre de simple fiduciaire, pour la fondation Felsen;

la valeur “ indiquée ” à l'égard des 13 biens aux fins de l'impôt sur le revenu serait le prix de base rajusté de ces biens, soit 8 335 751 $;

la fondation Felsen aurait alors deux intérêts dans chacun des 13 biens : l'intérêt de 50 p. 100 et l'hypothèque reconnue en equity; du fait de l'application de la doctrine de la “ confusion ”, les deux intérêts se confondraient entre les mains de la fondation Felsen; les hypothèques accordées par la Jabs Construction auraient alors fait l'objet d'une mainlevée, et la dette serait éteinte[[3]];

f) pour qu'il soit satisfait à toutes les obligations prévues dans l'accord de règlement, la Jabs Construction en tant que simple fiduciaire de la fondation Felsen vendrait ensuite les 13 biens à la Callahan Construction pour le montant convenu dans le processus d'adjudication, soit 17 745 000 $, moins 4 833 709 $, soit le montant des hypothèques de la Banque sur les 13 biens;

toutes les mesures susmentionnées ont été prises les 29, 30 et 31 octobre 1992;

la Jabs Construction recevrait les fonds d'achat de la Callahan Construction à titre de simple fiduciaire de la fondation Felsen (tel a été le cas le 15 janvier 1993) et, conformément aux modalités de la déclaration de statut de propriétaire nominal, elle aurait l'obligation de détenir ces fonds pour le compte de la fondation Felsen;

h) le 15 novembre 1992, la Jabs Construction a prêté à la fondation Felsen 3 000 000 $, ce qui a permis à cette dernière de rembourser l'emprunt qu'elle avait fait à la Banque de Montréal; sur le produit de disposition qu'elle a tiré de la vente, à la Callahan Construction, de l'intérêt de la Jabs Construction dans les 13 biens, la fondation Felsen a remboursé à la Jabs Construction le prêt de 3 000 000 $; ce remboursement a procuré à la Jabs Construction l'argent nécessaire pour payer sa dette fiscale au titre de la récupération.

[19] Ces mesures sont en grande partie conformes à ce que dit la lettre du 30 octobre 1992 de Nicholas P. Smith aux comptables de l'appelante, soit le cabinet d'expertise comptable Doane Raymond Pannell. Cette lettre se lit en partie comme suit (pièce R-81) :

[TRADUCTION]

Les opérations devraient avoir lieu dans l'ordre suivant et aux dates suivantes :

1. La fondation devra emprunter 3 000 000 $ à la banque et 350 000 $ à Eric Jabs, personnellement, d'ici le 29 octobre 1992. Nous confirmons votre avis selon lequel la Banque de Montréal (la “ Banque ”) a déjà avancé les 3 000 000 $ à la fondation et qu'Eric a avancé les 350 000 $ à la fondation le 29 octobre 1992.

2. La fondation devra alors avancer les 3 350 000 $ à la Jabs Construction le 29 octobre 1992 et cette dernière devra dater les billets du 29 octobre 1992. Les hypothèques garantissant la dette de la Jabs Construction envers la fondation devront également être datées du 29 octobre 1992. Nous confirmons votre avis selon lequel la fondation a avancé les 3 350 000 $ à la Jabs Construction le 29 octobre 1992.

3. La résolution de l'administrateur de la Jabs Construction autorisant la donation des biens à la fondation devra être datée du jour suivant, soit le 30 octobre 1992.

Les actes de donation en vertu desquels la Jabs Construction fera don des biens à la fondation et les déclarations de statut de propriétaire nominal devront être datés du jour suivant, soit le 31 octobre 1992. À ce moment, les hypothèques en faveur de la fondation se confondront avec l'intérêt de la fondation dans les biens, de sorte que la dette de 3 350 000 $ de la Jabs Construction envers la fondation disparaîtra. La fondation devra encore 3 000 000 $ à la Banque et 350 000 $ à Eric. La Jabs Construction se retrouvera avec 3 350 000 $ comptant, sans obligation correspondante. De fait, la Jabs Construction pourrait envisager de prêter les 3 000 000 $ à la fondation pour que celle-ci rembourse la Banque, de sorte que la fondation devrait 3 000 000 $ à la Jabs Construction et qu'elle n'aurait plus d'intérêts à payer à la Banque.

5. La fondation signerait, disons le 5 novembre 1992, la directive irrévocable donnant pour instructions à la Jabs Construction de transférer les biens à la Callahan Construction le 10 novembre 1992 (si tel est effectivement la date de clôture).

