Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980311

Dossier: 97-1064-UI; 97-115-CPP

ENTRE :

STEPHEN PERSAUD,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Pour l’appelant : l’appelant lui-même

Avocate de l’intimé : Me Erika Bottcher

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l’audience à Calgary (Alberta) le 20 janvier 1998)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Ces appels sont interjetés en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et le Régime de pensions du Canada (le Régime) à la suite d’une décision du ministre du Revenu national selon laquelle l’appelant n’était pas, au cours de l’année 1995, employé en vertu d’un contrat de louage de services et qu’il n’était pas, par conséquent, un employé aux fins de la Loi et du Régime.

[2] Revenu Canada a d’abord adopté la position selon laquelle cet appelant était un employé. Une évaluation a été établie à l’encontre d’Excel Building Maintenance Ltd., l’employeur, pour les cotisations prévues par la Loi et le Régime, étant donné le statut d’employé de l’appelant, cotisations que la compagnie n’avait pas versées. Excel avait interjeté un appel et la décision a été infirmée. C’est parce que cette décision a été infirmée que l’appelant interjette appel devant la Cour aujourd’hui. Il s’agit encore d’une autre cause où la Cour doit décider si l’appelant est un entrepreneur indépendant ou une personne engagée en vertu d’un contrat de louage de services.

[3] Certains des faits ne sont pas remis en question. Excel fait des affaires dans les domaines de l’entretien d’édifices et de la conciergerie, et l’appelant a dispensé des services à Excel. L’appelant a commencé à travailler pour Excel aux environs du 1er mars 1995; on n’est pas certain de la date. À ce moment, il recevait une rémunération de 7 $ l’heure, et il a travaillé à différents endroits. Selon le témoignage de l’appelant, à tous les endroits où celui-ci a travaillé, Mike Khrisna, le directeur d’Excel, ou un superviseur que ce dernier avait embauché était sur les lieux et supervisait son travail.

[4] On a déposé en preuve un contrat ou du moins un document que l’on a présenté comme étant un contrat. Il semble qu’il ait été signé par l’appelant, son épouse et Mike Khrisna au nom d’Excel. Je précise “ il semble ” étant donné que l’appelant a déclaré dans son témoignage du fait qu’au moment de la signature du document, on avait présenté, à lui-même et à son épouse, uniquement la deuxième page du contrat qu’ils avaient tous deux signée et que la première page avait été ajoutée par la suite, probablement par Mike Khrisna. L’appelant n’a vu le document au complet, si l’on se fie à son témoignage, qu’au moment où M. Khrisna l’a présenté devant la cour des petites créances au procès d’une action intentée par l’appelant et son épouse contre Excel pour recouvrer de l’argent qui leur était dû en vertu de leur contrat avec Excel.

[5] La décision du ministre dans ce cas était basée au moins en partie sur l’hypothèse selon laquelle ce document était en fait un véritable contrat passé entre Excel et l’appelant et entre Excel et l’épouse de l’appelant. Le témoignage de l’appelant m’a convaincu que ce n’était pas un véritable contrat puisque seule une partie de ce dernier lui a été présentée au moment où il y a apposé sa signature.

[6] Les hypothèses de fait sous-jacentes du ministre comprenaient également celle selon laquelle l’appelant avait embauché d’autres personnes pour l’aider à effectuer les travaux de nettoyage et de conciergerie pour Excel ainsi qu’à exécuter d’autres contrats de nettoyage, et qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour respecter des contrats de conciergerie autres que ceux qu’il avait passés avec Excel.

[7] L’appelant, dans son témoignage, a déclaré que ces deux hypothèses sont erronées : il n’a jamais embauché des personnes pour l’aider ni n’a conclu ou sollicité des contrats en son nom personnel avec d’autres qu’Excel au cours de l’année 1995. Ce témoignage n’a pas été sérieusement contesté, et je l’accepte comme étant véridique.

[8] Le ministre a également présumé que la société n’avait pas supervisé l’appelant ni ne lui avait donné de directives sur ses tâches de conciergerie. La preuve de l’appelant était parfois imprécise sur cette question, mais je suis convaincu, comme je l’ai dit précédemment, qu’il était en fait supervisé de temps en temps par M. Khrisna et par au moins une autre personne embauchée à titre de superviseure par la compagnie. Je ne doute pas qu’il ait accompli certains travaux de nettoyage qui n’ont pas été supervisés, au moins d’une façon très particulière, mais, étant donné la nature du travail, cela n’est pas très surprenant et, de mon point de vue, cela n’est certainement pas un élément déterminant de la nature de la relation de travail.

[9] Le ministre a également présumé que l’appelant était responsable de réparer, comme le mentionnait la Réponse à l’avis d’appel, “ toute erreur ou tout travail mal fait sur son temps personnel et à ses frais ”. L’appelant a également nié cette hypothèse, et j’accepte son témoignage sur ce point.

[10] L’hypothèse finale énoncée dans la Réponse à l’avis d’appel précise que l’appelant décidait du moment où le travail de conciergerie allait être effectué et désignait la personne qui ferait ce travail. De nouveau, la preuve était loin d’être claire, comme c’est normalement le cas dans les contrats qui traitent de services de nettoyage et de conciergerie. Que le travail soit accompli par un employé ou par un sous-traitant, il est nécessaire qu’il soit effectué dans des limites de temps précises régies par le contrat principal entre la personne dont les locaux sont nettoyés et, dans la présente cause, Excel. Quant à la personne qui devrait accomplir le travail, selon le témoignage de l’appelant, seuls lui-même et son épouse s’en étaient chargés. À mon point de vue, les principales hypothèses sur lesquelles le ministre a fondé sa décision ont été supplantées de façon satisfaisante par le témoignage de l’appelant.

