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Date: 19981027

Dossier: 96-2305-UI

ENTRE :

HORTENSE LEMIEUX,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LES INDUSTRIES D.M.S. INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Chicoutimi (Québec), le 8 octobre 1998.

[2] Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), en date du 8 octobre 1996, déterminant que l'emploi de l'appelante chez l'intervenante, la payeuse, du 17 mai au 18 décembre 1993 et du 1er juillet au 23 décembre 1995, n'était pas assurable parce que c'était un emploi où l'employée et l'employeure avaient entre elles un lien de dépendance.

[3] Le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel se lit ainsi :

« 5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est basé, notamment, sur les faits suivants:

a) le payeur se spécialise dans la soudure industrielle; il fait aussi de l'usinage et de la réparation; (A)

b) depuis le 15 décembre 1990, le capital-actions du payeur est réparti comme suit :

Mario Gilbert, conjoint de l'appelante, 65 %

l'appelante, 35 %; (A)

c) Mario Gilbert était président du payeur; (A)

d) du 12 novembre 1992 au 2 décembre 1993, l'appelante était secrétaire du payeur, et après le 2 décembre 1993, l'appelante était vice-présidente; (NTQR)

e) les deux conjoints signaient les chèques du payeur; (A)

f) l'appelante s'occupait de la tenue de livres et de différentes activités administratives du payeur; (ASAP)

g) en 1993, la tenue de livres prenait de 50 à 60 % de son temps, et en 1995, la proportion de temps consacrée à la tenue de livres avait augmenté à environ 90 %; (NTQR)

h) l'appelante était la seule employée de bureau, et pouvait fixer ses heures de travail selon ses besoins; (N)

i) elle recevait un salaire fixe de 410 $ brut par semaine; (ASAP)

j) elle pouvait utiliser l'auto du payeur pour son travail et pour ses besoins personnels; (NTQR)

k) elle prétend avoir été mise à pied le 18 décembre 1993 dû à un manque de travail; (A)

l) le chiffre d'affaires du payeur augmente continuellement à chaque année; (NTQR)

m) entre les deux périodes en litige, l'appelante a présumément travaillé bénévolement; (N)

n) du 1er janvier au 30 juin 1995, le payeur lui a versé des sommes hebdomadaires de 325 $, qu'il a comptabilisées comme un remboursement de mise de fonds; (A)

o) l'appelante n'avait rien payé pour ses actions, et n'avait jamais prêté d'argent au payeur; (NTQR)

p) il n'est pas raisonnable de conclure dans ces circonstances, que le contrat de travail de l'appelante aurait été à peu près semblable si elle n'avait pas eu de lien de dépendance avec le payeur. » (N)

[4] La Réponse à l'avis d'intervention est au même effet.

[5] Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires de la procureure de l'appelante et de l'intervenante à l'ouverture de l'audience :

(A) = admis

(ASAP) = admis sauf à parfaire

(N) = nié

(NTQR) = nié tel que rédigé

[6] Dans son avis d'appel, l'appelante avait allégué que la décision entreprise violait la « Loi canadienne sur les droits de la personne » .

[7] En conséquence, au début de l'audience, la Cour a demandé à sa procureure si elle s'était conformée à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale se lisant ainsi en son alinéa (1) :

« 57.(1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2). »

[8] Elle a répondu par la négative mais elle a ajouté que l'appelante et l'intervenante n'invoqueraient plus cet argument.

La preuve de l'appelante

Selon Johanne Gravel, commis comptable :

[9] Elle exploite un bureau de comptabilité informatisé pour les petites et les moyennes entreprises : elle oeuvre ainsi en collaboration avec un comptable agréé qui lui a référé la payeuse.

[10] Au départ elle se rendait au bureau de celle-ci le mardi ou le mercredi, y prenait les papiers nécessaires à sa comptabilité et les rapportait le vendredi suivant.

[11] Elle « formait » ainsi l'appelante et faisait au besoin les changements nécessaires aux documents comptables que celle-ci avait préparés.