6. Le 10 novembre 1992, la fondation vendra les biens à la Callahan Construction, et une partie du produit de disposition servira à rembourser les emprunts garantis par une hypothèque de premier rang à l'égard des biens. La fondation se retrouvera avec une somme d'argent représentant le montant du prix d'achat payé par la Callahan Construction moins les montants requis pour rembourser les emprunts garantis par une hypothèque de premier rang.

7. Avant le 10 novembre 1992, la fondation pourrait vouloir rembourser la dette envers la Banque pour ne plus avoir à payer d'intérêts à la Banque. À cette fin, on pourrait faire en sorte que la Jabs Construction prête de l'argent à la fondation avant le 10 novembre sur les sommes précédemment prêtées à la Jabs Construction par la fondation. Ou encore, Eric pourrait envisager de réduire le solde de son prêt d'actionnaire à la Jabs Construction et de prêter cet argent à la fondation pour que celle-ci puisse rembourser partiellement la Banque. Nous croyons comprendre que ce solde n'est pas assez important pour financer suffisamment la fondation pour qu'elle rembourse la dette totale de 3 000 000 $ envers la Banque. Nous croyons également comprendre que tout bien pouvant être acheté à la Callahan Construction sera acheté par la Jabs Construction, si bien que cette dernière pourra avoir besoin de liquidités et ne pas être en mesure de rembourser le prêt d'actionnaire d'Eric ou de prêter l'argent à la fondation.

La fondation pourrait par ailleurs être disposée à continuer de payer des intérêts sur la dette envers la Banque jusqu'au 10 novembre, puis rembourser cette dette avec le produit de disposition reçu de la Callahan Construction (après remboursement des emprunts garantis par une hypothèque de premier rang). Toutefois, si la conclusion de l'opération est reportée à une date postérieure au 10 novembre, la fondation continuera à devoir payer des frais d'intérêts à l'égard de la dette envers la Banque.

[20] Une fois conclue la vente à la Callahan, la Felsen a prêté le produit de disposition à l'appelante à un taux d'intérêt supérieur à ce qu'elle aurait pu obtenir en déposant l'argent à la banque. D'après ce que révèle la preuve — et ceci n'est d'ailleurs pas contesté —, les fonds ont été utilisés dans l'entreprise de l'appelante. L'appelante a payé ou devait payer les intérêts suivants à la Felsen pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 :

1993 48 155 $

1994 663 893 $

1995 771 599 $

[21] Un des points en litige en l'espèce tient à la déductibilité de ces sommes.

[22] Grâce au don qui lui a été fait, la Felsen a pu affecter beaucoup plus d'argent à l'exercice de la vaste gamme d'activités de bienfaisance qu'elle mène dans le monde entier.

[23] Le ministre a établi des cotisations d'impôt de la manière énoncée au début des présents motifs, en prenant comme hypothèse que le transfert à la Felsen n'était pas valide, que le gain en capital sur la vente à la Callahan appartenait à l'appelante, que les intérêts payés à la Felsen n'étaient pas déductibles et que, de toute façon, l'article 245 s'appliquait. Le ministre voit toute la série d'opérations comme une forme complexe et sinistre d'évitement fiscal. Pour les raisons qui suivent, je ne vois pas les choses de cette manière. Il s'agit à mon avis d'un plan sensé, conçu avec soin, qui a été exécuté en conformité avec les dispositions expresses de la Loi et qui visait la réalisation des objectifs globaux de bienfaisance de M. et Mme Jabs.

Le transfert fait à la Felsen était-il juridiquement valide?

[24] Il n'est pas allégué que l'une quelconque des mesures qui ont été prises individuellement représentait une opération trompe-l'oeil. Ces mesures ont créé de véritables relations juridiques. Les actes de donation et les déclarations de statut de propriétaire nominal étaient valides aux fins du transfert à la Felsen de l'intérêt bénéficiaire dans les biens.

