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Date: 19971209

Dossier: 95-2754-UI

ENTRE :

BERNARD LAROUCHE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 14 septembre 1995. En vertu de cette détermination, l'intimé statuait que l'emploi exécuté du 6 janvier au 27 mars 1992, pour le compte et bénéfice de la compagnie « Construction Econo Plus Inc. » , n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ).

[2] L'intimé appuyait alors sa décision sur les dispositions de l'alinéa 3(2)d) et du paragraphe 61(3) de la Loi S.R.C. 1985 c. U-1, tels qu'applicables à la période en litige.

[3] Quant aux faits de l'affaire, ils sont décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. L'appelant fait certaines admissions, soit spécifiquement les suivantes :

5a) le payeur fut constitué en corporation le 18 avril 1989;

b) le payeur exploite une entreprise faisant de la construction résidentielle;

c) le 7 juin 1991, Gaétan Larouche, unique actionnaire du payeur, décédait des suites d'un accident;

d) les deux enfants mineurs de Gaétan Larouche sont ses seuls héritiers;

e) l'appelant est le frère de Gaétan Larouche;

f) le 23 juillet 1991, des suites d'un jugement de la Cour Supérieure du Québec entérinant les décisions prises par le conseil de famille, l'appelant était désigné comme tuteur aux biens des enfants mineurs;

i) du 6 janvier au 27 mars 1992, l'appelant recevait du payeur une rémunération hebdomadaire de 500 $ pour ses fonctions administratives.

[4] L'appelant a nié les autres allégués relatant les faits suivants :

g) dès lors l'appelant avait l'entière responsabilité de gérer et d'administrer les affaires du payeur;

h) entre autres obligations et responsabilités mentionnées au dit jugement, l'appelant devait "... assister et voter à toutes les assemblées d'actionnaires ... (du payeur)";

[5] Seul l'appelant a témoigné au soutien de son appel. Il a indiqué que son frère Gaétan Larouche était décédé accidentellement en juin 1991; décédé sans testament, les deux enfants de son frère devenaient ainsi les seuls héritiers.

[6] De son vivant, Gaétan Larouche exploitait une entreprise en construction. Pour éviter que les actifs de sa succession ne soient anéantis par les dettes de l'entreprise, il était alors essentiel de bien évaluer les actifs et passifs avant que les enfants n'acceptent la succession.

[7] Pour protéger leurs intérêts et éventuellement administrer les biens des enfants mineurs Pascal et Caroline, un conseil de famille fut alors convoqué pour qu'il leur soit nommé un tuteur. Le conseil de famille fut principalement constitué de l'appelant, de son frère Denis, de leur mère, grand-mère des enfants et de l'ex-épouse, mère des enfants mineurs.

[8] Suite aux délibérations du conseil de famille, l'appelant fut nommé tuteur aux enfants mineurs. Une procuration générale lui accordant la totalité des pouvoirs reliés à l'administration lui fut octroyée; en vertu de cette procuration, l'appelant détenait des pouvoirs considérables.

[9] Pour illustrer l'ampleur et importance des pouvoirs confiés à l'appelant, je crois utile de reproduire les paragraphes pertinents du jugement (Pièce A-1), lesquels se lisent comme suit :

a) à continuer l'entreprise du défunt connue sous les nom et raison sociale de « CONSTRUCTIONS ÉCONO PLUS INC. » pour et au nom des enfants mineurs et qu'en conséquence il soit autorisé à poser les actes d'administration nécessaires au bon fonctionnement de la compagnie notamment mais non limitativement, tel que signer les chèques, recevoir les paiements, payer les comptes, prendre des ententes de paiement avec les fournisseurs et en général, continuer et faire toutes les opérations de commerce, acheter et vendre toute marchandise, passer tout marché et l'exécuter; consentir tout crédit et donner tout terme; demander toute avance et ouverture de crédit de toute institution financière et donner toute garantie; réclamer tout produit de police d'assurance prise sur la vie de Gaétan Larouche dont la compagnie peut être propriétaire et/ou bénéficiaire;

b) à obtenir une offre d'achat relativement aux actifs de la compagnie soit en bloc ou séparément, le tout conditionnel à la procédure à suivre prescrite par le Code de procédure civile;

c) à continuer l'entreprise du défunt connue sous les nom et raison sociale de « 2621-3603 QUÉBEC INC. » pour et au nom des enfants mineurs et qu'en conséquence il soit autorisé à poser les actes d'administration nécessaires au bon fonctionnement de la compagnie tel que signer les chèques, recevoir les paiements, payer les comptes, et en général, continuer et faire toutes les opérations de commerce, acheter et vendre toute marchandise, passer tout marché et l'exécuter; consentir tout crédit et donner tout terme; demander toute avance et ouverture de crédit de toute institution financière et donner toute garantie;