[12] Par après l'intervenante s'est acheté un logiciel, elle a montré à l'appelante comment s'en servir de sorte que celle-ci en faisait plus avec ce résultat qu'elle n'avait plus qu'à aller faire la balance de vérification au bureau de la payeuse.

[13] Au début elle faisait elle-même les paies de l'intervenante, mais avec le temps l'appelante a pu s'en occuper elle-même.

[14] Elle avait vérifié avec le bureau de l'assurance-chômage si l'emploi de l'appelante pouvait être assurable et avait reçu une réponse affirmative.

[15] Par manque d'expérience elle n'a cependant pas pris le nom de la personne qui lui avait donné cette information.

Selon l'appelante :

[16] Elle a déjà été enseignante et par après elle a étudié la tenue de livres et l'initiation à la comptabilité au C.E.G.E.P. de Chicoutimi où elle a obtenu une attestation de cours (pièce A-1) le 26 juin 1986.

[17] Elle a déjà aussi fait du bénévolat à un service de préparation au mariage.

[18] Elle s'est mariée en 1963 et a commencé à travailler pour l'intervenante en septembre 1988 alors que celle-ci a été constituée en corporation.

[19] C'est Johanne Gravel qui a alors continué à l'initier à la comptabilité à titre de secrétaire administrative.

[20] Au début, elle s'occupait du téléphone, de la préparation des chèques, des factures et des états de compte : elle faisait alors les entrées à la main et Johanne Gravel les informatisait ensuite.

[21] Au bureau, situé à l'extérieur de la maison, elle oeuvrait de 8 h 30 à 12 h et de 13 h à 16 h 30.

[22] Elle y recevait les clients, faisait les achats des fournitures nécessaires et s'occupait de la photocopieuse ainsi que de la collection en allant même au besoin chercher les chèques des clients : elle oeuvrait aux affaires de banque et faisait les commissions.

[23] Elle avait congé les jours fériés et prenait des vacances en été quand il n'y avait pas beaucoup de travail.

[24] À l'atelier il y avait des soudeurs et des machinistes qui oeuvraient avec son mari qui s'occupait, lui, des achats nécessaires à la production.

[25] Au besoin elle expliquait aux employés leurs chèques de paie.

[26] Quand c'était nécessaire son mari et elle « mettaient » de l'argent dans la payeuse via leur compte conjoint : l'entreprise les remboursait ensuite : dans les « balances de vérification » cumulatives et les journaux généraux (pièce A-2) ces avances à la compagnie sont indiquées sous la rubrique « Dû à un actionnaire » .

[27] D'autres documents comptables (pièce A-3) font voir qu'un dépôt de 5 000 $ a été fait au compte de banque de la payeuse le 24 septembre 1992; il est inscrit également sous la rubrique « Dû à un actionnaire » ; cette somme provenait également de ce compte conjoint.

[28] D'autres tels documents (pièce A-4) montrent, le 19 décembre 1996, l'entrée suivante « Mise de fonds Hortense 5 000 $ » et cette somme provenait de son compte « Épargne Stable » .

[29] Les états financiers (pièce A-5) de l'exercice terminé le 31 août 1993 indiquent un déficit de 13 347 $ et font voir qu'en 1992 il était de 30 546 $.

[30] Ces années là ont été très difficiles et son mari a dû emprunter 40 000 $ par hypothèque (pièce A-6) sur sa maison pour relancer l'entreprise : elle a dû, intervenir à l'acte de prêt à titre de caution conjointe et solidaire.

[31] Lorsqu'elle recevait des prestations d'assurance-chômage elle oeuvrait quand même au bureau mais le faisait seulement cinq heures par semaine et elle les déclarait à l'assurance-chômage : elle l'a bien d'ailleurs expliqué à l'enquêteur qui est allé la rencontrer sur le sujet.