[25] Le ministre soutient que l'accord de règlement ainsi que les négociations subséquentes qui ont abouti à la détermination des 13 biens qui seraient vendus à la Callahan ont fait que cette dernière a obtenu la propriété bénéficiaire des 13 biens, de sorte que l'appelante n'avait rien à donner à la Felsen le 31 octobre 1992. Je n'accepte pas cette proposition. L'appelante a conservé la propriété bénéficiaire des biens jusqu'à ce qu'elle les donne à la Felsen. Elle aurait conservé la propriété bénéficiaire jusqu'à la date de la vente à la Callahan si elle n'avait pas disposé des biens en faveur de la Felsen. En vertu d'une convention de vente, un vendeur conserve la propriété pleine et entière du bien jusqu'à la cession du titre légal, sous réserve simplement de l'obligation de veiller à ce que l'acheteur obtienne le titre à la date de clôture. Si le vendeur n'est pas en mesure de le faire, il est passible de dommages-intérêts. La question de savoir si un acheteur a à l'égard du bien un intérêt en equity équivalant à la propriété bénéficiaire dépend de l'existence d'un contrat intégralement exécutoire. En vertu de la règle de droit applicable, qui est énoncée dans l'arrêt Semelhago v. Paramadevan, (1996) 136 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.), aux pages 10 et 11, une action en exécution intégrale ne sera pas recevable si un autre redressement est disponible [p. ex. des dommages-intérêts]. Assurément, il n'y avait rien d'unique à un groupe de biens commerciaux comme ceux qui sont en cause ici : Arbutus Garden Homes Ltd. v. Arbutus Gardens Apartments Corp., (1996) 20 B.C.L.R. (3d) 292.

[26] Dans cette affaire-là, le juge Parrett a dit, aux pages 326 et 327 :

[TRADUCTION]

Le dernier argument, qui n'est formulé qu'à l'encontre de l'action en exécution intégrale, c'est que des dommages-intérêts représentent en l'espèce un redressement approprié et qu'une exécution intégrale ne devrait donc pas être ordonnée.

Le redressement consistant en une exécution intégrale, soit un redressement reconnu en equity, se fondait historiquement sur un concept reconnaissant à un bien-fonds une valeur unique. En l'état actuel du droit, toutefois, on reconnaît que, lorsque le bien-fonds en cause n'est acheté qu'à des fins d'investissement, la “ qualité unique ” envisagée par le droit est absente, et des dommages-intérêts constituent un redressement approprié. Voir les jugements suivants : McNabb v. Smith, (1981) 30 B.C.L.R. 37, à la p. 41, conf. par (1982) 44 B.C.L.R. 295 (C.A.); Zalaudek v. De Boer, (1981) 33 B.C.L.R. 57, à la p. 65 (C.S.) et Chaulk v. Fairview Construction Ltd., (1977) 3 R.P.R. 116, à la p. 122 (C.A. de T.-N.).

L'exécution intégrale représente une mesure de redressement discrétionnaire, et la tendance moderne semble se fonder sur une façon d'exercer ce pouvoir discrétionnaire qui soit juste et équitable dans les circonstances de l'affaire considérée, selon un point de vue plus moderne et plus souple quant au caractère “ unique ” d'un bien-fonds.

Dans la présente espèce, la thèse avancée par la demanderesse est traditionnelle en ce sens que celle-ci allègue que le bien d'Arbutus Gardens est unique en son genre et que c'est “ un des complexes les plus beaux et les mieux situés de Vancouver ”.

Bien que ce puisse être vrai, l'allégation ne tient pas compte de la réalité de la situation ni de la position de la demanderesse dans le présent litige. La demanderesse entendait procéder à une prévente d'appartements faisant partie du bien avant la date de clôture. Son intention, clairement exprimée dans l'affidavit de M. Skalbania, était de faire en sorte que tous les appartements aient été vendus avant que le titre sur le bien lui soit cédé. Ce bien n'a jamais été unique pour elle, si ce n'est dans le contexte d'une occasion d'investissement. Non seulement des dommages-intérêts sont susceptibles d'être calculés dans la présente espèce, mais on a déjà laissé entendre que l'on présenterait de tels calculs.

C'est exactement ce genre de cas qui est à l'origine de la tendance récente que l'on constate dans ces types de causes. Dans la présente espèce, il est clair, compte tenu de toutes les circonstances, que des dommages-intérêts constituent un redressement tout à fait approprié.

[27] Il est inexact de dire que, du simple fait des procédures complexes qui étaient prévues dans l'accord de règlement et qui ont donné lieu à la détermination des 13 biens devant lui être vendus, la Callahan devenait le propriétaire bénéficiaire ou le propriétaire en equity ou que cela empêchait en droit que ces biens soient donnés à la Felsen.