d) à obtenir une offre d'achat relativement aux actions de la compagnie, le tout conditionnel à la procédure à suivre prescrite par le Code de procédure civile pour la vente de gré à gré d'actions non cotées à la bourse;

e) à continuer l'entreprise du défunt connue sous les nom et raisons sociale de « LES IMMEUBLES LOGI PRO INC. » pour et au nom des enfants mineurs et qu'en conséquence il soit autorisé à poser les actes d'administration nécessaires au bon fonctionnement de la compagnie tel que signer les chèques, recevoir les paiements, payer les comptes, et en général, continuer et faire toutes les opérations de commerce, acheter et vendre toute marchandise, passer tout marché et l'exécuter; consentir tout crédit et donner tout terme; demander toute avance et ouverture de crédit de toute institution financière et donner toute garantie;

f) à obtenir une offre d'achat relativement aux actions de la compagnie, le tout conditionnel à la procédure à suivre prescrite par le Code de procédure civile pour la vente de gré à gré d'actions non cotées à la bourse;

g) à assister et voter à toutes les assemblées d'actionnaires des compagnies ci-dessus mentionnées;

h) à obtenir une extension de délai minimale de soixante (60) jours de la part de « Ameublement Capri Ltée » pour la signature de l'acte de vente notarié de façon à pouvoir donner suite à ladite offre d'achat du terrain et de la construction en cours, de sorte que « Constructions Écono Plus Inc. » puisse récupérer l'investissement antérieur fait sur l'immeuble que le défunt projetait acheter.

i) réclamer pour et au nom des enfants mineurs tout produit de police d'assurance prise sur la vie de Gaétan Larouche;

[10] Après avoir procédé à l'inventaire des actifs et passifs de la compagnie « Construction Econo Plus Inc. » , il fut décidé qu'il était dans l'intérêt des enfants qu'ils acceptent la succession, ce qui fut concrétisé au mois de décembre 1991.

[11] De manière à maximiser la valeur des actifs, il fut également convenu de poursuivre les chantiers déjà commencés pour les rendre à terme. À cet effet, l'appelant a tenté sans succès d'embaucher un ancien associé du défunt un certain Richard Lépine. Ce dernier n'étant aucunement intéressé à cause des nombreux problèmes dont plusieurs litiges juridiques, l'appelant fut alors engagé pour prendre la direction de l'administration de l'entreprise du de cujus, moyennant une considération de 500 $/semaine.

[12] L'emploi fut d'une durée de 12 semaines au terme duquel l'appelant a lui-même préparé sa cessation d'emploi (Pièce I-1). Au cours de sa période d'emploi, l'appelant a soutenu qu'il mangeait chez sa mère toutes les semaines et qu'il rencontrait son frère Denis régulièrement tous les deux jours. Ces deux personnes ayant fait partie du conseil de famille, il a indiqué qu'il y avait ainsi un contrôle de la part des deux personnes en question sur le travail qu'il exécutait.

[13] À titre d'exemple, il a rappelé qu'il avait dû refuser de vendre un fusil à peinture; en effet son frère avait jugé que le montant offert de 1 000 $ n'était pas suffisant, contrairement à ce qu'il croyait dans un premier temps.

[14] Selon l'appelant, il s'agissait là d'un exemple concret démontrant que son travail était assujetti au droit de regard et de contrôle des membres du conseil de famille.

[15] Lors de l'enquête relative à l'assurabilité, l'appelant a signé une déclaration statutaire dont le contenu était le suivant :

Je suis propriétaire de l'entreprise DELIBER INC. à 100 %, cette entreprise fonctionnait bien en 1993 avant 93 rien au livre (sans employés). Je suis actionnaire à 30 ou 33 1/3 de l'entreprise Énergec avec Denis Larouche et Mme Myrilla Lapierre Larouche et lui est actionnaire mais ne travaille pas à l'entreprise. Denis Larouche fait du travail de chantier et gérance de projet. Je suis le responsable de l'entreprise pour les sous missions estimées j'ai le dernier mot pour l'administration.

Construction Écono. Suite au décès de Gaétan Larouche, j'ai fait le travail comme tuteur pour régler les comptes et les opérations complètent de l'entreprise. J'avais carte blanche pour régler la succession.

Analyse

[16] L'intimé a exclu l'emploi de l'appelant des emplois assurables en s'appuyant sur l'article 3(2)d) de la Loi qui se lit comme suit :

d) tout emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

[17] En l'espèce, l'intimé soutient que l'appelant avait le contrôle de facto sur la totalité des actions. Le jugement produit sous la pièce A-1 est très clair à cet égard; je fais notamment référence au paragraphe suivant :

g) à assister et voter à toutes les assemblées d'actionnaires des compagnies ci-dessus mentionnées;

[18] L'appelant a soutenu que ses pouvoirs avaient été réduits et modifiés suite à l'acceptation de la succession en décembre 1991. Cette réduction de pouvoirs n'a pas fait l'objet d'une preuve très convaincante puisqu'aucun écrit, procès verbaux ou autres témoignages n'ont confirmé cette interprétation. D'ailleurs, aucun des membres du conseil de famille n'a témoigné pour soutenir les prétentions de l'appelant quant à la diminution de ses pouvoirs ni quant au contrôle que le conseil de famille exerçait sur les activités rémunérées de l'appelant.