[32] Il y avait alors moins de travail à l'atelier; son mari pouvait répondre au téléphone et préparer la facturation qu'elle n'avait qu'à mettre au propre ensuite : pour préparer une facture, il faut en effet « ramasser » plusieurs documents et alors elle n'avait pas à le faire comme au préalable.

[33] Ses relevés d'emploi (pièce A-7) correspondent bien aux périodes en litige et font voir que c'est à cause de manque de travail qu'ils ont été émis.

[34] Elle a repris le travail à plein temps le 1er janvier 1995 mais jusqu'au 30 juin suivant elle n'était pas sur la liste de paie et recevait plutôt des remboursements d'avances de 325 $ par semaine : il y avait alors plus de contrats et en conséquence, plus de travail.

[35] Lorsqu'elle était sur le chômage, elle a cherché de l'emploi à temps partiel mais n'a pu en trouver.

[36] La voiture de promenade au nom de la compagnie-payeuse sert à son mari pour aller rencontrer les clients : ils n'ont pas d'autre telle voiture.

[37] De 1988 à 1993 elle a toujours été sur la liste de paie et son salaire de 410 $ par semaine lui a toujours été payé.

[38] Après sa première mise à pied, c'était la première fois qu'elle recevait des prestations d'assurance-chômage.

[39] Une jeune fille, Sandra Coulombe, a aussi travaillé à la réception et l'historique de la paie (pièce A-8) fait voir que son salaire brut a été de 1 484 $ : elle allait la remplacer au besoin lorsque pendant ses cinq heures de travail par semaine elle devait s'absenter : dans les autres 30 heures de la semaine, c'est son mari qui s'occupait du bureau.

[40] En 1997, il y avait également une autre employée qui allait la remplacer lorsqu'elle devait s'absenter.

[41] Avant l'arrivée de l'informatique sur place elle consacrait bien la moitié de son temps à la comptabilité.

[42] Maintenant Johanne Gravel ne va plus au bureau qu'une fois par année pour voir s'il n'y a pas d'erreurs : au besoin elle la consulte par téléphone cependant.

[43] Même avec l'informatique la comptabilité prend maintenant presque tout son temps.

[44] En 1994, elle a reçu des prestations d'assurance-chômage pendant presque toute l'année.

[45] Les états financiers au 31 août 1994 et 1995 (pièce I-1) font voir que le chiffre d'affaires de la payeuse a augmenté de 262 461 $ à 268 267 $ de 1994 à 1995 alors que l'avoir des actionnaires a augmenté, lui, de 2 187 $ à 24 586 $ au cours de la même période.

[46] Ils démontrent aussi que le capital-actions est de 15 000 $.

[47] Ses actions lui ont été cédées par son mari.

[48] Ces états (pièce I-1) font aussi voir que du 31 août 1993 au 31 août 1994, les revenus de la payeuse ont augmenté de 221 394 $ à 262 461 $.

[49] Des efforts ont été faits pour redresser l'entreprise et c'est pour cela qu'elle a été mise sur le chômage étant donné qu'elle n'était pas dans la production.

[50] Quand elle était sur le chômage elle avait peu besoin de Sandra Coulombe mais les affaires ont augmenté ensuite et le travail de bureau également.

Selon Mario Gilbert :

[51] Lors de l'incorporation de la payeuse, celle-ci n'avait pas de carnet de commandes mais il fallait quand même quelqu'un pour répondre au téléphone, pour recevoir les clients, pour commander le matériel de bureau et pour s'occuper de la comptabilité; si son épouse n'avait pas été là et disponible il lui aurait fallu trouver une autre employée pour ce faire.

[52] Lui, il s'occupait de faire de la sollicitation de clients, d'aller prendre les mesures sur place et de faire des soumissions chez les clients.

[53] Au départ, la payeuse avait un camion et une voiture de promenade : l'appelante se servait de cette automobile pour aller faire les dépôts bancaires et, lui, pour aller faire des soumissions.

[54] Les deux s'en servaient aussi à leurs fins personnelles évidemment; la payeuse a maintenant un autre camion.