[28] L'intimée se fonde sur l'affaire The Queen v. Paxton, 97 DTC 5012 (C.A.F.), dans laquelle il a été statué qu'une vente préexistante d'actions à un acheteur empêchait une “ vente ” aux enfants du contribuable. Telle n'est pas la situation ici. Tout ce que nous avons, c'est un accord de règlement en vertu duquel les parties ont convenu de négocier une façon de diviser un certain nombre de biens formant un groupe important détenu conjointement et ont ensuite déterminé quels biens seraient vendus et à qui. Il est à mon avis tout à fait erroné de dire que, le 31 octobre 1992, la Callahan avait acquis un intérêt bénéficiaire dans l'intérêt de 50 p. 100 de l'appelante dans les biens que la Callahan a au bout du compte acquis de la Felsen. Jusqu'à ce que les biens devant être vendus à la Callahan soient déterminés, on ne pouvait établir quels biens devaient être donnés à la Felsen.

[29] Au 31 octobre 1992, les parties n'avaient même pas encore conclu une convention d'achat-vente. Elles en étaient à peu près à la fin d'une négociation, compliquée et acrimonieuse, menée en vertu de l'accord de règlement et avaient déterminé quels biens seraient vendus. Toutefois, comme l'a fait remarquer M. Jabs, la situation était fluide et, jusqu'à la fin, M. Callahan n'a cessé de proposer des changements.

[30] L'intimée avance d'autres arguments à l'appui de l'allégation selon laquelle le don n'était pas juridiquement valide. L'avocat de l'intimée fait valoir au paragraphe 31 de ses observations écrites que l'appelante voulait [TRADUCTION] “ seulement transférer à la fondation Felsen le gain en capital tiré de la disposition des 13 biens et s'attendait à recouvrer les frais, pour elle, de ces biens ”.

[31] Les termes [TRADUCTION] “ seulement transférer à la fondation Felsen le gain en capital [...] ” sont, je pense, susceptibles d'être mal interprétés. L'expression “ gain en capital ” correspond à un concept fiscal. Un gain en capital n'est pas quelque chose qui peut être transféré. Ce qui est transféré, c'est un bien dont la disposition donne lieu à un gain en capital. L'emploi d'une brève expression décrivant le résultat économique visé est considéré par l'intimée en un sens plus large que cela n'est justifié. Lorsque la Loi permet le transfert d'un bien à une autre entité au PBR du bien et que celui-ci est ensuite vendu à profit, en un sens on pourrait dire que le gain en capital est “ transféré ” au cessionnaire, mais cela ne décrit pas la réalité juridique.

[32] L'avocat soutient en outre que, sur le produit de disposition net de 12 911 291 $ (17 745 000 $ moins les 4 833 709 $ représentant les hypothèques), 3 472 042,08 $ ont été reçus comme somme due à l'appelante par la Felsen. Cette somme figure dans un registre comptable de l'appelante, sous la rubrique [TRADUCTION] “ Jabs Construction Ltd., C/D — Autre ” [C/D signifie, je présume, comptes débiteurs]. D'après la pièce R-67, on est arrivé à cette somme comme suit :

Montant visé par un choix 8 335 750,68 $

Moins hypothèques 4 833 708,60 $

Donations 30 000,00 $

3 472 042,08 $

[33] La date du document (pièce R-67) est le 21 septembre 1993, et le document prétend décrire la situation au 31 mai 1993. Je ne suis pas disposé à considérer ces écritures comptables comme reflétant la véritable relation juridique entre l'appelante et la Felsen. Des écritures comptables sont censées refléter la réalité et non pas créer la réalité (Ed Sinclair Construction & Supplies Ltd. et al. v. M.N.R., 92 DTC 1163; Gresham Life Society v. Bishop, (1902) 4 T.C. 464, à la p. 476).

[34] L'intimée fait valoir qu'un montant de seulement 9 230 534 $ a été inscrit comme dû par l'appelante à la Felsen. Ce montant figure à la pièce R-70, soit un document appelé [TRADUCTION] “ Commentaires sur les états financiers provisoires (ébauche) du 31 janvier 1993 ”. Ce document se rapporte non pas à l'appelante mais à la Felsen et est daté du 28 juin 1993. Il indique un produit de vente brut de 17 345 000 $ (excluant la vente du bien Cargo pour 400 000 $ qui a eu lieu plus tard), moins les hypothèques de 4 833 709 $, soit un produit de disposition net de 12 511 291 $. À cela est ajouté un don de 20 000 $, des intérêts sur 3 293 000 $ et 9 192 636 $, d'autres revenus, pour un montant de 200 130 $, et le remboursement d'avances en espèces de 285 000 $ et de 3 573 000 $, soit au total 16 637 576 $. Sont déduits de cela 7 407 042 $, soit un montant représentant des sommes dues à l'appelante, y compris les 3 000 000 $ que l'appelante avait prêtés à la Felsen le 15 novembre 1992. (Il ne pouvait s'agir des 3 000 000 $ que la Felsen avait prêtés à l'appelante, car cela avait disparu lors de la “ confusion ”.) Cela incluait aussi les 3 472 042 $ mentionnés ci-dessus, soit le montant visé par un choix moins les hypothèques et une donation.