[19] En matière d'assurabilité, le fardeau de la preuve incombe à l'appelant. Or, même si la preuve est à l'effet que le mandat avait été réduit des suites de l'acceptation de la succession, l'appelant devait absolument démontrer que le travail exécuté pour le compte et bénéfice de la compagnie « Construction Econo Plus Inc. » avait fait l'objet d'un contrôle et qu'il avait existé un lien de subordination entre lui et un quelconque détenteur d'autorité.

[20] À cet égard la preuve n'est vraiment pas concluante; bien au contraire, la prépondérance de la preuve m'apparaît conforme et cohérente avec la description des pouvoirs décrits à l'acte de tutelle.

[21] Tout cela m'amène à conclure que l'appelant avait, dans les faits, le parfait contrôle sur le droit de vote inhérent aux actions de la compagnie; de cette réalité, il contrôlait plus de 40 % des actions de la compagnie ce qui avait pour effet direct d'exclure son emploi des emplois assurables.

[22] À l'appui de ses prétentions, l'intimé s'est référé à bon droit au jugement dans l'affaire Rodrigue Sexton et M.N.R. et Cour canadienne de l'impôt, A-723-90 où l'honorable juge Hugessen s'exprimait comme suit :

La détermination du contrôle des actions donnant droit de vote dans une corporation est une question mixte de droit et de fait. Dans un premier temps, il faut déterminer qui est titulaire des actions; ensuite il faut voir s'il existe des circonstances entravant le titulaire dans l'exercice libre et autonome de son droit de vote et, le cas échéant, qui peut légalement exercer ce droit à la place du titulaire.

[23] Je crois également utile de me référer aux propos de mon collègue l'honorable juge Pierre Dussault qui dans l'affaire Morton Cornblit v. M.R.N., 93-125(UI), s'exprimait comme suit :

L'intention qu'avaient les appelants de céder d'avantage d'actions à leurs épouses n'a jamais pris la forme de cessions valides et exécutoires.

[24] Le droit d'organiser ses affaires pour se prévaloir de bénéfices ou avantages découlant des lois ou de programmes d'aide financière a souvent été reconnu. Cela suppose cependant que les intéressés se conforment aux différentes exigences et respectent les règles édictées. Il ne suffit pas de prétendre que les intentions étaient là et que la réalité n'était pas celle démontrée et exprimée par des écrits très explicites.

[25] À cet égard, l'honorable juge Linden dans l'affaire La Reine c. Friedberg, 92 DTC 6031 (C.A.F.) s'exprimait comme suit :

En droit fiscal, la forme a de l'importance. Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil, 91 D.T.C. 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux ce livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à "rectifier" des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise.

[26] La Loi parle de contrôle et non de propriété; d'autre part, c'est le droit de vote qui attribue le contrôle d'une compagnie et non la propriété des actions.

[27] L'importance des pouvoirs décrits à la procuration dont disposait l'appelant au cours de la période en litige était telle qu'il avait, dans les faits, le contrôle total sur tout droit de vote inhérent à toutes les actions de la compagnie.

[28] L'appelant jouissait de tous les droits de vote reliés aux actions. La procuration lui donnait le droit et pouvoir de voter comme il le désirait; il n'était assujetti à aucune restriction. La délégation de pouvoirs était totale et sans réserve, du moins quant à l'usage des droits de vote.

[29] D'autre part, l'étendue et la qualité des pouvoirs de l'appelant étaient non équivoques quant à la latitude dont il disposait dans les faits. Il ne faisait l'objet d'aucun contrôle; il n'existait pas de lien de subordination entre lui et les autres membres du conseil de famille. Les seules contraintes et limites étaient sans doute celles prévues par la Loi relatives aux obligations que doivent respecter les tuteurs.

[30] La prépondérance de la preuve à largement démontré que l'appelant contrôlait plus de 40 % des actions de la compagnie qui le rémunérait et l'emploi qu'il occupait au cours de la période en litige n'était pas un emploi assurable en vertu des dispositions prévues à l'article 3(2)d) de la Loi.

[31] D'autre part, il ne s'agissait pas d'un véritable contrat de louage de services puisque la preuve relative au lien de subordination, essentiel à la formation d'un tel contrat, a été totalement déficiente.

[32] Pour ces motifs, l'appel est rejeté et la détermination est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 1997.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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