[55] Pour ses vacances, l'appelante dépendait de lui mais ils s'organisaient pour les prendre ensemble en tenant compte des contrats à effectuer.

[56] L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon la procureure de l'appelante et de l'intervenante :

[57] Les témoins sont de bonne foi et le travail de l'appelante était nécessaire pour la bonne marche de l'entreprise.

[58] L'appelante avait été enseignante et elle a ensuite pris des cours de comptabilité pour bien servir la payeuse.

[59] Des difficultés financiers sont arrivées et elle a dû être mise à pied : si elle n'avait pas été là, une autre employée aurait dû être engagée à sa place et il est probable que celle-ci aurait dû être mise à pied aussi à un moment donné.

[60] L'appelante n'avait aucun pouvoir décisionnel et c'est son mari qui décidait de tout sauf pour l'achat de la papeterie de bureau : elle avait un horaire fixe de travail et les outils nécessaires à son emploi lui étaient fournis par la payeuse.

[61] Dans Johanne Caron et al. et M.R.N. (92-1056(UI) et 92-1248(UI)), l'honorable juge Tremblay de notre Cour a écrit (page 2) :

« ... Cette dernière agissait comme secrétaire. Elle prétend qu'il s'agit d'un travail réel et nécessaire au payeur, donc un emploi assurable.

L'intimé soutient que le principal travail de l'appelante consistait à répondre au téléphone chez elle et de plus qu'elle a un lien de dépendance avec le payeur... »

(page 4) :

« L'appelante qui depuis 1981 aide son époux dans ce travail, connaît bien ce métier et est à même de répondre adéquatement aux clients.

Elle s'occupe aussi de la tenue des livres de comptabilité. Elle a même obtenu un certificat attestant qu'elle a suivi un cours de tenue des livres et réussi les cinq examens avec une moyenne de plus de 86 p. cent (pièce A-1). En plus de la tenue des livres (pièce A-3), le livre des salaires (pièce A-5), le grand journal à 14 colonnes, elle s'occupe du compte de banque. Elle fait les dépôts (pièce A-2), prépare les chèques pour payer les fournisseurs (pièce A-4), elle ouvre les dossiers, elle reçoit les paiements des clients, tient compte des acomptes et s'occupe des soldes à percevoir. Le payeur lui fournit la machine à écrire, la calculatrice, le classeur. »

(page 5) :

« M. Caron dit que lui, il n'a pas d'aptitude dans les chiffres. Si son épouse tombait malade, il lui faudrait absolument une autre secrétaire au moins pour s'occuper de répondre au téléphone, recevoir les clients et tenir les livres. »

(page 7) :

« Il s'agit d'abord de savoir si l'appelante est une employée ou une travailleuse autonome ou s'il s'agit d'un emploi artificiel. Les critères établis par la doctrine et la jurisprudence pour distinguer un contrat de louage de services d'un contrat d'entreprise sont bien connus :

1 – Le degré ou l'absence de contrôle exercé sur le travail effectué;

2 – La propriété des outils nécessaires au travail;

3 – Les chances de profit ou les risques de perte;

4 – La propriété de l'entreprise;

5 – Le degré d'intégration ou d'organisation du travail effectué à l'entreprise du payeur;

6 – La rémunération.

De l'ensemble de la preuve, il ressort que le travail de l'appelante n'est pas un travail fictif mais un travail réel. La description détaillée qu'elle en a fait ne laisse aucun doute sur le travail effectué. D'ailleurs, la bonne foi et la crédibilité des témoins ne sont pas mises en doute par personne incluant la procureure de l'intimé.

De plus, la fonction exercée était absolument nécessaire pour le payeur, avec quatre compétiteurs (...) et le fait que le président du payeur travaillait de 8 h à 20 h. »

(page 8) :

« Dans ce cas-ci comme dans beaucoup de cas dans le monde du travail, en cas d'absence de contrôle direct, la subordination suffit à établir un contrat de services ... »

[62] Le travail de l'appelante aurait été le même s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance.