[35] C'est ici que ressort clairement le manque de fiabilité des registres comptables. Le montant “ indiqué ” aux fins du paragraphe 110.1(3) de la Loi n'a absolument rien à voir avec la réalité commerciale de la situation. L'appelante a donné à la Felsen des biens d'une valeur nette de 12 911 291 $, soit une juste valeur marchande de 17 745 000 $ moins les charges de 4 833 709 $ grevant les biens. Telle est la valeur commerciale du don. La Loi permet à une société donatrice d'“ indiquer ” un montant moindre se situant entre le PBR et la juste valeur marchande. De quelque manière, les comptables ont mêlé la comptabilité financière avec le produit de disposition réputé et la juste valeur marchande réputée en vertu de la Loi, ce qui a faussé les comptes. Il n'est pas étonnant que les écritures comptables soient incompréhensibles, que les comptables aient eu à admettre des erreurs (pièce R-64, paragraphe 15) et que l'intimée ait tiré des comptes des conclusions intéressantes mais non étayées. En outre, d'après l'intimée, on ne voyait pas tout à fait clairement si le prêt de 3 000 000 $ à l'appelante avait été remboursé ou si cette dette avait été éteinte. Je ne trouve pas que la preuve comptable est fiable, y compris la preuve documentaire présentée par l'intimée. Je base mes conclusions de fait sur les autres documents qui ont été déposés et sur les témoignages de M. Jabs et de M. Blake Bromley.

[36] Je conclus que la Felsen a emprunté 3 000 000 $ à la banque et a prêté à l'appelante cet argent ainsi qu'une somme supplémentaire de 293 000 $, soit des sommes garanties par des hypothèques, et que l'appelante a fait don des 13 biens à la Felsen, sous réserve des hypothèques de la banque ainsi que des hypothèques reconnues en equity, ces dernières ayant disparu au moment de la “ confusion ”. L'appelante a prêté 3 000 000 $ à la Felsen le 15 novembre 1992, et la Felsen a utilisé cet argent pour rembourser l'emprunt fait à la banque. Lorsque les biens ont été vendus par l'appelante en sa qualité de propriétaire nominal et de fiduciaire de la Felsen, cette dernière est devenue le propriétaire bénéficiaire du produit de disposition, qui a été utilisé en partie pour rembourser les 4 833 709 $ représentant les hypothèques et en partie pour rembourser le prêt de 3 000 000 $ que lui avait consenti l'appelante. Le reste, ou une bonne partie du reste, était prêté à l'appelante au taux de 7 p. 100 ou au taux prescrit, fixé par Revenu Canada, selon le plus élevé des deux.

[37] Tels sont les faits objectifs qui ont été établis en preuve, et il est regrettable que les écritures comptables aient embrouillé la situation.

[38] L'intimée avance deux autres arguments. Premièrement, elle soutient qu'il y a eu non pas une donation mais plutôt un transfert moyennant contrepartie. La preuve n'étaye tout simplement pas cette thèse. Les actes de donation ne font état d'aucune contrepartie, et je ne puis accepter que l'extinction de la dette de 3 293 000 $ au moment du transfert des biens à la Felsen constituait, en raison de la doctrine de la confusion, une contrepartie au sens généralement attribué à ce terme[4]. L'extinction de la dette n'était pas le prix exigé pour la donation. C'était simplement le résultat juridique du transfert à la Felsen des biens assujettis aux hypothèques reconnues en equity.

[39] Deuxièmement, l'intimée soutient que la donation était assujettie à une condition qui n'a pas été remplie, vu les termes suivants de l'acte de donation :

[TRADUCTION]

[...] sous réserve que la fondation délivre ensuite un reçu contenant les renseignements prescrits et faisant état du montant “ indiqué ” et sous réserve que le ministre du Revenu national accepte le reçu comme attestant qu'un don de bienfaisance au sens de l'alinéa 110.1(1)a) de la Loi a été fait à la date mentionnée dans le reçu et que le ministre accepte le montant “ indiqué ” comme étant le produit de disposition réputé du bien-fonds, pour la compagnie, en vertu du paragraphe 110.1(3).