[11] Dans ce type de cause, la Cour d’appel fédérale a bien précisé qu’il revient au juge de première instance d’examiner étroitement la preuve et d’appliquer, non pas quatre critères distincts, mais un seul critère qui tiendrait compte de différentes questions, comme la possibilité de l’appelant de réaliser des profits et de subir des pertes, la propriété des instruments de travail et le niveau, s’il en est, d’intégration des activités de l’appelant à celles de la compagnie. Dans un cas comme celui qui nous intéresse, le critère qui est peut-être le plus utile est celui établi par le juge Cooke dans la cause Market Investigations[1], à laquelle la Cour d’appel fédérale fait référence et qu’elle approuve spécifiquement dans son jugement Wiebe Door.[2] Comme le juge Cooke l’énonce :

[traduction]

... le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s’est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s’agit d’un contrat d’entreprise. Si la réponse est négative, alors il s’agit d’un contrat de louage de services.

Dans la présente cause, il ne semble pas que l’appelant ait fourni son propre matériel ou ses instruments de travail ni quoi que ce soit de la sorte, ou encore qu’il ait embauché des aides. Il n’a assumé aucun risque financier.

[13] En tant qu’immigrant récemment arrivé au pays, s’engageant dans son premier emploi, il n’est pas surprenant que les précisions n’aient pas été très claires quant aux ententes entre l’appelant et sa femme, d’une part, et Excel Building Maintenance Ltd, d’autre part. Je suis persuadé que l’appelant n’était pas familier avec notre façon de faire des affaires et celle de passer les contrats, qu’ils soient de louage de services ou d‘entreprise. C’est ce qui explique, sans aucun doute, que l’appelant et sa femme, en fait, ont tous deux passé un contrat avec Excel Building Maintenance pour effectuer les mêmes tâches de nettoyage. Je suis persuadé qu’on leur a dit, lorsqu’ils ont commencé leur travail, qu’il seraient payés chacun 7 $ l’heure, et qu’ils ont été tous deux rémunérés sur la base de 7 $ l’heure au commencement, et que, par la suite, ils ont assumé le nettoyage de deux édifices pour Excel, l’un désigné dans le témoignage comme Biochem et l’autre comme 5151 Business Centre. Pour les travaux de nettoyage à Biochem, il devaient recevoir 400 $ par mois, et pour ceux effectués à 5151 Business Centre, ils devaient recevoir 800 $ par mois.

[14] Me Bottcher a suggéré dans son argumentation que, sous l’autorité de la décision du juge suppléant Baryluk dans Amkirk Management Ltd. v. M.N.R.,[3] la méthode de paiement pour les travaux effectués dans ces deux édifices porterait à conclure qu’il s’agissait d’un contrat d’entreprise plutôt que d’un contrat de louage de services, dans sa totalité, sinon, au moins en ce qui concerne cette partie du travail.

[15] À mon avis, il ne s’agit pas d’une cause pour laquelle les conclusions devraient différer en fonction des différentes parties du travail. Il s’agit, je crois, d’un résultat théorique auquel on peut aboutir dans une cause différente quant aux faits, mais il ne s’agit pas d’un résultat justifié dans la présente cause, après que j’aie examiné tous les faits.

[16] L’appelant et son épouse ont poursuivi Excel à la cour des petites créances en 1996. Ils réclamaient 3 941,87 $ dont 800 $ pour le nettoyage à l’édifice Biochem en avril et mai 1995 et 1 600 $ pour le nettoyage à 5151 Business Centre en avril et mai 1995; le solde de la réclamation représente 283,5 heures pour chacun d’eux entre les mois d’avril et août 1995 consacrées à d’autres travaux, moins la somme de 2 427,13 $ qui leur a été payée. À la cour des petites créances, ils ont recouvré à l’encontre d’Excel 3 955 $, plus les intérêts et les frais. J’ai devant moi, à titre de preuve, le jugement de la Division des affaires civiles de la cour provinciale de l’Alberta pour cette même somme; rien n’y indique s’il s’agit de deux contrats distincts ou si le contrat entre l’appelant et Excel devrait être divisé d’une façon ou d’une autre et considéré comme deux contrats.

[17] Je considère qu’il s’agissait, dans la présente cause, d’un emploi. Si nous mettons en application le critère du juge Cooke, après avoir vérifié tous les éléments de preuve et les faits que j’ai mentionnés précédemment, aucune personne qui comprendrait correctement les faits n’en arriverait raisonnablement à la conclusion que l’appelant dans la présente cause était en affaires à son propre compte lorsqu’il effectuait des travaux pour Excel.

[18] Par conséquent, l’appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 1998.

“ E.A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour d’avril 1998

Mario Lagacé, réviseur.



[1]               Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security [1968] 3 All E.R. 732 à 737 (Q.B.D.).

[2]               Wiebe Door Services Limited v. M.N.R., [1986] 3 C.F. 553.

[3]               Jugement non publié de cette Cour en date du 11 avril 1988, accessible par QL [1988] A.C.I. no 304.

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