Selon la procureure de l'intimé :

[63] L'arrêt Procureur général du Canada et Jencan Ltd. (A-599-96) est là et la Cour n'a pas à se substituer au Ministre lorsqu'il exerce, comme en l'instance, son pouvoir discrétionnaire.

[64] À la page 14, l'honorable juge en chef de la Cour d'appel fédérale écrit en effet pour celle-ci :

« L’arrêt que notre Cour a prononcé dans l’affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu’elle est saisie d’un appel interjeté d’une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l’impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l’impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n’est que lorsqu’elle conclut que l’un des motifs d’intervention est établi que la Cour de l’impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l’expliquerons plus en détail plus loin, c’est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l’impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu’elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). »

Il écrit aussi (page 15) :

« L’article 70 confère le droit d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l’article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l’impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots « si le ministre du Revenu national est convaincu » que l’on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s’agit d’une décision rendue en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s’ensuit que la Cour de l’impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. »

et (page 17) :

« ... La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent. »

[65] Dans ce cadre, la Cour n'a absolument pas à intervenir.

[66] L'appelante a cautionné l'hypothèque sur la résidence de son mari pour renflouer la payeuse et une personne non liée ne l'aurait certes pas fait.

[67] L'appelante a eu 35 % des actions de la payeuse et ce, sans contrepartie.

[68] Johanne Gravel se rendait au début deux fois par semaine au bureau de la payeuse et l'appelante n'avait certes pas alors beaucoup de travail à y faire.

[69] L'appelante a reçu des prestations d'assurance-chômage presque tout au long de l'année 1994.

[70] Sandra Coulombe a été engagée comme réceptionniste chez la payeuse pour remplacer l'appelante qui n'y oeuvrait prétendument que cinq heures par semaine.

[71] À un moment donné, l'appelante oeuvrait à plein temps pour la payeuse en se faisant rembourser seulement ses mises de fonds dans celle-ci.

[72] Il n'est pas normal qu'avec l'arrivée de l'informatique l'appelante ait passé ses journées entières dans la comptabilité alors qu'au préalable, une demi-journée lui suffisait à ce faire manuellement.

[73] L'appelante a investi dans la payeuse et une personne non liée ne l'aurait certes pas fait.

[74] Il est évident que l'appelante a continué son travail régulier chez la payeuse alors qu'elle recevait des prestations d'assurance-chômage.

Selon la procureure de l'appelante et de l'intervenante en réplique :

[75] L'appelante était actionnaire de la payeuse et, en conséquence, elle n'en était pas une employée ordinaire.

[76] Elle a investi dans celle-ci pour sauvegarder son emploi : elle avait des comptes à rendre à son mari; elle ne s'occupait pas seulement de la comptabilité : elle avait beaucoup d'autres tâches à accomplir.

Le délibéré

[77] L'appelante a reçu ses actions dans l'intervenante à titre gratuit et une employée non liée n'aurait certes pas reçu un tel cadeau.

[78] Le sous-paragraphe d) précité est nié tel que rédigé mais il n'y a aucune preuve à l'effet que le 2 décembre 1993, l'appelante n'est pas devenue la vice-présidente de l'entreprise.

[79] L'appelante et l'intervenante avaient, est-il besoin de le souligner, le fardeau de la preuve.

[80] L'appelante pouvait signer les chèques de la payeuse et une autre employée de secrétariat n'aurait certes pu le faire.

[81] Elle a évidemment oeuvré pour la payeuse mais dans l'exercice de sa discrétion le Ministre a jugé son emploi non assurable.

[82] Elle a nié tel que rédigé le sous-paragraphe g), mais la preuve est à l'effet qu'il est vrai suivant la preuve offerte en l'instance.

[83] Elle a nié également le sous-paragraphe h) et il est vrai que Sandra Coulombe a aussi oeuvré un peu au bureau de la payeuse; il est aussi vrai qu'elle avait un horaire de travail à respecter mais ce n'est pas tout ce qu'il y a à considérer pour mettre fin à ce litige.