[40] Je conclus sur la foi de la preuve que de tels reçus ont été faits. Il est vrai toutefois que le ministre n'a rien accepté de l'opération, y compris la donation proprement dite, les reçus et les montants “ indiqués ” en vertu du paragraphe 110.1(3). Sans entrer dans les détails quant à la signification un peu floue des termes “ sous réserve ” — dont l'incidence peut différer selon le contexte —, je dirais en bref que, si j'admets cet appel, le ministre n'a d'autre choix que d'accepter la validité du don de bienfaisance ainsi que le montant qui a été “ indiqué ” en vertu du paragraphe 110.1(3).

[41] Donc, il y a eu donation valide, à la Felsen, du droit de propriété sur les 13 biens appartenant à l'appelante.

DGAE

[42] Comme cela a déjà été dit[5], la disposition générale anti-évitement (DGAE) contenue à l'article 245 est une mesure de dernier recours, devant être appliquée si tout le reste fait défaut. Elle ne peut être appliquée que si, par ailleurs, un plan d'évitement fiscal fonctionne. Il n'est pas nécessaire de l'appliquer si le plan est par ailleurs défectueux.

[43] L'article 245 se lit comme suit :

(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

“ attribut fiscal ” — “ attribut fiscal ” S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

“ avantage fiscal ” — “ avantage fiscal ” Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

“ opération ” — “ opération ” Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

(2) En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

(3) L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble — compte non tenu du présent article — n'est pas visée par le paragraphe (2).

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement :

a) toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d'un revenu, d'une perte ou d'un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d'un paiement ou d'un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

(6) Dans les 180 jours suivant la mise à la poste d'un avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire, envoyé à une personne, qui tient compte du paragraphe (2) en ce qui concerne une opération, ou d'un avis concernant un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11) envoyé à une personne en ce qui concerne une opération, toute autre personne qu'une personne à laquelle un de ces avis a été envoyé a le droit de demander par écrit au ministre d'établir à son égard une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire en application du paragraphe (2) ou de déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11) en ce qui concerne l'opération.

(7) Malgré les autres dispositions de la présente loi, les attributs fiscaux d'une personne, par suite de l'application du présent article, ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire ou que par avis d'un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11), compte tenu du présent article.

(8) Sur réception d'une demande présentée par une personne conformément au paragraphe (6), le ministre doit, dès que possible, après avoir examiné la demande et malgré le paragraphe 152(4), établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ou déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11), en se fondant sur la demande. Toutefois, une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ne peut être établie, ni un montant déterminé, en application du présent paragraphe que s'il est raisonnable de considérer qu'ils concernent l'opération visée au paragraphe (6).

[44] Le raisonnement qui sous-tend l'application de l'article 245 aux opérations de l'appelante est énoncé dans un mémoire du 5 juin 1995 adressé par la section d'évitement fiscal du bureau de services d'impôt de l'Intérieur sud de C.-B. à la Division de l'évitement fiscal et des recommandations de modifications législatives de l'administration centrale.

[45] Les paragraphes formant la conclusion se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

Points en litige

Les biens immobiliers ont été transférés de telle manière que les gains en capital correspondants ont été indiqués dans le revenu d'une entité non imposable ainsi que dans la déclaration d'impôt de cette entité plutôt que dans le revenu et la déclaration d'impôt de la corporation. Néanmoins, l'argent provenant de ces gains en capital était de toute manière disponible pour la corporation en vertu de modalités de prêt très imprécises et très généreuses.

De plus, la corporation imposable engage maintenant des frais d'intérêts importants sur les fonds pour compenser son revenu imposable actuel et futur.

Application de la disposition générale anti-évitement

Il est évident que cet arrangement est une version du plan dit “ loanback ”[une personne prête de l'argent à une autre, qui le lui reprête] mentionné dans le bulletin de Claire Nelson en date du 22 novembre 1994, dans lequel Mme Nelson recommandait que tout plan semblable soit soumis aux services d'évitement aux fins de l'examen de la disposition générale anti-évitement.

L'avantage fiscal et l'opération d'évitement

L'avantage fiscal provenant de cet arrangement tient aux économies d'impôt que la Jabs Construction Ltd. réaliserait en n'ayant pas à déclarer les gains en capital imposables à l'égard de la disposition de son intérêt dans les biens immobiliers au profit de la Callahan Construction Company Ltd. Le gain en capital correspondrait à l'emprunt de la Jabs Construction à la fondation Felsen (10 004 470 $). Ainsi, l'impôt serait d'environ 2 885 000 $.

L'“ opération d'évitement ”, ce serait la série d'opérations par laquelle la Jabs Construction a transféré les biens immobiliers à la fondation Felsen au-dessous de la juste valeur marchande des biens, après s'être entendue avec la Callahan Construction pour transférer les biens à cette compagnie; la Jabs Construction a ensuite fait en sorte que la fondation vende les biens à la Callahan Construction, puis que la fondation reprête l'argent à la Jabs Construction.

Usage abusif de la Loi

La Loi vise clairement à ce que les gains en capital sur la disposition d'un intérêt d'un contribuable dans des biens en immobilisation soient imposés pour l'année dans laquelle il y a eu disposition (articles 38 et 39 et, évidemment, alinéa 3b)). En outre, la Loi permet clairement de déduire du revenu des dons d'une corporation à un organisme de bienfaisance enregistré pour l'année (ou les cinq années précédentes) dans laquelle le don a été fait (sous-alinéa 110.1(1)a)(i)). Les tribunaux ont déterminé que, pour constituer un don à de tels organismes, il doit être établi que le bien transféré “ l'a été volontairement et non en raison d'une obligation contractuelle d'effectuer ce transfert et qu'aucun avantage de nature matérielle n'a été reçu par le cédant en contrepartie de ce transfert ” (The Queen v. Burns, 88 DTC 6101).

Dans le cas qui nous occupe, la contribuable a généré des gains en capital sur la disposition des biens immobiliers aux termes d'une convention entre elle et un tiers. Elle a légalement structuré les dispositions de manière à éviter ces gains correspondants. En fait, les fonds lui ont été versés, mais ils ont alors été qualifiés de produits de prêt plutôt que de produits de disposition. L'actionnaire dominant de la Jabs Construction a toujours contrôlé la fondation Felsen. Eric Jabs pouvait déterminer quand et comment ces fonds de prêt seraient remboursés. De plus, l'arrangement conclu a donné lieu à une situation dans laquelle la corporation pouvait déduire des frais d'intérêts sur les fonds “ empruntés ” à la fondation et manifestement utilisés dans son entreprise; en même temps, le bénéficiaire des intérêts était exonéré d'impôt.

Attributs fiscaux raisonnables

On estime que le plan a permis d'économiser ou du moins de reporter environ 2 885 000 $ d'impôt fédéral.

Examen du facteur “ temps ”

Toutes les opérations ont eu lieu bien après 1988; les dispositions de l'article 245 pourraient être appliquées.

[46] L'application de cet article exige qu'il y ait une opération d'évitement, soit une opération donnant lieu à un “ avantage fiscal ” au sens de la définition de cette expression. Il est vrai que, par suite de la donation à la Felsen, l'appelante n'a pas eu à payer d'impôt sur le gain en capital qu'elle aurait réalisé si elle avait vendu les biens elle-même à la Callahan. Si tel était l'avantage fiscal sur lequel se fondait l'intimée, toute donation à un organisme de bienfaisance selon un montant “ indiqué ” inférieur à la juste valeur marchande en vertu du paragraphe 110.1(3) serait une opération d'évitement. De telles donations sont toutefois précisément ce qu'envisage le paragraphe 110.1(3). Je ne vois pas comment l'utilisation d'une disposition expresse de la Loi permettant de mitiger les attributs fiscaux d'un don de bienfaisance peut, même en faisant un effort d'imagination, être considérée comme un abus dans l'application des dispositions de la Loi au sens du paragraphe 245(4). Il s'agit là simplement d'une utilisation d'une disposition de la Loi aux fins visées — et non d'un abus.

[47] Le fait que le produit de disposition ait été prêté à l'appelante par la Felsen à un taux d'intérêt avantageux transforme-t-il en opération d'évitement ce qui n'est manifestement pas une telle opération? Encore là, le fait que de l'argent soit prêté par une fondation privée à des personnes avec qui la fondation a un lien de dépendance est expressément prévu à l'article 189 de la Loi, qui, pour l'essentiel, pénalise une personne ayant un lien de dépendance qui a emprunté de l'argent à une fondation privée dans la mesure où les intérêts payés sur la dette sont inférieurs au taux prescrit. J'accepte le témoignage de M. Jabs selon lequel ce dernier croyait que le fait de prêter l'argent à l'appelante était un investissement prudent pour la Felsen et assurait un taux meilleur que ce qui aurait pu être obtenu ailleurs et que cela était moins sujet aux variations du marché des valeurs mobilières.