[84] Mario Gilbert dit bien que l'appelante se servait de l'auto de la payeuse, entre autres, à ses fins personnelles.

[85] Il est certain que l'appelante a continué à oeuvrer pour la payeuse même après sa première mise à pied : ses explications sur ses cinq heures de travail par semaine alors qu'elle devait même se faire remplacer à l'occasion ne résistent pas à un examen sérieux d'autant plus que pendant les 30 autres heures c'est son mari qui s'occupait seul du secrétariat au bureau de la payeuse.

[86] Une personne non liée n'y aurait certes pas oeuvré ainsi sans être rémunérée : il en va de même pour la période du 1er janvier au 30 juin 1995 alors qu'elle a travaillé à plein temps contre seulement des remboursements de ses mises de fonds.

[87] L'appelante n'a pas payé ses actions et une personne non liée aurait normalement dû le faire.

[88] Il n'est pas raisonnable de conclure, dans ces circonstances, que le contrat de travail de l'appelante aurait été à peu près semblable si elle n'avait pas eu un lien de dépendance avec le payeur.

[89] Il est certain que Johanne Gravel a bien aidé l'intervenante à ses débuts et qu'elle a bien « formé » l'appelante, mais ce n'est pas ce que la Cour a à décider pour mettre fin à ce litige.

[90] Les activités antérieures de l'appelante sont intéressantes mais elles ne permettent vraiment pas à la Cour d'intervenir.

[91] Elle a investi dans la payeuse et une employée non liée ne l'aurait certes pas fait.

[92] Dans toutes les industries il y a des hauts et des bas.

[93] Elle pouvait se servir de la voiture de la payeuse à ses fins personnelles et une employée non liée n'aurait certes pas pu le faire.

[94] Une mise à pied peut aider, il est vrai, à redresser une entreprise, mais une employée ainsi congédiée ne peut à la fois recevoir des prestations d'assurance-chômage et fournir quand même une prestation de travail à titre gratuit surtout lorsque les revenus de l'entreprise augmentent.

[95] Seul le lien de dépendance peut expliquer la situation en l'instance.

[96] La bonne foi des témoins n'est aucunement mise en doute mais la Cour doit juger dans le cadre de la Loi.

[97] En matière d'assurance-chômage chaque cas en est un d'espèce.

[98] Dans Caron (supra), il n'y avait pas eu de cession d'actions par l'épouse, celle-ci n'avait pas avancé des fonds à l'entreprise et elle n'avait pas non plus cautionné un emprunt hypothécaire sur la maison de son mari pour renflouer l'entreprise : elle n'avait pas non plus travaillé à plein temps pour seulement récupérer ses avances de fonds à la payeuse.

[99] L'arrêt Jencan (supra) fait bien voir qu'il n'y a pas lieu pour la Cour d'intervenir en faisant preuve de retenue judiciaire, la décision du Ministre étant parfaitement légale.

[100] Il n'y a aucune preuve à l'effet que l'intimé a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicite, il a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et il n'a pas tenu compte par ailleurs de facteurs non pertinents.

[101] L'appelante n'était certes pas une employée ordinaire de l'intervenante : elle en était la vice-présidente, lui avait avancé des fonds, oeuvrait à son service à titre gratuit alors qu'elle percevait des prestations d'assurance-chômage, avait cautionné un emprunt pour permettre à son mari de renflouer l'entreprise et se servait de la voiture de la payeuse à ses fins personnelles.

[102] Johanne Gravel n'a sans doute pas expliqué toute la situation au bureau de l'assurance-chômage lorsqu'elle a vérifié l'assurabilité de cet emploi : au surplus le Ministre n'est pas lié par de telles informations fournies par les fonctionnaires de ce bureau.

[103] L'appel doit donc être rejeté et la décision entreprise confirmée.

Signé à Laval (Québec), ce 27e jour d'octobre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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