[48] Je ne vois rien d'autre dans toute la série d'opérations qui pourrait justifier qu'il s'agit d'opérations d'évitement, que les opérations en cause soient considérées ensemble ou séparément. Je n'aurais jamais cru que de telles opérations seraient attaquées en vertu de l'article 245. L'article 245 est une sanction extrême. Cela ne doit pas être utilisé de façon routinière chaque fois que le ministre est mécontent du simple fait qu'un contribuable structure une opération d'une manière fiscalement efficace ou ne structure pas une opération d'une manière qui optimalise l'impôt.

[49] Les appels des cotisations pour les années d'imposition de l'appelante 1993, 1994 et 1995 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux présents motifs et compte tenu expressément de ce qui suit :

a) le transfert des 13 biens à la Felsen est un don de bienfaisance valide ayant un effet juridique, et le produit de disposition tient aux sommes qui ont été “ indiquées ” par l'appelante;

b) la vente des 13 biens à la Callahan constituait une vente, par la Felsen, de son intérêt bénéficiaire dans ces biens donnant lieu à un gain en capital entre les mains de la Felsen et non entre les mains de l'appelante;

c) les intérêts payés ou dus par l'appelante, soit des montants de 48 155 $, de 663 893 $ et de 711 599 $, pour ses années d'imposition 1993, 1994 et 1995 à l'égard des prêts qui lui avaient été consentis par la Felsen sont déductibles par l'appelante dans le calcul de son revenu conformément à l'alinéa 20(1)c) de la Loi;

d) la série d'opérations en cause dans la présente espèce n'est pas assimilable à des opérations d'évitement au sens de l'article 245 de la Loi.

[50] L'appelante a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 1999.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de février 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               Cela n'est pas tout à fait exact. Le montant indiqué représentait environ 200 000 $ de plus que le PBR pour l'appelante, de sorte que l'appelante devenait assujettie à de l'impôt sur un gain en capital de ce montant.

[2]                L'appelante utilise l'expression anglaise “ equitable mortgage ” (hypothèque reconnue en equity). Je ne suis pas sûr que j'aurais utilisé cette expression. Dans mon esprit, cela a toujours désigné une garantie hypothécaire créée simplement par une livraison d'actes-titres. Ce que nous avons ici, ce sont des documents sous la forme d'actes hypothécaires, utilisant la formulation habituelle d'actes hypothécaires, qui ne sont pas enregistrés au bureau des titres de biens-fonds. Il s'agit évidemment d'hypothèques de second rang, car c'est la banque qui détient les hypothèques de premier rang. En ce sens, ce sont des hypothèques reconnues en equity, car elles grèvent le droit de rachat du débiteur hypothécaire. Comme l'avocat de l'appelante emploie cette expression, je l'utiliserai également.

[3]               On n'a présenté aucun argument sur la question de savoir si l'extinction de la sûreté à l'égard des biens-fonds (soit les hypothèques) avait pour effet en vertu des règles de droit de la Colombie-Britannique de libérer l'appelante de ses obligations relatives à l'engagement contracté, et je n'entends pas examiner cette question davantage.

[4]                               Chitty on Contracts, 26e éd., p. 112, par. 161; Cheshire and Fifoot, Law of Contract, 8e éd., p. 61. La définition classique du mot anglais “ consideration ” (contrepartie) est énoncée par lord Dunedin dans l'affaire Dunlop Pneumatic Tyre Company, Limited v. Selfridge and Company, Limited, [1915] A.C. 847, à la p. 855 :

[TRADUCTION]

                Messieurs les juges, c'est avec plaisir que j'adopte les propos suivants quant à savoir ce qu'est une contrepartie, soit des propos extraits d'un ouvrage de sir Frederick Pollock qui m'a souvent été utile : [TRADUCTION] “ Correspondant à un acte ou à une renonciation de la part d'une partie ou à la promesse quant à cet acte ou à cette renonciation, il s'agit du prix auquel est achetée la promesse de l'autre partie, et la promesse ainsi donnée contre valeur est exécutoire. ” (Pollock on Contracts, 8e éd., p. 175.)

[5]               RMM Canadian Enterprises Inc. v. R., [1998] 1 C.T.C. 2300.

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